Quatrième épisode : la vie de curiste aux Eaux-Bonnes
Rappel des trois premiers épisodes
Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser son Voyage aux Pyrénées, en 1855, dans le but de suivre une cure médicale, soin alors très prisé dans la bonne société parisienne. Pour cela, à seulement 27 ans, il prend une sorte de « congé sabbatique ». Après Bordeaux et Royan, Bayonne, Biarritz et Saint-Jean-de Luz, Orthez et Pau, notre écrivain voyageur arrive enfin aux Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, objectif de son voyage thermal. Là, il va nous faire une description minutieuse de la vie de curiste au sein de la station thermale.
On s’appuiera, pour illustrer cet épisode, sur les nombreuses vues des Eaux-Bonnes disponibles dans la Stéréothèque au sein de la collection Magendie et de celle de la Médiathèque de Pau, la plupart du temps issues des séries des vues sur le thème du Voyage aux Pyrénées.
Même si beaucoup de choses ont changé avec les années, constatons que, dès ces débuts, « l’économie thermale » est déjà bien en place, avec ses hôtels et pensions, sa kyrielle de boutiques de souvenirs pour curistes, l’organisation de distractions pour les ceux-ci et la mise en valeur du « folklore » local.
Premiers contacts avec les Eaux-Bonnes
Taine commence directement son chapitre sur les Eaux-Bonnes au moment de son arrivée, sans rien nous dire de son voyage depuis Pau. En général, on y arrivait par la malle-poste depuis Pau et Laruns.
« Je comptais trouver ici la campagne : un village comme il y en a tant, de longs toits de chaume ou de tuiles, des murs fendillés, des portes branlantes, et dans les cours un pêle-mêle de charrettes, de fagots, d’outils, d’animaux domestiques, bref, tout le laisser-aller pittoresque et charmant de la vie rustique. Je rencontre une rue de Paris et les promenades du bois de Boulogne. Jamais campagne ne fut moins champêtre ; on longe une file de maisons alignées comme des soldats au port d’armes, toutes percées régulièrement de fenêtres régulières, parées d’enseignes et d’affiches, bordées d’un trottoir, ayant l’aspect désagréable et décent des hôtels garnis… »
La naïveté de notre auteur est-elle bien sincère ? Il n’est pas venu ici par hasard, ni parmi les premiers. Nous l’avons indiqué dès le début de cette aventure à épisode : avant lui, de nombreux auteurs sont venus ici, et n’ont pas manqué d’en faire des comptes-rendus. Cette destination fait déjà partie des destinations en vogue dans les milieux parisiens en particulier… Les guides et les conseils de voyages existent déjà. Il y a donc tout lieu de penser qu’il savait bien à quoi s’attendre en se rendant dans cette ville thermale très à la mode.
Par contre, sa narration permet d’interpeler le lecteur sur le contraste avec les villages traditionnels des Pyrénées et permet d’être explicite sur la transplantation « de Paris à la montagne ». Il s’agit d’une expression exagérée, même si elle a son fond de réalité, comme on peut en juger sur la vue MAG6310 ci-dessus et sur la vue n°2 ci-après : une rue bien alignée, composée d’hôtels et de pensions de famille, et un square propret de style urbain.
Alors que le chemin de fer n’arrivera ici qu’en 1883, le développement de la station et de son urbanisation débute véritablement sous la Restauration, avec la création d’un premier établissement thermal en 1828. Dans les années 1840, le thermalisme se développe partout en Europe. Les Eaux-Bonnes sont situées sur ce que l’on désigne déjà comme la Route Thermale n°3 qui relie les villes d’eaux du Béarn à Cauterets par le col de l’Aubisque. L’âge d’or de cette ville thermale commence sous le Second Empire. Le séjour de Taine se situe au cœur de cette période : l’impératrice Eugénie y vient plusieurs fois, justement à partir de cette année 1855. Mais Taine semble ne pas l’avoir rencontrée.
« On trouve grotesque qu’un peu d’eau chaude ait transporté dans ces fondrières la cuisine et la civilisation. Ce singulier village essaye tous les ans de s’étendre, et à grand-peine, tant il est resserré et étouffé dans son ravin ; on casse le roc, on ouvre des tranchées sur le versant, on suspend des maisons au-dessus du torrent, on en colle d’autres à la montagne, on fait monter leurs cheminées jusque dans les racines des hêtres ; on fabrique ainsi derrière la rue principale une triste ruelle qui se creuse et se relève comme elle peut, boueuse, à pente précipitée, demi-peuplée d’échoppes provisoires et de cabarets en bois, où couchent des artisans et des guides ; enfin, elle descend jusqu’au Gave, dans un recoin tout pavoisé du linge qui sèche, et qu’on lave au même endroit que les cochons ( !). »
Premiers jours du curiste : pas de chance, il pleut à verse !
Taine découvre le quotidien du curiste… et les caractéristiques d’une vallée encaissée des Pyrénées : la pluie et le brouillard n’y sont pas rares ; ces jours-là, plus que d’autres, il faut tromper l’ennui entre les heures de « prise des eaux »…
« De tous les endroits du monde, les Eaux-Bonnes sont le plus déplaisant un jour de pluie, et les jours de pluie y sont fréquents ; les nuages s’engouffrent entre les deux murs de la vallée d’Ossau, et se traînent lentement à mi-côte ; les sommets disparaissent, les masses flottantes se rejoignent, s’accumulent dans la gorge sans issue, tombent en pluie fine et froide. Le village devient une prison ; le brouillard rampe jusqu’à terre, enveloppe les maisons, éteint le jour déjà offusqué par les montagnes ; les Anglais se croiraient à Londres.
On regarde à travers les carreaux les formes demi-brouillées des arbres, l’eau qui dégoutte des feuilles, le deuil des bois frissonnants et humides, on écoute le galop des promeneuses attardées qui rentrent les jupes collées et pendantes, semblables à de beaux oiseaux dont la pluie a déformé le plumage ; on essaye le whist avec découragement ; quelques-uns descendent au cabinet de lecture […]. »
Vue 4 – En remontant les thermes un jour de pluie. Gustave Doré, 3e édition, page 130
Vue 5 – Carte postale vers 1900 : une cinquantaine d’années après la visite de Taine, l’intérieur des thermes est encore tel qu’il nous le décrit ci-dessous : le double banc de bois et le présentoir à souvenirs sont toujours là. (in « Ossau 1900 »)
« Le premier verre bu, on attend une heure avant d’en prendre un autre ; cependant on marche en long et en large, coudoyé par les groupes pressés qui se traînent péniblement entre les colonnes. Il n’y a point de siège, sauf deux bancs de bois où les dames s’asseyent, les pieds posés sur la terre humide : l’économie de l’administration suppose qu’il fait toujours beau temps. »
Étonnant aussi de découvrir à travers le récit de Taine l’affluence qui pouvait se retrouver en ce lieu dès ce milieu du XIXe siècle.
« On regarde pour la vingtième fois les colifichets de marbre, la boutique des rasoirs et de ciseaux, une carte de géographie pendue au mur. De quoi n’est-on pas capable un jour de pluie, obligé de tourner entre quatre murs, parmi les bourdonnements de deux cents personnes ? On étudie les affiches, on contemple avec assiduité des images qui prétendent représenter les mœurs du pays : ce sont d’élégants bergers roses, qui conduisent à la danse des bergères souriantes encore plus roses. On allonge le cou à la porte pour voir un couloir sombre où des malades trempent leurs pieds dans un baquet d’eau chaude, rangés en file comme des écoliers un jour de propreté et de sortie. Après ces distractions, on rentre chez soi, et l’on se retrouve en tête à tête et en conversation intime avec sa commode et sa table de nuit… »
Le repas du curiste
En cure, le repas est un moment important pour rythmer la journée du curiste. Là encore, constatons que la « coutume » des musiciens ou des orchestres de rues allant de pension en pension, ou de restaurant en restaurant, toujours pratiquée sur les lieux touristiques encore de nos jours, est déjà alors largement répandue : il est incroyable de voir à quel point ce XIXe siècle a « inventé » des pratiques que l’on croirait « modernes ».
Vue 6 – Le flûtiste Sanson et l’aveugle Haure au violon, Carte Postale (in « Ossau 1900 »).
« Un bon appétit console de tous les maux ; c’est tant pis, si vous voulez, ou tant mieux pour l’humanité. Il faut supporter l’ennui, la pluie et la musique des Eaux-Bonnes. Le sang renouvelé porte alors de la gaieté au cerveau, et le corps persuade à l’âme que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.[…] Quand, son dîner fini, [l’homme] replie sa serviette et commence la promenade indispensable […], il lui semble que l’univers est consolidé ; il sourit, il est affable, il vous tend la main le premier. Que sommes-nous machines ! Et pourquoi s’en plaindre ? Mon brave voisin vous dirait que vous avez la clef de vos rouages ; tournez le ressort du côté du bonheur. Philosophie de cuisine, soit. Celui-ci, qui la pratiquait, ne s’inquiétait pas du nom. »
Les sorties des belles journées
« Les jours de soleil, on vit en plein air. Une sorte de préau, qu’on nomme le Jardin anglais, s’étend entre la montagne et la rue, tapissé d’un maigre gazon roué et fleuri : les dames y font salon et y travaillent ; les élégants, couchés sur plusieurs chaises, lisent leur journal et fument superbement leur cigare ; les petites filles, en pantalons brodés, babillent avec des gestes coquets et des minauderies gracieuses ; elles s’essayent d’avance au rôle de poupées aimables. Sauf les casaques rouges des petits paysans qui sautent, c’est l’aspect des Champs-Elysées. »
|
Le Jardin Anglais est la première dénomination du Jardin Darralde (ou d’Aralde), situé entre la rue Louis Barthou et l’avenue de Castellane.
« On sort de là par de belles promenades ombragées qui montent en zig-zag sur les flancs des deux montagnes, l’une au-dessus du torrent, l’autre au-dessus de la ville ; vers midi, on y rencontre force baigneurs couchés sur les bruyères, presque tous un roman à la main. […] Pardonnez à ces malheureux ; ils sont punis de savoir lire et de ne pas savoir regarder… »
La description de notre auteur n’est pas très explicite : depuis le centre des Eaux-Bonnes (le jardin Darralde par exemple), le premier « zig-zag à flanc de montagne » qu’il évoque descend en contrebas et mène au torrent, au fond d’un vallon au nord de la commune, le Valentin, qui se déverse en cascade, désignée pour cela comme Cascade du Valentin.
À l’époque, le chemin pour descendre à cette cascade était relativement escarpé. L’eau y chute d’environ 54 m (« 180 pieds ») dans un large bassin qui provoque une fraîcheur remarquable.
Quant à l’autre promenade « au-dessus de la ville », il s’agit de deux sentiers qui serpentent en effet en montant sur l’autre flanc de montagne, du côté est de la commune, l’un appelé Promenade Eynard et l’autre baptisée Promenade de l’Impératrice quelques années après le séjour de Taine. Celles-ci permettent de monter au-dessus de la ville, dégageant à cette occasion une très belle vue sur la ville ; elles permettent d’atteindre, quelques centaines de mètres plus haut, la Cascade du Gros-Hêtre.
« Des hêtres monstrueux soutiennent ici les pentes ; aucune description ne peut donner l’idée de ces colosses rabougris, hauts de huit pieds, et que trois hommes n’embrasseraient pas. Refoulée par le vent qui rase la côte, la sève s’est accumulée pendant des siècles en rameaux courts, énormes, entrelacés et tordus ; tout bosselés de nœuds, déformés et noircis, ils s’allongent et se replient bizarrement, comme des membres boursouflés par une maladie et distendus par un effort suprême. »
Erreur dans les notes de notre auteur, défaut de mémoire, ou simplement souci de rééquilibrage de ses paragraphes, ces hêtres, d’ordinaire baptisés tortueux, sont plutôt situés par les observateurs le long de la Promenade Horizontale, située exactement à l’opposé, à l’autre bout du village (que Taine évoque un peu plus loin). C’est bien la légende donnée par le photographe Jean Andrieu pour la vue ci-contre, de même que celle du dessin ci-après de Camille Roqueplane.
Les arbres « tortueux » (parfois aussi désignés comme « faux ») sont une dégénérescence végétale connue par mutation génétique, constatée en plusieurs lieux en France sur différentes espèces (saules, noisetiers, hêtres, etc) ; comme les arbres se reproduisent par multiplication successive au voisinage les uns des autres (par leurs graines ou par marcottage), ils forment de véritables concentrations qui intriguent. La « maladie » avancée par Taine comme explication de ce phénomène est donc un premier pas dans en direction de la compréhension du mécanisme réel, seulement découvert au cours du XXe siècle.
« Quelques troncs, pourris par l’eau, s’ouvrent hideusement éventrés : chaque année, les lèvres de la plaie s’écartent ; ils n’ont plus forme d’arbres ; ils vivent pourtant, invincibles à l’hiver, à la pente et au temps, et poussent hardiment dans l’air natal de leurs jeunes rameaux blanchâtres. Le soir, lorsqu’on passe dans l’ombre près des têtes tourmentées et des troncs béants de ces vieux habitants des montagnes, si le vent froisse leurs branches, on croit entendre une plainte sourde, arrachée par un labeur séculaire ; on songe aux géants de la légende scandinave, emprisonnés par le destin entre les murs qui tous les jours se resserrent, les ploient, les rapetissent, et, après mille ans de tortures, les rendent à la lumière, furieux, difformes et nains. »
Distractions de fin de journée
« Vers quatre heures reviennent les cavalcades ; les petits chevaux du pays sont doux et galopent sans trop d’effort ; de loin, au soleil, brillent les voiles blancs et lumineux des dames ; rien de plus gracieux qu’une jolie femme à cheval, quand elle n’est pas emprisonnée dans l’amazone noire, ni surmontée du chapeau en tuyau de poêle. Personne ne porte ici ce costume anglais, funèbre, étriqué ; en pays gai, on prend des couleurs gaies : le soleil est un bon conseiller. »
« Il est défendu de rentrer au galop…, c’est pourquoi tout le monde rentre au galop ! […] On se cambre sur la selle, la chaussée résonne, les vitres tremblent, on passe superbement devant les badauds qui s’arrêtent : c’est un triomphe ! »
À cette époque, des cavalcades se produisaient ainsi dans toutes les villes thermales des Pyrénées.
« Le soir, tout le monde vient à la promenade horizontale ; c’est un chemin plat d’une demi-lieue, taillé dans la montagne de Gourzy. »
|
Cette Promenade Horizontale a été réalisée en 1844, à l’ouest de la commune, par souscription d’un certain nombre de bienfaiteurs parisiens qui souhaitaient offrir aux curistes l’accès à une promenade aisée et de plein pied, aménagée avec balustrades, treillages et bancs. C’était leur lieu de déambulation favori à l’issue de chaque journée de soins. Pour cette raison, très vite, des buvettes et des cabanes de marchands de souvenirs s’y implantèrent.
« Le reste du pays n’est qu’escarpements et descentes ; quand, pendant huit jours, on a connu la fatigue de grimper courbé, de descendre en trébuchant, de réfléchir par terre aux lois de l’équilibre, on trouve agréable de marcher sur un terrain uni et de laisser ses pieds sans songer à sa tête ; c’est une situation toute nouvelle de sécurité et de bien-être. […] Nous allions tous les jours nous asseoir sur une pierre au bout de ce chemin […] De chaque côté, trois montagnes avancent leur pied vers la rivière et font onduler le contour de la plaine ; les dernières descendent comme des pans de pyramides, et leurs pentes d’un bleu pâle se détachent sur les bandes rougeâtres du ciel terni. »
« Le fond des gorges est déjà sombre ; mais en se retournant, on voit la cime du Ger resplendir d’un rose tendre et garder le dernier sourire du soleil. »
Ce sommet domine la vallée des Eaux-Bonnes du haut de ses 2 613 mètres.
D’autres promenades existent, comme la promenade Grammont, sur le même flanc de montagne que la Promenade Horizontale ; cette promenade comportait un kiosque permettant d’admirer un vaste panorama sur la vallée d’Ossau. Taine ne nous en parle pas, comme s’il n’avait pas poussé son chemin jusque-là : étonnant pour qui se passionnait tant pour les vastes panoramas.
Autre point de vue dont Taine ne nous parle pas : sur le versant est, un autre kiosque avait été construit sur une butte qui domine la commune, juste en surplomb, la « butte au Trésor » accessible sur la promenade Eynard. On y voit, au fond de la rue principale, la place de la mairie. Ce bâtiment, qui fut à l’origine la maison des communes, appelée « Maison du Gouvernement » sous le second Empire. L’Impératrice Eugénie y fut hébergée lors de son premier séjour en 1855. Il est donc possible qu’elle y résidait lors du séjour de notre auteur.
Les dimanches
« Le dimanche, une procession de riches toilettes monte vers l’église. Cette église est une boîte ronde, en pierres et en plâtre, faite pour cinquante personnes, où l’on en met deux cents. Chaque demi-heure entre et sort un flot de fidèles. Les prêtres malades abondent et disent des messes autant qu’il en faut : tout souffre aux Eaux-Bonnes du défaut d’espace ; on fait la queue pour prier comme pour boire, et l’on s’entasse à la chapelle comme au robinet… »
Cette chapelle de style classique, couronnée d’un front triangulaire, avec un petit clocheton surmontant la nef, sera démolie à partir de 1866. Jugée trop exiguë, elle sera remplacée, sous l’impulsion de l’Impératrice Eugénie, par un nouvel édifice qui ne sera finalement consacré qu’en 1884.
Certes, les prêtres sont contraints de « satisfaire » tout le monde ; certes, le curiste « sacrifie » au rite de la messe du dimanche ; mais, point trop n’en faut : une petite demi-heure suffira… et l’on retournera ensuite aux « distractions du dimanche » ! Et quelles distractions ! On en jugera par ce que Taine nous rapporte ensuite ci-après.
« Quelquefois un entrepreneur de plaisirs publics se met en devoir d’égayer l’après-midi : une éloquente affiche annonce le jour du canard.
On attache une perche dans un arbre, une ficelle à la perche, un canard à la ficelle ; les personnages les plus graves suivent avec un intérêt marqué ces préparatifs. J’ai vu des gens qui baillent à l’Opéra faire cercle une grande heure au soleil, pour assister à la décollation du pauvre pendu. Si vous avez l’âme généreuse et si vous êtes avide d’émotions, vous donnez deux sous à un petit garçon ; moyennant quoi on lui bande les yeux, on le fait tourner sur lui-même, on lui met un mauvais sabre en main, et on le pousse en avant, au milieu des cris de l’assistance. […] Si par grand hasard il atteint la bête, si par un hasard plus grand il touche le cou, si enfin par miracle il détache la tête, il l’emporte, la fait cuire, la mange. En fait de divertissement, le public n’est pas difficile. Si on lui annonçait qu’une souris se noie dans une mare, il y courrait comme au feu. »
S’en suivent deux pages d’analyse sur cette coutume, que Taine compare – sous couvert d’un dialogue avec son voisin de chambre – à une tragédie classique : les instruments du supplice, des péripéties, une chute en forme de catastrophe.
Nous n’aurons pas de difficulté à admettre que notre degré d’acceptation d’un tel spectacle a fortement évolué ! Laissons donc notre auteur à sa dissertation en trois actes…
Le spectacle, est, semble-t-il, suivi par un bal en extérieur. «Et le bal, qu’en dites-vous ? […] Notre danse n’est qu’une promenade, un prétexte de conversation. Voyez celle des servantes et guides : quels entrechats ! Quelles pirouettes ! Ils vont de franc jeu et de tout cœur ; ils ont le plaisir du mouvement, ils sentent le ressort de leurs muscles ; c’est la vraie danse inventée par la joie et le besoin d’activité physique. Ces gaillards s’empoignent et se manient comme des poutres. La grande fille que voilà est servante à mon hôtel ; dites-moi si cette haute taille, cet air sérieux, cette fière attitude, ne rappellent pas les statues antiques. »
Notre écrivain voyageur termine son chapitre par une curieuse résolution, semble-t-il adressée à son voisin de chambre, devenu, au fil des jours, le compagnon de ses sorties :
« Demain, […] j’achète une grosse canne, je mets mes guêtres et je vais courir la campagne. Faites comme moi ; marchons chacun d’un côté et tâchons de ne pas nous rencontrer. »
Ce sera donc l’objet de notre prochain épisode : Excursions en Vallée d’Ossau.
Christian Bernadat
Bibliographie :
Le Voyage au Pyrénées (texte sur Gallica)
Voyage aux Pyrénées, ed. Arteaz
Institut français d’Architecture (DRAE Midi-Pyrénées), Le Voyage aux Pyrénées ou la route thermale, Ed. Randonnées Pyrénéennes, 1987
René Arripé, Ossau 1900, Le canton de Larruns, Ed.Loubatières, Toulouse, 1987
Jacques Gimard et Eleder Bidard, Mémoire de Pyrénées, Ed. Le Pré aux Clercs, 2001
Pierre Minvielle, Les Pyrénées, Nathan, 1986,
Jean-François Ratonnat, La vie d’autrefois en Béarn, Editions Sud-Ouest, 1996,
Les Eaux Bonnes, Inventaire Nouvelle-Aquitaine
Bernard Cauhape, « La vallée d’Ossau : Cascades »