Le principe

Nous voyons en relief parce que nous avons deux yeux séparés d’environ 6,5 cm. Cet écart est suffisant pour que chaque œil transmette au cerveau une perspective plate mais légèrement différente du sujet que nous regardons.

Le principe de la stéréoscopie est connu depuis l’Antiquité et véritablement théorisé au XIXe siècle. Il se base sur la vision binoculaire : nos yeux sont espacés (entre 6,5 et 7 centimètres selon les individus) et reçoivent chacun une image différente, légèrement décalée. L’organisme humain a la capacité de synthétiser ces images dissemblables en une seule image en trois dimensions.

Les vues stéréoscopiques reproduisent le déplacement latéral des yeux humains : pour l’observateur qui place ses yeux au centre du stéréoscope, son œil droit perçoit une image tandis que son œil gauche perçoit une autre image. Enfin, le cerveau fusionne les deux images en une seule en relief. 

Solide, je vois

En 1832 Charles Wheatstone, un scientifique britannique aux multiples talents, fait une découverte révolutionnaire dans le domaine de la vision. Il observe que la perception du relief pouvait être recréée en présentant à chaque œil une image légèrement différente d'un objet. Pour sa démonstration, il développe un instrument appelé le Stéréoscope, qui utilise deux miroirs disposés à angle droit pour créer cette illusion de profondeur. Le nom "Stéréoscope" est né, il provient de mots grecs signifiant "Solide, je vois". Ce n'est que six ans plus tard, en 1838, qu'il présente ses travaux devant la Royal Society de Londres et dévoile cette invention révolutionnaire. Bien que cette avancée suscite un grand intérêt dans le monde scientifique, le défi persistant reste la nécessité de créer deux perspectives distinctes pour produire l'illusion du relief.

Théodore Maurisset, La Daguerréotypomanie, 1840© Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Prototype d'un stéréoscope lenticulaire et prismatique inventé en 1845 par Charles Wheaststone © Collection Wheatstone, King's Collège, London

la révolution photographique

En 1839, Louis-Jacques-Mandé Daguerre et William Henry Fox Talbot révèlent au monde les premiers procédés photographiques, chacun avec sa propre approche : Daguerre utilise une plaque de cuivre recouverte d’argent poli, tandis que Talbot préfère le papier. Le 19 août de cette année, Daguerre et François Arago  présentent officiellement le daguerréotype à l’Académie des sciences, marquant ainsi la naissance officielle de la photographie.

En 1840, à la demande de Charles Wheatstone, Talbot réalise les premières photographies stéréoscopiques. Cependant, l’angle trop important entre les deux prises de vue rend difficile la fusion des images en relief. Progressivement, Wheatstone  collabore avec des photographes pour qu’ils réalisent des daguerréotypes stéréoscopiques. En 1845, il conçoit un stéréoscope prismatique et un stéréoscope lenticulaire spécialement destinés à des photographies de petite taille,  marquant ainsi une étape importante dans le développement de la photographie stéréoscopique.

Un duo : Brewster -Duboscq

En 1849, le physicien écossais Sir David Brewster, célèbre inventeur du kaléidoscope en 1817, assiste avec un grand intérêt à la présentation de Charles Wheatstone à la Royal Society de Londres. Fort de ses connaissances en optique et de son expertise, Brewster apporte des modifications au stéréoscope de Wheatstone en utilisant une lentille convexe coupée en deux pour fusionner les images stéréoscopiques. Les premiers stéréoscopes de type Brewster sont produits par l’opticien Lowdon à Dundee, en Écosse. 

L’année suivante, Brewster se rend à Paris où il rencontre l’abbé Moigno, un mathématicien et vulgarisateur scientifique, qui le guide vers la célèbre maison d’optique Soleil et Duboscq. Duboscq, réputé pour la qualité de ses instruments d’optique, accepte de créer un nouveau modèle de stéréoscope pour Brewster, en plus de réaliser des daguerréotypes et des lithographies de figures géométriques, le tout en stéréoscopie. Cette collaboration entre Brewster et Duboscq a contribué à populariser la technologie stéréoscopique et a ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine de la visualisation en relief.

"Je ne veux pas terminer sans vous apprendre l'apparition à Londres et l'accueil enthousiaste qu'a obtenu un charmant petit appareil d'optique, le stéréoscope de Wheatstone, inventé il y a une douzaine d'années, et dont M. Soleil, je crois, à Paris, a fait la plus curieuse application au daguerréotype, en soumettant au foyer de ses lentilles deux portraits de la même personne faits sous un angle différent. On ne voit qu'un seul portrait, avec des formes de ronde bosse ou de statue, dont la vérité fait jeter des cris."
F.A. de La Rivière
La Lumière : journal non politique..., 24 août 1851

Débuts d'une production de masse

L’observateur d’une image stéréoscopique ressent une irrésistible fascination provoquée par l’effet saisissant du relief stéréoscopique mais également par l’immersion dans l’image qu’il procure. Ces caractéristiques ainsi que les progrès autour de la photographie ont concouru à sa propagation à travers toute l’Europe puis plus largement vers le monde entier. 

Progressivement, une véritable industrie se met en place. Des centaines d’images en relief réalisées par des photographes qui se professionnalisent rapidement sont publiées par des maisons d’édition puis diffusées commercialement dans le monde entier. Londres puis Paris deviennent les plus importants centres de production d’images stéréoscopiques aux sujets très variés.

La production des vues stéréoscopiques profite aussi des nombreux progrès réalisés dans les procédés photographiques.

 

Polichinelle, « Stéréoscope des Enfants »,1852, Pierre-Henri Armand Lefort, Fonds Calvelo © CLEM Patrimoine / Stéréopôle
Strasbourg, vue sur le pont ferroviaire de Kehl lors de sa construction, « Strasbourg », 1858/1859, Inconnu, fonds Magendie © CLEM Patrimoine / Stéréopôle
Potsdam, façade de l'église Saint-Nicolas, 1854-1859, Clouzard et Soulier, fonds Magendie © CLEM Patrimoine / Stéréopôle

Des progrès dans l'univers de la photographie

Istanbul, vue sur la mosquée de Soliman « Constantinople », 1857, Claude-Marie Ferrier, Fonds Magendie © CLEM Patrimoine / Stéréopôle

L’avancée décisive provient de la mise au point de la technique du collodion humide sur plaques de verre par Frédérick Scott Archer entre 1850 et 1851.

Collodion humide 1850-1851

Reproductibilité des images grâce à l’usage du négatif-positif, rapidité de la prise de vue et grande précision des épreuves réalisées sur plaque de verre.

En 1853, le lithographe parisien Alexandre-Marie Quinet a l’idée de fabriquer le premier appareil photographique à double objectif destiné à la prise de vues stéréoscopiques ; il nomme son appareil le Quinétoscope. Cet appareil se caractérise par deux objectifs séparés entre eux de 6 ou 7 cm (espacement moyen entre les pupilles humaines). Il permet alors de prendre des vues presque identiques, avec un décalage équivalent à celui de l’image reçue par chaque œil.  Cette invention ingénieuse tardera cependant à séduire et bon nombre de vues stéréoscopiques réalisées jusqu’en 1860 seront faites sans chambres binoculaires.

Quinétoscope 1853

Quinétoscope, dessin déposé lors de la demande de brevet, 1853, Alexandre-Marie Quinet © Archives Institut national de la propriété industrielle

papier albuminé 1855

Les techniques de production d’images stéréoscopiques et les qualités techniques des stéréoscopes s’améliorent rapidement. Les coûts de fabrication des stéréogrammes baissent considérablement grâce aux progrès réalisés autour des supports et notamment celui du papier albuminé. Les vues sur papier se développent à l’occasion de la première Exposition universelle tenue à Paris au Palais de l’Industrie et remplacent progressivement celles en verre.

Des éditeurs de plus en plus importants

Fondée en 1854, la London Stereoscopic Company est capable dès 1856 de proposer via son catalogue près de 10 000 vues stéréoscopiques différentes et en 1858 plus de 100 000 ! 

En France, les frères Gaudin et leur maison d’édition de photographies deviennent à Paris l’une des plus importantes maisons consacrée à la photographie, et particulièrement stéréoscopique. 

En une dizaine d’années, les sujets de la photographie stéréoscopique se démultiplient : monuments et paysages du monde entier, vie quotidienne, grands événements, personnages célèbres, scènes de batailles, scènes bibliques, vues érotiques ou encore pièces de théâtre. Les images produites permettent d’ouvrir une fenêtre sur le monde bien plus efficiente que les gravures sur bois des magazines illustrés. 

Dès la fin des années 1850 il est possible de visiter « virtuellement », à travers les oculaires du stéréoscope, une grande partie du monde connu (Europe, Amérique, mais aussi Japon et Chine). 

Différents modèles de stéréoscopes sont proposés à la vente : certains sont simples et peu onéreux tandis que d’autres plus luxueux sont élaborés à partir de matières précieuses. En 1861, Oliver Wendell Holmes, réalise le stéréoscope dit Mexicain qui deviendra réellement populaire à la fin du siècle. 

Grâce à cette démocratisation du système de visualisation des photographies stéréoscopiques, les salons bourgeois puis la population toute entière trouvent dans les vues stéréoscopiques un moyen de se divertir et d’apprendre.

Un loisir populaire

À la fin du XIXe siècle et jusque dans les années 30, les amateurs découvrent la pratique de la photographie stéréoscopique grâce la technique du négatif sur verre au gélatino bromure d’argent suivie des perfectionnements apportés par Charles Bennet et Louis Lumière quelques années après. Les plaques pratiquement prêtes à l’emploi simplifient considérablement les manipulations des photographes. Enfin, grâce à l’utilisation d’appareils photographiques simplifiés et peu coûteux de très nombreux clichés sont pris dans la sphère privée familiale mais aussi dans la sphère professionnelle.  Parallèlement, l’industrie de la carte postale s’empare du procédé et édite de très nombreuses séries de cartes postales stéréoscopiques.

Dans les années 1950, la stéréoscopie connaît un regain d’intérêt avec la diffusion de films en relief (Bwana Devil, The House of Wax, The Creature from the Black Lagoon, Dial M for Murder, etc.)

L’entreprise française Bruguière commercialise le View Master, alors sous licence, à l’époque en bakélite noire puis en plastique de couleurs variés. Pour concurrencer le View-Master,  Bruguière met ensuite au point le Stéréoclic, une visionneuse stéréoscopique utilisant des cartes portant 8 images en relief.  

En 1954, l’entreprise Lestrade propose son premier catalogue composé de 75 cartes. Les stéréoscopes, permettent de consulter 10 couples de diapos. Il y aura environ 2400 cartes disponibles dans le catalogue des années 1980 avec toujours des thèmes très variés.

Quelques liens pour comprendre la stéréoscopie :

Quentin Bidault, « Paris 1900… en relief », La Petite Histoire Illustrée

Aline Héau, « La photographie stéréoscopique : l’impression en relief », Le Chronoscaphe, 2015

André Gardies, « La Photographie en relief », galerie-photo, 2006

Emilie Ricard, « Bordeaux en stéréoscopie », Bordographe, 2017 – Article basé sur nos fonds

Franck Vidal, « Les photographies en relief : stéréoscopie et anaglyphe« , Université de Toulouse

« La photographie stéréoscopique, l’ancêtre de l’image 3D », Ministère des Armées, ECPAD

Documentation sur le site du Stéréo-Club français

 

bibliographie :

BREWSTER, David. The stereoscope. Its history, theory, and construction. London : John Murray, 1856. 

COLEN, Henry. Earliest stereoscopic portraits.  Journal of the Photographic Society, 1854, 200.

DUBOSCQ, Jules. Catalogue des appareils employés pour la photographie sur plaque, sur verre, sur papier, construit dans les ateliers de M. J. Duboscq opticien, 1862, Paris, Duboscq

KLOOSWIJK, Abram. The first stereo photo. Stereo World, 1991, May/June: 6–11.

MOIGNO, François Napoléon Marie, Répertoire d’optique moderne ou analyse complète des travaux modernes relatifs aux phénomènes de la lumière, Paris 1847-1850, 4 vol.

MOIGNO, François Napoléon Marie  : Stéréoscope ses effets merveilleux, pseudoscope ses effets étranges, 1852, Paris.

PELLERIN, Denis. La photographie stéréoscopique sous le Second Empire. Paris : Bibliothèque nationale de France, 1995.  

PELLERIN, Denis. Stereoscopy. The Dawn of 3-D. The London Stereoscopic Company, 2021.  

WADE,  Nicholas.  Brewster and  Wheastone on vision. London Academic Press, 1983.

WHEATSTONE,  Charles.  Contributions to the physiology of vision—Part the first. On some remarkable, and hitherto unobserved, phenomena of binocular vision. Philosophical Transactions of the Royal Society, 1838,  128 371–394.

WHEATSTONE, Charles. Contributions to the physiology of vision—Part the second. On some remarkable, and hitherto unobserved, phenomena of binocular vision. Philosophical Transactions of the Royal Society, 1852,  142 1–17.