En ce mois de septembre, au cours duquel nous célébrons la conservation du patrimoine, éloignons-nous un peu de l’hexagone pour nous transporter au Moyen-Orient, et plongeons-nous dans la contemplation des monuments de l’Égypte antique : les collections de la Stéréothèque conservent en effet – comme nous l’avons déjà observé à plusieurs reprises – des témoignages photographiques parmi les plus précoces sur ces monuments qui passionnaient déjà les Européens du XIXe siècle, au premier rang desquels les Français, égyptologues comme touristes. L’intérêt pour les monuments de l’Égypte antique, on le sait bien, ne se dément pas depuis plus de deux siècles !
Cette passion de tout un continent va se révéler être un puissant moteur pour la sauvegarde de ce patrimoine, actions qui culminèrent, en quelque sorte, avec la campagne menée par l’UNESCO pour sauver des eaux les sites de Haute-Égypte et de Nubie, campagne initiée en 1960, et totalement achevée en 1980.
En France, dès la toute fin du XVIIIe siècle, deux ouvrages marquent l’opinion et les hommes politiques : le Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et Des Ruines ou Méditations sur les Révolutions des Empires (1791) du comte de la Giraudais, dit Volnay ; ils vont inciter fortement Talleyrand et Bonaparte à lancer la campagne d’Égypte.
Au retour de cette expédition (qui fut par ailleurs un échec militaire), l’écrivain et diplomate Vivant Denon (connu pour s’être vu confier la première organisation des musées français) passionna la France entière avec son récit Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte publié en 1802 et réédité durant tout le XIXe siècle. Ensuite, le style Empire, conçu par les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine sur demande de Napoléon lui-même, prolongea cet effet et contribua à diffuser cet intérêt dans toute l’Europe.
Enfin, le voyagiste britannique Thomas Cook (encore lui !) lança ses premières croisières sur le Nil, à bord de bateaux à vapeur, à partir de 1869 : la bourgeoisie européenne eut ainsi très tôt l’opportunité d’aller voir sur place les sites qui, à l’époque, étaient déjà accessibles depuis le Nil.
En outre, durant tout le XIXe siècle, de grands archéologues de toute l’Europe allèrent fouiller et expertiser ce patrimoine antique, donc en initier la conservation, en parallèle avec le mouvement de classement des monuments que connut autant la France que le reste de l’Europe.
Mettons-nous donc dans la peau de voyageurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe et laissons-nous guider dans un circuit qui, partant du Caire et de la Basse-Égypte, nous fera remonter jusqu’en Haute-Égypte, puis en Nubie, sur la base d’une sélection de clichés conservés dans la Stéréothèque, dont certains témoignent d’un état définitivement révolu du site. Ces photos nous montrent que tous ces sites étaient déjà offerts à la curiosité des voyageurs privilégiés du XIXe siècle. Pendant longtemps, le seul moyen d’y accéder est le bateau à vapeur qui remonte le Nil. Mais, le chemin de fer arrive à Louxor et à Assouan en 1898, permettant dès lors aux voyageurs une alternative en trains confortables.
N’imaginons pourtant pas ces voyages comme de tout repos : il fallait déjà plusieurs jours pour traverser la Méditerranée en bateau à vapeur au départ de Marseille ou de Gênes, après éventuellement plusieurs jours de chemin de fer pour les européens du nord de l’Europe – dont les Britanniques après la traversée de la Manche. Ensuite, la remontée du Nil prenait elle-même plusieurs jours ; à chaque étape, il fallait un transfert, parfois de plusieurs heures à dos de chameau, par des températures avoisinant ou dépassant les 40° C, la plupart des Européens conservant pour ces trajets leurs tenues de ville sombres, totalement inadaptées à ce climat ! La contrainte était évidemment la même au départ des gares d’Assouan ou de Louxor lorsqu’elles furent ouvertes. Bref, de tels voyages prenaient souvent un bon mois et nécessitaient une part d’intrépidité qu’on a du mal à imaginer de la part de voyageurs plus habitués au confort des beaux quartiers des grandes villes européennes !
Pour les photographes, aux contraintes générales du voyage s’ajoutaient celles, spécifiques, liées à leur technique : matériel lourd et encombrant, traitements chimiques des plaques et produits révélateurs extrêmement sensibles à la chaleur – et, naturellement aussi, au vent de sable. Enfin, à partir des années 1860, avec la diffusion de techniques plus commodes, le photographe développe de préférence sur place, ce qui nécessite un surcroît de bagages pour transporter son laboratoire itinérant : bref, il faut alors à un photographe plusieurs chameaux pour transporter tout son « barda » (et le personnel pour les conduire), ainsi que, sur le Nil, une embarcation spécialement affrétée… Parvenir à rapporter en Europe des photos correctement exposées est donc à chaque fois un exploit dont on ne mesure peut-être pas l’ampleur ! Ces documents doivent donc être regardés avec d’autant plus d’admiration !
Ainsi, c’est avec le bateau atelier que l’on voit ci-dessous que le photographe Francis Frith opéra lors de plusieurs expéditions successives de 1856 à 1859 ; on lui doit notamment les vues MAG3886 (Denderah), GV026 (Karnak) et WIE918 (Louxor) qui sont présentées dans cette chronique. Sur cette période, la desserte du Nil en bateau à vapeur n’est pas encore mise en place : c’est donc entièrement au moyen de felouques, ces voiliers traditionnels, qu’il remonta le Nil à la force du vent.
Cette immersion sur les sites antiques est en outre l’occasion de constater que les menaces sur la conservation du patrimoine, sous prétexte de développement économique, ne datent pas d’aujourd’hui…
Mais ce circuit sera aussi l’occasion « d’allers-retours » avec les périodes plus récentes, qui mettront en évidence les actions particulièrement spectaculaires de sauvegarde de ce même patrimoine qui furent entreprises et menées à bien dans la seconde moitié du XXe siècle : les sites de l’Égypte antique concentrent ainsi, poussés à leur paroxysme, ces deux aspects antagoniques !
Embarquons donc pour dix étapes photographiques. Par soucis de clarté, elles ont été reportées sur la carte ci-contre, celle de l’expédition à laquelle participa Jean-François Champollion avec l’Université du Grand-Duché de Toscane à partir de 1828.
Hormis Philae, qui n’était pas encore inondée en 1828, toutes les autres photos nous montrent les sites tels que Champollion a pu les admirer une cinquantaine d’années plus tôt.
Basse Égypte : Gizeh dans les environs du Caire :
Situé dans les environs du Caire, le plateau de Gizeh et ses nombreux monuments sera évidemment notre première étape.
En arrivant du Caire, à plusieurs kilomètres, la vue groupée des pyramides du plateau de Gizeh (ci-dessus) s’impose au visiteur. Ce complexe pyramidal égyptien est classé au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1979.
Sur la vue ci-dessus, au premier plan, les ruines sont celles du petit temple qui était consacré au dieu Rê, le Dieu Soleil des Égyptiens. Immédiatement en arrière, voici le sphinx, puis à l’arrière-plan, la grande pyramide de Khéops. Cette dernière est la plus grande et la plus volumineuse de toutes les pyramides d’Égypte. Elle caractérise l’apogée de l’architecture monumentale égyptienne. En fait, le mausolée de Khéops n’est pas une simple pyramide : c’est un grand complexe funéraire, comprenant plusieurs éléments, dont la pyramide est le plus impressionnant. Elle fut construite approximativement entre 2589 et 2566 avant J.-C. Khéops est le nom du deuxième pharaon de la IVe dynastie de l’Égypte antique qui marqua son règne par un développement des mines de cuivre et de turquoise (Sinaï, Nubie). L’horizontalité de l’édifice est proche de la perfection. De 146,60 m de haut à sa construction, cet édifice ne mesure plus que 138 m. Ses quatre faces sont orientées sur les points cardinaux.
Le sphinx (« statue vivante » en égyptien) regarde le soleil levant ; sa partie inférieure est ensablée. Il mesure 73,50 m de longueur et sa tête 5,20 m de haut ; la hauteur totale originelle du monument était de 20,22 m. Il représente un lion à tête d’homme ; taillé directement dans la roche d’un promontoire calcaire, ses pattes avant sont en maçonnerie ; le tout était autrefois recouvert d’une sorte de plâtre peint. La tête est taillée dans un bloc rocheux qui dépassait du promontoire. Quant au corps, il fut sculpté progressivement, au fil du creusement de la roche. En descendant en profondeur, les ouvriers découvrirent que le sol comportait différentes strates de calcaire, de différentes couleurs et d’une dureté différente de la roche. Ceci explique pourquoi le corps du sphinx est strié horizontalement, les différentes couches calcaires s’étant érodées à des vitesses différentes. Le sphinx de Gizeh est l’un des plus vieux et le plus grand des sphinx du monde. Il pourrait être le portrait géant du pharaon Khéphren qui l’a fait sculpter durant son règne (2558-2532 av. J.-C.).
La pyramide de Khéphren est la deuxième pyramide d’Égypte par sa taille. Elle est à faces lisses et fut élevée sous la IVe dynastie de l’Ancien Empire pour le pharaon Khéphren, fils de Khéops. Elle se dresse au sud-ouest de celle de son père, bien identifiable avec son sommet encore couvert de calcaire. Légèrement plus petite que celle de Khéops, elle paraît pourtant plus haute car elle est érigée sur une proéminence rocheuse avec un angle d’inclinaison supérieur à celui de la grande pyramide.
Basse Égypte : le site de Memphis :
La photo de cette statue est un document, trace d’une période révolue : elle a en effet été prise sur le site de Memphis, ancienne capitale du pays, et non au Caire. Pour les égyptologues Sydney Aufrère et Jean-Claude Goyon, elle se trouvait, comme sa jumelle, à l’entrée du temple de Ptah : « Dans l’axe de la ville, approximativement là où devait se trouver l’entrée, s’élevaient deux colosses de Ramsès II. » D’autres sources annoncent même le chiffre de quatre…
Le premier colosse, sculpté dans du calcaire, a été découvert en 1820 par Giovanni Battista Caviglia et Charles Sloane, couché face contre terre. Le bas des jambes brisé, il n’a jamais été relevé, mais a été déplacé en 1958 afin d’être exposé dans un bâtiment construit sur le site.
Le second colosse, celui de notre photo, fut découvert pendant l’hiver 1853-1854, par Leonard Horner, un géologue britannique, venu pour analyser la profondeur et l’accroissement des alluvions du Nil. Il profita de cette mission pour entreprendre l’étude archéologique du site, sous la supervision de Joseph Hekekyan, un ingénieur arménien de Constantinople.
Légèrement plus petit que le premier colosse, il gisait à 200 m au nord-ouest, brisé en six morceaux. La statue demeurera sur place jusqu’en 1887… Cette année-là, le major Arthur Bagnold voulut la soustraire à l’effet des eaux du Nil qui le recouvraient pendant une longue période de l’année et voulut la mettre à l’abri. Il en informa les autorités et une maigre somme de 20 livres lui fut allouée. C’est ainsi que ce colosse fut dégagé, puis traîné sur une butte voisine et surélevé afin qu’il fût visible en totalité.
Il y resta jusqu’en février 1955… date à laquelle le président Nasser, récemment installé à la tête du pays, la fit transporter (et relever) sur une place en plein centre du Caire, en face de la gare, au bout de la grande voie rebaptisée avenue Ramsès. La couronne, qui gisait à côté de la statue, fut également réinstallée sur la tête du souverain. Mais la statue était devenue invisible au milieu d’une circulation débridée, et son calcaire était fortement attaqué par le gaz carbonique des pots d’échappement.
Elle a à nouveau été transportée en grandes pompes en 2006 dans l’enceinte du Grand Musée Egyptien, bâti à la périphérie du Caire, pour la mettre en valeur et la soustraire à la pollution automobile galopante. Les travaux ayant traîné en longueur, il faudra attendre janvier 2018 pour qu’elle s’offre enfin à l’admiration des visiteurs, bien en vue à l’entrée du Musée.
Par deux fois donc, le déplacement et la mise en sécurité du colosse ont été utilisés par le gouvernement en place comme un symbole de puissance politique. Mais, ce motif servit aussi effectivement à la sauvegarde de cette pièce tout à fait exceptionnelle héritée de l’Égypte antique.
Basse Égypte : Saqqarah, la pyramide de Djéser :
Saqqarah est le nom de l’ancienne nécropole de la cité de Memphis, une des capitales de l’Égypte antique. Située à moins de 30 kilomètres du Caire, sur la rive gauche du Nil, presque en face de Memphis elle-même, elle contient les sépultures de nombreux pharaons et hauts fonctionnaires égyptiens. La nécropole est impressionnante : elle mesure 6 km de long sur 1,5 km de large, soit la plus grande superficie d’une nécropole égyptienne, sur un vaste plateau qui domine la vallée du Nil. Le complexe funéraire compte une quinzaine de monuments de différentes époques. Lorsque la Haute et la Basse Égypte furent réunies en un seul royaume, les premières tombes firent leur apparition sur le site (principalement celles des grands notables). Au début, les tombeaux n’étaient pas encore des pyramides, mais des mastabas, grandes constructions rectangulaires d’abord en briques puis en pierres.
Le monument le plus intéressant de Saqqarah est cette pyramide à degrés, tombeau du pharaon Djéser ou Djoser (IIIe dynastie). Il s’agit de la première pyramide égyptienne et du premier tombeau construit intégralement en pierres, dans le but de résister aux épreuves du temps. Son architecte fut le célèbre Imhotep (« celui qui vient en paix » en égyptien). En construisant un mastaba d’environ 121 m de long sur 109 m de large, puis en en superposant d’autres de tailles décroissantes jusqu’au sommet, son idée était de rapprocher le plus possible le souverain du ciel et donc des dieux. Cette structure en degrés peut donc être vue comme une sorte « d’escalier divin » pour faciliter l’ascension du pharaon défunt.
Haute-Égypte : Denderah, le temple d’Hathor :
Denderah est à 460 km au sud du Caire. Le temple d’origine, dédié à la déesse Hathor, fut construit par Pépi 1er sous la VIe dynastie. Le temple actuel fut fondé le 16 juillet 54 avant notre ère, jour du lever héliaque annuel de Sirius. Les travaux commencèrent sous le règne de Ptolémée XII Aulète, père de Cléopâtre. Cette dernière lui succède en 51 avant notre ère. Cette nouvelle construction fut achevée trente-quatre ans plus tard, sous le règne d’Auguste. La décoration des parois se poursuivit jusqu’à la fin de la période romaine. C’est la raison pour laquelle, à l’intérieur du temple, on peut trouver les cartouches d’Auguste, de Tibère, de Caligula, de Claude et de Néron.
Haute-Égypte : Karnak et Louxor (site de l’ancienne Thèbes) :
A environ 500 km au sud du Caire, faisons halte à Louxor, l’ancienne Thèbes, sur la rive est du Nil. La Stéréothèque conserve les vues de deux monuments distincts qu’il convient de ne pas confondre : le grand temple d’Amon au sein du complexe religieux de Karnak, et un second temple d’Amon, à la périphérie immédiate de Louxor.
Nous avons ici une des vues les plus anciennes de nos collections. Le complexe religieux de Karnak comprend un vaste ensemble de ruines de temples, chapelles, pylônes, et d’autres bâtiments situés au nord de Thèbes, aujourd’hui ville de Louxor. Ce complexe religieux, a été construit et développé pendant plus de 2 000 ans par les pharaons successifs, de Sésostris Ier, au Moyen Empire, jusqu’à l’époque ptolémaïque ; il s’étend sur plus de 2 km2, morcelé en trois « domaines », chacun entouré de sa propre enceinte. C’est le plus grand complexe religieux de toute l’Antiquité. Le temple le plus important, le Grand Temple d’Amon, date de la XVIIIe dynastie. Il était consacré à la triade thébaine, avec à sa tête le dieu Amon-Rê. Il était relié au temple de Louxor (voir ci-après) par une allée de sphinx de près de trois kilomètres de long.
Le site a fait l’objet de fouilles conduites dès le XIXe siècle par des archéologues français, désormais organisés depuis 1967 au sein du Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak. Bien que toujours en ruine, le site a néanmoins fait l’objet d’un redressement des colonnes comme on peut en juger sur la photo d’ensemble ci-contre (la salle hypostyle étant au centre du second plan), bel exemple de conservation respectueuse de l’édifice.
Trois kilomètres plus loin, voici le temple d’Amon de Louxor.
Situé au cœur de l’ancienne Thèbes, il fut construit pour l’essentiel sous les XVIIIe et XIXe dynasties. Il était consacré au dieu dynastique Amon sous ses deux aspects d’Amon-Rê céleste et d’Amon-Min. Les parties les plus anciennes actuellement visibles remontent à Amenhotep III et à Ramsès II. Par la suite, de nouveaux éléments furent ajoutés par Chabaka, Nectanébo Ier et les Lagides. L’édifice, l’un des mieux préservés du Nouvel Empire, a gardé de nombreuses structures en élévation.
La vue WIE918 qui nous est présentée ci-dessus – également une des plus anciennes concernant l’Égypte au sein de la Stéréothèque – est malheureusement peu explicite ; c’est une vue latérale du temple depuis le nord-ouest qui laisse voir en arrière-plan le minaret de la mosquée de Louxor toujours présente aujourd’hui.
Une fois franchis les pylônes du temple qui marquaient son entrée, on peut admirer ce qui reste de la grande colonnade qui formait l’intérieur de l’ancien temple. Les murs tout autour portent la représentation des différentes phases de la fête de l’Opet ; à l’entrée de la colonnade, se trouvent deux groupes de statues.
Haute-Égypte : Louxor (ancienne Thèbes), Les colosses de Memnon :
Les colosses de Memnon sont deux statues de pierre monumentales situées sur la rive occidentale de Thèbes, sur la route qui mène à la nécropole thébaine. Elles sont les derniers vestiges du gigantesque temple d’Amenhotep III, construit durant la XVIIIe dynastie, qui n’existe plus de nos jours. Depuis 1998, le site du temple est fouillé par la Mission des colosses de Memnon et du temple d’Aménophis III, dirigée par l’égyptologue Arménien Hourig Sourouzian.
Haute-Égypte : Edfou :
Edfou (Behdet, Apollinopolis) est situé sur la rive gauche du Nil entre Louxor et Assouan, à 105 km au sud de cette dernière. Toutefois, la vue que nous montrons ci-après n’est pas prise sur ce site mais au sein du Parc Egyptien de l’Exposition Universelle de Paris en 1867.
Nous avons déjà souligné à l’occasion de plusieurs de nos « Unes » le climat de modernité qui a marqué la France du Second Empire (dans le même élan que dans toute l’Europe). Nous en avons ici un nouvel exemple : à l’occasion de cette Exposition Universelle, l’Égypte (qui est en 1867 un pays indépendant qui se veut moderne) expose, entre autres, une reconstitution réduite du temple d’Edfou. Il s’agit non seulement d’offrir aux visiteurs une vision caractéristique du pays, mais d’attirer aussi les premiers touristes (évidement au sein de la bourgeoisie favorisée) pour un circuit de tourisme culturel au sein du pays : de la publicité touristique avant l’heure, il y a plus de 150 ans !
Le temple réel, dédié au culte d’Horus, est le plus grand temple de la dynastie lagide et le deuxième sanctuaire le plus important d’Égypte après Karnak : 137 m de long, 79 m de large, 36 m de haut pour les pylônes. Construit entre 237 et 57 av. J.-C., il est l’un des mieux préservés d’Égypte.
Haute Égypte : l’île de Philae :
Philae se situe sur la 1ère cataracte du Nil, au sud d’Assouan, à presque 700 km au sud du Caire. Cette île comprenait les ruines d’une ville de l’Égypte ancienne, avec, notamment, le magnifique petit temple d’Isis. Jusqu’en 1902, les ruines de l’ensemble antique de Philae sont au sec sur une île.
Le rapprochement entre la vue SAB033 ci-dessus et RVX436 plus bas est particulièrement intéressant : depuis l’inauguration du grand barrage d’Assouan en 1970, qui noya définitivement le site, notre mémoire collective avait peut-être un peu oublié que, déjà en 1894 les Britanniques avaient entrepris la construction d’un premier barrage juste en aval, à Assouan, pour développer l’irrigation et, en particulier, pour promouvoir sur de vastes surfaces une culture pratiquement industrielle du coton !
Ce barrage, mis en eau en 1902, a eu immédiatement pour effet d’inonder le site de Philae 10 mois sur 12, en dehors de la saison sèche. Ainsi, à partir de cette date, les touristes devaient venir sur le site en barque, ce que Pierre Loti déplora profondément dans un texte « La mort de Philae ». C’est donc de cet état que la photo ci-dessous témoigne. En outre, le premier barrage fut surélevé par deux fois (entre 1907 & 1912, puis entre 1929 & 1934) aggravant à chaque fois les dommages causés aux édifices. |
Le temple d’Isis, situé dans le quart sud-ouest de l’île, est la principale construction de Philae. L’esplanade située devant le premier pylône est fermée par un portique aux chapiteaux variés. Le mur occidental est percé de fenêtres donnant sur l’île de Biggeh, désormais un petit îlot depuis le déplacement du temple, et d’un escalier entre la douzième et la treizième colonne menant à un « nilomètre ». La corniche du portique est décorée de disques solaires situés précisément face aux temples d’Arensnouphis, de Biggeh et d’Imhotep ; le plafond est orné de vautours aux ailes déployées regardant vers l’ouest.
Sur un côté de l’île, le kiosque de Trajan est bien une construction réalisée sous le règne de l’empereur romain Trajan. Inachevé, ce pavillon très élégant était le seul visible lorsque l’île était submergée. C’est une petite construction en forme de portique rectangulaire, mise en chantier vers l’an 100. Elle comporte quatorze colonnes avec de beaux chapiteaux campaniformes. A l’intérieur, sur deux de ses murs, on voit l’empereur célébrer les rites d’offrandes à Isis et Horus, puis à Isis et Osiris. Les processions qui se rendaient sur l’Ile accostaient ici et passaient vraisemblablement sous ce kiosque. Les chapiteaux des quatorze colonnes du kiosque s’étagent en ombrelles de papyrus de taille croissante entre lesquelles s’intercalent des boutons floraux. Le kiosque devait servir de reposoir à la barque sacrée de la déesse Isis lorsque celle-ci quittait l’île ou la rejoignait, à l’occasion de cérémonies religieuses.
À partir de 1960, après plusieurs années de tractations politiques et d’arrangements financiers, le président Nasser prit la décision définitive de la construction du haut barrage d’Assouan. Ce projet constituait une nouvelle menace pour Philae, car l’île se trouvait entre les deux barrages. Le lac de retenue de l’ancien barrage d’Assouan fut en partie transformé mais maintenu. Il était prévu d’abaisser le niveau moyen de ce lac qui atteindrait alors le premier pylône du temple d’Isis à la moitié de sa hauteur, permettant aux ruines d’être en plus grande partie à l’air libre. Mais cette transformation induisait une hausse du niveau de la nappe phréatique ; l’île ne pouvait donc plus être totalement à sec pendant une partie de l’année. En outre, les fluctuations quotidiennes du niveau du lac devaient atteindre six mètres d’amplitude, risquant de provoquer une érosion accrue des pierres et une accélération de la disparition des ruines.
Le sauvetage de Philae fut alors décidé par l’UNESCO qui lança à cette occasion des travaux d’une ampleur inédite, la solution retenue étant la même que pour les temples d’Abou Simbel quelques années plus tôt (voir plus bas) : le démontage des ruines et leur reconstruction sur un nouveau site à l’abri des eaux du lac. Ce déplacement fut orchestré par le ministère de la Culture égyptien et les services d’archéologie du Caire sous l’égide de l’UNESCO, la responsabilité du projet étant confiée à Christiane Desroches Noblecourt, célèbre égyptologue française, déjà à l’origine du sauvetage des temples d’Abou Simbel. L’Égypte prit à son compte la moitié du coût de ce transfert.
Le déplacement des temples à proprement parler commença avec le découpage des ruines et leur transport en barges vers un site de stockage provisoire. Entretemps, l’île d’Aguilkia située à environ trois cents mètres au nord-ouest de Philae fut préparée pour accueillir les ruines. Le sauvetage fut achevé en 1976. Malheureusement, des dizaines d’autres sites archéologiques d’Égypte, jugés de moindre importance, mais qui faisaient encore l’objet de recherches, ont été définitivement engloutis par la montée des eaux.
Basse Nubie : Le temple de Maharraqa :
Le temple de Maharraqa en Basse-Nubie, situé à environ 1 010 km du Caire, est le site le moins connu de tout notre parcours, souvent ignoré des guides francophones.
Il s’agit d’un ancien temple égyptien dédié à Isis et Sérapis. Maharraqa, en Basse Nubie, se situe à environ 140 km au sud d’Assouan. Quelques années après la conquête romaine de l’Égypte en 30 avant JC, les Koushites du royaume de Méroé ont lancé un raid sur la première cataracte. Le préfet romain d’Égypte, Pétrone, a riposté et vaincu l’armée d’invasion méroïtique. Il a ensuite placé une garnison romaine de 400 hommes à l’avant-poste sud du territoire : une frontière entre le royaume de Méroé et l’Égypte romaine a ainsi été établie à Maharraqa ; c’était alors la frontière sud de l’Égypte romaine. Aujourd’hui, la frontière entre l’Égypte moderne et le Soudan se trouve à plusieurs centaines de kilomètres plus au sud, au-delà d’Abou Simbel.
Ce temple était dédié aux anciens dieux égyptiens Isis et Sérapis. Construit par les Romains, il ne peut être attribué avec certitude au règne d’un empereur romain en particulier puisqu’il n’a jamais été entièrement achevé ni inscrit. Cependant, dans la mesure où la construction de temples a décliné en Nubie après le règne d’Auguste, le temple de Maharraqa pourrait être attribué à son règne. La seule partie de la structure achevée était une cour de 13,5 m sur 15,7 m, entourée sur trois côtés par des colonnes : c’est exactement ce que nous montre notre photo ci-dessus.
Le temple de Maharraqa a lui aussi dû être déplacé en 1966 à cause de la construction du barrage d’Assouan sur le site dit du « nouveau Wadi es-Sebua », à 4 km à l’ouest de l’emplacement d’origine. Pour ce cas précis, l’Égypte finança la totalité du déplacement.
Nubie : Les temples d’Abou Simbel :
Ainsi se termine notre circuit égyptien : une véritable vitrine en matière de sauvetage du patrimoine monumental antique !
Ainsi se termine notre circuit égyptien : une véritable vitrine en matière de sauvetage du patrimoine monumental antique !
Christian Bernadat
Bibliographie :
https://fr.wikipedia.org/wikiÉgyptomanie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Style_Empire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Monuments_de_l’Égypte_antique
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_de_Gizeh
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_de_Khéops
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_de_Khéphren
https://egyptophile.blogspot.com/2018/01/lun-des-colosses-de-ramses-ii-en-route.html
Le site de Saqqarah (egyptos.net)
La pyramide de Djéser (merveilles-du-monde.com)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Karnak
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Amon_(Louxor)
http://www.temples-egypte.net/louxor/templeLouxor/colonnade.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Colosses_de_Memnon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Horus (Edfou)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Hathor_(Denderah)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Philae
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ancien_barrage_d’Assouan
https://www.baudelet.net/voyage/Égypte/philae-kiosque-trajan.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temples_d’Abou_Simbel
https://en.m.wikipedia.org/wiki/Temple_of_Maharraqa
https://egyptophile.blogspot.com/2016/05/le-train-de-la-modernite-les-debuts-du.html
Victoire en Nubie, 4000 ans d’Histoire sauvés des eaux, Le Courrier de l’UNESCO, Février/Mars 1980.
Égypte, premières impressions, Conservation des Musées de Figeac, Musée Champollion, 2019.
Cher Monsieur,
Très bel article. Il y a tellement à écrire et à montrer sur le sujet, que je ne désespère pas d’y apporter ma contribution un jour ou l’autre avec mes amis du Stéréo-Club et d’autres. Ce sera une belle occasion d’échanges.
Un détail : le libellé des légendes me laisse souvent sur ma faim, j’aurais aimé y lire le nom du photographe et celui de l’éditeur, même si on peut retrouver ceux-ci le plus souvent dans l’image. Je reconnais que cela ajoute du sel à la lecture.
Ai-je lu trop vite ? Je n’ai pas trouvé référence à l’opuscule II de la collection Sépia – Gustave Flaubert en Egypte, Lettres à sa mère, 2007 – abondamment illustré de stéréoscopies.
Salutations cordiales