L'univers des images stéréoscopiques
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Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser son Voyage aux Pyrénées, en 1855, dans le but de suivre une cure thermale, soin alors très prisé dans la bonne société parisienne. Pour cela, à seulement 27 ans, il prend une sorte de « congé sabbatique ». Après Bordeaux, Royan, Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de Luz, Orthez et Pau, notre écrivain voyageur arrive enfin aux Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, objectif de son voyage thermal : il nous y fait une description minutieuse de la vie de curiste. Pour ce nouvel épisode, nous allons le suivre dans ses excursions aux environs des Eaux-Bonnes : aux Eaux-Chaudes, ville thermale voisine à huit kilomètres à l’ouest de son lieu de séjour, dans la vallée du gave d’Ossau ainsi qu’au village de Gabas en direction du col du Pourtalet, ensuite au village d’Aas au nord des Eaux-Bonnes, enfin à Laruns.
Comme précédemment, on s’appuiera pour illustrer cet épisode sur les nombreuses vues disponibles dans la Stéréothèque au sein des collections Magendie et de la Médiathèque de Pau, la plupart du temps issues des séries de vues sur le thème du Voyage aux Pyrénées.
« Au nord de la vallée d’Ossau est une fente ; c’est le chemin des Eaux-Chaudes. Pour l’ouvrir, on a fait sauter tout un pan de montagne ; le vent s’engouffre dans le froid défilé ; l’entaille perpendiculaire, d’une noire couleur ferrugineuse, dresse sa masse formidable comme pour écraser le passant ; sur la muraille des roches qui fait face, des arbres tortueux se penchent en étages, et leurs panaches clairsemés flottent bizarrement entre les saillies rougeâtres. La route surplombe le Gave, qui tournoie à cinq cents pieds plus bas. C’est lui qui a creusé cette prodigieuse rainure ; il s’y est repris à plusieurs fois et pendant des siècles ; deux étages de niches énormes arrondies marquent l’abaissement de son lit et les âges de son labeur ; le jour paraît s’assombrir, quand on entre ; on ne voit plus sur sa tête qu’une bande de ciel. »
« Entre deux tours cannelées de granit, s’allonge le petit village des Eaux-Chaudes. Qui songe ici à ce village ? Toute pensée est prise par les montagnes. La chaîne orientale, subitement tranchée, descend à pic comme le mur d’une citadelle ; au sommet, à mille pieds de la route, des esplanades développent leurs forêts et leurs prairies, couronne verte et humide, d’où, par centaines suintent les cascades. Elles serpentent éparpillées, floconneuses, comme des colliers de perles égrenées, sur la poitrine des montagnes, baignant les pieds des chênes, noyant les blocs de leur tempête, puis viennent s’éteindre dans les longues couches où le roc uni les endort. »
Gabas est le dernier village en direction du col du Pourtalet, à dix kilomètres au-delà des Eaux-Chaudes, mais encore à quinze kilomètres de la frontière espagnole. C’est là qu’était installé le bâtiment de la Douane, ainsi qu’un Lazaret dans lequel, sous l’ancien Régime, on mettait en quarantaine les voyageurs en provenance d’Espagne.
« Gabas est un hameau dans une maigre plaine. Le torrent y gronde sous des glaciers, parmi des troncs brisés ; il descend engouffré (sic) de l’escarpement entre des colonnades de pins, habitants muets de la gorge. Ce silence et cette roide attitude font contraste avec les sauts désespérés de l’eau neigeuse. Il y fait froid, tout y est triste… »
« … seulement, à l’horizon, on aperçoit le pic du Midi, splendide, qui lève ses deux pieux ébréchés, d’un gris fauve, au milieu du jour serein. »
Le Pic du Midi dont nous parle Taine est le Pic du Midi d’Ossau (2 884 m), à ne pas confondre avec le Pic du Midi de Bigorre bien plus connu.
Taine est de retour aux Eaux-Bonnes. Il nous emmène maintenant assister à une fête au village d’Aas, à quelques kilomètres au nord de son séjour thermal.
« Le 8 août, dès neuf heures du matin, on entendait à une demi-lieue des Eaux-Bonnes le son aigu d’un flageolet, et les baigneurs [les curistes] se mettaient en marche pour Aas. On y va par un chemin étroit et taillé dans la montagne Verte, sur lequel se penchent des tiges de lavande et des bouquets de fleurs sauvages. »
Ce que nous décrit Taine est la fête de la Saint-Laurent qui se déroulait à Aas traditionnellement autour du 10 août. Des témoignages d’anciens confirment que, sur leur petite place, les Ossalois se mélangeaient aux curistes étrangers des Eaux-Bonnes pour qui la fête de Saint-Laurent était une distraction.
« Nous entrâmes dans une rue large de six pieds : c’est la grande rue. Des enfants en bonnet écarlate, étonnés de leur magnificence, se tenaient roides sur les portes et nous regardaient avec une admiration muette. La place publique est auprès du lavoir, grande comme une petite chambre : c’est là qu’on danse. On y avait posé deux tonneaux, sur les tonneaux deux planches, sur les planches deux chaises, sur les chaises deux musiciens, le tout surmonté de deux beaux parapluies bleus faisant parasols ; car le soleil était de plomb, et il n’y avait pas un arbre. »
« Sous le toit du lavoir, de vieilles femmes appuyées aux piliers causaient en groupes […]. Au-dessus de l’esplanade, sur des pointes de roc qui faisaient gradins, les femmes regardaient la danse, en costume de fête : grand capuchon écarlate, corsage brodé, argenté, à fleurs de soie violette ; châle jaune, à franges pendantes ; jupe noire plissée, serrée au corps ; guêtres de laine blanche. Ces fortes couleurs, le rouge prodigué, les reflets de la soie sous une lumière éblouissante, mettaient la joie au cœur. »
« Autour des deux tonneaux tournoyait une ronde d’un mouvement souple, cadencé, sur un air monotone et bizarre, terminé par une fausse note, aigüe, d’un effet saisissant. Un jeune homme en veste de laine, en culotte courte, conduisait la bande ; les jeunes filles allaient gravement, sans parler ni rire ; leurs petites sœurs, au bout de la file, essayaient le pas à grand-peine, et la rangée de capulets de pourpre ondulait lentement comme une couronne de pivoines. De temps en temps le chef de la danse bondissait brusquement avec un cri sauvage, et l’on se rappelait qu’on était dans la patrie des ours, en plein pays de montagnes. »
« Ces gens sont poètes. Pour avoir inventé ces habits, il faut qu’ils aient été amoureux de la lumière. Jamais le soleil du Nord n’eût inspiré cette fête de couleurs ; leur costume est en harmonie avec leur ciel. […] Le soleil anime l’éclat de ces habits, et, dans cette splendeur dorée, toutes les laideurs disparaissent. »
« Avez-vous senti cette expression originale et sauvage ? Comme elle convient au paysage ! Cet air n’a pu naître que dans les montagnes : le froufrou du tambourin est comme la voix traînante du vent lorsqu’il longe les vallées étroites ; le son aigu du flageolet est comme le sifflement de la brise quand on l’écoute sur les cimes dépouillées ; la note finale est un cri d’épervier qui plane ; les bruits de la montagne se reconnaissent encore, à peine transformés par le rythme de la chanson. La danse est aussi primitive, aussi naturelle, aussi convenable au pays que la musique : ils vont la main dans la main, tournant en rond. […] »
« Ce saut, qui vous semble étrange, est une de leurs habitudes, partant un de leurs plaisirs. Pour composer une fête, ils ont choisi ce qu’ils ont trouvé d’agréable dans les habitudes de leurs yeux, de leurs oreilles et de leurs jambes. N’est-ce pas la fête la plus nationale, la plus vraie, la plus harmonieuse, et, partant, la plus belle qu’on puisse imaginer. »
Laruns est un gros bourg, en contrebas de la vallée d’Ossau. Taine nous y conduit maintenant, certainement à l’occasion de la fête mariale du 15 août, très suivie dans le Sud-Ouest, avec ses deux facettes, profane et religieuse.
Manifestement, notre écrivain n’y vient pas par religiosité : pour lui, comme semble-t-il, pour beaucoup de curistes de l’époque, cette fête est déjà une attraction qui attise la curiosité des voyageurs. Il s’abandonne alors à une peinture pittoresque et incisive du spectacle, dans l’esprit des Caractères de La Bruyère ou des Lettres Persanes de Montesquieu…
« Laruns est un bourg. Au lieu d’un tonneau, il y avait quatre fois deux tonneaux et autant de musiciens, qui jouaient tous ensemble et chacun un endroit différent du même air. Excepté ce charivari et plusieurs magnifiques culottes de velours, la fête était la même que celle d’Aas. Ce qu’on va voir, c’est la procession. »
« On assiste d’abord aux vêpres : les femmes dans la nef sombre de l’église, les hommes dans une galerie au premier étage, les petits garçons dans une deuxième galerie plus haute, sous l’œil d’un maître d’école renfrogné. Les jeunes filles, agenouillées contre la grille du chœur, disaient des Ave Maria auxquels répondait la voix grave de l’assistance ; leurs voix nettes et métalliques formaient un joli contraste avec le bourdonnement sourd des répons retentissants. De vieux loups de montagne arrivés de dix lieues s’agenouillaient lourdement et faisaient crier le bois noirci de la balustrade. »
« Une demi-clarté tombait sur la foule pressée et assombrissait l’expression de ces figures énergiques. On se fût cru au XVIe siècle. Cependant les petites cloches joyeuses babillaient de leurs voix grêles et faisaient le plus de bruit possible, comme une juchée de poules au haut du clocher blanc. »
« Au bout d’une heure, la procession s’ordonna fort artistement et sortit. La première partie du cortège était amusante : deux files de petits polissons en veste rouge, les mains jointes sur le ventre pour y tenir leur livre, faisaient effort pour se donner un air de componction, et regardaient en dessous d’une façon comique. Cette bande de singes habillés était menée par un brave prêtre, dont les rabats plissés, les manchettes et les dentelles pendantes battaient et flottaient comme des ailes. Puis un suisse piteux, en habit de douanier sale ; puis un beau maire en uniforme, l’épée au côté ; puis deux longs séminaristes, deux petits prêtres rebondis, une bannière de la Vierge, enfin tous les douaniers et tous les gendarmes du pays ; bref, tous les acteurs de la civilisation. La barbarie était plus belle : c’était la procession des hommes et des femmes qui, un petit cierge à la main, défilèrent pendant trois quarts d’heure.
J’ai vu là des figures comme celle d’Henri IV, avec l’expression sévère et intelligente, l’air sérieux et fier, les grands traits de ses contemporains. Il y avait surtout de vieux pâtres en houppelandes rousses de poils feutrés, le front traversé, non de rides, mais de sillons, bronzés et brûlés du soleil, le regard farouche comme celui d’une bête fauve, dignes d’avoir vécu au temps de Charlemagne. Certainement, ceux qui défirent Roland n’avaient pas une physionomie plus sauvage.
Enfin, parurent cinq ou six vieilles femmes telles que je n’en aurais jamais imaginé : une cape de laine blanche les enveloppait comme une couverture ; on ne voyait que leur face noirâtre, leurs yeux de louve enfoncés et féroces, leurs lèvres marmottantes, qui semblaient dire le grimoire. On pensait involontairement aux sorcières de Macbeth ; l’esprit était transporté à cent lieues des villes, dans les gorges désertes, sous les glaciers perdus où les pâtres passent des mois entiers dans les neiges d’hiver, auprès des ours qui hurlent, sans entendre une parole humaine, sans autre compagnon que les pics décharnés et les sapins mornes. Ils ont pris à la solitude quelque chose de son aspect. »
Taine termine son chapitre en dissertant de manière un peu tortueuse ; en particulier, il fustige gentiment le penchant des Béarnais à la mendicité polie :
« Le désintéressement n’est pas une vertu de montagne. Dans un pays pauvre, le premier besoin est le besoin d’argent. On dispute pour savoir s’ils considèrent les étrangers comme une proie ou comme une récolte ; les deux opinions sont vraies : c’est une proie qui chaque année donne une récolte. Voici un détail bien petit, mais capable de montrer avec quelle dextérité et quelle passion ils tondent un œuf.
« Les mendiants pullulent. Je n’ai jamais rencontré un enfant qui ne me demandât l’aumône ; tous les habitants font ce métier, de quatre à quinze ans. Personne n’en a honte. Vous regardez de toutes petites filles, qui marchent à peine, assises au pas de leur porte et occupées à manger une pomme : elles viennent en trébuchant vous tendre la main. »
« Vous trouvez dans une vallée un jeune pâtre auprès de ses vaches ; il s’approche et vous demande quelque petite chose. Une grande fille passe avec un fagot sur la tête ; elle s’arrête et vous demande quelque petite chose. Un paysan travaille au chemin. « Je fais une belle route, dit-il ; donnez-moi quelque petite chose. »
« Une bande de polissons jouent au bout d’une promenade ; dès qu’ils vous voient, ils se prennent par la main, commencent la danse du pays ; et finissent par quêter quelque petite chose. »
« Il en est ainsi dans toutes les Pyrénées… ». C’est sur ce constat que Taine termine son chapitre.
Pour sa prochaine étape, notre auteur nous conduira dans la vallée de Luz (aujourd’hui Luz-Saint-Sauveur), bien plus à l’est, au pied du cirque de Gavarnie.
Christian Bernadat
Hippolyte Taine, Voyage aux Pyrénées, 3e édition (sur Gallica)
René Arripé, Ossau 1900, Le canton de Larruns, Ed.Loubatières, Toulouse, 1987
Jacques Gimard et Eleder Bidard, Mémoire de Pyrénées, Ed. Le Pré aux Clercs, 2001
Cartes postales anciennes
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La commémoration annuelle de l’armistice de 1918 est l’occasion de se pencher sur un nouvel exemple remarquable de la documentation photographique conservée au sein de la Stéréothèque : les collections de vues Cestas, Dezarnaulds et Valette comportent huit vues remarquables et rares qui nous permettent de mettre en lumière les trois modèles des premiers chars d’assauts conçus par les ingénieurs français, occasion privilégiée de rappeler l’apparition révolutionnaire de ce moyen moderne de « faire la guerre », même si l’on ne peut que déplorer, bien sûr, le déploiement de tant d’ingéniosité humaine pour une invention aux effets qui peuvent s’avérer dramatiques.
Au cours de ce premier conflit mondial, en 1916, l’État-major allié cherche en effet de nouveaux moyens pour tenter de sortir de la guerre de position et de prendre enfin un avantage déterminant sur l’ennemi.
À peine quelques mois après le début de la Première Guerre mondiale, dès le mois d’octobre 1914, un tacticien de la British Army, le colonel Swinton, revient d’une visite au front convaincu que la combinaison de la guerre de tranchées et de la mitrailleuse exigeait un véhicule armé, blindé et équipé de chenilles. Après quelques atermoiements, ce projet atterrit sur le bureau de Winston Churchill qui en comprend l’intérêt et constitue un comité pour l’étude de prototypes dits de « lands chips ». Swinton les rebaptise « tanks » (réservoirs) pour faire croire que le Royaume-Uni produisait des réservoirs d’eau autotractés à destination de la Mésopotamie…
Au sein de l’armée britannique, le général Haig était particulièrement impatient de gagner du terrain au cours de la bataille de la Somme. Il voulut disposer des premiers 50 engins disponibles.
Ce furent les chars Mark I avec leur forme rhomboïde, conçus pour franchir une tranchée de près de 4 m de largeur et un obstacle de plus de 1 m de haut. Toutefois, une fois franchie la tranchée, ils devaient obliquer et longer la tranchée pour la mitrailler latéralement, d’où la disposition des mitrailleuses sur les côtés de la caisse.
Il faisait 8 m de long et 4 m de large, pesait près de 30 tonnes ; sa vitesse de pointe était à peine supérieure à celle d’un homme au pas.
L’équipage comprenait huit hommes, dont deux chargés de manœuvrer chaque chenille. Son autonomie ne dépassait pas 40 km et les chenilles devaient être remplacées à peu près tous les 80 km !
Le 15 septembre 1916, lorsque ces chars apparaissent sur le front aux environs de Flers, ils provoquent la surprise générale dans les rangs allemands et un peu d’effroi. Pourtant, au cours de cette bataille, ils n’apportent rien de décisif quant à l’issue des combats, et leur performance décevante ne fait qu’accroître le mépris des officiers conservateurs.
Swinton fut démis de ses fonctions de chef des unités de blindés britanniques. Après la Somme, le ministère de la Guerre essaya d’annuler une commande de 1 000 nouveaux blindés et, quand certains d’entre eux s’envasèrent dans les marais de Passchendaele (au nord-est d’Ypres en Belgique), la production fut réduite de 4 000 à 1 300 chars. « Au lieu de mettre en doute son propre jugement, commenta l’historien militaire britannique sir Basil Liddell Hart, l’état-major britannique perdit progressivement toute confiance dans les tanks. »
Au cours de cette guerre, il n’y a pas que les armements qui évoluent fortement : les opinions publiques sont avides d’informations et les journaux les renseignent régulièrement. Ainsi, l’hebdomadaire L’Illustration consacre chaque semaine l’essentiel de sa livraison aux nouvelles du front et aux innovations militaires : très rapidement, la nouvelle se répandit de l’engagement au front de cette innovation spectaculaire. Quinze jours après la première apparition de cet engin tout à la fois diabolique et révolutionnaire, la publication avait prévu de fournir à ses lecteurs une première « gravure » de l’engin.
Or, l’hebdomadaire en est empêché par la censure militaire ; il s’en explique ainsi dans sa livraison du 30 octobre 1916 : « La photographie des tanks ne pourra pas être publiée avant quelque temps : à l’heure actuelle, elle intéresserait plus encore les ingénieurs militaires allemands que le public britannique ou français. » En lieu et place, elle publie un extrait d’un chapitre de l’auteur de science-fiction anglais H.G. Wells, qui, quelques années plus tôt, décrivait avec une anticipation troublante ce qu’il nommait des « cuirassés de terre ».
Ce n’est finalement que le 2 décembre 1916, soit deux mois et demi après les premiers engagements de la machine infernale, que l’Illustration est autorisée à publier une première photo (flatteuse et impressionnante) de l’engin.
De manière tout à fait indépendante, sous la conduite du général Jean Baptiste Eugène Estienne, les Français développent leurs propres versions d’un engin blindé, le char Schneider CA1, testé dès février 1916, puis le char Saint-Chamond.
Au début de l’année 1916, la société Schneider et les Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt (un arsenal militaire) furent chargées de développer ensemble un prototype commun. Mais, l’ingénieur en chef de Schneider rejette ce prototype et privilégie un nouveau plan, avec une caisse qui rendrait possible un véhicule plus léger. Schneider refuse de partager le brevet associé à cette nouvelle conception et les Forges de Saint-Chamond ne veulent pas payer de droit à Schneider. Ainsi, les deux entreprises vont travailler sur deux véhicules différents.
De chaque côté, quand l’engin idéal fut enfin mis au point, sa production démarra. L’idée était d’utiliser en masse ces blindés pour provoquer un coup de théâtre militaire.
C’est ainsi que, six mois à peine après la présentation du premier char d’assaut britannique au cours de la bataille de la Somme, les français présentent en avril 1917 deux engins assez voisins : le char Schneider CA1 et le char Saint-Chamond. Les sociétés Saint-Chamond et Schneider reçoivent alors chacune une commande de l’Armée française de quatre cents exemplaires.
Le gros char Schneider CA1 répondait à la demande de l’État-Major français pour ouvrir des passages à l’infanterie à travers les réseaux de fil de fer barbelés et pour détruire les nids de mitrailleuses ennemis. Développé à partir de janvier 1915 sous l’impulsion du colonel Estienne, le prototype, conçu par l’ingénieur Eugène Brillé, a été présenté au président de la République Raymond Poincaré par la Société Schneider le 16 juin 1915.
400 unités sont commandées à SOMUA, une filiale de Schneider, en même temps qu’une commande de même nombre de l’engin blindé concurrent développé par les Forges de Saint-Chamond. Son équipage comporte un conducteur et cinq servants ; il porte un canon court de 75 mm BS (Blockhaus Schneider) monté à l’avant droit et deux mitrailleuses Hotchkiss latérales, protégées par des boucliers hémisphériques. L’avant comporte une étrave munie d’un rail d’acier (bien visible sur la vue ci-dessus) qui permet de cisailler et d’écraser les réseaux de barbelés, et qui peut aussi faciliter le franchissement des tranchées.
Ces chars furent péniblement amenés sur place pour la grande offensive du Chemin des Dames le 16 avril 1917, où ils combattent pour la première fois. Craonnelle est une des communes de l’Aisne concernée par la bataille, au cours de l’offensive lancée par le général Nivelle entre le 16 avril et le 24 octobre 1917. La vue VAL115 ci-dessus est donc prise au cours de cette offensive, dans la configuration correspondant au cahier des charges du blindé, à savoir d’ouvrir la voie aux fantassins.
Mais, les Français y font une douloureuse expérience : à l’issue de ce premier engagement, plus de la moitié des chars sont détruits par l’artillerie adverse. Sur 132 chars Schneider engagés, 35 furent brûlés et 17 immobilisés par l’artillerie allemande, 18 eurent des pannes mécaniques ou de terrain. Il sera pourtant utilisé sans discontinuer jusqu’à l’Armistice de 1918.
L’impression qu’ils provoquaient sur l’ennemi pouvait cependant être énorme ; le 5 mai 1917, Spindler, un journaliste allemand, note dans son journal ce qu’un officier allemand a dit à un de ses amis : « Les tanks ! Leur aspect seul est déjà terrifiant. Tels des monstres antédiluviens, ils rampent vers vous ; ni les réseaux barbelés ni les tranchées ne retardent leur course. Mais, c’est surtout à l’aube, quand ils émergent du brouillard, qu’ils vous glacent d’épouvante… »
L’habitabilité du char est très étroite pour un équipage de six hommes ; ses capacités de ventilation ainsi que le mauvais champ de vision qu’il offre à l’équipage le rendent pénible à utiliser. Enfin, son blindage latéral initial est trop faible (vulnérable aux balles « K » à noyau d’acier allemandes) et son réservoir d’essence initialement placé à l’avant le rend très vulnérable.
Dans les versions suivantes, le réservoir d’essence sera déplacé à l’arrière et sa caisse sera dotée d’un surblindage de 5,5 mm. Par contre, le moteur Schneider, les boîtes de transmission et les chenilles sont relativement fiables : de ce fait, l’engin restera en service après la première guerre mondiale, notamment dans l’armée espagnole pendant la guerre du Rif et jusqu’au siège de l’Alcazar de Tolède où les derniers exemplaires espagnols disparurent.
La Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt (FAMH) présente au Ministère de la Guerre, dans son usine de Saint-Chamond dans la Loire, un prototype qui se veut plus performant que le Schneider, car armé d’un canon de 75 mm et de quatre mitrailleuses. En s’appuyant sur les relations d’un de ses directeurs techniques, le colonel Emile Rimailho, co-inventeur du canon de 75 mm, modèle 1897, les Forges de Saint-Chamond font accepter par le Ministère le montage d’un tel canon sur leur char. Le résultat est un blindé plus long et plus lourd que le char Schneider, avec un compartiment de combat allongé, dépassant le train de chenilles à l’avant comme à l’arrière. Outre le canon de 75 sur l’avant, il était équipé d’un rostre pour défoncer les chevaux de frise et de quatre mitrailleuses, une sur chaque face (sur l’avant, l’arrière et les deux côtés).
Le premier prototype du char Saint-Chamond est présenté à l’Armée et approuvé en septembre 1916. Les premières sorties d’usine datent d’avril 1917. Quatre cents exemplaires seront produits et livrés à l’Armée.
Ce char est capable d’une meilleure vitesse de pointe sur terrain plat, grâce à son moteur Panhard et Levassor sans soupapes plus puissant et grâce à l’utilisation d’une transmission électrique « Crochat-Colardeau » (utilisée avant-guerre sur les automotrices de chemin de fer) qui rend possible une conduite relativement souple et rapide sur terrain plat. Malheureusement ces avantages techniques ne sont valables que sur route et il se révèle assez peu efficace sur des terrains bouleversés par les tranchées et les impacts de l’artillerie. Mais, la principale faiblesse du char Saint-Chamond est son train de chenilles beaucoup trop court, sujet à de fréquents déraillements.
Lors de leurs premières sorties sur le terrain, la silhouette de ces engins affolait les soldats ennemis. Mais ils se révélèrent peu efficaces en offensive. Cependant, en 1918, lors de la reprise de la guerre de mouvement en rase campagne, son canon de 75 mm est utilisé pour attaquer à distance l’artillerie de campagne adverse. Le 26 mai 1917, L’Illustration put publier un premier reportage complet, avec de nombreuses photos sur l’engagement d’une colonne de ces chars français de l’escadron du commandant Bossut le 16 avril ; puis, le 2 juin, un second reportage sur le combat mené le 5 mai précédent.
Après la guerre, l’Armée française préfèrera s’équiper avec des chars légers Renault beaucoup plus maniables. Les chars Saint-Chamond seront désarmés assez rapidement. Un seul exemplaire a été conservé au musée des blindés de Saumur.
En 2017, l’Association Mémoire de Poilus d’Avignon a réalisé la réplique ci-contre, entièrement fonctionnelle, qui permet de juger de la taille de cette machine. Elle est actuellement exposée au Musée de la Grande Guerre à Meaux.
Quelques photos permettent d’imaginer les conditions épouvantables que les pauvres servants de ce char Saint-Chamond devaient supporter à l’intérieur de ces cages d’acier ! Ces deux vues sont des témoignages primordiaux – et sans doute rares – de l’enfer qu’ils devaient endurer.
L’équipage était composé de 9 personnes : un conducteur, un canonnier, quatre mitrailleurs, un mécanicien et deux servants. Au premier plan de la vue ci-dessus, on aperçoit, à gauche, le moteur Panhard et Levassor de 90 chevaux et, à droite, un mitrailleur latéral ; au second plan, au fond, tout à droite sur la vue de gauche, le mitrailleur de l’avant, puis à gauche le canonnier et l’affut de son canon de 75 bien visible, enfin, tout à gauche, le conducteur, assis plus haut que ses camarades .
Sur cette seconde vue, le cliché est inversé par rapport à la photo précédente et à la réalité, car la mitrailleuse d’avant était à droite et donc le poste de pilotage à gauche. Malgré l’insuffisance de luminosité du cliché, on voit ici à droite le moteur Panhard, au fond à droite le conducteur, les yeux rivés sur un instrument de visée, tenant dans sa main gauche un « gouvernail » et, au milieu, le canonnier à côté de sa pièce de 75 mm.
Cet équipage était installé dans un inconfort total qu’il faut imaginer : le bruit, la chaleur et l’odeur insupportables dégagés par le moteur sans capot ni protection ni insonorisation, les vibrations dues aux chenilles, sans parler des impacts des tirs ennemis…. Les hommes étaient revêtus d’épais blousons de cuir pour tenter de les protéger d’éventuels éclats d’obus qui pouvaient transpercer le blindage (non résistant aux munitions les plus lourdes) et aux risques d’incendie.
Ainsi, le 2 juin 1917, L’Illustration écrit : « Pendant le feu, la vie est terrible à l’intérieur d’un char d’assaut. La place y est restreinte, comme on peut le penser. Mitrailleurs, canonniers, pourvoyeurs, ont juste la place nécessaire à leur service et juste ce qu’il leur faut de « regards » sur l’extérieur. Ils ont un esprit de corps bien à eux, qu’ils doivent aux pertes courageusement subies, aux dangers, à l’efficacité certaine de leurs efforts… »
Livrés à partir d’août 1917, ces chars légers blindés (6,7 tonnes) se montreront plus mobiles et plus efficaces que les chars lourds Schneider ou Saint-Chamond. Leur équipage est limité à deux soldats : un conducteur et un canonnier. Equipés d’une tourelle pivotante à 360° (configuration ensuite adoptée par l’ensemble des constructeurs de char), ils furent fabriqués à 3 700 exemplaires, dont certains sous licence chez d’autres constructeurs comme Berliet.
La position du char ci-dessus, en train de franchir une fortification, est spectaculaire. À l’arrière, on peut apercevoir une pièce d’appui qui lui permettait de ne pas basculer par l’arrière. On imagine cependant l’entraînement qu’il fallait à son équipage pour ne pas paniquer lors de la plongée après franchissement de l’obstacle !
La licence fut aussi concédée aux États-Unis qui ne disposaient pas de tels engins et qui en équipèrent leurs unités sur les champs de bataille européens.
Lors de sa première grande opération indépendante au cours de la bataille de Saint-Mihiel en septembre 1918, l’US Army engagea 144 chars, tous de fabrication française, surtout des Renault FT, sous le commandement du lieutenant-colonel George Patton, qui s’illustrera ensuite durant la Seconde Guerre mondiale.
Après la guerre, c’est avec ce char léger que l’Armée française préféra s’équiper.
Depuis leur introduction sur la scène du conflit par les Français et les Britanniques, s’ils firent forte impression dans les rangs allemands, les chars d’assaut blindés n’eurent cependant pas d’effet réellement décisif sur la résolution de la plupart des combats.
C’est seulement lors de la bataille de Cambrai (novembre-décembre 1917), préparée par J. F. C. Fuller, chef des opérations du Tank Corps britannique, que ce dernier engagea en masse des chars Mark IV avec un certain succès, ce qui révéla enfin la puissance des blindés. Fuller deviendra un des théoriciens de la guerre blindée, mais il fallut encore une année aux généraux alliés pour réaliser que les chars avaient définitivement supplanté les armes, les principes et les tactiques de naguère.
Tout à la fin du conflit, les allemands, après avoir saisi au combat quelques exemplaires, tentèrent de copier ces matériels, mais ce fut un fiasco. Ils furent très en retard en ce domaine, et parvinrent seulement en 1918 à construire et à engager 20 chars A7V, des « boîtes blindées » peu manœuvrables.
Le concept des chars étant maintenant banalisé, de nombreuses nations conçurent et construisirent des nouveaux modèles entre les deux guerres. Pendant les années 1920, les chars britanniques furent les plus avancés. À la suite de la guerre et de l’application du traité de Versailles, la France et l’Allemagne de Weimar se trouvaient encore dans un état économique précaire. Les conditions de la paix n’autorisaient pas ces deux pays à se lancer dans le développement de chars efficaces.
Histoire du char d’assaut, Wikipédia
L’Illustration, articles des 30 octobre et 2 décembre 1916, 26 mai, 2 juin et 29 décembre 1917 (Collection CLEM/don Monboisset)
La bataille du Chemin des dames, Wikipédia
Char d’Assaut « Saint-Chamond », Modèle 1917, Centre d’Etudes et de Recherches du Patrimoine Industriel, Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt (FAMH), (Brochure, 3ème T 2014)
La Vie de l’Auto n°1992, 7 octobre 2021
At the Oceanographic Museum of Monaco, the animals all woke up at the time of Halloween and the Feast of the Dead, when the veil between the two worlds was at its thinnest… Sperm whale, bear, walrus, seal and sea lion were at the appointment!
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Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser son Voyage aux Pyrénées, en 1855, dans le but de suivre une cure médicale, soin alors très prisé dans la bonne société parisienne. Pour cela, à seulement 27 ans, il prend une sorte de « congé sabbatique ». Après Bordeaux et Royan, Bayonne, Biarritz et Saint-Jean-de Luz, Orthez et Pau, notre écrivain voyageur arrive enfin aux Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, objectif de son voyage thermal : il nous fait alors une description minutieuse de la vie de curiste. Pour ce nouvel épisode, nous allons le suivre dans ses excursions aux alentours de la ville de cure, comme le ferait aujourd’hui tout curiste.
Comme précédemment, on s’appuiera pour illustrer cet épisode sur les nombreuses vues disponibles dans la Stéréothèque au sein des collections Magendie et de la Médiathèque de Pau, la plupart du temps issues des séries des vues sur le thème du Voyage aux Pyrénées.
« J’ai voulu trouver du plaisir à mes promenades, et je suis parti seul, par le premier sentier venu, allant devant moi au hasard. Pourvu qu’on ait remarqué deux ou trois points saillants, on est sûr de retrouver sa route… On a les jouissances de l’imprévu, et l’on fait la découverte du pays… »
« Le cours du Valentin n’est qu’une longue chute à travers des rochers roulés. Le long de la promenade Eynard, pendant une demi-lieue, on l’entend gronder sous ses pieds. »
« Au pont du Discoo, le sol lui manque : il tombe dans un demi-cirque, de gradins en gradins, en jets qui se croisent et qui heurtent leurs bouillons d’écume ; puis, sous une arcade de roches et de pierres, il tournoie dans de profonds bassins dont il a poli les contours, et où l’émeraude grisâtre de ses eaux jette un doux reflet tranquille. Tout à coup, il saute de trente pieds, en trois masses sombres, et roule en poussière d’argent dans un entonnoir de verdure. Une fine rosée rejaillit sur le gazon qu’elle vivifie, et ses perles roulantes étincellent en glissant le long des feuilles. »
Vue 1 – La cascade du Discoo (sur le Valentin) – Lithographie par Victor Petit, (Souvenirs des Eaux-Bonnes) / Le voyage aux Pyrénées
« De là, un sentier dans une prairie conduit à la gorge du Serpent : c’est une entaille gigantesque dans la montagne perpendiculaire. Le ruisseau qui s’y jette rampe écrasé sous des blocs entassés ; son lit n’est qu’une ruine. On monte le long d’un sentier croulant, en s’accrochant aux tiges de buis et aux pointes de rochers ; les lézards effarouchés partent comme une flèche, et se blottissent dans les fentes des plaques ardoisées. Un soleil de plomb embrase les rocs bleuâtres ; les rayons réfléchis font de l’air une fournaise. Dans ce chaos desséché, la seule vie est celle de l’eau qui glisse et [bruisse] sous les pierres. Au fond du ravin, la montagne relève brusquement à deux cents pieds de haut sa paroi verticale ; l’eau descend en longs filets blancs sur ce mur poli dont elle brunit la teinte rougeâtre ; elle ne le quitte pas de toute sa chute : elle se colle à lui comme une chevelure d’argent ou comme une traînée de lianes pendantes. Un beau bassin évasé la retient un instant au pied du mont, puis la dégorge en ruisseau dans la fondrière. »
« Au fond d’une gorge glaciale roule la cascade de Larresecq. Celle-là ne vaut pas sa renommée : c’est une sorte d’escalier écroulé sur lequel dégringole gauchement un ruisseau Sali, perdu dans les pierres et la terre mouvante ; mais, pour y arriver, on passe une profonde rainure escarpée, où le torrent roule engouffré dans les cavernes qu’il a creusées, obstrué de troncs d’arbres qu’il déchire. Au-dessus de lui, des chênes magnifiques se rejoignent en arcade ; les arbrisseaux vont tremper leurs racines jusque dans l’eau bouillonnante. Le soleil ne pénètre pas dans cette noire ravine ; le Gave y perce sa route, invisible et glacé. À l’issue par laquelle il débouche, vous entendez sa clameur rauque ; il se débat étranglé entre les roches : vous diriez l’agonie d’un taureau. »
Le signal ou pic du Gourzy, situé en aval des Eaux-Bonnes (vers le sud-ouest) culmine à 1 917 m. C’est sur son flanc que Taine est parti en randonnée et nous narre ses impressions. Jusqu’ici, notre auteur a soigneusement entretenu le flou sur sa documentation touristique, nous laissant souvent supposer qu’il découvrait les lieux au hasard de ses circuits. Le voici qui tombe enfin le masque : il utilise bien, comme tout bon voyageur dès cette époque, un guide de tourisme !
« On vante la vue qu’on a sur le mont Gourzy ; le voyageur est averti qu’il apercevra toute la plaine du Béarn jusqu’à Pau. Je suis forcé d’en croire le guide-manuel sur parole ; j’ai trouvé les nuages, et n’ai rien vu que le brouillard. »
« Cette vallée est très retirée et très solitaire ; elle n’a point de culture ; on n’y rencontre ni voyageurs ni pâtres ; on ne voit que trois ou quatre vaches occupées dans un coin à brouter l’herbe. D’autres gorges, sur les flancs de la route et dans la montagne de Gourzy, sont encore plus sauvages : on y distingue à peine la trace effacée d’un ancien sentier. Y a-t-il quelque chose de plus doux que la certitude d’être seul ? »
« Au bout de la forêt qui couvre la première pente, gisaient des arbres énormes, demi-pourris, déjà blanchis de mousse. Des cadavres de pins desséchés restaient debout ; mais leur pyramide de branches mortes montrait un pan fracassé. De vieux chênes brisés à hauteur d’homme couronnaient leur blessure de champignons moites et de fraises rouges. À voir le sol jonché, on eût dit un champ de bataille ravagé par les boulets : ce sont les pâtres qui, pour s’amuser, mettent le feu aux arbres [ !]. »
Depuis le début de ce parcours, nous ne cessons de souligner la « modernité » de cette seconde moitié du XIXe siècle. C’est encore le cas dans cette réflexion, que l’on n’aura aucun mal à transposer à notre époque de tourisme envahissant :
« Si vous êtes dans un site célèbre, vous craignez toujours de voir arriver une cavalcade, les cris des guides, l’admiration à haute voix, le tracas des chevaux qu’on attache, des provisions qu’on déballe, des réflexions qu’on étale dérangent votre sensation naissante ; la civilisation vous ressaisit.
Mais, ici, quelle sécurité et quel silence ! Aucun objet ne rappelle l’homme ; le paysage est le même qu’il y a six mille ans ; l’herbe y pousse inutile et libre comme aux premiers jours ; point d’oiseaux sur les branches ; parfois seulement on entend le cri lointain d’un épervier qui plane. Çà et là le pan d’un grand roc saillant découpe une ombre noire sur la plaine unie des arbres : c’est le désert vierge dans sa beauté sévère… »
La montagne Verte s’élève au sud des Eaux-Bonnes, en surplomb de la commune ; elle porte sur ses flancs le hameau d’Aas.
« En descendant le Valentin, sur le versant de la montagne Verte, j’ai trouvé des paysages moins austères. On arrive sur la rive droite du Gave d’Ossau. Un joli ruisseau descend de la montagne, encaissé entre deux murs de pierres roulées qui s’empourprent de pavots et de mauves sauvages. »
Au XIXe siècle, en vallée d’Ossau, on exploitait plusieurs carrières de marbre. Pour le débiter, on utilisait des moulins à eau situés évidemment le long des cours d’eau. C’est un tel moulin que Taine rencontre, difficile à situer aujourd’hui avec le peu d’indications qu’il nous donne.
« On gouverne sa chute pour mettre en mouvement des rangées de scies qui vont et viennent incessamment sur les blocs de marbre. Une grande fille en haillons, pieds nus, puise avec une cuiller du sable délayé dans l’eau, pour arroser la machine ; avec ce sable, la lame de fer use le bloc. »
« Un sentier sur la rive, bordé de maisons, de champs de maïs et de gros chênes ; de l’autre côté s’étend une grève desséchée, où les enfants barbotent auprès des porcs qui dorment dans le sable ; des flottes de canards se balancent sur les eaux claires aux ondulations du courant : c’est la campagne et la culture après la solitude et le désert. Le sentier tournoie dans un plant d’oseraies et de saules ; ces longues tiges ondoyantes amies des fleuves, ces feuillages pâles qui pendent, ont une grâce infinie pour des yeux accoutumés au vert vigoureux des montagnes. »
Ici encore, Taine ne nomme pas les lieux. Compte tenu de la direction de sa randonnée, nous sommes certainement au « village » d’Aas. Ce village, rattaché aux Eaux-Bonnes une dizaine d’années après son passage est surtout connu pour ses bergers qui s’expriment avec une langue sifflée qui porte dans toute la vallée, particularité qui n’a pas été révélée à notre auteur.
« On rencontre sur la droite de petites routes pierreuses qui mènent aux hameaux épars sur les pentes. Là, les maisons s’adossent au mont, les unes au-dessus des autres, assises par gradins comme pour regarder dans la vallée. À midi, les gens sont dehors ; chaque porte est fermée ; seules dans le village, trois ou quatre vieilles femmes étendent du grain sur la roche unie qui fait l’esplanade ou la rue. Rien de plus singulier que cette longue dalle naturelle sous un tapis de grains dorés. »
« L’église, étroite et sombre, s’élève ordinairement sur un préau en terrasse qu’entoure un petit mur ; le clocher est une tour blanche carrée, avec un clocheton en ardoises. On lit sous le porche des épitaphes sculptées dans la pierre : ce sont pour la plupart des noms de malades morts aux Eaux-Bonnes ; j’y ai vu ceux de deux frères. Mourir si loin et si seuls ! Ces paroles de tendresse sur une tombe font peine à voir : ce soleil est si doux ! Cette vallée si belle ! Il semble qu’on y respire la santé dans l’aire ; on souhaite de vivre ; on veut, comme dit le vieux poète, « se réjouir longtemps de sa force et de sa jeunesse ». On a pris l’amour de la vie avec l’amour de la lumière.
Le curiste ne se contente pas d’admirer passivement les paysages : il s’interroge aussi sur le sens profond de sa démarche ! Ainsi, de retour à l’hôtel, notre auteur bavarde avec son voisin (de chambre ou de table) dont il nous a déjà parlé. Celui-ci a sa philosophie personnelle sur la manière dont les touristes « consomment » les paysages, ce qui, là aussi, nous renvoie au tourisme contemporain.
Il ne peut souffrir, nous dit Taine « qu’on allât sur une montagne pour regarder la plaine » : « On ne sait pas ce qu’on fait […]. C’est un contresens de perspective. C’est détruire le paysage pour mieux en jouir. À cette distance il n’y a ni couleurs ni formes. Les hauteurs sont des taupinées, les villages des taches, les rivières des lignes tracées à la plume. Les objets sont noyés dans une teinte grisâtre ; l’opposition des lumières et des ombres s’efface ; tout se rapetisse ; vous démêlez une multitude d’objets imperceptibles : c’est le monde de Lilliput. Et là-dessus vous criez au grandiose ! »
Et l’homme de poursuivre : « Par poltronnerie, de peur d’être accusés de sécheresse et de passer pour prosaïques, tout le monde aujourd’hui a l’âme sublime, et une âme sublime est condamnée aux cris d’admiration. Il y a encore les esprits moutons qui admirent sur parole et s’échauffent par intimidation. « Mon voisin dit que cela est beau, le livre est du même avis ; j’ai payé pour monter, je dois être ravi : donc, je le suis ».
Vue 7 – Les « excès » du tourisme selon Gustave Doré, 3e éd. p 171
Et notre auteur de conclure son chapitre : « Vous jetez la pierre aux touristes ; demain, dans la gorge des Eaux-Chaudes, j’éprouverai si votre raisonnement a raison. »
Ce sera notre prochain épisode…
Christian Bernadat
Le Voyage aux Pyrénées sur Gallica
La rivière Valentin sur Wikipédia
Hélène Saule-Sorbé, « Du jardin anglais aux Pyrénées », Houbigant, 2017 (en ligne)
Bernard Cauhape, « La vallée d’Ossau : culture et mémoire », en ligne
J.-P. Dugene, « Signal et Pic du Gourzy en boucle par le cirque de Balour », en ligne
This month, the picture of the month is a bit special. It is with deep sadness that we learned of the passing of Jacques Magendie last week.
Present for 7 years within our stereoscopic project, his collection is the largest of our collections with more than 9000 photographs inventoried at his home, in Lescar.
Without it, the Stereopole, the Stereo Library and all the work carried out around these particular views would not be the same. We will keep the emotional memory of a passionate with a big heart, a well of science, compulsive buyer of books and photographs.
"Outside the ramparts, in a sloping street that hums among the houses of the lower town, saw an affable man, messy hair and watchful eye, a quick-silver character such as Lewis Carroll came out of his hat," wrote Xavier Rosan in Le Festin in 2003.
Video made by the Emmaus group of Lescar:
En ce mois de septembre, au cours duquel nous célébrons la conservation du patrimoine, éloignons-nous un peu de l’hexagone pour nous transporter au Moyen-Orient, et plongeons-nous dans la contemplation des monuments de l’Égypte antique : les collections de la Stéréothèque conservent en effet – comme nous l’avons déjà observé à plusieurs reprises – des témoignages photographiques parmi les plus précoces sur ces monuments qui passionnaient déjà les Européens du XIXe siècle, au premier rang desquels les Français, égyptologues comme touristes. L’intérêt pour les monuments de l’Égypte antique, on le sait bien, ne se dément pas depuis plus de deux siècles !
Cette passion de tout un continent va se révéler être un puissant moteur pour la sauvegarde de ce patrimoine, actions qui culminèrent, en quelque sorte, avec la campagne menée par l’UNESCO pour sauver des eaux les sites de Haute-Égypte et de Nubie, campagne initiée en 1960, et totalement achevée en 1980.
En France, dès la toute fin du XVIIIe siècle, deux ouvrages marquent l’opinion et les hommes politiques : le Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et Des Ruines ou Méditations sur les Révolutions des Empires (1791) du comte de la Giraudais, dit Volnay ; ils vont inciter fortement Talleyrand et Bonaparte à lancer la campagne d’Égypte.
Au retour de cette expédition (qui fut par ailleurs un échec militaire), l’écrivain et diplomate Vivant Denon (connu pour s’être vu confier la première organisation des musées français) passionna la France entière avec son récit Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte publié en 1802 et réédité durant tout le XIXe siècle. Ensuite, le style Empire, conçu par les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine sur demande de Napoléon lui-même, prolongea cet effet et contribua à diffuser cet intérêt dans toute l’Europe.
Enfin, le voyagiste britannique Thomas Cook (encore lui !) lança ses premières croisières sur le Nil, à bord de bateaux à vapeur, à partir de 1869 : la bourgeoisie européenne eut ainsi très tôt l’opportunité d’aller voir sur place les sites qui, à l’époque, étaient déjà accessibles depuis le Nil.
En outre, durant tout le XIXe siècle, de grands archéologues de toute l’Europe allèrent fouiller et expertiser ce patrimoine antique, donc en initier la conservation, en parallèle avec le mouvement de classement des monuments que connut autant la France que le reste de l’Europe.
Mettons-nous donc dans la peau de voyageurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe et laissons-nous guider dans un circuit qui, partant du Caire et de la Basse-Égypte, nous fera remonter jusqu’en Haute-Égypte, puis en Nubie, sur la base d’une sélection de clichés conservés dans la Stéréothèque, dont certains témoignent d’un état définitivement révolu du site. Ces photos nous montrent que tous ces sites étaient déjà offerts à la curiosité des voyageurs privilégiés du XIXe siècle. Pendant longtemps, le seul moyen d’y accéder est le bateau à vapeur qui remonte le Nil. Mais, le chemin de fer arrive à Louxor et à Assouan en 1898, permettant dès lors aux voyageurs une alternative en trains confortables.
N’imaginons pourtant pas ces voyages comme de tout repos : il fallait déjà plusieurs jours pour traverser la Méditerranée en bateau à vapeur au départ de Marseille ou de Gênes, après éventuellement plusieurs jours de chemin de fer pour les européens du nord de l’Europe – dont les Britanniques après la traversée de la Manche. Ensuite, la remontée du Nil prenait elle-même plusieurs jours ; à chaque étape, il fallait un transfert, parfois de plusieurs heures à dos de chameau, par des températures avoisinant ou dépassant les 40° C, la plupart des Européens conservant pour ces trajets leurs tenues de ville sombres, totalement inadaptées à ce climat ! La contrainte était évidemment la même au départ des gares d’Assouan ou de Louxor lorsqu’elles furent ouvertes. Bref, de tels voyages prenaient souvent un bon mois et nécessitaient une part d’intrépidité qu’on a du mal à imaginer de la part de voyageurs plus habitués au confort des beaux quartiers des grandes villes européennes !
Pour les photographes, aux contraintes générales du voyage s’ajoutaient celles, spécifiques, liées à leur technique : matériel lourd et encombrant, traitements chimiques des plaques et produits révélateurs extrêmement sensibles à la chaleur – et, naturellement aussi, au vent de sable. Enfin, à partir des années 1860, avec la diffusion de techniques plus commodes, le photographe développe de préférence sur place, ce qui nécessite un surcroît de bagages pour transporter son laboratoire itinérant : bref, il faut alors à un photographe plusieurs chameaux pour transporter tout son « barda » (et le personnel pour les conduire), ainsi que, sur le Nil, une embarcation spécialement affrétée… Parvenir à rapporter en Europe des photos correctement exposées est donc à chaque fois un exploit dont on ne mesure peut-être pas l’ampleur ! Ces documents doivent donc être regardés avec d’autant plus d’admiration !
Ainsi, c’est avec le bateau atelier que l’on voit ci-dessous que le photographe Francis Frith opéra lors de plusieurs expéditions successives de 1856 à 1859 ; on lui doit notamment les vues MAG3886 (Denderah), GV026 (Karnak) et WIE918 (Louxor) qui sont présentées dans cette chronique. Sur cette période, la desserte du Nil en bateau à vapeur n’est pas encore mise en place : c’est donc entièrement au moyen de felouques, ces voiliers traditionnels, qu’il remonta le Nil à la force du vent.
Cette immersion sur les sites antiques est en outre l’occasion de constater que les menaces sur la conservation du patrimoine, sous prétexte de développement économique, ne datent pas d’aujourd’hui…
Mais ce circuit sera aussi l’occasion « d’allers-retours » avec les périodes plus récentes, qui mettront en évidence les actions particulièrement spectaculaires de sauvegarde de ce même patrimoine qui furent entreprises et menées à bien dans la seconde moitié du XXe siècle : les sites de l’Égypte antique concentrent ainsi, poussés à leur paroxysme, ces deux aspects antagoniques !
Embarquons donc pour dix étapes photographiques. Par soucis de clarté, elles ont été reportées sur la carte ci-contre, celle de l’expédition à laquelle participa Jean-François Champollion avec l’Université du Grand-Duché de Toscane à partir de 1828.
Hormis Philae, qui n’était pas encore inondée en 1828, toutes les autres photos nous montrent les sites tels que Champollion a pu les admirer une cinquantaine d’années plus tôt.
Basse Égypte : Gizeh dans les environs du Caire :
Situé dans les environs du Caire, le plateau de Gizeh et ses nombreux monuments sera évidemment notre première étape.
En arrivant du Caire, à plusieurs kilomètres, la vue groupée des pyramides du plateau de Gizeh (ci-dessus) s’impose au visiteur. Ce complexe pyramidal égyptien est classé au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1979.
Sur la vue ci-dessus, au premier plan, les ruines sont celles du petit temple qui était consacré au dieu Rê, le Dieu Soleil des Égyptiens. Immédiatement en arrière, voici le sphinx, puis à l’arrière-plan, la grande pyramide de Khéops. Cette dernière est la plus grande et la plus volumineuse de toutes les pyramides d’Égypte. Elle caractérise l’apogée de l’architecture monumentale égyptienne. En fait, le mausolée de Khéops n’est pas une simple pyramide : c’est un grand complexe funéraire, comprenant plusieurs éléments, dont la pyramide est le plus impressionnant. Elle fut construite approximativement entre 2589 et 2566 avant J.-C. Khéops est le nom du deuxième pharaon de la IVe dynastie de l’Égypte antique qui marqua son règne par un développement des mines de cuivre et de turquoise (Sinaï, Nubie). L’horizontalité de l’édifice est proche de la perfection. De 146,60 m de haut à sa construction, cet édifice ne mesure plus que 138 m. Ses quatre faces sont orientées sur les points cardinaux.
Le sphinx (« statue vivante » en égyptien) regarde le soleil levant ; sa partie inférieure est ensablée. Il mesure 73,50 m de longueur et sa tête 5,20 m de haut ; la hauteur totale originelle du monument était de 20,22 m. Il représente un lion à tête d’homme ; taillé directement dans la roche d’un promontoire calcaire, ses pattes avant sont en maçonnerie ; le tout était autrefois recouvert d’une sorte de plâtre peint. La tête est taillée dans un bloc rocheux qui dépassait du promontoire. Quant au corps, il fut sculpté progressivement, au fil du creusement de la roche. En descendant en profondeur, les ouvriers découvrirent que le sol comportait différentes strates de calcaire, de différentes couleurs et d’une dureté différente de la roche. Ceci explique pourquoi le corps du sphinx est strié horizontalement, les différentes couches calcaires s’étant érodées à des vitesses différentes. Le sphinx de Gizeh est l’un des plus vieux et le plus grand des sphinx du monde. Il pourrait être le portrait géant du pharaon Khéphren qui l’a fait sculpter durant son règne (2558-2532 av. J.-C.).
La pyramide de Khéphren est la deuxième pyramide d’Égypte par sa taille. Elle est à faces lisses et fut élevée sous la IVe dynastie de l’Ancien Empire pour le pharaon Khéphren, fils de Khéops. Elle se dresse au sud-ouest de celle de son père, bien identifiable avec son sommet encore couvert de calcaire. Légèrement plus petite que celle de Khéops, elle paraît pourtant plus haute car elle est érigée sur une proéminence rocheuse avec un angle d’inclinaison supérieur à celui de la grande pyramide.
Basse Égypte : le site de Memphis :
La photo de cette statue est un document, trace d’une période révolue : elle a en effet été prise sur le site de Memphis, ancienne capitale du pays, et non au Caire. Pour les égyptologues Sydney Aufrère et Jean-Claude Goyon, elle se trouvait, comme sa jumelle, à l’entrée du temple de Ptah : « Dans l’axe de la ville, approximativement là où devait se trouver l’entrée, s’élevaient deux colosses de Ramsès II. » D’autres sources annoncent même le chiffre de quatre…
Le premier colosse, sculpté dans du calcaire, a été découvert en 1820 par Giovanni Battista Caviglia et Charles Sloane, couché face contre terre. Le bas des jambes brisé, il n’a jamais été relevé, mais a été déplacé en 1958 afin d’être exposé dans un bâtiment construit sur le site.
Le second colosse, celui de notre photo, fut découvert pendant l’hiver 1853-1854, par Leonard Horner, un géologue britannique, venu pour analyser la profondeur et l’accroissement des alluvions du Nil. Il profita de cette mission pour entreprendre l’étude archéologique du site, sous la supervision de Joseph Hekekyan, un ingénieur arménien de Constantinople.
Légèrement plus petit que le premier colosse, il gisait à 200 m au nord-ouest, brisé en six morceaux. La statue demeurera sur place jusqu’en 1887… Cette année-là, le major Arthur Bagnold voulut la soustraire à l’effet des eaux du Nil qui le recouvraient pendant une longue période de l’année et voulut la mettre à l’abri. Il en informa les autorités et une maigre somme de 20 livres lui fut allouée. C’est ainsi que ce colosse fut dégagé, puis traîné sur une butte voisine et surélevé afin qu’il fût visible en totalité.
Il y resta jusqu’en février 1955… date à laquelle le président Nasser, récemment installé à la tête du pays, la fit transporter (et relever) sur une place en plein centre du Caire, en face de la gare, au bout de la grande voie rebaptisée avenue Ramsès. La couronne, qui gisait à côté de la statue, fut également réinstallée sur la tête du souverain. Mais la statue était devenue invisible au milieu d’une circulation débridée, et son calcaire était fortement attaqué par le gaz carbonique des pots d’échappement.
Elle a à nouveau été transportée en grandes pompes en 2006 dans l’enceinte du Grand Musée Egyptien, bâti à la périphérie du Caire, pour la mettre en valeur et la soustraire à la pollution automobile galopante. Les travaux ayant traîné en longueur, il faudra attendre janvier 2018 pour qu’elle s’offre enfin à l’admiration des visiteurs, bien en vue à l’entrée du Musée.
Par deux fois donc, le déplacement et la mise en sécurité du colosse ont été utilisés par le gouvernement en place comme un symbole de puissance politique. Mais, ce motif servit aussi effectivement à la sauvegarde de cette pièce tout à fait exceptionnelle héritée de l’Égypte antique.
Basse Égypte : Saqqarah, la pyramide de Djéser :
Saqqarah est le nom de l’ancienne nécropole de la cité de Memphis, une des capitales de l’Égypte antique. Située à moins de 30 kilomètres du Caire, sur la rive gauche du Nil, presque en face de Memphis elle-même, elle contient les sépultures de nombreux pharaons et hauts fonctionnaires égyptiens. La nécropole est impressionnante : elle mesure 6 km de long sur 1,5 km de large, soit la plus grande superficie d’une nécropole égyptienne, sur un vaste plateau qui domine la vallée du Nil. Le complexe funéraire compte une quinzaine de monuments de différentes époques. Lorsque la Haute et la Basse Égypte furent réunies en un seul royaume, les premières tombes firent leur apparition sur le site (principalement celles des grands notables). Au début, les tombeaux n’étaient pas encore des pyramides, mais des mastabas, grandes constructions rectangulaires d’abord en briques puis en pierres.
Le monument le plus intéressant de Saqqarah est cette pyramide à degrés, tombeau du pharaon Djéser ou Djoser (IIIe dynastie). Il s’agit de la première pyramide égyptienne et du premier tombeau construit intégralement en pierres, dans le but de résister aux épreuves du temps. Son architecte fut le célèbre Imhotep (« celui qui vient en paix » en égyptien). En construisant un mastaba d’environ 121 m de long sur 109 m de large, puis en en superposant d’autres de tailles décroissantes jusqu’au sommet, son idée était de rapprocher le plus possible le souverain du ciel et donc des dieux. Cette structure en degrés peut donc être vue comme une sorte « d’escalier divin » pour faciliter l’ascension du pharaon défunt.
Haute-Égypte : Denderah, le temple d’Hathor :
Denderah est à 460 km au sud du Caire. Le temple d’origine, dédié à la déesse Hathor, fut construit par Pépi 1er sous la VIe dynastie. Le temple actuel fut fondé le 16 juillet 54 avant notre ère, jour du lever héliaque annuel de Sirius. Les travaux commencèrent sous le règne de Ptolémée XII Aulète, père de Cléopâtre. Cette dernière lui succède en 51 avant notre ère. Cette nouvelle construction fut achevée trente-quatre ans plus tard, sous le règne d’Auguste. La décoration des parois se poursuivit jusqu’à la fin de la période romaine. C’est la raison pour laquelle, à l’intérieur du temple, on peut trouver les cartouches d’Auguste, de Tibère, de Caligula, de Claude et de Néron.
Haute-Égypte : Karnak et Louxor (site de l’ancienne Thèbes) :
A environ 500 km au sud du Caire, faisons halte à Louxor, l’ancienne Thèbes, sur la rive est du Nil. La Stéréothèque conserve les vues de deux monuments distincts qu’il convient de ne pas confondre : le grand temple d’Amon au sein du complexe religieux de Karnak, et un second temple d’Amon, à la périphérie immédiate de Louxor.
Nous avons ici une des vues les plus anciennes de nos collections. Le complexe religieux de Karnak comprend un vaste ensemble de ruines de temples, chapelles, pylônes, et d’autres bâtiments situés au nord de Thèbes, aujourd’hui ville de Louxor. Ce complexe religieux, a été construit et développé pendant plus de 2 000 ans par les pharaons successifs, de Sésostris Ier, au Moyen Empire, jusqu’à l’époque ptolémaïque ; il s’étend sur plus de 2 km2, morcelé en trois « domaines », chacun entouré de sa propre enceinte. C’est le plus grand complexe religieux de toute l’Antiquité. Le temple le plus important, le Grand Temple d’Amon, date de la XVIIIe dynastie. Il était consacré à la triade thébaine, avec à sa tête le dieu Amon-Rê. Il était relié au temple de Louxor (voir ci-après) par une allée de sphinx de près de trois kilomètres de long.
Le site a fait l’objet de fouilles conduites dès le XIXe siècle par des archéologues français, désormais organisés depuis 1967 au sein du Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak. Bien que toujours en ruine, le site a néanmoins fait l’objet d’un redressement des colonnes comme on peut en juger sur la photo d’ensemble ci-contre (la salle hypostyle étant au centre du second plan), bel exemple de conservation respectueuse de l’édifice.
Trois kilomètres plus loin, voici le temple d’Amon de Louxor.
Situé au cœur de l’ancienne Thèbes, il fut construit pour l’essentiel sous les XVIIIe et XIXe dynasties. Il était consacré au dieu dynastique Amon sous ses deux aspects d’Amon-Rê céleste et d’Amon-Min. Les parties les plus anciennes actuellement visibles remontent à Amenhotep III et à Ramsès II. Par la suite, de nouveaux éléments furent ajoutés par Chabaka, Nectanébo Ier et les Lagides. L’édifice, l’un des mieux préservés du Nouvel Empire, a gardé de nombreuses structures en élévation.
La vue WIE918 qui nous est présentée ci-dessus – également une des plus anciennes concernant l’Égypte au sein de la Stéréothèque – est malheureusement peu explicite ; c’est une vue latérale du temple depuis le nord-ouest qui laisse voir en arrière-plan le minaret de la mosquée de Louxor toujours présente aujourd’hui.
Une fois franchis les pylônes du temple qui marquaient son entrée, on peut admirer ce qui reste de la grande colonnade qui formait l’intérieur de l’ancien temple. Les murs tout autour portent la représentation des différentes phases de la fête de l’Opet ; à l’entrée de la colonnade, se trouvent deux groupes de statues.
Haute-Égypte : Louxor (ancienne Thèbes), Les colosses de Memnon :
Les colosses de Memnon sont deux statues de pierre monumentales situées sur la rive occidentale de Thèbes, sur la route qui mène à la nécropole thébaine. Elles sont les derniers vestiges du gigantesque temple d’Amenhotep III, construit durant la XVIIIe dynastie, qui n’existe plus de nos jours. Depuis 1998, le site du temple est fouillé par la Mission des colosses de Memnon et du temple d’Aménophis III, dirigée par l’égyptologue Arménien Hourig Sourouzian.
Haute-Égypte : Edfou :
Edfou (Behdet, Apollinopolis) est situé sur la rive gauche du Nil entre Louxor et Assouan, à 105 km au sud de cette dernière. Toutefois, la vue que nous montrons ci-après n’est pas prise sur ce site mais au sein du Parc Egyptien de l’Exposition Universelle de Paris en 1867.
Nous avons déjà souligné à l’occasion de plusieurs de nos « Unes » le climat de modernité qui a marqué la France du Second Empire (dans le même élan que dans toute l’Europe). Nous en avons ici un nouvel exemple : à l’occasion de cette Exposition Universelle, l’Égypte (qui est en 1867 un pays indépendant qui se veut moderne) expose, entre autres, une reconstitution réduite du temple d’Edfou. Il s’agit non seulement d’offrir aux visiteurs une vision caractéristique du pays, mais d’attirer aussi les premiers touristes (évidement au sein de la bourgeoisie favorisée) pour un circuit de tourisme culturel au sein du pays : de la publicité touristique avant l’heure, il y a plus de 150 ans !
Le temple réel, dédié au culte d’Horus, est le plus grand temple de la dynastie lagide et le deuxième sanctuaire le plus important d’Égypte après Karnak : 137 m de long, 79 m de large, 36 m de haut pour les pylônes. Construit entre 237 et 57 av. J.-C., il est l’un des mieux préservés d’Égypte.
Haute Égypte : l’île de Philae :
Philae se situe sur la 1ère cataracte du Nil, au sud d’Assouan, à presque 700 km au sud du Caire. Cette île comprenait les ruines d’une ville de l’Égypte ancienne, avec, notamment, le magnifique petit temple d’Isis. Jusqu’en 1902, les ruines de l’ensemble antique de Philae sont au sec sur une île.
Le rapprochement entre la vue SAB033 ci-dessus et RVX436 plus bas est particulièrement intéressant : depuis l’inauguration du grand barrage d’Assouan en 1970, qui noya définitivement le site, notre mémoire collective avait peut-être un peu oublié que, déjà en 1894 les Britanniques avaient entrepris la construction d’un premier barrage juste en aval, à Assouan, pour développer l’irrigation et, en particulier, pour promouvoir sur de vastes surfaces une culture pratiquement industrielle du coton !
Ce barrage, mis en eau en 1902, a eu immédiatement pour effet d’inonder le site de Philae 10 mois sur 12, en dehors de la saison sèche. Ainsi, à partir de cette date, les touristes devaient venir sur le site en barque, ce que Pierre Loti déplora profondément dans un texte « La mort de Philae ». C’est donc de cet état que la photo ci-dessous témoigne. En outre, le premier barrage fut surélevé par deux fois (entre 1907 & 1912, puis entre 1929 & 1934) aggravant à chaque fois les dommages causés aux édifices. |
Le temple d’Isis, situé dans le quart sud-ouest de l’île, est la principale construction de Philae. L’esplanade située devant le premier pylône est fermée par un portique aux chapiteaux variés. Le mur occidental est percé de fenêtres donnant sur l’île de Biggeh, désormais un petit îlot depuis le déplacement du temple, et d’un escalier entre la douzième et la treizième colonne menant à un « nilomètre ». La corniche du portique est décorée de disques solaires situés précisément face aux temples d’Arensnouphis, de Biggeh et d’Imhotep ; le plafond est orné de vautours aux ailes déployées regardant vers l’ouest.
Sur un côté de l’île, le kiosque de Trajan est bien une construction réalisée sous le règne de l’empereur romain Trajan. Inachevé, ce pavillon très élégant était le seul visible lorsque l’île était submergée. C’est une petite construction en forme de portique rectangulaire, mise en chantier vers l’an 100. Elle comporte quatorze colonnes avec de beaux chapiteaux campaniformes. A l’intérieur, sur deux de ses murs, on voit l’empereur célébrer les rites d’offrandes à Isis et Horus, puis à Isis et Osiris. Les processions qui se rendaient sur l’Ile accostaient ici et passaient vraisemblablement sous ce kiosque. Les chapiteaux des quatorze colonnes du kiosque s’étagent en ombrelles de papyrus de taille croissante entre lesquelles s’intercalent des boutons floraux. Le kiosque devait servir de reposoir à la barque sacrée de la déesse Isis lorsque celle-ci quittait l’île ou la rejoignait, à l’occasion de cérémonies religieuses.
À partir de 1960, après plusieurs années de tractations politiques et d’arrangements financiers, le président Nasser prit la décision définitive de la construction du haut barrage d’Assouan. Ce projet constituait une nouvelle menace pour Philae, car l’île se trouvait entre les deux barrages. Le lac de retenue de l’ancien barrage d’Assouan fut en partie transformé mais maintenu. Il était prévu d’abaisser le niveau moyen de ce lac qui atteindrait alors le premier pylône du temple d’Isis à la moitié de sa hauteur, permettant aux ruines d’être en plus grande partie à l’air libre. Mais cette transformation induisait une hausse du niveau de la nappe phréatique ; l’île ne pouvait donc plus être totalement à sec pendant une partie de l’année. En outre, les fluctuations quotidiennes du niveau du lac devaient atteindre six mètres d’amplitude, risquant de provoquer une érosion accrue des pierres et une accélération de la disparition des ruines.
Le sauvetage de Philae fut alors décidé par l’UNESCO qui lança à cette occasion des travaux d’une ampleur inédite, la solution retenue étant la même que pour les temples d’Abou Simbel quelques années plus tôt (voir plus bas) : le démontage des ruines et leur reconstruction sur un nouveau site à l’abri des eaux du lac. Ce déplacement fut orchestré par le ministère de la Culture égyptien et les services d’archéologie du Caire sous l’égide de l’UNESCO, la responsabilité du projet étant confiée à Christiane Desroches Noblecourt, célèbre égyptologue française, déjà à l’origine du sauvetage des temples d’Abou Simbel. L’Égypte prit à son compte la moitié du coût de ce transfert.
Le déplacement des temples à proprement parler commença avec le découpage des ruines et leur transport en barges vers un site de stockage provisoire. Entretemps, l’île d’Aguilkia située à environ trois cents mètres au nord-ouest de Philae fut préparée pour accueillir les ruines. Le sauvetage fut achevé en 1976. Malheureusement, des dizaines d’autres sites archéologiques d’Égypte, jugés de moindre importance, mais qui faisaient encore l’objet de recherches, ont été définitivement engloutis par la montée des eaux.
Basse Nubie : Le temple de Maharraqa :
Le temple de Maharraqa en Basse-Nubie, situé à environ 1 010 km du Caire, est le site le moins connu de tout notre parcours, souvent ignoré des guides francophones.
Il s’agit d’un ancien temple égyptien dédié à Isis et Sérapis. Maharraqa, en Basse Nubie, se situe à environ 140 km au sud d’Assouan. Quelques années après la conquête romaine de l’Égypte en 30 avant JC, les Koushites du royaume de Méroé ont lancé un raid sur la première cataracte. Le préfet romain d’Égypte, Pétrone, a riposté et vaincu l’armée d’invasion méroïtique. Il a ensuite placé une garnison romaine de 400 hommes à l’avant-poste sud du territoire : une frontière entre le royaume de Méroé et l’Égypte romaine a ainsi été établie à Maharraqa ; c’était alors la frontière sud de l’Égypte romaine. Aujourd’hui, la frontière entre l’Égypte moderne et le Soudan se trouve à plusieurs centaines de kilomètres plus au sud, au-delà d’Abou Simbel.
Ce temple était dédié aux anciens dieux égyptiens Isis et Sérapis. Construit par les Romains, il ne peut être attribué avec certitude au règne d’un empereur romain en particulier puisqu’il n’a jamais été entièrement achevé ni inscrit. Cependant, dans la mesure où la construction de temples a décliné en Nubie après le règne d’Auguste, le temple de Maharraqa pourrait être attribué à son règne. La seule partie de la structure achevée était une cour de 13,5 m sur 15,7 m, entourée sur trois côtés par des colonnes : c’est exactement ce que nous montre notre photo ci-dessus.
Le temple de Maharraqa a lui aussi dû être déplacé en 1966 à cause de la construction du barrage d’Assouan sur le site dit du « nouveau Wadi es-Sebua », à 4 km à l’ouest de l’emplacement d’origine. Pour ce cas précis, l’Égypte finança la totalité du déplacement.
Nubie : Les temples d’Abou Simbel :
Ainsi se termine notre circuit égyptien : une véritable vitrine en matière de sauvetage du patrimoine monumental antique !
Ainsi se termine notre circuit égyptien : une véritable vitrine en matière de sauvetage du patrimoine monumental antique !
Christian Bernadat
Bibliographie :
https://fr.wikipedia.org/wikiÉgyptomanie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Style_Empire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Monuments_de_l’Égypte_antique
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_de_Gizeh
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_de_Khéops
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_de_Khéphren
https://egyptophile.blogspot.com/2018/01/lun-des-colosses-de-ramses-ii-en-route.html
Le site de Saqqarah (egyptos.net)
La pyramide de Djéser (merveilles-du-monde.com)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Karnak
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Amon_(Louxor)
http://www.temples-egypte.net/louxor/templeLouxor/colonnade.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Colosses_de_Memnon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Horus (Edfou)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Hathor_(Denderah)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Philae
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ancien_barrage_d’Assouan
https://www.baudelet.net/voyage/Égypte/philae-kiosque-trajan.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temples_d’Abou_Simbel
https://en.m.wikipedia.org/wiki/Temple_of_Maharraqa
https://egyptophile.blogspot.com/2016/05/le-train-de-la-modernite-les-debuts-du.html
Victoire en Nubie, 4000 ans d’Histoire sauvés des eaux, Le Courrier de l’UNESCO, Février/Mars 1980.
Égypte, premières impressions, Conservation des Musées de Figeac, Musée Champollion, 2019.
The heritage event in July was undoubtedly the inscription of the Cordouan lighthouse on the Unesco World Heritage List!
The decision was announced at the end of July after several years of an application that brought together the State, the Mixed Union for the Sustainable Development of the Gironde Estuary (Smiddest), local authorities and especially several thousand individuals wishing to support the project.
To welcome this very good news, here is a view taken at the beginning of the twentieth century showing visitors at the top of the lighthouse, which is not yet electrified:
The view comes from the Besson fonds,whose images were taken by his grandfather Alexis Croly-Labourdette, former notary and amateur photographer born in 1879 in Bourg-sur-Gironde.
The heritage event in July was undoubtedly the inscription of the Cordouan lighthouse on unesco's List of world heritage!
The decision was announced at the end of July after several years of an application that brought together the State, the Mixed Union for the Sustainable Development of the Gironde Estuary (Smiddest), local authorities and especially several thousand individuals wishing to support the project.
To welcome this very good news, here is a view taken at the beginning of the twentieth century showing visitors at the top of the lighthouse, which is not yet electrified:
The view comes from the Besson fonds,whose images were taken by his grandfather Alexis Croly-Labourdette, former notary and amateur photographer born in 1879 in Bourg-sur-Gironde.