Voyage en Bretagne, d’après Gustave Flaubert et Maxime du Camp. Sixième épisode

Sixième épisode : En route jusqu’à Saint-Malo en passant par Landernau et la Bretagne du nord.

Saint-Malo, sur le port, 1857, Photographe : Paul Charles Furne, Collection Calvelo, CAL0223

Résumé des épisodes précédents :

Gustave Flaubert, âgé de vingt-six ans et son ami Maxime du Camp ont entrepris en 1847 un long périple à travers l’Anjou, la Touraine et la Bretagne, avec sacs au dos et souliers ferrés. À l’occasion, ils ne dédaignent pas néanmoins le « confort » des transports publics…

Ils font d’abord halte dans les Pays de la Loire et s’y font ouvrir les châteaux de Chambord, d’Amboise et de Chenonceau. Puis ils font étape, aux environs de Nantes, sur les terres de la Bretagne historique à Clisson, avec sa forteresse médiévale. Ils nous conduisent ensuite à Carnac, Belle-Île-en Mer, Quimper, Pont-l’Abbé, Crozon, Daoulas et Brest.

Selon la convention qu’ils ont passée entre eux, Maxime du Camp se charge d’écrire les chapitres pairs, et Flaubert les chapitres impairs. Leur trajet jusqu’à Brest constitue leur cinquième chapitre. Ce chapitre se poursuit toutefois jusqu’à Landernau, La Roche Maurice, Kerjean et Saint-Pol, que nous avons inclus dans cette sixième étape, que nous prolongeons jusqu’à Saint-Malo, décrit dans le sixième chapitre1.

Jusqu’à Saint-Pol, le texte est donc dû à Gustave Flaubert ; la suite, pour Saint-Malo, ayant été écrite par Maxime du Camp.

Nous illustrerons cette séquence d’un certain nombre de vues de nos collections issues de plusieurs « Voyages en Bretagne », en particulier celui de Paul Charles Furne, et, cette fois, celui de Daniel Théodore Guitard du Marès, le tout tiré des collections de José Calvelo, Jacques Magendie et Gaye.

Landernau et les ruines de son château :

À nouveau, sans transition, Gustave Flaubert nous transporte à l’étape suivante de leur voyage : Landernau.

Vue 01 – Le port de Landernau, 1857, Photographes Charles Paul Furne et Henri Tournier, Collection du Musée départemental breton (Source : La Bretagne en relief)

« Landernau est un pays où il y a une promenade d’ormeaux au bord de la rivière et où nous vîmes courir dans les rues un chien effrayé qui traînait à sa queue une casserole attachée. »

Quel formidable souvenir de voyage, n’est-ce pas !

 

« Pour aller au château de la Joyeuse-garde, il faut d’abord suivre l’Eilorn, et ensuite marcher longtemps dans un bois par un chemin creux où personne ne passe. Quelquefois le taillis s’éclaircit ; alors, à travers les branches, la prairie paraît ou bien la voile de quelque navire qui remonte la rivière […] » « Et couchés dans la cour de Joyeuse-Garde, près du souterrain comblé, sous le plein-cintre de son arcade unique que revêtissent les lierres, nous causions de Shakespeare et nous nous demandions s’il y avait des habitants dans les étoiles. »

Vue 02 – Le château de Joyeuse-Garde, Illustration de Howard Pyle, 1910 (Source Wikipedia)

Dans la légende arthurienne, la Joyeuse Garde est un château conquis par Lancelot-du-Lac, qui en fera sa place forte principale. Ce château légendaire est évoqué pour la première fois dans le Lancelot en prose (XIIIe siècle). La Joyeuse Garde apparait aussi dans les histoires en proses de Tristan et Iseut. Les deux amants vivent plus tard dans le château avec la permission de Lancelot pour se réfugier et échapper aux atteintes du roi Marc de Cornouailles.

« Puis, nous partîmes, n’ayant guère donné qu’un coup d’œil à la demeure ruinée du bon Lancelot, celui qu’une fée enleva à sa mère et qu’elle nourrit au fond d’un lac dans un palais de pierreries. Les nains enchanteurs ont disparu ; le pont-levis s’est envolé et le lézard se traîne où se promenait la belle Genièvre, songeant à son amant parti en Trébizonde combattre les géants. »

La Roche-Maurice :

La Roche-Maurice, vue sur les ruines du château, 1857 – Photographe Paul Charles Furne, CAL0205, Collection Calvelo

« Le château de la Roche-Maurice était un vrai château de burgrave, un nid de vautours au sommet d’un mont. On y atteint par une pente presque à pic, le long de laquelle des blocs de maçonnerie éboulés servent de marches. Tout en haut, par un pan de mur fait de quartiers plats posés l’un sur l’autre et où tiennent encore de larges arcs de fenêtres, on voit toute la campagne ; des bois, des champs, la rivière qui coule vers la mer, le ruban blanc de la route qui s’allonge… »

Roscoff :

« Voici […] le coin le plus fertile de Bretagne ; les paysans sont moins pauvres, les champs mieux cultivés, les colzas magnifiques, les routes bien entretenues, … et c’est ennuyeux à périr… Des choux, des navets, beaucoup de betteraves et démesurément de pommes de terre, tous régulièrement enclos dans des fossés, couvrent la campagne, depuis Saint-Pol de Léon jusqu’à Roscoff. On en expédie à Brest, à Rennes, jusqu’au Havre ; c’est l’industrie du pays ; il s’en fait un commerce considérable. »

Roscoff, pêcheurs à mer basse, 1857, Photographe Paul Charles Furne, MAG1401, Collection Magendie

« À Roscoff, la mer découvre devant les maisons sa grève vaseuse, se courbe ensuite dans un golfe étroit ; […] au large, [elle] est toute tachetée d’îlots noirs, bombés comme des dos de tortue. »

Kerjean :

Vue 03 – Kerjean, façade du château, 1857, Photographes Charles Paul Furne et Henri Tournier, Collection Archives départementales du Finistère (Source : La Bretagne en relief)

« À Kerjean, dans le grand escalier tournant, j’ai heurté un piège à loup. Des socs de charrue, des fers de bêche rouillés, et des graines sèches de calebasses, gisent au hasard sur le parquet des chambres, ou encombrent les grands sièges de pierre dans l’embrasure des fenêtres. »

Saint-Pol, l’église du Kreisker :

« … On se retrouve bientôt sur la grande route de Saint-Pol, au fond de laquelle se dresse, tailladée sur tous les angles, la flèche du clocher du Kreisker ; fine, élancée, et s’appuyant sur une tour surmontée d’une balustrade, de loin elle fait le meilleur effet du monde ; mais, plus on s’en approche, plus elle se rapetisse et s’enlaidit, et l’on ne trouve enfin qu’une église comme toutes les églises, avec un porche vide dont les statues sont parties. La cathédrale aussi est d’un gothique lourd, empâté d’ornements, chamarré de broderies ; mais il y a à Saint-Pol quelque chose, c’est la table d’hôte de son auberge. »

Vue 04 – L’église du Kreisker de Saint-Pol de Léon, Lithographie de 1867 (Cartes-livres-anciens.com)

Saint-Malo, vue générale, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG164, Collection Gaye

« Saint-Malo, bâti sur la mer et clos de remparts semble, lorsqu’on arrive, une couronne de pierres posées sur les flots dont les mâchicoulis sont les fleurons. Les vagues battent contre les murs et, quand il est marée basse, déferlent à leur pied sur le sable. »

« Au-dessus de cette ligne uniforme de remparts, que çà et là bombent des tours et que perce d’ailleurs l’ogive aiguë des portes, on voit les toits des maisons serrés l’un près de l’autre, avec leurs tuiles et leurs ardoises, leurs petites lucarnes ouvertes, leurs girouettes découpées qui tournent, et leurs cheminées de poterie rouge dont des fumignons bleuâtres se perdent dans l’air. »

Saint-Malo, vue sur le rocher du Moine, 1900-1920, Photographe inconnu, MAG4777, Collection Magendie

« Tout à l’entour sur la mer s’élèvent d’arides îlots sans arbres ni gazon sur lesquels on distingue de loin quelques pans de murs percés de meurtrières tombant en ruines et dont chaque tempête enlève de grands morceaux. »

Saint-Servan et la tour Solidor :

Saint-Servan, la Tour Solidor, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG186, Collection Gaye

« En face de la ville, rattachée à la terre ferme par une longue jetée qui sépare le port de la pleine mer, de l’autre côté du bassin s’étend le quartier de Saint-Servan, vide, spacieux, presque désert et couché tout à son aise dans une grande prairie vaseuse. À l’entrée se dressent les quatre tours du château de Solidor reliées entre elles par des courtines, et noires du haut en bas. Cela nous récompense d’avoir fait ce long circuit sur la grève, en plein soleil de juillet, au milieu de chantiers [navals], parmi les marmites de goudron qui bouillaient, et les feux de copeaux dont on flambait la carcasse des navires. »

Remarque : Aujourd’hui, on dit « la Tour Solidor », qui est en fait le reste d’un donjon, construit au XIVème siècle, dont chaque angle est flanqué d’une tour incluse en partie dans la masse du bâtiment ; Maxime du Camp, reproduisant sans doute l’usage du XIXème siècle, évoque, pour cette raison les quatre tours d’un château.

Les remparts et les fortifications de Saint-Malo :

Saint-Malo, les remparts vus depuis l’îlot du Grand Bé, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG169, Collection Gaye

« Le tour de la ville par les remparts est une des plus belles promenades qu’il y ait. […] On s’asseoit dans l’embrasure des canons, les pieds sur l’abîme. On a devant soi l’embouchure de la Rance, se dégorgeant comme un vallon entre deux vertes collines, et puis les côtes, les rochers, les Îlots et partout la mer. »

« À une place, entre les maisons de la ville et la muraille, dans un fossé sans herbe, des piles de boulets sont alignées. De là vous pouvez voir écrit sur le second étage d’une maison « Ici est né Châteaubriand »

Vue 05 – Les Remparts et la tour Quiquengrogne, 1900 environ, Carte Postale

« Plus loin, la muraille s’arrête contre le ventre d’une grosse tour : c’est la Quiquengrogne ; ainsi que sa sœur, la Générale, elle est large et haute, ventrue, formidable, renflée au milieu comme une hyperbole, et tient bon toujours. Intactes encore et comme presque neuves, sans doute qu’elles vaudraient mieux, si elles égrenaient dans la mer les pierres de leurs créneaux, et si par leur tête frissonnaient au vent les sombres feuillages amis des ruines. »

Le Château et la tour Générale :

Vue 06 – Le Château (tour « La générale »), vers 1890, collection particulière

« Nous entrâmes dans le château. […] La femme du concierge alla chercher les clés chez le commandant. […] On monta longtemps, car la tour est haute. Le jour vif des meurtrières passe comme une flèche à travers le mur. Par leur fente, quand vous mettez la tête, vous voyez la mer qui semble s’enfoncer de plus en plus et la couleur crue du ciel qui grandit toujours, si bien que vous avez peur de vous y perdre. Les navires paraissent des chaloupes et les mâts, des badines. Les aigles doivent nous croire gros comme des fourmis. […]

Arrivés sur la plate-forme, quoique le créneau vous vienne jusqu’à la poitrine, on ne peut se défendre de cette émotion qui vous prend sur tous les sommets élancés ; malaise voluptueux, mêlé de crainte et de plaisir, d’orgueil et d’effroi, lutte de l’esprit qui jouit et des nerfs qui souffrent. On est heureux singulièrement ; on voudrait partir, se jeter, voler, se répandre dans l’air, être soutenu par les vents, et les genoux tremblent, et l’on n’ose approcher du bord. »

L’îlot du Grand Bé et la tombe de Chateaubriand :

L’îlot du Grand Bé et la tombe de Chateaubriand, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG166, Collection Gaye

Selon la notice de l’éditeur d’origine, le Voyage en Bretagne a été accompli en 1847. Or Châteaubriand décède et se fait enterrer ici juste un an plus tard, en juillet 1848. Mais cela fait dix ans qu’il a obtenu ici une concession et qu’il y a fait construire sa tombe. C’est donc une tombe encore vide à laquelle nos auteurs rendent visite, sans imaginer que son futur « hôte » rejoindra sa dernière demeure à peine un an plus tard !

« En face des remparts, à cent pas de la ville, l’îlot du Grand-Bay [sic] se lève au milieu des flots. Là se trouve la tombe de Chateaubriand ; ce point blanc taillé dans le rocher est la place qu’il a destinée à son cadavre.

Nous y allâmes un soir, à marée basse. Le soleil se couchait. L’eau coulait encore sur le sable. Au pied de l’île, les varechs dégouttelants [sic] s’épandaient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. »

Ruines sur l’îlot du Grand Bé, 1880-1920,  Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG165, Collection Gaye

« L’île est déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. Il y a sur le sommet une casemate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent.

En dessous de ce débris, à mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelques dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix.

Il dormira là-dessous, la tête tournée vers la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. »

* * *

« Nous descendîmes l’îlot, traversâmes la grève à pied. La marée venait et montait vite ; les rigoles se remplissaient ; dans le creux des rochers la mousse frémissait, ou, soulevée du bord des lames, elle s’envolait par flocons et sautillait en s’enfuyant… »

Ainsi s’interrompt le descriptif du séjour de nos auteurs à Saint-Malo. Cet ultime chapitre de leur récit étant particulièrement long et fourni, nous réserverons à un septième et ultime épisode les dernières étapes de nos auteurs : le Mont-Saint-Michel et le château de Combourg.

Christian Bernadat

Bibliographie :

Par les champs et par les grèves (voyage en Bretagne) par Gustave Flaubert

La Bretagne en relief, premiers voyages photographiques en Bretagne, Musée départemental Breton de Quimper, 2000

 
 
 
 
 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

13 − quatre =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.