Paris incendié – Nuit du 24 au 25 mai 1871 (Gravure de Michel Charles Fichot retouchée par Numa, Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis, Cliché I. Andréani)

Le 18 mars 1871, les Parisiens des quartiers populaires, ouvriers, artisans et petites professions libérales se soulèvent contre le gouvernement d’Adolphe Thiers, à peine installé depuis le 17 février, à la suite de l’élection d’une Assemblée nationale le 8 février précédent. Ces évènements faisaient suite à la capitulation de Napoléon III le 4 septembre 1870 devant l’armée prussienne et à l’armistice signé consécutivement par le Gouvernement de Défense nationale le 28 janvier 1871.

Adolphe Thiers, photographié par Nadar

Les Parisiens avaient manifesté avec fougue leur volonté de déclarer la guerre à la Prusse en juillet 1870. Aussi se sentent-ils profondément humiliés par la capitulation et la signature de l’armistice et en tiennent rigueur au nouveau gouvernement. La population de Paris souffrait d’une grande pauvreté malgré les réussites économiques du Second Empire dont elle n’avait pas profité. Durant l’hiver qui venait de s’écouler, elle fut fortement éprouvée par le siège de Paris imposé par les Prussiens, alors qu’elle avait été marginalisée par les grands travaux d’urbanisme menés par le baron Haussmann. Dans ces conditions, elle ne se reconnait pas dans la nouvelle Assemblée issue des urnes, qui, reflète tout le pays, majoritairement rural, bourgeois et religieux, et qu’elle soupçonne de vouloir rétablir la Monarchie.

1860-1870 – Le Mont de Piété (auquel les parisiens ont fortement recours), Tableau d’Heilbuth – Musée des Beaux-Arts de Dijon, Photo Lauros-Giraudon

Au mois de mars, le nouveau gouvernement de Thiers prend plusieurs décisions maladroites qui embrasent aussitôt les esprits des Parisiens : suppression du moratoire jusque-là en vigueur sur les loyers (risquant de mettre à la rue de nombreux parisiens incapables de payer leurs loyers) et sur les effets de commerce (acculant de nombreux petits artisans et commerçants à la faillite), et suppression de la solde quotidienne qui était versée aux gardes « nationaux » (en fait composés de parisiens modestes). Le 18 mars 1871, ils apprennent que le gouvernement a envoyé la troupe dans la nuit pour reprendre les canons de la garde nationale, que les parisiens eux-mêmes ont contribué à financer par souscription.

Les canons de la Garde nationale remisés sur la butte Montmartre, Collection Viollet

C’en était trop ; dans les heures qui suivirent, les faubourgs s’embrasent, les gardes nationaux s’opposent à la reprise des canons. D’ailleurs, la troupe régulière fraternise avec la foule qui s’est mobilisée spontanément ; mais, cette dernière fait prisonnier les généraux qui commandent l’armée de la République et les exécute sommairement. Ainsi, l’armée officielle est en échec, et le gouvernement doit se réfugier à Versailles, d’où le nom de « Versaillais » qui sera désormais donné aux troupes républicaines sous la présidence de Thiers.

18 mars 1871 –Défense du parc de canons de la butte Montmartre – DUP0181

Ce 18 mars, l’insurrection s’étend rapidement à l’ensemble de la capitale ; le Luxembourg et l’Hôtel de ville sont aussitôt occupés et quelques barricades commencent à être érigées. Outre les 227 canons de la garde nationale, les parisiens disposent de 500 000 fusils. La dimension de revanche contre les transformations du baron Haussmann, qui ont fortement marginalisé les petites gens et contraint beaucoup d’entre eux à aller chercher un logement dans l’est de la ville, pèse aussi lourd dans l’embrasement du Paris populaire.

18 mars 1871 – Barricade de la chaussée Ménilmontant, première barricade érigée le jour même du début de l’insurrection

Les photographes, qui d’ailleurs faisaient souvent partie des petits métiers sensibles à la cause des Communards, sont très nombreux à Paris. Ils sont donc « aux premières loges » pour immortaliser ce soulèvement populaire : nous avons-là des manifestations précoces de « photojournalisme », même si peu de vues ont vraisemblablement été prises sur le vif : la plupart paraissent postérieures aux destructions qu’ils fixent sur leurs plaques sensibles (les ruines ne fument jamais : les incendies sont éteints quand ils viennent prendre leurs vues) : certaines postérieures de quelques jours, d’autres de quelques mois, ou de quelques années.

La Stéréothèque conserve ainsi une petite quarantaine de vues prises pendant ces deux mois dans Paris et sa proche banlieue : c’est un témoignage très complet des évènements marquants de la période (lots Dupin – DUP0026 à 0034, 0082, 0198 – ; Lot Coulon – CC046- ; et Lot Magendie – MAG9455 à 9457, 9460, 9463 à 9471, 9473 à 9476, 9478 à 9485).

Du 26 au 28 mars, les Parisiens des quartiers populaires élisent un Conseil de la Commune. À partir du 12 avril, les Communards édifient de nombreuses barricades pour ralentir la progression des troupes gouvernementales, que l’on sait bien devoir survenir à un moment ou à un autre, en bloquant les communications entre les différents points stratégiques.

Le 1er mai, la commission exécutive du Comité s’érige en Comité de Salut public qui va diriger l’ensemble du mouvement. Le 10 mai, ce Comité décide la démolition de la maison d’Adolphe Thiers, place Saint-Georges, en tant qu’« acte de justice » à l’égard de celui qu’ils nomment le « Foutriquet » et qu’ils voient comme le représentant des « capitulards et des bourgeois », désormais ennemi absolu de leur cause. On lui reproche aussi une affiche qu’il était parvenu à faire placarder dans toute la ville, pourtant occupée par les insurgés, prétendant que le gouvernement ne pilonnait pas la ville, alors que la population eut à déplorer de nombreuses victimes suite à ces tirs. La destruction commencera deux jours plus tard.

Maison d’Adolphe Thiers, 27 place Saint-Georges, détruite à partir du 12 mai 1871 sur ordre du Comité de Salut public - MAG9480

Dans la foulée, la destruction de la colonne Vendôme, considérée comme le symbole du despotisme impérial (elle porte la statue de Napoléon 1er à son sommet) est décidée par le Comité de Salut public. Quelques années auparavant, le peintre Gustave Courbet s’était fait un chantre de cette démolition.

La colonne de la place Vendôme abattue le 16 mai 1871 – DUP0026

Le 21 mai, Adolphe Thiers décide de lancer une offensive sur Paris. Les évènements vont alors se dérouler au rythme de l’avancée de la troupe des « Versaillais ». Ce sera la « semaine sanglante ». Les forces gouvernementales progressent très vite : les Communards, indisciplinés et mal organisés, ne faisaient en effet pas le poids devant l’armée régulière. Cette dernière, venant par l’ouest, franchit l’enceinte de la ville (voulue par Adolphe Thiers en 1840) par la rive droite de la Seine le 21 mai.

Le 22, les forces gouvernementales prennent l’avenue de la Grande Armée, la place de l’Etoile, parviennent au milieu des Champs-Elysées et, traversant la Seine, atteignent sur l’autre rive le Champ-de-Mars jusqu’à Montparnasse. Mais, depuis le 12 avril, une des 18 barricades de Paris y est édifiée, défendue par des canons, commandée par Napoléon Gaillard (cordonnier, président de la Commission des barricades) et Louis Rossel. De multiples destructions furent provoquées sur l’avenue par des tirs de canons des Versaillais depuis le mont Valérien, alors que les Prussiens y avaient déjà infligé de nombreux dégâts avant la capitulation du 28 janvier.

Destructions le long de l’avenue de la Grande Armée entre janvier 1871 et le 22 mai, certainement dues aux tirs des troupes prussiennes puis gouvernementales – MAG9465

Le 23 mai, les « Versaillais » progressent moins vite. Les Communards ont édifié de nombreuses barricades pour ralentir la progression des troupes, bloquant les communications entre les différents points stratégiques. Ainsi, la barricade de la rue de Castiglione est supposée verrouiller la communication entre la rue de Rivoli et la place Vendôme, et la barricade de la rue de la Paix bloque la liaison entre la place de l’Opéra et la place Vendôme.

Les Versaillais avancent à coup de canons, provoquant de nombreux incendies sur les immeubles riverains, comme ici rue Royale.

L’immeuble de la rue Royale dont l’incendie vient d’être éteint par les Sapeurs-Pompiers (qui sont toujours intervenus pendant l’insurrection) – MAG9474

Les barricades des insurgés cèdent le 23 mai devant l’avancée des troupes gouvernementales qui prennent le faubourg Montmartre.

Barricade de la rue de la Paix qui cèdera le 23 mai – MAG9456

Les Versaillais sont alors aux portes du palais des Tuileries.

Le palais des Tuileries suite à l’incendie provoqué dans la nuit du 23 au 24 mai – MAG9485

La bibliothèque impériale du Louvre, avec ses 200 000 livres et manuscrits, est incendiée.

Dans la journée du 24 mai, les Versaillais franchissent les Tuileries (symbole du pouvoir impérial) et le Palais Royal, tous deux en ruines. Ils ont été incendiés durant la nuit précédente par les Communards. Sur la rive gauche, les troupes de la République prennent le quartier latin et le palais du Luxembourg. Ils sont aux portes de l’Hôtel de Ville.

Ce même jour, l’Hôtel de Ville est incendié, par deux inconnus, quelques heures après son abandon par les Communards, alors que ces derniers n’auraient, semble-t-il, pas donné un tel ordre. La bibliothèque de la ville, la totalité des archives de la commune et les archives de l’Etat civil sont anéanties. La Préfecture de police et le Palais de justice sont également incendiés.

L’Hôtel de Ville de Paris après son incendie du 24 mai – MAG9469

Le 25 mai, les troupes gouvernementales ont repris toute la rive gauche de la Seine (en particulier la Butte aux Cailles et la montagne Sainte-Geneviève avec le Panthéon, fortement défendues par les insurgés) ; et, rive droite, elles passent l’Hôtel de Ville, parviennent en vue de la place de la Bastille, de la place du Château d’eau (aujourd’hui place de la République) et du bassin de la Villette.

Ce jour-là, une grande partie des monuments de Paris est en flammes ou continue à se consumer, comme illustré sur la gravure présentée en « Une ». De nombreux incendies ont été allumés par les Communards, mais les attaques à boulets rouges des troupes versaillaises ont aussi fortement contribué à propager les incendies, de sorte qu’il ne fut pas toujours évident de déterminer à quel camp imputer les destructions.

Le 26 mai, les Versaillais prennent le faubourg Saint-Antoine, la place de la Bastille, le canal Saint-Martin et remontent jusqu’à la Villette, encerclant la « zone rouge », le cœur des quartiers insurgés. Ce jour-là, le pavillon de l’Arsenal est incendié avant d’être cédé aux troupes régulières.

Le pavillon de l’Arsenal après son incendie du 26 mai – MAG9460

La zone rouge, correspondant approximativement au 20ème arrondissement, résiste de manière acharnée aux assauts des Versaillais qui mettent presque deux journées, les 27 et 28 mai, pour venir à bout des insurgés.

Le 27 mai, les Versaillais prennent les Buttes-Chaumont puis parviennent au Cimetière du Père Lachaise où se déroule l’épisode très connu des combats à l’issue desquels 147 communards sont fusillés au « mur des Fédérés ».

Les combats au cimetière du Père Lachaise le 27 mai, par Henri Félix Emmanuel Philippoteaux (Musée des Beaux-arts de Bordeaux)

Le 28 mai, les combats se poursuivent dans le quartier Belleville où les derniers combats ont lieu à la jonction des rues de la Ferme-de-Savy et Jouye-Rove, devant une des entrées du parc de Belleville. Un bas-relief conserve la mémoire de ce moment marquant.

Bas-relief commémorant les derniers combats entre les Communards et les troupes gouvernementales le 28 mai 1871, sur une des entrées du parc de Belleville. (Wikipedia - Photo Mbzt — CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=47039951)

Ils poursuivirent ensuite au-delà de l’enceinte de Paris sur Vincennes le 29.

La répression du pouvoir républicain est terrible : si les troupes gouvernementales ont officiellement perdu 877 hommes, les chiffres des victimes des communards sont incertains. On considère qu’ils perdirent au moins 17 000 insurgés, peut-être 20 000.

Il y eut en outre 43 500 arrestations qui aboutirent à plus de 30 000 condamnations ; parmi celles-ci, autour de 20 000 personnes furent transférés sur les pontons des ports de Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort, 7 500 furent déportées en Nouvelle-Calédonie (comme Louise Michel) ou au bagne de Cayenne ; elles seront amnistiées en 1880.

Parmi les condamnations pénales ou civiles, on trouve de nombreuses personnalités qui ont animé le mouvement ou dirigé la Commune : par exemple Louise Michel, Jules Vallès ou le peintre Gustave Courbet, accusé d’avoir été l’instigateur de la destruction de la colonne Vendôme, qui fut condamné à payer le relèvement de la colonne à ses frais. Exilé en Suisse, il mourût avant l’amnistie générale.

Les destructions furent immenses : non seulement les grands monuments officiels (dont l’Hôtel de Ville avec toute sa bibliothèque et les Archives de l’Etat Civil des Parisiens, les Gobelins où 80 tapisseries furent détruites, plusieurs églises et plusieurs théâtres) mais aussi de très nombreux bâtiments moins renommés, comme la maison de Prosper Mérimée qui brûla avec tous ses livres.

En revanche, la cathédrale Notre-Dame et les Archives nationales échappèrent aux destructions grâce à l’intervention de certains responsables de la Commune, tandis que le Louvre et ses inestimables collections ont été sauvés grâce au commandant d’un bataillon des Versaillais qui fit intervenir ses soldats pour empêcher que le feu ne se propage du palais des Tuileries au musée.

Il faudra attendre 1880-1882 pour que la plupart des monuments détruits soient reconstruits (hormis les Tuileries et le pavillon de l’Arsenal) et que Paris retrouve son apparence d’avant ces événements : on mesure donc sans doute mal l’incroyable effort financier que mobilisa la 3ème République pour parvenir à un tel résultat en une dizaine d’années !

Christian Bernadat

Bibliographie :

La Commune de Paris (Wikipédia)

La Semaine sanglante (Wikipédia)

Avenue de la Grande Armée (Wikipédia)

Bertrand Tillier, « Paris enflammé par la Commune », L’Histoire par l’image, mars 2016

Bernard Vassor, « La chute de la ‘maison Thiers' », Terres d’écrivains, 2006

Dictionnaire d’Histoire de France, sous la direction d’Alain Decaux et d’André Castelot, Librairie Perrin, 1986, Articles Commune de Paris, Défense nationale (gouvernement), Guerre de 1870, Thiers (Adolphe).

Atlas de l’histoire de France, Librairie Académique Perrin, 1996

Nouvelle Histoire de France de Jacques Marseille, Tome 15, Ed. Le Robert, 1998

La Commune de Paris par Jean-François Miniac, Revue Les Grandes Affaires de l’Histoire n°45 (Janvier-Février-Mars 2020).

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