Douzième épisode : ultime étape à Toulouse
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Rappel des épisodes précédents :
Hippolyte Taine a entrepris son Voyage aux Pyrénées en 1855 dans le but de suivre une cure thermale, traitement très recherché dans la bonne société parisienne. À seulement 27 ans, délaissant un temps ses activités littéraires, voici notre écrivain voyageur engagé dans un long périple pour l’époque : Bordeaux, Royan, Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Orthez, Pau, puis Les Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, où il s’établit le temps de prendre ses soins, entrecoupés d’excursions dans les environs. Avant de rentrer à Paris, il reprend toutefois un circuit touristique vers l’est des Pyrénées : cela le conduit d’abord à Saint-Sauveur et Luz ; puis lui et son ami Paul font étape à Tarbes et à Bagnères-de-Bigorre, et enfin à Bagnères-de-Luchon. Ce sera leur dernière étape dans les Pyrénées, avant un ultime arrêt à Toulouse d’où ils reprendront vraisemblablement le train pour Paris.
Pour cette dernière chronique, notre source unique sera la collection Magendie. Et, hormis une vue tirée des Voyages aux Pyrénées de Charles-Paul Furne & Henri Tournier, toutes les autres photos sont malheureusement de photographes inconnus.
La plaine de Martres (aujourd’hui Martres-Tolosane) :
Notre ami ne s’étend pas sur leur départ de Bagnères-de-Luchon. Il nous livre simplement une description rapide de l’arrivée dans la plaine, qui semble provoquer chez lui et son compagnon un soulagement, alors même qu’ils nous ont abondamment livré leur admiration des paysages de montagne.
« Quand, après deux mois de séjour dans les Pyrénées, on quitte Luchon, et qu’on trouve le pays plat près de Martres, on est charmé et l’on respire à l’aise : on était las, sans le savoir, de ces barrières éternelles qui fermaient l’horizon ; on avait besoin d’espace. On sentait que l’air et la lumière étaient usurpés par ces protubérances monstrueuses, et qu’on était non en pays d’hommes, mais en pays de montagnes. On souhaitait à son insu une vraie campagne, libre et large.
Celle de Martres est aussi unie qu’une nappe d’eau, populeuse, fertile, peuplée de bonnes plantes, bien cultivée, commode pour la vie, patrie de l’abondance et de la sécurité. […] Une route blanche et plate allait en droite ligne jusqu’au bout de l’horizon et finissait par un amas de maisons rouges ; le clocher pointu dressait son aiguille dans le ciel ; sauf le soleil, on eût dit un paysage flamand. […] De vieilles maisons, des toits de chaume bosselés, appuyés les uns sur les autres, des machines à chanvre étalées aux portes, de petites cours pleines de baquets, de brouettes, de paille, d’enfants et d’animaux, un air de gaieté et de bien-être ; par-dessus tout le grand illuminateur du pays, le décorateur universel, l’éternel donneur de joie, le soleil, versait à profusion sa belle lumière chaude sur les murs de briques rougeâtres, et découpait des ombres puissantes dans des crépis blancs. »
Bref, notre Hippolyte Taine est un homme des plaines…
Toulouse :
Le Capitole :
« Toulouse apparaît, toute rouge de briques, dans la poudre rouge du soir. Triste ville, aux rues caillouteuses et étranglées. »
« L’hôtel de ville, nommé Capitole, n’a qu’une entrée étroite, des salles médiocres, une façade emphatique et élégante dans le goût des décors de fêtes publiques. Pour que personne ne doute de son antiquité, on y a inscrit le mot : Capitolium. »
Mais, dommage : notre auteur et son compagnon sont, semble-t-il, passés à côté de la galerie de prestige du palais : la salle des illustres.
La cathédrale Saint-Étienne :
« La cathédrale Saint-Étienne n’est remarquable que par […] le chœur [qui, ne manque pas de beauté ni de grandeur. »
Le Musée des Augustins :
« Mais ce qui frappe la plus au sortir des montagnes, c’est le musée. On trouve enfin la pensée, la passion, le génie, l’art, toutes les plus belles fleurs de la civilisation humaine. »
« C’est une large salle éclairée, bordée de deux petites galeries plus hautes, qui font demi-cercle, remplie de tableaux de toutes les écoles, dont plusieurs sont excellents. »
Taine cite un certain nombre de tableaux qui font son admiration :
- un Murillo représentant Saint Diego et ses religieux,
- un Martyre de Saint-André, par le Caravage,
- une Cérémonie de l’ordre du Saint-Esprit en 1635, par Philippe Champagne…
Notre auteur retrouve désormais sa véritable nature, celle d’un honnête homme qui se livre à l’une de ses activités favorites : la fréquentation des lieux de culture tels que ce Musée.
Il commente encore :
- la charmante Marquise de Largillière,
- un Christ crucifié de Rubens,
- un tableau de Glaize, la Mort de saint Jean-Baptiste qu’il dit célèbre,
- l’élégance du tableau de Schoppin, Jacob devant Laban et ses deux filles,
- et Muley [aujourd’hui écrit Moulay) Abd-el-Rhaman par Eugène Delacroix.
« Au-dessous du musée est une cour carrée fermée par une galerie de minces colonnettes, qui vers le haut se courbent et se découpent en trèfles, et font bordure d’arcades. »
Monsieur Taine, c’est ce que l’on appelle un cloître !
« On a réuni sous cette galerie toutes les antiquités du pays : fragments de statues romaines, bustes sévères d’empereurs, vierges ascétiques du Moyen-Âge, bas-reliefs d’églises et de temples, chevaliers de pierre couchés tout armés sur leur cercueil. »
« La cour était déserte et silencieuse ; de grands arbres élancés, des arbrisseaux touffus, brillaient du plus beau vert ; un soleil éclairant tombait sur les tuiles rouges de la galerie ; une vieille fontaine, chargée de colonnettes et de têtes d’animaux, murmurait près d’un banc de marbre veiné de rose ; on voyait une statue de jeune homme entre les branches ; des tiges de houblon vert montaient autour des colonnes brisées. »
« Ce mélange d’objets champêtres et d’objets d’art, ces débris de deux civilisations mortes et cette jeunesse des plantes fleuries, ces rayons joyeux sur les vieilles tuiles, rassemblaient dans leurs contraintes tout ce que j’avais vu depuis deux mois ».
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C’est sur ces mots que ce termine le récit de ce voyage qui se conclut par la gravure ci-dessous.
Avons-nous conscience aujourd’hui de la modernité qui se dégageait de ce dessin pour l’œil du lecteur de l’époque : les lettres « FIN » montant en panaches de fumée de locomotives entrant sous la verrière d’une gare parisienne ?
Le chemin de fer à vapeur n’est en effet familier aux parisiens que depuis une trentaine d’années à la date de publication de cet ouvrage !
Accessoirement, ce décor d’apparence totalement hors du sujet de l’ouvrage semble bien confirmer un retour de notre auteur et de son compagnon de voyage par le train.
Quant à nous, cette douzième étape clôt ce premier feuilleton d’un voyage stéréoscopique entrepris il y a plus de deux années et demie…
Christian Bernadat
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Bibliographie :