La stéréothèque conserve quelques vues de Madagascar, la une du mois de mars sera focalisée sur ces photographies stéréoscopiques qui sont datées de la seconde expédition Française (1894-1895).L’indexation collaborative des vues a été faite par Jean-Claude Huguet, Christian Bernadat, Catherine Carponsin-Martin et Fanny Arnaud.
Cet article sera ponctué d’extraits de Souvenirs de Campagne, un ouvrage de Léon Silbermann
Pour la petite recontextualisation historique :
La première expédition française aboutit à la signature du traité de protectorat de Tamatave en 1885, plaçant Madagascar sous l’influence politique de la France tout en maintenant une forme d’indépendance pour l’île. Après la première expédition, des révoltes et des soulèvements contre le pouvoir colonial français ont éclaté à Madagascar, ce qui a incité la France à lancer une seconde expédition militaire.
L’objectif était alors de consolider et de renforcer le contrôle colonial français sur Madagascar.
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La marine débarque à Majunga le 14 janvier 1895. Le gouvernement envoie une expédition de 15 000 militaires et 7000 convoyeurs, qui est présentée comme une grande affaire nationale à l’opinion publique française.
Souvenirs de campagne :
Les vues que nous observerons semblent correspondre aux évènements décrits par Léon Silbermann lors de la conquête de Madagascar dans « Souvenirs de Campagne ».
Cet ouvrage fut écrit au cours des quinze années pendant lesquelles il a servi, d’abord à la Légion étrangère, puis dans l’infanterie de marine. L’auteur a eu l’occasion de visiter un assez grand nombre de colonies et de prendre part à quelques-unes des expéditions : celles du Dahomey, de Madagascar, et enfin la campagne de Chine de 1900-1901.
“D’après le missionnaire Piolet, les côtes de Madagascar ont un développement de 4 000 kilomètres. Le sol est très montagneux, et arrosé par de nombreux cours d’eau ; chaque vallée a son ruisseau, chaque plaine son fleuve ou sa rivière. Les routes étaient, jusqu’à l’expédition, complètement inconnues à Madagascar. Seuls, de mauvais sentiers traversaient en droite ligne montagnes et vallées. La population était, d’après Grandidier, de cinq à six millions d’habitants.”
L. Silbermann
« Au point de vue climatérique, on peut diviser l’île en quatre zones : 1, La côte orientale. Elle est chaude et humide. Il y pleut presque toute l’année. La pluie tombe en averses violentes et de peu de durée, mais qui se succèdent à de courts intervalles. 2, La côte occidentale. Elle est également chaude. Les saisons y ont un régime régulier, soit huit mois de saison sèche et quatre mois de pluie. 3, L’extrême sud, où les pluies sont beaucoup plus rares, et où la sécheresse est extrême pendant toute l’année. 4, Enfin, le plateau central, où le climat est tempéré. Les saisons y sont bien tranchées ; d’avril à mi-novembre, c’est la saison sèche et relativement froide ; puis, le reste de l’année, cinq mois de pluies et d’orages violents. A mesure qu’on s’approche du massif central, le climat devient plus frais, plus clément à l’Européen. En Emyrne, on voit parfois tomber de la grêle, et de la glace se former sur les flaques d’eau.”
L.Silbermann
Ici nous voyons une canonnière amarrée à couple avec une barge. Des personnes munies de perches semblent maintenir l’ensemble à distance de la berge, sans doute en pente et envaséeCes hommes essayent sûrement de dégager la canonnière échouée. Un épisode qui n’est pas sans rappeler un souvenir du soldat Silbermann.
« Le lendemain, au petit jour, nous quittâmes cet endroit maudit. Nous réembarquâmes sur le Boëni au milieu d’un brouillard épais ; mais subitement, la canonnière, avec un choc violent qui nous fit tous tressauter, s’échoua sur un banc de sable. Nous descendîmes dans l’eau pour la pousser. Peine inutile. Il fallut attendre près de six heures, jusqu’à la marée haute, pour la déséchouer. » L.Silbermann
Ce fait se passe au mois de mai 1895 près de Marovoay.
Les difficultés de l'expédition :
Bien que seulement 25 hommes aient été tués au combat, 5 756 sont morts de maladie. Cela représente 40 % des effectifs de l’expédition.
“Les difficultés de la marche augmentaient à chaque étape ; nous n’avions à notre disposition que des mulets qui, à chaque instant, roulaient par terre avec leur chargement de canons et de bagages ; il fallait remonter tout, et chaque fois, on arrivait au bivouac éreinté et fourbu. Avec cela, le manque de vivres nous faisait tirer la langue ; la ration était réduite de moitié. Rarement on nous donnait la moitié d’un quart de vin. Le café et le sucre étaient totalement épuisés. Le nombre des malades augmentait chaque jour. De Marovoay, de mauvaises nouvelles nous parvenaient. On y enterrait journellement des camarades. Le 200e régiment surtout souffrait énormément du climat. “ L.Silbermann
« En ville, toutes les portes et fenêtres sont fermées. Il est probable que les habitants craignent le pillage. Les Indiens sont au pas de leur porte, et semblent monter la garde devant leurs maisons. Le matériel sanitaire vient d’arriver ; le nombre des malades est déjà considérable. Le climat de Marovoay étant très malsain, tout le monde souffre de la fièvre ; nos quatre blessés, ainsi qu’un certain nombre des malades, sont évacués sur Majunga. » L.Silbermann
L'arrivée du général Gallieni :
Face aux difficultés de cette expédition, la France envoie le Général Gallieni à Madagascar en raison de ses compétences militaires et administratives, de sa réputation de fermeté et de son expérience dans la gestion des territoires coloniaux. Investi de tous les pouvoirs civils et militaires, afin de rétablir l’ordre. Il arrive le 15 septembre 1896 en tant que résident général. L’aura de ce général poussera le soldat Silbermann à lui dédier ses « souvenirs de campagne ».
« Mon Général,
Un soldat qui, durant sa carrière, fut assez heureux pour beaucoup voir et quelque peu retenir, vous demande la permission de vous dédier ce livre.
…
Vos instructions, toujours en vigueur, ne traçaient pas seulement des devoirs aux chefs militaires et aux autorités territoriales. Distribuées à tous et à la portée de tous, elles s’adressaient, sous forme de conseils pratiques, aux sous-officiers, caporaux, et aux simples soldats eux-mêmes. Elles étaient pour tous « l’école du bon sens » et, dans nos campagnes coloniales, le bon sens procure souvent, mieux qu’un feu de salve ou une rafale de batterie, le résultat qu’on cherche à obtenir.
On se souvenait aussi de vos tournées d’inspection où, partageant la table et le modeste menu du chef de poste, vous apportiez toujours la bonne parole, celle qui faisait cesser les conflits et tranchait toutes les difficultés pendantes.
…
Le commandant Mouret acheva pour moi ce que le commandant Odry avait commencé. Je trouvai auprès de lui les mêmes satisfactions de vie aventureuse, les mêmes occasions de voir du pays et, simple troupier que j’étais encore, d’avoir à me débrouiller souvent par moi-même.
Non content de nous expliquer ce qu’est l’initiative, notre capitaine nous la laissait exercer, aussi bien dans les engagements où chacun payait de sa personne, que dans la vie plus monotone et plus sédentaire de nos postes.
A vous, mon général, et à ces deux chefs, j’offre l’hommage d’un soldat, devenu Français de fait, de cœur et de persuasion. »
SILBERMANN.
Dans la nuit du 28 février 1897, Le lendemain, il abolit la monarchie et devient gouverneur général de Madagascar. La reine est exilée dans un premier temps à la Réunion. Gallieni réprime l’insurrection, vaincue début 1897.
Fin de l'expédition :
Le soldat Silbermann n’a pas participé aux derniers instants de cette expédition, comme il le raconte dans ses “souvenirs de Campagne”.
« Lorsque je quittai le sol de Madagascar, la campagne avait pris fin, le gouvernement de la reine avait accepté le protectorat de la France avec toutes ses conséquences, mais les difficultés étaient loin d’être arrivées à leur terme…
Je n’ai pas eu la bonne fortune de prendre part aux nombreuses opérations militaires qui se sont déroulées à Madagascar à partir de 1896, non plus qu’à l’œuvre magistrale d’organisation que le général Gallieni a poursuivie pendant neuf années en pays malgache et qu’il a définitivement menée à bien en aplanissant toutes les difficultés, en surmontant tous les obstacles. «
L.Silbermann
Madagascar a ensuite été soumis à un régime colonial qui a entraîné l’exploitation des ressources naturelles, des politiques discriminatoires et des tensions sociales.
Dans le contexte de la décolonisation en Afrique, la France a entamé des négociations avec les dirigeants malgaches pour préparer le transfert du pouvoir et la proclamation de l’indépendance. En 1958, un référendum a été organisé à Madagascar pour décider du statut de l’île. La population malgache a voté en faveur de l’indépendance et du maintien des liens avec la France, mais dans une structure fédérale. Cependant, les négociations entre la France et les dirigeants malgaches ont abouti à la proclamation de l’indépendance totale le 26 juin 1960 Pierre Chedmail