Non classé
Les étrennes stéréoscopiques
Nous sommes en janvier, c’est le mois des étrennes !
D’origine romaine, les étrennes sont synonymes de bon présage et d’un présent – une offrande – faite pour souhaiter bonne fortune. Devenues un cadeau rituel pour la nouvelle année, la tradition traverse les siècles entre Noël et les premiers jours de l’année.
Au XIXe siècle, les journaux regorgent de suggestions de présents, et la stéréoscopie en fait bien entendu partie ! Par exemple, ce numéro du Tintamarre de janvier 1860 :
C’est dans le journal La Lumière – racheté en 1852 par Alexis Gaudin, éditeur stéréoscopique – qu’on retrouve le plus de suggestions élogieuses quant au choix d’un tel cadeau pour les étrennes :
ÉTRENNES PHOTOGRAPHIQUES
L’approche de la nouvelle année ramène pour nous tous tant que nous sommes, grands ou petits, riches ou pauvres, pères de famille ou célibataires — célibataires surtout — une grave préoccupation : celle des ÉTRENNES ! Il y a dans ce seul mot plusieurs problèmes à résoudre :
1° Offrir le plus beau présent possible en dépensant le moins qu’on puisse ;
2° Choisir un cadeau qui plaise, tout en tenant compte de l’âge, du sexe et de la situation sociale de la personne à qui on l’offre ;
3° Faire preuve de goût et d’attention en choisissant autre chose que ce qui se donne vulgairement : bonbons en cornets, en boîtes, en paniers, sous enveloppes, etc., etc. ;
4° Se conformer aux convenances qui défendent, à moins d’une intimité reconnue, d’offrir aucun objet ayant une valeur intrinsèque trop peu déguisée, comme si tout cadeau, quel qu’il soit, ne représentait pas un nombre plus ou moins grand de pièces de cent sous, de napoléons ou de billets de banque.
Il y aurait un moyen bien simple de se conformer aux exigences de l’usage, en résolvant à la fois tous les problèmes ci-dessus posés, et c’est surtout à la Lumière qu’il appartient de le recommander ; car ce moyen, c’est à la photographie que nous le devons.
Il s’agit tout uniment de substituer aux objets que l’on est convenu de consacrer aux étrennes, un stéréoscope et une collection plus ou moins nombreuse d’épreuves stéréoscopiques.
L’avantage d’un pareil système n’est pas difficile à prouver, surtout à des lecteurs comme ceux de la Lumière.
Nous avons dit qu’on y trouvait la solution de tous les problèmes énumérés plus haut.
En effet :
On peut, pour le prix que coûtent deux livres de marrons glacés, se procurer un stéréoscope et douze épreuves. C’est moins classique, mais c’est plus amusant, et cela dure davantage.
Rien n’empêche, bien entendu, de dépenser beaucoup plus, en augmentant indéfiniment le nombre des épreuves.
C’est un cadeau que les susceptibilités les plus délicates n’auront aucun scrupule d’accepter, les productions artistiques n’ayant pas de prix.
C’est nouveau, c’est intelligent, et cela nécessite dans le choix des sujets un discernement qui ne peut manquer d’être très-favorablèment remarqué.
Et pourtant, disons-le tout bas, combien ce choix est rendu facile par la variété des oeuvres charmantes publiées par nos laborieux artistes, et que vous trouverez toutes réunies au bureau du journal,—non pas avenue dé Saint-Cloud, dans l’humble maisonnette du rédacteur en chef, mais dans le palais de la rue de la Perle.
Déjà, nous avons vu se presser, dans ces galeries du stéréoscope, la foule des donneurs d’étrennes, et par le genre des collections qu’ils choisissaient, il nous était aisé de deviner à quelles personnes on les destinait.
Les uns faisaient main basse sur les vues de Suisse, d’Italie, d’Espagne ou de Hollande.—Ils ne laissaient de côté ni un chalet, ni un campanile, ni une posada, ni un moulin.—Ceux-là évidemment cherchaient à rappeler des souvenirs de voyage. D’autres élaguaient de ces trésors photographiques tout ce qui n’était pas reproduction de monuments ou d’oeuvres d’art. —Ceux-là préparaient certainement une agréable surprise à un artiste ami. Le plus grand nombre s’emparaient des sujets comiques, si spirituellement composés par le Gavarni du stéréoscope, et riaient d’avance de l’hilarité gauloise que ces charges amusantes allaient provoquer.
Enfin, il en était — et ce n’étaient pas les moins nombreux, — qui, après avoir choisi avec soin parmi les gracieux sujets que renferme la série des scènes de moeurs, romans animés dont chaque chapitre est un intéressant tableau, finissaient par prendre la collection tout entière. — Ces derniers, à coup sûr, destinaient à de beaux yeux la lecture attrayante de ces pages tracées par le blond Phébus.
Un avantage positif de ce genre de cadeaux sur les étrennes futiles , c’est que, destinés parfois à une seule personne, ils sont appelés à charmer pendant de longues soirées toute la procession de visiteurs. Que de fois même on leur devra le moyen de ranimer et souvent d’éviter des conversations languissantes !
Le carnet fantastique
Il fait froid, c’est quasiment l’hiver… l’occasion de lire au chaud une nouvelle fantastique qui se déroule à la même période. Nous suivons deux amis et leur aventure autour d’un carnet magique sous la plume de Pauline Lefrère-Deruelle, Anna-Rosa Lenz et Romane Martegoute.
Il s’agit d’une nouvelle fantastique réalisée en 2022 par les élèves de 4e du collège Leroi Gourhan du Bugue, dans le cadre d’une résidence artistique.
Nous conservons la mise en page du livre électronique édité par les classes et disponible en entier en cliquant sur la couverture ci-dessous :
Pour lire la nouvelle, faire défiler les pages en cliquant sur les flèches latérales, ou attendre qu’elles défilent d’elles-même (ou laisser la souris sur l’image) :
Vues stéréoscopiques présentées (cliquer dessus pour les afficher sur La Stéréothèque) :
Les meubles hantés
Ce mois-ci, à l’approche de Halloween, nous publions une nouvelle fantastique réalisée en 2022 par les élèves de 4e du collège Leroi Gourhan du Bugue, dans le cadre d’une résidence artistique.
Nous conservons la mise en page du livre électronique édité par les classes et disponible en entier en cliquant sur la couverture ci-dessous :
Pour lire la nouvelle, faire défiler les pages en cliquant sur les flèches latérales, ou attendre qu’elles défilent d’elles-même (ou laisser la souris sur l’image) :
Vues stéréoscopiques présentées (cliquer dessus pour les afficher sur La Stéréothèque) :
Florence, berceau de la Renaissance italienne et pionnière en matière de conservation du patrimoine
Cliquer sur les vues stéréoscopiques afin de les afficher sur la Stéréothèque avec leur notice et parfois leur anaglyphe (rouge et bleu)
Septembre, mois des journées annuelles du patrimoine, est, pour le Stéréopôle, l’occasion de mettre l’accent sur un haut lieu de l’histoire de l’art. Cette année, nous entraînerons le lecteur vers Florence, capitale de la Toscane, célèbre pour avoir largement contribué à l’éclosion de la Renaissance italienne, dès la toute fin du XIVe siècle. En peinture, c’est ici que, pour la première fois, a été maîtrisée la mise en scène de la perspective. En sculpture, Michel-Ange et plusieurs autres dépassèrent leurs limites et concrétisèrent un art abouti qui devint un modèle dans toute l’Europe. Et, ici, les architectes mirent au point d’audacieuses techniques de construction et inventèrent une esthétique spécifique qui devint l’emblème de la Renaissance toscane.
À l’occasion de ces journées de septembre, il est à la fois intéressant de célébrer ce patrimoine exceptionnel et, en même temps, de souligner comment, très tôt au cours du XIXe siècle, la cité toscane – qui a toujours eu pleine conscience du caractère exceptionnel de son patrimoine – s’est montrée précurseur dans la mise en œuvre d’une politique de conservation et de sauvegarde de ses richesses. Ainsi, à partir du milieu du XIXe siècle, on décida d’achever progressivement les façades en marbre de certains édifices religieux, façades qui étaient restées inachevées jusque-là. Et, vingt ans plus tard, on prit la précaution de réaliser des copies de certaines sculptures majeures, jusque-là exposées en extérieur, afin de les mettre à l’abri des intempéries et des dégradations des visiteurs.
Flânerie culturelle à travers le cœur historique de la ville :
Parcourons donc la ville historique, en nous arrêtant sur les sites majeurs de cette ville-musée, qui ont été, pour la plupart, très tôt immortalisés par les photographes, y compris en stéréoscopie. Ce sera l’occasion de mettre en valeur une fois de plus la richesse de nos fonds, notamment ici celle de la collection Magendie.
La place de la Seigneurie et le David de Michel-Ange :
La place de la Seigneurie était le centre politique de la capitale Toscane. Le massif Palazzo Vecchio (Palais Vieux) y occupe l’emplacement principal depuis la dernière année du XIIIe siècle. Cosme 1er de Médicis en fit l’emblème de son pouvoir ; ce prince ne cessa d’en embellir les alentours, transformant cette place en véritable musée à ciel ouvert, magnifiant le travail des meilleurs sculpteurs de la Renaissance italienne : Michel-Ange, bien sûr, mais aussi Donatello, Ammannati ou Jean Bologne.
En 1873, la décision fut en effet, prise pour préserver le marbre, pouvant souffrir de l’accumulation des intempéries ainsi que des indélicatesses des visiteurs (déjà nombreux à cette époque) de mettre à l’abri dans la Galerie de l’Académie cette extraordinaire sculpture, ainsi que le lion Marzocco de Donatello érigé à proximité. Cette décision de sauvegarde fut extrêmement précoce et préfigura une politique aujourd’hui assez fréquente en Europe : la mise à l’abri des sculptures d’extérieurs les plus exposées aux intempéries et leur remplacement par des copies.
Sculpter le David fut pour Michel-Ange un véritable exploit. Le sculpteur, encore au début de sa carrière, accepta le défi d’exécuter, entre 1501 et 1504, le portrait en pied de ce héros antique dans un seul bloc de marbre de plus de 5 mètres de haut ; par son attitude fièrement campée, ce David se veut le symbole de la détermination de la jeune république de Florence face à ses ennemis.
La loggia des Lanzi :
Florence, la loggia des Lanzi, photographes inconnus, collection Magendie, extérieur Mag5013 (1865-1875), intérieur Mag5016 (1860-1880)
Sur le côté de la place, à la perpendiculaire du Palazzo Vecchio, la Loggia des Lanzi a initialement été construite entre 1373 et 1382 pour accueillir les assemblées communales. Ensuite, sous Cosme 1er de Médicis, elle a servi à abriter le corps de garde du duc, les Lanzi, d’où le nom qui lui est resté. Puis, ce bâtiment a progressivement été transformé en galerie d’exposition de sculptures. Aujourd’hui annexe de la Galerie des Offices, la loggia abrite une douzaine de sculptures, toutes dans leur version originale.
Parmi les plus renommées, il faut citer L’Enlèvement d’une Sabine, Hercule terrassant le centaure Nessus de Jean Bologne, et surtout l’extraordinaire Persée montrant la tête de la Méduse exécuté entre 1545 et 1553 par Benvenuto Cellini ; dès son exposition ici, il fut unanimement considéré comme un chef-d’œuvre. Il fait partie des symboles de cette Renaissance italienne qui est d’abord toscane.
Pourtant, dans nos collections, c’est L’Enlèvement de Polyxène que nous trouvons, sculpté bien plus tardivement par Pio Fedi en 1866 ; c’était alors l’ultime nouveauté installée dans la loggia, ce qui explique sans doute qu’elle ait été photographiée à peine quelques années après sa mise en place.
L’autre volet de la politique florentine de mise en valeur du patrimoine s’est concrétisé par l’achèvement des façades de plusieurs édifices religieux qui n’avaient pas pu être terminées, faute de moyens, depuis leur construction, en reproduisant, par souci d’unité, le style « Renaissance florentine » inauguré par le baptistère Saint-Jean, la cathédrale Santa Maria del Fiore et la basilique Santa Maria Novella.
Le baptistère Saint-Jean et la cathédrale Santa Maria del Fiore (le « Duomo ») :
Le baptistère Saint-Jean fut couvert d’une alternance de marbres blancs et verts très précocement, peut-être dès sa reconstruction commencée en 1128. Même si, par la suite, le style évolua et devint plus complexe, ce type de finition des façades extérieures va être choisi par les édiles florentins et les architectes comme emblématique de la cité : il devint le modèle du style « Renaissance florentine » qui sera ensuite décliné au cours des siècles suivants à Florence, puis au sein de toute la Toscane, dont Pise et Sienne.
Progressivement, au cours des siècles qui ont suivi sa construction, on décida d’habiller les quatre portes de l’édifice de panneaux en bronze forgé ou fondu illustrant des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cet ouvrage s’étala sur plus de 120 années, de 1330 à 1452.
La porte sud montrée ci-dessus est la plus ancienne : elle a été exécutée par Andrea Pisano en 1330. C’est par contre la dernière des portes réalisées, la porte est, sculptée par Ghiberti en 27 ans de travail entre 1425 et 1452, illustrant le Paradis dans un style complexe et enlevé, qui est en général considérée comme le point de départ officiel de la Renaissance à Florence.
La cathédrale Santa Maria del Fiore (le « Duomo) :
La cathédrale Sainte-Marie de la Fleur a été édifiée aux XIIIe et XIVe siècles, avec la volonté de manifester la grandeur de Florence. Rien que ses dimensions gigantesques (155 m de long sur 90 de large et 107 m de haut) font de ce sanctuaire un des plus grands de la chrétienté. Sa construction, commencée en 1296, concrétise un projet d’Arnolfo di Cambio, le maître de l’architecture florentine de cette fin du XIIIe siècle. Certes, si on l’examine en détail, elle applique les grands principes du style gothique qui couvrait alors l’Europe. Mais le maître architecte, en déclinant ici l’alternance des marbres blancs et verts déjà utilisés pour le baptistère, dans le but de créer une impression d’unité de l’ensemble, inaugure en fait un véritable style qui va rapidement devenir non seulement l’emblème de l’architecture religieuse florentine, mais bientôt celui de toute la Toscane, et, au-delà, qui va concrétiser un des volets de la Renaissance elle-même en architecture. Cet édifice nécessita tout de même 120 ans d’efforts financiers à la ville (en faisant abstraction de sa façade), illustration, s’il en fallait, du caractère titanesque de ces travaux.
Au-delà du caractère exceptionnel et somptueux de l’ensemble (on ne connaît aucun édifice aussi beau dans le monde chrétien de l’époque), l’édification de sa coupole fut en soi une prouesse, avec ses 50 mètres de diamètre et ses 91 mètres d’élévation au-dessus du chœur. Lorsque sa construction est entreprise, en 1420, aucun dôme d’une telle ampleur n’a jamais été édifié. Missionnés successivement dans ce but, les architectes de l’époque jettent l’éponge les uns après les autres, incapables de résoudre le problème de l’immense poussée que suppose ce bâti, qui aurait en outre nécessité un échafaudage d’une ampleur inédite depuis le sol, que l’on pensait ne pas savoir construire. C’est finalement Filippo Brunelleschi, de retour de Rome, qui accepte de relever le défi, en imaginant deux calottes imbriquées, reliées entre elles par un réseau complexe d’arcs et de contreforts, qui en firent sans doute la première structure autoporteuse au monde : la coupole fut ainsi édifiée uniquement au moyen d’échafaudages suspendus en porte-à-faux aux parties déjà construites, les blocs de pierre pouvant peser jusqu’à trois tonnes chacun, élevés par des machines conçues par l’architecte lui-même. Le caractère incroyable de cette audacieuse prouesse technique fit l’admiration unanime de ses contemporains, à commencer par les Florentins eux-mêmes qui, durant les 14 années que dura le chantier, venaient régulièrement assister au spectacle de celui-ci. En elle-même, cette prouesse architecturale est caractéristique de l’esprit de la Renaissance : ne pas se contenter de reproduire le passé mais se dépasser en inventant des techniques inédites…
Toutefois, malgré les immenses efforts financiers que représenta ce chantier, les ressources virent à manquer, et l’on n’acheva pas l’édifice par une façade digne du reste du bâtiment. Elle demeura donc plusieurs siècles un simple mur où alternaient toutefois les bandes de marbres blancs et de marbres verts.
Une tentative d’achèvement eut pourtant lieu en 1587-1588, selon des plans de Bernardo Poccetti ; mais elle ne fut pas jugée satisfaisante et resta en partie inachevée, seule la partie basse étant décorée.
Et c’est finalement en 1852 que fut lancé un concours pour l’achèvement de cette façade selon un modèle fidèle au projet d’Arnolfo di Cambio, avec la volonté affirmée de prolonger l’esthétique caractéristique de l’âge d’or de la cité. Cette version fut achevée et inaugurée en 1887. La vue présentée ci-dessus a donc été prise à peine quinze à vingt années après son achèvement.
La basilique di Santa Croce (Sainte-Croix) :
Avant la façade de la cathédrale, toutefois, le premier cas d’achèvement tardif d’une façade à Florence, dans le style Renaissance imaginé par Arnolfo di Cambio, est celui de la basilique Santa Croce, à l’est de la place de la Seigneurie.
Cet édifice avait été bâti à partir de 1295, sur des dessins d’Arnolfo di Cambio lui-même ; mais ici, l’architecte n’avait pas prévu d’habiller les façades latérales d’un revêtement de marbres bicolores. Faute de moyens, sa façade resta inachevée, en simples pierres brutes.
De 1857 à 1863, on décida de doter cette façade d’un habillage de style « Renaissance florentine », mélangeant harmonieusement les alternances de marbres blancs et verts, dans l’esprit du baptistère Saint-Jean, de la cathédrale ou de l’église Santa Maria Novella.
La basilique Santa Maria Novella :
À l’ouest de Florence, la construction de la basilique Santa Maria Novella a été commencée en 1279. Même si elle n’a été achevée que quatre-vingts ans plus tard, en 1360, elle est érigée à l’époque même où s’épanouit le style « Renaissance italienne » s’appuyant sur une décoration de marbres blancs et verts. Même s’il fallut attendre 1465 pour que la façade soit achevée par l’architecte Leon Batista Alberti, en intégrant les éléments esthétiques qui plaisaient tant, imaginés par ses précurseurs, la façade de Santa Maria Novella adopta d’emblée le style Renaissance qui s’épanouit dans la cité toscane.
De cet édifice, nos collections ne contiennent que des vues d’un des cloîtres, sans doute ici le « cloître vert ».
Cette basilique abrite pourtant un très grand nombre de chefs-d’œuvre. L’un d’entre eux correspond particulièrement bien avec notre propos : l’éclosion de la Renaissance à Florence. On trouve en effet, dans la nef de cet édifice, une fresque essentielle pour l’histoire de la peinture, La Trinité, peinte par Masaccio en 1427. Le peintre y concrétise pour la première fois les règles de la perspective mathématique qui viennent d’être définies dans cette même ville, seulement quelques années plus tôt, par l’architecte Brunelleschi. Il s’agit donc à la fois d’une étape essentielle de l’histoire de l’art et d’un « coup double » florentin, grâce à la synergie entre un architecte et un peintre, tous deux florentins et imprégnés de cet esprit de défricheur qui caractérise le mouvement de la Renaissance.
La basilique San Lorenzo et la chapelle des princes de Médicis :
La basilique San Lorenzo, édifiée sur des plans de Brunelleschi à partir de 1420, est bien un produit de la Renaissance florentine. Mais, son architecture, bien plus traditionnelle que les édifices précédents, ne retiendra pas ici notre propos.
Par contre, les princes de Médicis décidèrent de faire ici leur nécropole princière. Ce projet ne prit corps que progressivement ; de ce fait, elle est constituée de plusieurs édifices successifs accolés à la basilique, dont le plus récent, et certainement le plus abouti, est la chapelle des Princes, immense bâtiment en forme de losange coiffé d’une impressionnante coupole, l’ensemble étant entièrement revêtu de marbres précieux et de marqueterie de pierres dures. Mais cette œuvre, réalisée au début du XVIIe siècle, sort de notre propos.
Par contre, deux siècles avant cet édifice, en 1520, une chapelle funéraire fut commandée par la famille de Médicis à Michel-Ange. C’était la première œuvre d’architecture de cet artiste aux compétences multiples. Il y réalisa aussi la décoration intérieure, en particulier deux magnifiques tombeaux, dont celui ci-dessus, de Julien de Médicis, duc de Nemours, mort à 35 ans en 1516, figuré en empereur romain dominant les allégories du Jour et de la Nuit.
Malheureusement, l’artiste quitta Florence en 1534 (n’approuvant pas le régime politique tyrannique d’Alexandre de Médicis) avant d’avoir achevé son œuvre. Le tombeau fut terminé, en respectant son projet, par les sculpteurs Vasari et Ammannati. Cette œuvre sculptée et sa jumelle en vis-à-vis, destinée à abriter Laurent II, mort en 1519, comptent parmi les grands chefs-d’œuvre de la Renaissance.
La galerie des Offices, écrin des œuvres majeures de la Renaissance florentine :
La salle de Niobe est décorée de toiles de Rubens. Toutefois, au rang des chefs-d’œuvre absolus de la Renaissance, il conviendrait de citer la Naissance de Vénus et le Printemps de Sandro Botticelli, exposés dans la galerie des Offices parmi un grand nombre d’œuvres peintes de cette époque. La Stéréothèque n’en détient malheureusement pas de vue.
* * *
Florence compte de nombreux autres chefs-d’œuvre et la Stéréothèque détient encore de nombreuses autres vues de la capitale Toscane.
Les œuvres qui viennent d’être évoquées illustrent de manière caractéristique l’esprit de la Renaissance et suffisent à illustrer le rôle prépondérant que joua la cité de Florence dans l’origine d’un mouvement majeur de l’histoire de la pensée et de l’art, en permettant à tant d’artistes de premier plan – en grande partie grâce au mécénat des princes de Médicis – de parfaire leur art dans un esprit de grande innovation.
Ensuite, consciente du rôle qu’elle occupa dans l’émergence de cette étape de l’art, la ville sut, au XIXe siècle, achever, dans le respect de cet esprit, les œuvres d’architecture qui n’avaient pas pu l’être plus tôt. Par ailleurs, cette conscience conduisit très précocement les édiles à mettre à l’abri dans des galeries certaines des œuvres majeures qui étaient exposées en extérieur, en installant à leur place des copies.
* * *
Christian Bernadat
Bibliographie
Guides de tourisme
Firenze, Quadri e Sculture, Edizioni Innocenti, 2003
Florence reconstruite, Archeolibri, 2010
Voyage en Bretagne, d’après Gustave Flaubert et Maxime du Camp
Septième et dernier épisode : du Mont-Saint-Michel à Combourg
Cliquer sur les vues stéréoscopiques afin de les afficher sur la Stéréothèque avec leur notice et parfois leur anaglyphe (rouge et bleu)
Résumé des épisodes précédents :
Gustave Flaubert, âgé de vingt-six ans et son ami Maxime du Camp ont entrepris en 1847 un long périple à travers l’Anjou, la Touraine et la Bretagne, avec sacs au dos et souliers ferrés. À l’occasion, ils ne dédaignent pas néanmoins le « confort » des transports publics…
Ils font d’abord halte dans les Pays de la Loire et s’y font ouvrir les châteaux de Chambord, d’Amboise et de Chenonceau. Puis ils font étape, aux environs de Nantes, sur les terres de la Bretagne historique à Clisson, avec sa forteresse médiévale. Ils nous conduisent ensuite à Carnac, Belle-Île-en Mer, Quimper, Pont-l’Abbé, Crozon, Daoulas, Brest, Landernau et Saint-Malo.
Selon la convention qu’ils ont passée entre eux, Maxime du Camp se charge d’écrire les chapitres pairs, et Flaubert les chapitres impairs. Leur sixième et dernier chapitre a commencé à Saint-Malo que nous avons intégré dans la sixième étape ; elle se poursuit dans ce chapitre, écrit par Maxime du Camp.
Nous illustrerons cette séquence essentiellement de photos issues de la collection Magendie pour les plus anciennes, prises par François Bidet, un photographe local ; cette série est complétée de vues des collections Besson, Dumail et Société Archéologique de Bordeaux. Nous aurons aussi recours aux vues de la collection de Jean-Pierre Lassère et de celle de Vergnieux, bien plus récentes, mais indispensables pour pallier l’absence de photos du XIXe dans un certain nombre de cas.
La route entre Pontorson et le Mont-Saint-Michel :
« La route de Pontorson au mont Saint-Michel est tirante [difficile] à cause des sables. Notre chaise de poste (car nous allons aussi en chaise de poste) était dérangée à tous moments par quantité de charrettes remplies d’une terre grise que l’on prend dans ces parages et que l’on exporte je ne sais où pour servir d’engrais. »
Normalement, la chaise de poste était aux XVIIe et XVIIIe siècles un véhicule hippomobile de capacité restreinte, d’une ou deux places. Mais, au XIXe siècle, une certaine confusion s’est introduite dans les désignations usuelles : ainsi, la chaise de poste semble être devenue une malle-poste de petite capacité, n’assurant peut-être pas un service régulier, une sorte de taxi mobilisable à la demande.
Les charrettes de « terre grise » que nos auteurs ont observées transportent ce que les bretons appelaient le goémon, en fait un mélange d’algues et d’excréments d’oiseaux, utilisé partout en France au XIXe siècle comme engrais pour les cultures.
« Elles augmentent à mesure qu’on approche de la mer et défilent ainsi pendant plusieurs lieues, jusqu’à ce que l’on découvre enfin les grèves abandonnées d’où elles viennent. Sur cette étendue blanche où les tas de terre élevés en cônes ressemblaient à des cabanes, tous ces chariots dont la longue file remuante fuyait dans la perspective nous rappelaient quelque émigration des barbares qui se met en branle et quitte ses plaines. »
En s’approchant du mont Saint-Michel :
« En face, devant vous, un grand rocher de forme ronde, la base garnie de murailles crénelées, le sommet couronné d’une église se dresse, enfonçant ses tours dans le sable et levant ses clochetons dans l’air. D’énormes contreforts qui retiennent les flancs de l’édifice s’appuient sur une pente abrupte d’où déroulent des quartiers de rocs et des bouquets de verdure sauvage. À mi-côte, étagées comme elles peuvent, quelques maisons, dépassant la ceinture blanche de la muraille et dominées par la masse brune de l’église clapotent leurs couleurs vives entre ceux deux grandes teintes unies. »
« Çà et là, des courants d’eau passaient ; il fallait remonter plus loin. Ou bien c’étaient des places de vase qui se présentaient à l’improviste encadrant dans le sable leurs méandres inégaux. »
On comprend que du Camp et Flaubert sont descendus de leur chaise de poste et se dirigent désormais à pied vers le mont, directement sur la grève de sable et de vase. À cette époque en effet, l’accès à la Merveille n’est pas encore aménagé, et il faut cheminer en profitant du gué de marée basse.
« À nos côtés cheminaient deux curés qui venaient aussi voir le mont Saint-Michel. Comme ils avaient peur de salir leurs robes neuves, ils les relevaient autour d’eux pour enjamber les ruisseaux et sautaient en s’appuyant sur leurs bâtons. Leurs boucles d’argent étaient grises de la boue que le soleil y séchait à mesure, et leurs souliers trempés bâillaient en flaquant à tous leurs pas.
Le mont cependant grandissait. D’un même coup d’œil nous saisissions l’ensemble et nous voyions, à les pouvoir compter, les tuiles des toits, les tas d’orties dans les rochers et, tout en haut, les lames vertes d’une petite fenêtre qui donne sur le jardin du gouverneur. »
Arrivée au mont Saint-Michel :
« La première porte étroite et faite en ogive s’ouvre sur une sorte de chaussée de galets descendant à la mer ; sur l’écu rongé de la seconde, des lignes onduleuses taillées dans la pierre, semblent figurer des flots ;… »
« … par terre, des deux côtés, sont étendus des canons énormes faits de barres de fer reliées avec des cercles pareils. L’un d’eux a gardé dans sa gueule son boulet de granit : pris sur les Anglais, en 1423, par Louis d’Estouteville, depuis quatre siècles ils sont là. »
La montée à travers le « village » :
« Cinq ou six maisons se regardant en face composent toute la rue ; leur alignement s’arrête et elles continuent par les raidillons et les escaliers qui mènent au château, se succédant au hasard, juchées, jetées l’une par-dessus l’autre. »
« Pour y aller [au château], on monte d’abord sur la courtine dont la muraille cache aux logis d’en bas la vue de la mer. La terre paraît sous les dalles fendues ; l’herbe verdoie entre les créneaux, et dans les effondrements du sol s’étalent des flaques d’urine qui rongent les pierres. Le rempart contourne l’île et s’élève par des paliers successifs. Quand on a dépassé l’échauguette qui fait angle entre les deux tours, un petit escalier droit se présente ; de marche en marche, en grimpant, s’abaissent graduellement les toits des maisons dont les cheminées délabrées fument à cent pieds sous vous. Vous voyez à la lucarne des greniers le linge suspendu sécher au bout d’une perche avec des haillons rouges recousus, ou se cuire au soleil, entre le toit d’une maison et le rez-de-chaussée d’une autre, quelque petit jardin grand comme une table où les poreaux [les poireaux] languissant de soif couchent leurs feuilles sur la terre grise ; mais l’autre face du rocher, celle qui regarde la pleine mer, est une, déserte, si escarpée que les arbustes qui y ont poussé ont du mal à s’y tenir et, tout penchés sur l’abîme, semblent prêts à y tomber. »
Le châtelet du mont :
« Entre deux fines tourelles représentant deux pièces de canon sur leur culasse, la porte d’entrée du château s’ouvre par une voûte longue où un escalier de granit s’engouffre. Le milieu en reste toujours dans l’ombre, éclairé qu’il est à peine par deux demi-jours, l’un arrivant d’en bas, l’autre tombant d’en haut par l’intervalle de la herse ; c’est comme un souterrain qui descendrait vers vous. »
« Le corps de garde est, en entrant, au haut du grand escalier. Le bruit des crosses de fusil retentissait sous les voûtes avec la voix des sergents qui faisaient l’appel. On battait du tambour. »
Cette évocation peut paraître surprenante. Il faut savoir que, dès la fin de l’Ancien Régime, l’abbaye fut transformée en bastille provinciale. En 1811, elle devint prison pour les condamnés de droit commun et quelques condamnés politiques. L’abbaye demeurera une maison d’arrêt jusqu’en 1874, date à laquelle elle fut confiée au Service des Monuments historiques. Au moment de la visite de nos auteurs, il s’agit donc toujours d’une prison ; mais les pouvoirs publics acceptaient déjà, semble-t-il, les visites de touristes avertis.
« Un garde-chiourme nous a rapporté nos passeports que M. le gouverneur avait désiré voir ; il nous a fait signe de le suivre, il a ouvert des portes, poussé des verrous, nous a conduit à travers un labyrinthe de couloirs, de voûtes, d’escaliers. On s’y perd ; une seule visite ne suffisant pas pour comprendre le plan compliqué de toutes ces constructions réunies où, forteresse, église, abbaye, prisons, cachots, tout se trouve, depuis le roman du XIe siècle, jusqu’au gothique flamboyant du XVIe. »
Les vestiges de l’abbaye :
« Nous ne pûmes voir que par un carreau, et en nous haussant sur la pointe des pieds, la salle des chevaliers qui, servant maintenant d’atelier de tissage, est par ce motif interdite aux gens. Nous y distinguâmes seulement quatre rangs de colonnes à chapiteaux ornés de trèfles et supportant une voûte sur laquelle filent des nervures saillantes. »
« À deux cents pieds au-dessus du niveau de la mer, le cloître est bâti sur cette salle des chevaliers. Il se compose d’une galerie quadrangulaire formée d’une triple rangée de colonnettes en granit, en tuf, en marbre granitelle ou en stuc fait avec des coquillages broyés. L’acanthe, le chardon, le lierre et le chêne s’enroulent à leurs chapiteaux ; entre chaque ogive en bonnet d’évêque [on dit aujourd’hui en arc brisé] une rosace en trèfle se découpe dans la lumière ; on en fait le préau des prisonniers. »
Notons que le souvenir de l’écrivain est erroné : les colonnettes du cloître, positionnées en quinconce, ne forment qu’une double rangée.
L’église abbatiale :
« L’église a un chœur gothique et une nef romane, les deux architectures étant là comme pour lutter de grandeur et d’élégance. Dans le chœur, l’ogive des fenêtres est haute, pointue, élancée comme une aspiration d’amour ; dans la nef, les arcades l’une sur l’autre ouvrent rondement leurs demi-cercles superposés, et sur la muraille montent des colonnettes qui grimpent droites comme des troncs de palmiers. Elles appuient leurs pieds sur des piliers carrés, couronnent leurs chapiteaux de feuilles d’acanthe, et continuent au-delà par de puissantes nervures qui se courbent sous la voûte, s’y croisent et la soutiennent. »
« La nef séparée du chœur par un grand rideau de toile verte est garnie de tables et de bancs, car on l’a utilisée en réfectoire.
Quand on dit la messe, on tire le rideau, et les condamnés assistent à l’office divin sans déranger leurs coudes de la place où ils mangent. Cela est ingénieux. »
« Pour agrandir de douze mètres la plate-forme qui se trouve au couchant de l’église, on a tout bonnement raccourci l’église : mais, comme il fallait reconstruire une entrée quelconque, un architecte a imaginé de fermer la nef par une façade en style grec ; puis, éprouvant peut-être des remords ou voulant, ce qui est plus croyable, raffiner son œuvre, il a rajouté après coup des colonnes à chapiteaux « assez bien imités du XIe siècle », dit la notice. […] Chacun des arts a sa lèpre particulière… »
« Le lendemain, quand la grève se fut découverte encore, nous partîmes du mont Saint-Michel par un ardent soleil qui chauffait les cuirs de la voiture et faisait suer les chevaux. Nous avancions au pas ; les colliers craquaient, les roues enfonçaient dans le sable. Au bout de la grève, quand le gazon a paru, j’ai appliqué mon œil à la petite lucarne qui est au fond des voitures et j’ai dit adieu au mont Saint-Michel. »
Combourg :
La commune est située au sud-est du mont Saint-Michel, presque à mi-chemin en direction de Rennes. Même s’ils ne nous le disent pas, on comprend que nos voyageurs ont l’intention de repartir vers Paris à partir de Rennes.
« Une lettre du vicomte de Vesin devait nous ouvrir l’entrée du château. Aussi à peine arrivés nous allâmes chez M. Corvesier qui en est le régisseur. […]
Evidemment, nous dérangions. Au bout de quelques minutes, on descendit nous dire que M. Corvesier, malade et grelottant de la fièvre dans son lit, était bien désolé de ne pouvoir nous rendre ce service […]. Cependant, son commis, qui venait de rentrer de course et faisait la collation dans la cuisine en buvant un verre de cidre et en mangeant une tartine de beurre, s’offrit à sa place à nous monter le château. »
Rappelons que le château de Combourg fut celui de la famille de François-René de Chateaubriand qui y passa douze années de sa jeunesse, de 1777 à 1789. Mais, dès 1786, le père étant décédé, c’est le frère aîné des Chateaubriand qui en hérite et qui en néglige l’entretien. Après son pillage et un incendie partiel en 1793, le château est restitué à la famille en 1796. À la date de la visite de nos auteurs, la demeure est donc toujours propriété de la famille, celle des descendants de la branche aînée des Chateaubriand.
Et c’est bien dans les souvenirs du célèbre homme de lettres préromantique que nos voyageurs espèrent se plonger ici. Mais ce qu’ils découvrent est un château toujours en grande partie à l’abandon ; cette description édifiante eut semble-t-il un assez grand retentissement à Paris : pensez donc, le lieu où le grand Chateaubriand passa son enfance, et dont il parle tant dans son œuvre, était en grande décrépitude !
« Quatre grosses tours, rejointes par des courtines, laissent voir sous leur toit pointu les trous de leurs créneaux qui ressemblent aux sabords d’un navire, et les meurtrières dans les tours, ainsi que sur le corps du château de petites fenêtres irrégulièrement percées, font des baies noires inégales sur la couleur grise des pierres. Un large perron d’une trentaine de marches monte tout droit au premier étage, devenu le rez-de-chaussée des appartements de l’intérieur depuis qu’on en a comblé les douves. »
« Quand la clé eut tourné dans la serrure et que la porte, poussée à coups de pieds, eut grincé sur le pavé collant, nous entrâmes dans un couloir sombre qu’encombraient des planches et des échelles avec des cercles de futailles et des brouettes.
Ce passage vous mène à une petite cour comprise entre les pans intérieurs du château et resserrée par l’épaisseur des murs. Le jour n’arrive que d’en haut, comme dans un préau de prison. Dans les angles, des gouttes humides coulaient le long des pierres.
Une autre porte fut ouverte. C’était une vaste salle dégarnie, sonore ; le dallage est brisé en mille endroits ; on a repeint le vieux lambris.
Par les grandes fenêtres, la teinte verte des bois d’en face jetait un reflet livide sur la muraille blanchie. Tout à leur pied le lac [en fait une mare au pied du château !] est répandu, étalé sur l’herbe parmi les joncs ; sous les fenêtres, les troènes, les acacias et les lilas, poussés pêle-mêle dans l’ancien parterre, couvrent de leur taillis sauvage le talus qui descend jusqu’à la grande route ; elle passe sur la berge du lac et continue ensuite par la forêt. »
« Rien ne résonnait dans la salle déserte où jadis, à cette heure, s’asseyait sur le bord de ces fenêtres l’enfant qui fit René. […] Nous avons monté les escaliers tournants. Le pied trébuche, on tâtonne des mains. Sur les marches usées, la mousse est venue. Souvent un rayon lumineux, passant par la fente des murs et frappant dessus d’aplomb, en fait briller quelque petit brin vert qui, de loin, dans l’ombre, scintille comme une étoile.
Nous avons erré partout : dans les longs couloirs, sur les tours, sur la courtine étroite dont les trous des mâchicoulis béants, tirent l’œil en bas vers l’abîme. »
« Donnant sur la cour intérieure, au second étage, est une petite pièce basse dont la porte de chêne, ornée de ramures moulées, s’ouvre par un loquet de fer. Les poutrelles du plafond, que l’on touche avec la main, sont vermoulues de vieillesse ; les lattes paraissent sous le plâtre de la muraille qui a de grandes taches sales ; les carreaux de la fenêtre sont obscurcis par la toile des araignées et leurs châssis encroûtés dans la poussière. C’était là sa chambre. Elle a vue vers l’ouest, du côté du soleil couchant.
Nous continuâmes ; nous allions toujours… […] Dans les chambres, les parquets pourris s’effondrent, le jour descend par les cheminées, le long de la plaque noircie où les pluies ont fait de longues traînées vertes. Le plafond du salon laisse tomber ses fleurs d’or et l’écusson qui en surmonte le chambranle est cassé en morceaux. Comme nous étions là, une volée d’oiseaux est entrée tout à coup, a tourbillonné avec des cris et s’est enfuie par le trou de la cheminée. »
« Le soir, nous avons été sur le bord du lac, de l’autre côté de la prairie. […] La nuit tombait. Le château, flanqué de ses quatre tourelles, encadré dans sa verdure et dominant le village qu’il écrase, étendait sa grande masse sombre. Le soleil couchant, qui passait devant sans l’atteindre, le faisait paraître noir, et ses rayons, effleurant la surface du lac, allaient se perdre dans la brume, sur la cime violette des bois immobiles. »
« Assis sur l’herbe, au pied d’un chêne, nous lisions René. Nous étions devant ce lac où il contemplait l’hirondelle agile sur le roseau mobile, à l’ombre de ces bois où il poursuivait l’arc-en-ciel sur les collines pluvieuses ; nous écoutions ce frémissement de feuilles, ce bruit de l’eau sous la brise, qui avaient mêlé leur murmure à la mélodie éplorée des ennuis de jeunesse. À mesure que l’ombre tombait sur les pages du livre, l’amertume des phrases gagnait nos cœurs et nous fondions avec délices dans je ne sais quoi de large, de mélancolique et de doux. »
Une fois rentrés à leur hôtel, du Camp et Flaubert se perdent dans leurs rêveries, mettant en scène l’enfant Chateaubriand :
« Sa chambre ! sa chambre ! sa pauvre petite chambre d’enfant ! C’est là que tourbillonnaient, l’appelaient des fantômes confus qui tourmentaient ses heures en lui demandant à naître : Atala secouant au vent des Florides les magnolias de sa chevelure ; Velléda, au clair de lune, courant sur la bruyère ; Cymodocée, et la blanche Amélie, et le pâle René ! »
* * *
« Nous nous en allâmes fort tristes de Combourg ; et puis la fin de notre voyage approchait. Bientôt allait finir cette fantaisie vagabonde que nous menions depuis trois mois avec tant de douceur. Le retour aussi, comme le départ, a ses tristesses anticipées qui vous envoient par avance la fade exhalaison de la vie qu’on traîne… »
Ici s’achève le récit de ce Voyage en Bretagne de Gustave Flaubert et Maxime du Camp, et, pour nous, la relation illustrée que nous en avons faite par épisodes, entamée depuis une année et demie…
Christian Bernadat
* * *
Bibliographie :
Par les champs et par les grèves (voyage en Bretagne) par Gustave Flaubert [En ligne].
La Bretagne en relief, premiers voyages photographiques en Bretagne, Musée départemental Breton de Quimper, 2000.
« L’Univers – collection des vues les plus pittoresques du globe » de Jules Janin – édition ~1840.
Château de Combourg, Wikipédia
Le Voyage aux Pyrénées selon Hippolyte Taine en 1855
Douzième épisode : ultime étape à Toulouse
Cliquer sur les vues stéréoscopiques afin de les afficher sur la Stéréothèque avec leur notice et parfois leur anaglyphe (rouge et bleu)
Rappel des épisodes précédents :
Hippolyte Taine a entrepris son Voyage aux Pyrénées en 1855 dans le but de suivre une cure thermale, traitement très recherché dans la bonne société parisienne. À seulement 27 ans, délaissant un temps ses activités littéraires, voici notre écrivain voyageur engagé dans un long périple pour l’époque : Bordeaux, Royan, Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Orthez, Pau, puis Les Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, où il s’établit le temps de prendre ses soins, entrecoupés d’excursions dans les environs. Avant de rentrer à Paris, il reprend toutefois un circuit touristique vers l’est des Pyrénées : cela le conduit d’abord à Saint-Sauveur et Luz ; puis lui et son ami Paul font étape à Tarbes et à Bagnères-de-Bigorre, et enfin à Bagnères-de-Luchon. Ce sera leur dernière étape dans les Pyrénées, avant un ultime arrêt à Toulouse d’où ils reprendront vraisemblablement le train pour Paris.
Pour cette dernière chronique, notre source unique sera la collection Magendie. Et, hormis une vue tirée des Voyages aux Pyrénées de Charles-Paul Furne & Henri Tournier, toutes les autres photos sont malheureusement de photographes inconnus.
La plaine de Martres (aujourd’hui Martres-Tolosane) :
Notre ami ne s’étend pas sur leur départ de Bagnères-de-Luchon. Il nous livre simplement une description rapide de l’arrivée dans la plaine, qui semble provoquer chez lui et son compagnon un soulagement, alors même qu’ils nous ont abondamment livré leur admiration des paysages de montagne.
« Quand, après deux mois de séjour dans les Pyrénées, on quitte Luchon, et qu’on trouve le pays plat près de Martres, on est charmé et l’on respire à l’aise : on était las, sans le savoir, de ces barrières éternelles qui fermaient l’horizon ; on avait besoin d’espace. On sentait que l’air et la lumière étaient usurpés par ces protubérances monstrueuses, et qu’on était non en pays d’hommes, mais en pays de montagnes. On souhaitait à son insu une vraie campagne, libre et large.
Celle de Martres est aussi unie qu’une nappe d’eau, populeuse, fertile, peuplée de bonnes plantes, bien cultivée, commode pour la vie, patrie de l’abondance et de la sécurité. […] Une route blanche et plate allait en droite ligne jusqu’au bout de l’horizon et finissait par un amas de maisons rouges ; le clocher pointu dressait son aiguille dans le ciel ; sauf le soleil, on eût dit un paysage flamand. […] De vieilles maisons, des toits de chaume bosselés, appuyés les uns sur les autres, des machines à chanvre étalées aux portes, de petites cours pleines de baquets, de brouettes, de paille, d’enfants et d’animaux, un air de gaieté et de bien-être ; par-dessus tout le grand illuminateur du pays, le décorateur universel, l’éternel donneur de joie, le soleil, versait à profusion sa belle lumière chaude sur les murs de briques rougeâtres, et découpait des ombres puissantes dans des crépis blancs. »
Bref, notre Hippolyte Taine est un homme des plaines…
Toulouse :
Le Capitole :
« Toulouse apparaît, toute rouge de briques, dans la poudre rouge du soir. Triste ville, aux rues caillouteuses et étranglées. »
« L’hôtel de ville, nommé Capitole, n’a qu’une entrée étroite, des salles médiocres, une façade emphatique et élégante dans le goût des décors de fêtes publiques. Pour que personne ne doute de son antiquité, on y a inscrit le mot : Capitolium. »
Mais, dommage : notre auteur et son compagnon sont, semble-t-il, passés à côté de la galerie de prestige du palais : la salle des illustres.
La cathédrale Saint-Étienne :
« La cathédrale Saint-Étienne n’est remarquable que par […] le chœur [qui, ne manque pas de beauté ni de grandeur. »
Le Musée des Augustins :
« Mais ce qui frappe la plus au sortir des montagnes, c’est le musée. On trouve enfin la pensée, la passion, le génie, l’art, toutes les plus belles fleurs de la civilisation humaine. »
« C’est une large salle éclairée, bordée de deux petites galeries plus hautes, qui font demi-cercle, remplie de tableaux de toutes les écoles, dont plusieurs sont excellents. »
Taine cite un certain nombre de tableaux qui font son admiration :
- un Murillo représentant Saint Diego et ses religieux,
- un Martyre de Saint-André, par le Caravage,
- une Cérémonie de l’ordre du Saint-Esprit en 1635, par Philippe Champagne…
Notre auteur retrouve désormais sa véritable nature, celle d’un honnête homme qui se livre à l’une de ses activités favorites : la fréquentation des lieux de culture tels que ce Musée.
Il commente encore :
- la charmante Marquise de Largillière,
- un Christ crucifié de Rubens,
- un tableau de Glaize, la Mort de saint Jean-Baptiste qu’il dit célèbre,
- l’élégance du tableau de Schoppin, Jacob devant Laban et ses deux filles,
- et Muley [aujourd’hui écrit Moulay) Abd-el-Rhaman par Eugène Delacroix.
« Au-dessous du musée est une cour carrée fermée par une galerie de minces colonnettes, qui vers le haut se courbent et se découpent en trèfles, et font bordure d’arcades. »
Monsieur Taine, c’est ce que l’on appelle un cloître !
« On a réuni sous cette galerie toutes les antiquités du pays : fragments de statues romaines, bustes sévères d’empereurs, vierges ascétiques du Moyen-Âge, bas-reliefs d’églises et de temples, chevaliers de pierre couchés tout armés sur leur cercueil. »
« La cour était déserte et silencieuse ; de grands arbres élancés, des arbrisseaux touffus, brillaient du plus beau vert ; un soleil éclairant tombait sur les tuiles rouges de la galerie ; une vieille fontaine, chargée de colonnettes et de têtes d’animaux, murmurait près d’un banc de marbre veiné de rose ; on voyait une statue de jeune homme entre les branches ; des tiges de houblon vert montaient autour des colonnes brisées. »
« Ce mélange d’objets champêtres et d’objets d’art, ces débris de deux civilisations mortes et cette jeunesse des plantes fleuries, ces rayons joyeux sur les vieilles tuiles, rassemblaient dans leurs contraintes tout ce que j’avais vu depuis deux mois ».
* * *
C’est sur ces mots que ce termine le récit de ce voyage qui se conclut par la gravure ci-dessous.
Avons-nous conscience aujourd’hui de la modernité qui se dégageait de ce dessin pour l’œil du lecteur de l’époque : les lettres « FIN » montant en panaches de fumée de locomotives entrant sous la verrière d’une gare parisienne ?
Le chemin de fer à vapeur n’est en effet familier aux parisiens que depuis une trentaine d’années à la date de publication de cet ouvrage !
Accessoirement, ce décor d’apparence totalement hors du sujet de l’ouvrage semble bien confirmer un retour de notre auteur et de son compagnon de voyage par le train.
Quant à nous, cette douzième étape clôt ce premier feuilleton d’un voyage stéréoscopique entrepris il y a plus de deux années et demie…
Christian Bernadat
* * *
Bibliographie :
Voyage en Bretagne, d’après Gustave Flaubert et Maxime du Camp. Sixième épisode
Sixième épisode : En route jusqu’à Saint-Malo en passant par Landernau et la Bretagne du nord.
Saint-Malo, sur le port, 1857, Photographe : Paul Charles Furne, Collection Calvelo, CAL0223
Résumé des épisodes précédents :
Gustave Flaubert, âgé de vingt-six ans et son ami Maxime du Camp ont entrepris en 1847 un long périple à travers l’Anjou, la Touraine et la Bretagne, avec sacs au dos et souliers ferrés. À l’occasion, ils ne dédaignent pas néanmoins le « confort » des transports publics…
Ils font d’abord halte dans les Pays de la Loire et s’y font ouvrir les châteaux de Chambord, d’Amboise et de Chenonceau. Puis ils font étape, aux environs de Nantes, sur les terres de la Bretagne historique à Clisson, avec sa forteresse médiévale. Ils nous conduisent ensuite à Carnac, Belle-Île-en Mer, Quimper, Pont-l’Abbé, Crozon, Daoulas et Brest.
Selon la convention qu’ils ont passée entre eux, Maxime du Camp se charge d’écrire les chapitres pairs, et Flaubert les chapitres impairs. Leur trajet jusqu’à Brest constitue leur cinquième chapitre. Ce chapitre se poursuit toutefois jusqu’à Landernau, La Roche Maurice, Kerjean et Saint-Pol, que nous avons inclus dans cette sixième étape, que nous prolongeons jusqu’à Saint-Malo, décrit dans le sixième chapitre1.
Jusqu’à Saint-Pol, le texte est donc dû à Gustave Flaubert ; la suite, pour Saint-Malo, ayant été écrite par Maxime du Camp.
Nous illustrerons cette séquence d’un certain nombre de vues de nos collections issues de plusieurs « Voyages en Bretagne », en particulier celui de Paul Charles Furne, et, cette fois, celui de Daniel Théodore Guitard du Marès, le tout tiré des collections de José Calvelo, Jacques Magendie et Gaye.
Landernau et les ruines de son château :
À nouveau, sans transition, Gustave Flaubert nous transporte à l’étape suivante de leur voyage : Landernau.
Vue 01 – Le port de Landernau, 1857, Photographes Charles Paul Furne et Henri Tournier, Collection du Musée départemental breton (Source : La Bretagne en relief)
« Landernau est un pays où il y a une promenade d’ormeaux au bord de la rivière et où nous vîmes courir dans les rues un chien effrayé qui traînait à sa queue une casserole attachée. »
Quel formidable souvenir de voyage, n’est-ce pas !
Vue 02 – Le château de Joyeuse-Garde, Illustration de Howard Pyle, 1910 (Source Wikipedia)
Dans la légende arthurienne, la Joyeuse Garde est un château conquis par Lancelot-du-Lac, qui en fera sa place forte principale. Ce château légendaire est évoqué pour la première fois dans le Lancelot en prose (XIIIe siècle). La Joyeuse Garde apparait aussi dans les histoires en proses de Tristan et Iseut. Les deux amants vivent plus tard dans le château avec la permission de Lancelot pour se réfugier et échapper aux atteintes du roi Marc de Cornouailles.
« Puis, nous partîmes, n’ayant guère donné qu’un coup d’œil à la demeure ruinée du bon Lancelot, celui qu’une fée enleva à sa mère et qu’elle nourrit au fond d’un lac dans un palais de pierreries. Les nains enchanteurs ont disparu ; le pont-levis s’est envolé et le lézard se traîne où se promenait la belle Genièvre, songeant à son amant parti en Trébizonde combattre les géants. »
La Roche-Maurice :
La Roche-Maurice, vue sur les ruines du château, 1857 – Photographe Paul Charles Furne, CAL0205, Collection Calvelo
« Le château de la Roche-Maurice était un vrai château de burgrave, un nid de vautours au sommet d’un mont. On y atteint par une pente presque à pic, le long de laquelle des blocs de maçonnerie éboulés servent de marches. Tout en haut, par un pan de mur fait de quartiers plats posés l’un sur l’autre et où tiennent encore de larges arcs de fenêtres, on voit toute la campagne ; des bois, des champs, la rivière qui coule vers la mer, le ruban blanc de la route qui s’allonge… »
Roscoff :
« Voici […] le coin le plus fertile de Bretagne ; les paysans sont moins pauvres, les champs mieux cultivés, les colzas magnifiques, les routes bien entretenues, … et c’est ennuyeux à périr… Des choux, des navets, beaucoup de betteraves et démesurément de pommes de terre, tous régulièrement enclos dans des fossés, couvrent la campagne, depuis Saint-Pol de Léon jusqu’à Roscoff. On en expédie à Brest, à Rennes, jusqu’au Havre ; c’est l’industrie du pays ; il s’en fait un commerce considérable. »
Roscoff, pêcheurs à mer basse, 1857, Photographe Paul Charles Furne, MAG1401, Collection Magendie
« À Roscoff, la mer découvre devant les maisons sa grève vaseuse, se courbe ensuite dans un golfe étroit ; […] au large, [elle] est toute tachetée d’îlots noirs, bombés comme des dos de tortue. »
Kerjean :
Vue 03 – Kerjean, façade du château, 1857, Photographes Charles Paul Furne et Henri Tournier, Collection Archives départementales du Finistère (Source : La Bretagne en relief)
« À Kerjean, dans le grand escalier tournant, j’ai heurté un piège à loup. Des socs de charrue, des fers de bêche rouillés, et des graines sèches de calebasses, gisent au hasard sur le parquet des chambres, ou encombrent les grands sièges de pierre dans l’embrasure des fenêtres. »
Saint-Pol, l’église du Kreisker :
Vue 04 – L’église du Kreisker de Saint-Pol de Léon, Lithographie de 1867 (Cartes-livres-anciens.com)
Saint-Malo, vue générale, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG164, Collection Gaye
« Saint-Malo, bâti sur la mer et clos de remparts semble, lorsqu’on arrive, une couronne de pierres posées sur les flots dont les mâchicoulis sont les fleurons. Les vagues battent contre les murs et, quand il est marée basse, déferlent à leur pied sur le sable. »
« Au-dessus de cette ligne uniforme de remparts, que çà et là bombent des tours et que perce d’ailleurs l’ogive aiguë des portes, on voit les toits des maisons serrés l’un près de l’autre, avec leurs tuiles et leurs ardoises, leurs petites lucarnes ouvertes, leurs girouettes découpées qui tournent, et leurs cheminées de poterie rouge dont des fumignons bleuâtres se perdent dans l’air. »
Saint-Malo, vue sur le rocher du Moine, 1900-1920, Photographe inconnu, MAG4777, Collection Magendie
« Tout à l’entour sur la mer s’élèvent d’arides îlots sans arbres ni gazon sur lesquels on distingue de loin quelques pans de murs percés de meurtrières tombant en ruines et dont chaque tempête enlève de grands morceaux. »
Saint-Servan et la tour Solidor :
Saint-Servan, la Tour Solidor, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG186, Collection Gaye
« En face de la ville, rattachée à la terre ferme par une longue jetée qui sépare le port de la pleine mer, de l’autre côté du bassin s’étend le quartier de Saint-Servan, vide, spacieux, presque désert et couché tout à son aise dans une grande prairie vaseuse. À l’entrée se dressent les quatre tours du château de Solidor reliées entre elles par des courtines, et noires du haut en bas. Cela nous récompense d’avoir fait ce long circuit sur la grève, en plein soleil de juillet, au milieu de chantiers [navals], parmi les marmites de goudron qui bouillaient, et les feux de copeaux dont on flambait la carcasse des navires. »
Remarque : Aujourd’hui, on dit « la Tour Solidor », qui est en fait le reste d’un donjon, construit au XIVème siècle, dont chaque angle est flanqué d’une tour incluse en partie dans la masse du bâtiment ; Maxime du Camp, reproduisant sans doute l’usage du XIXème siècle, évoque, pour cette raison les quatre tours d’un château.
Les remparts et les fortifications de Saint-Malo :
Saint-Malo, les remparts vus depuis l’îlot du Grand Bé, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG169, Collection Gaye
« Le tour de la ville par les remparts est une des plus belles promenades qu’il y ait. […] On s’asseoit dans l’embrasure des canons, les pieds sur l’abîme. On a devant soi l’embouchure de la Rance, se dégorgeant comme un vallon entre deux vertes collines, et puis les côtes, les rochers, les Îlots et partout la mer. »
« À une place, entre les maisons de la ville et la muraille, dans un fossé sans herbe, des piles de boulets sont alignées. De là vous pouvez voir écrit sur le second étage d’une maison « Ici est né Châteaubriand »
Vue 05 – Les Remparts et la tour Quiquengrogne, 1900 environ, Carte Postale
« Plus loin, la muraille s’arrête contre le ventre d’une grosse tour : c’est la Quiquengrogne ; ainsi que sa sœur, la Générale, elle est large et haute, ventrue, formidable, renflée au milieu comme une hyperbole, et tient bon toujours. Intactes encore et comme presque neuves, sans doute qu’elles vaudraient mieux, si elles égrenaient dans la mer les pierres de leurs créneaux, et si par leur tête frissonnaient au vent les sombres feuillages amis des ruines. »
Le Château et la tour Générale :
Vue 06 – Le Château (tour « La générale »), vers 1890, collection particulière
« Nous entrâmes dans le château. […] La femme du concierge alla chercher les clés chez le commandant. […] On monta longtemps, car la tour est haute. Le jour vif des meurtrières passe comme une flèche à travers le mur. Par leur fente, quand vous mettez la tête, vous voyez la mer qui semble s’enfoncer de plus en plus et la couleur crue du ciel qui grandit toujours, si bien que vous avez peur de vous y perdre. Les navires paraissent des chaloupes et les mâts, des badines. Les aigles doivent nous croire gros comme des fourmis. […]
Arrivés sur la plate-forme, quoique le créneau vous vienne jusqu’à la poitrine, on ne peut se défendre de cette émotion qui vous prend sur tous les sommets élancés ; malaise voluptueux, mêlé de crainte et de plaisir, d’orgueil et d’effroi, lutte de l’esprit qui jouit et des nerfs qui souffrent. On est heureux singulièrement ; on voudrait partir, se jeter, voler, se répandre dans l’air, être soutenu par les vents, et les genoux tremblent, et l’on n’ose approcher du bord. »
L’îlot du Grand Bé et la tombe de Chateaubriand :
L’îlot du Grand Bé et la tombe de Chateaubriand, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG166, Collection Gaye
Selon la notice de l’éditeur d’origine, le Voyage en Bretagne a été accompli en 1847. Or Châteaubriand décède et se fait enterrer ici juste un an plus tard, en juillet 1848. Mais cela fait dix ans qu’il a obtenu ici une concession et qu’il y a fait construire sa tombe. C’est donc une tombe encore vide à laquelle nos auteurs rendent visite, sans imaginer que son futur « hôte » rejoindra sa dernière demeure à peine un an plus tard !
« En face des remparts, à cent pas de la ville, l’îlot du Grand-Bay [sic] se lève au milieu des flots. Là se trouve la tombe de Chateaubriand ; ce point blanc taillé dans le rocher est la place qu’il a destinée à son cadavre.
Nous y allâmes un soir, à marée basse. Le soleil se couchait. L’eau coulait encore sur le sable. Au pied de l’île, les varechs dégouttelants [sic] s’épandaient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. »
Ruines sur l’îlot du Grand Bé, 1880-1920, Photographe Daniel Théodore Guitard du Marès, CG165, Collection Gaye
« L’île est déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. Il y a sur le sommet une casemate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent.
En dessous de ce débris, à mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelques dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix.
Il dormira là-dessous, la tête tournée vers la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. »
* * *
« Nous descendîmes l’îlot, traversâmes la grève à pied. La marée venait et montait vite ; les rigoles se remplissaient ; dans le creux des rochers la mousse frémissait, ou, soulevée du bord des lames, elle s’envolait par flocons et sautillait en s’enfuyant… »
Ainsi s’interrompt le descriptif du séjour de nos auteurs à Saint-Malo. Cet ultime chapitre de leur récit étant particulièrement long et fourni, nous réserverons à un septième et ultime épisode les dernières étapes de nos auteurs : le Mont-Saint-Michel et le château de Combourg.
Christian Bernadat
Bibliographie :
Par les champs et par les grèves (voyage en Bretagne) par Gustave Flaubert
La Bretagne en relief, premiers voyages photographiques en Bretagne, Musée départemental Breton de Quimper, 2000
Galerie de stéréos visite Bordeaux
La Silla del Moro : lieu clé dans la photographie de Grenade
L'art de la photographie
L’être humain a toujours eu l’impulsion naturelle de refléter tout ce qui l’entourait depuis ses premiers pas sur terre. Des peintures rupestres primitives aux hiéroglyphes, en passant par l’écriture, les dessins et les gravures, la préparation de cartes et de plans, et bien sûr, les photographies. Une vocation artistique et représentative qui nous permet aujourd’hui d’imaginer et d’apprécier à quoi ressemblait le monde dans lequel vivaient nos ancêtres.
Joseph Nicéphore Niépce a été le précurseur de la photographie, réalisant une série d’épreuves pour essayer de faire capter ce qu’il voyait sur un support physique. Cette procédure photographique a été réalisée par son collègue Louis Daguerre, qui avec l’aide du gouvernement français, a introduit l’utilisation du daguerréotype au public en 1839, qui se répandrait bientôt dans toute l’Europe, commençant à faire apparaître les premières photos partout le monde.
Figure 1. Daguerréotype du boulevard du temple à Paris où l'on peut voir la première personne photographiée de l'histoire, pris à 8h du matin. Louis Daguerre, [Boulevard du Temple], 1838. Domaine public
Sans aucun doute, la photographie historique est l’un des éléments qui nous ramène dans le temps et nous permet une immersion complète dans cette réalité passée. Contrairement aux anciens dessins ou gravures, les photographies montrent la réalité telle qu’elle était au moment de la prise de vue. Ces dernières années, la photographie historique est devenue un grand soutien dans le domaine de la restauration architecturale, nous aidant à connaître l’état dans lequel se trouvaient les bâtiments tout au long de leur vie.
Grenade et les voyageurs romantiques
La ville de Grenade a commencé à être une attraction pour les voyageurs et les touristes qui sont arrivés attirés par sa beauté et son charme, se distinguant par son passé du reste des villes espagnoles. Depuis le début du XIXe siècle, les soi-disant « voyageurs romantiques » ont commencé à visiter la vieille ville arabe.
Ces globe-trotters étaient pour la plupart d’excellents dessinateurs et artistes qui parcouraient les principales villes européennes en dépeignant avec délicatesse tous leurs aspects urbains. Grenade est devenue l’une des villes les plus visitées d’Espagne grâce à la mixité culturelle présente dans ses édifices et aux vestiges majestueux de la capitale andalouse, avec l’Alhambra comme joyau de la couronne. Son passé artistique et architectural et la possibilité de vues qu’offre la ville se sont sans doute démarqués parmi les grandes villes européennes.
Un grand nombre de ces vues et images ont été créées par les voisins français, également motivés par la proximité entre les deux pays. Des illustrateurs de renom tels que Chapuy, Girault de Prangey, Laborde ou Guesdon, ont visité le territoire espagnol en laissant des impressions magnifiques et détaillées de la ville et de la réalité de cette époque. Grâce à ces voyageurs, nous pouvons maintenant voir à quoi ressemblait Grenade il y a des centaines d’années.
Figure 2. Dessin de Grenade depuis la Silla del Moro. Alfred Guesdon, N.o 12, « Grenade: Vue Prise au-dessus du Generalife », 1855. Imp. De Fois Delarue, Paris. Images des collections de la Bibliothèque nationale d'Espagne, http://bdh.bne.es/bnesearch/detalle/bdh0000021135. Édité par l'auteur.
Photographe stéréoscopiste français
Les voyageurs continuent d’affluer à Grenade tout au long du XIXe siècle, mais cette fois, ils emportent une nouvelle découverte dans leurs bagages, les premiers appareils photo. Grenade fait partie des villes espagnoles choisies par les premiers photographes, des amateurs qui photographient l’Alhambra lors de leur visite et qui vont céder la place en quelques années aux premiers stéréoscopistes professionnels, qui dans ce cas seraient majoritairement français. Un nouveau monde de possibilités s’est ouvert lorsqu’il s’est agi d’immortaliser les vues imprenables sur la capitale de Grenade.
Ces pionniers de la photographie stéréoscopique ont commencé à photographier la ville, attirés au même titre que leurs prédécesseurs par sa beauté et conscients du grand retour qu’ils pouvaient obtenir de la vieille ville arabe, vendant leurs copies photographiques dans toute l’Europe comme souvenirs.
Joseph Carpentier était le plus avancé en photographie stéréoscopique en Espagne. Il arrive à Grenade en 1856, comme l’atteste sa signature dans le livre d’or de l’Alhambra. Il fut le premier photographe à commencer à distribuer des photographies stéréoscopiques de l’Espagne en 1857, ayant une grande acceptation en France. La ville de Grenade était très importante en termes de nombre de vues, après Madrid.
Figure 3. Mikel Cervera Nagore, Villes photographiées par Joseph Carpentier lors de son voyage en Espagne en 1856.
Carpentier fixe des points de vue sur les villes qui seront plus tard utilisés par ses concurrents et partisans. La collection de vues de Carpentier a fini par devenir une référence visuelle lorsqu’il s’agissait de reproduire des monuments et des vues panoramiques de points hauts qui seraient répétés par les photographes ultérieurs.
C.S.
Parallèlement aux premiers photographes, les premiers éditeurs de l’industrie photographique ont également commencé à apparaître, commercialisant les copies de différents auteurs à travers tous les médias existants, établissant leurs points de vente dans différents quartiers de la ville. La production française à cette époque est dominée par les sociétés Ferrier-Soulier et Gaudin Frères.
Ces éditeurs ont envoyé des collaborateurs proches dans toute l’Europe pour prendre les photos, ont engagé différents professionnels pour les missions ou ont acheté la collection d’un photographe qui avait déjà pris les images. Ce fait a conduit au fait que parfois la paternité exacte de certaines photographies n’est pas connue, étant supplantée par le nom de l’éditeur.
En 1858, la vente de vues stéréoscopiques de l’Espagne sur support de verre est publiée dans la revue La Lumière. La collection était composée de 116 images numérotées à trois chiffres allant du numéro 401 au 515. Plus tard, lors de la parution du catalogue Ferrier père, fils et Soulier en 1864, la série fut renumérotée avec le chiffre 6 devant l’ancienne numérotation, raison pour laquelle elle est connue sous le nom de « Série 6000 », bien qu’elle ait eu moins de succès que la première. Dès lors, Léon et Lévy deviendront propriétaires des fonds Ferrier-Soulier, ajoutant de nouvelles images à la collection.
Les initiales « C. S. » figurent sur de nombreux positifs verre et positifs albuminés de cette première collection, écrit à la main sur l’image elle-même (figure 4). Il existe une certaine controverse quant à l’attribution de ces initiales, qui apparaissent sur certaines copies d’une même photographie et pas sur d’autres. Certains experts pensent que ces acronymes correspondent à Athanase Clouzard et Charles Soulier, qui ont maintenu une maison d’édition entre 1854 et 1859, tandis que d’autres soutiennent qu’ils appartiennent à Charles Soulier, qui serait venu visiter l’Espagne en 1857 et a produit 116 images stéréoscopiques de différentes villes, bien que cette dernière option semble assez improbable. En 1859, Soulier s’associe à Claude Marie Ferrier et à son fils Jacques-Alexandre, créant l’une des sociétés photographiques les plus importantes et les plus fructueuses de l’histoire, Ferrier et Soulier.
Figure 4. Les initiales « C.S. » manuscrite dans différentes copies de photographies stéréoscopiques de Grenade. Collection Mikel Cervera Nagore.
Panorama de Grenade depuis la Silla del Moro
La collection de vues stéréoscopiques de l’Espagne sera la première à réunir un si grand nombre d’images, composées au total de 116 photographies. On y distingue les vues de l’ensemble des différentes villes au « vol d’oiseau » popularisé par Alfred Guesdon, remplaçant le ballon par des belvédères naturels et architecturaux facilitant les vues panoramiques.
Figure 5. Mikel Cervera Nagore, Villes photographiées par Joseph Carpentier lors de son voyage en Espagne en 1856.
La ville de Grenade est celle qui est la plus représentée dans la collection, avec 31 images de la ville et de l’Alhambra, prises en 1857. Le photographe a profité des possibilités offertes par Grenade, avec des immeubles de grande hauteur tels que le Cathédrale ou l’Alhambra pour la composition de ses photos. Il s’est aussi aidé des points hauts que lui offre la topographie de la ville, entourée de collines, pour mettre en valeur les horizons urbains, démontrant que le photographe connaissait bien les villes ou était conscient des points de vue des photographes précédents.
Figure 6. Vue sur la Cour des Lions de l'Alhambra. Clouzard et Soulier éditeurs, No 479, [Pavillon du Patio des Lions, Grenade], 1857. Collection M. Magendie, MAG3627
Outre les vues magnifiques et soignées choisies par le photographe, il faut souligner la qualité de l’affichage de cette collection, popularisant avant tout les photographies stéréoscopiques sur verre, bien que les modalités de diffusion de ses photographies soient très diverses, comme le verre pour les lampes de poche, des copies albuminées et des variantes de type tissue, bien que certaines semblent être des « copies pirates ».
Dans ce cas, nous avons sélectionné la photographie numéro 475 (figure 7), intitulée Panorama de l’Alhambra et de la Generalife comme l’une des photographies les plus représentatives du style développé par ces éditeurs. Au fil du temps, ce panorama deviendra l’une des vues les plus reproduites par les photographes en visite à Grenade.
Du haut du Cerro del Sol, dans la célèbre « Silla del Moro », le photographe a pris une photo où le Generalife apparaît au premier plan, l’Alhambra au centre de l’image avec ses structures arabes et le palais de Carlos V, et la partie droite du quartier Albaicín. La photographie nous permet également de voir une petite fraction de la Cathédrale, les limites de la ville et la plaine fertile de Grenade en arrière-plan, montrant le spectre urbain de Grenade dans toute sa splendeur.
Figure 6. Vue sur la Cour des Lions de l'Alhambra. Clouzard et Soulier éditeurs, No 479, [Pavillon du Patio des Lions, Grenade], 1857. Collection M. Magendie, MAG3627
La qualité de ce positif sur verre est si extraordinaire que nous pouvons agrandir le moindre détail. Le photographe parcourait le chemin qui montait la colline avec son appareil photo et prenait une série de photographies de Grenade telles que le numéro 496, Vue de Grenade vers la Sierra del Sol , ou le numéro 498, Vue de Grenade vers l’Albaicin, bien que le numéro 475 se distingue sans aucun doute parmi eux.
Figure 8. Mikel Cervera Nagore, Anaglyphe de la photographie stéréoscopique numéro 475 de Clouzard et Soulier, Panorama de l’Alhambra et de la Generalife à Grenade, en 1857.
Cette composition photographique où toute la ville peut être appréciée sera l’une des plus répétées par les différents photographes qui arriveront plus tard à Grenade. Par exemple, cette photographie stéréoscopique prise par Jean Andrieu en 1867 qui refait l’image prise par d’autres photographes comme Ernest Lamy en 1863, où deux personnes apparaissent curieusement dans l’image (figure 10).
Figure 9. Jean Andrieu photographe, Vue de Grenade depuis la Silla del Moro, Adolphe Block (B.K.) éditeur, No 2542, « Vue générale prise de la Silla del Moro », Paris, 1867. Collection Mikel Cervera Nagore.
Figure 10. Vue de Grenade depuis la Silla del Moro (détail). Ernest Lamy, No 62, « Vue Générale de l’Alhambra Prise du Mont del Sol », 1863. Collection Mikel Cervera Nagore.
Des photographes ultérieurs tels que Jean Laurent, Ayola, Garzón ou Wunderlich prendront leurs clichés en imitant également ces premières photographies prises de la Silla del Moro en 1857.
La silla del Moro (La Chaise du Maure)
Le populairement connu sous le nom de Silla del Moro était un bâtiment militaire, situé à un point stratégique du système défensif de la ville de Grenade (Espagne). Il a été conçu vers le XIVe siècle pour la surveillance et la protection de la zone, liée au Generalife et à des palais tels que Dar al-Arusa et Los Alijares, les vergers d’un secteur si important pour la distribution de l’eau de l’Acequia Real, et l’ensemble de l’Alhambra.
Sa structure se détache sur le versant nord du Cerro del Sol à une altitude proche de 850 mètres au-dessus du niveau de la mer, où elle exerçait une position dominante sur la ville et ses limites. Il se composait d’une tour centrale haute et élancée située sur une vaste plate-forme posée sur le sol.
Après la conquête des Rois Catholiques, le bâtiment est devenu un petit ermitage vers le XVIe siècle, changeant son nom en Castillo de Santa Helena, comme détaillé dans divers plans et dessins de l’époque.
Dès lors, la construction a commencé à se détériorer, adoptant la forme d’un siège vu de la ville, c’est pourquoi le terme « Silla del Moro » a été utilisé, et reste conservé à ce jour. Lors de l’invasion de Grenade par les troupes françaises entre 1810 et 1812, la Silla del Moro a été utilisée comme batterie d’artillerie, mais elle a ensuite été détruite après la marche des troupes napoléoniennes, la laissant complètement ruinée.
Les premières interventions pour récupérer le bâtiment ont commencé en 1926 grâce à l’architecte restaurateur Leopoldo Torres Balbás. Prieto-Moreno poursuivant sa reconstruction, bien qu’elle ne soit jamais terminée. En 2010, l’architecte Pedro Salmerón et son équipe de travail ont terminé la restauration de la Silla del Moro, la sauvant de l’abandon et lui donnant son utilisation actuelle de point de vue sur la ville de Grenade.
Aujourd’hui encore, les vues imprenables de Grenade que l’on peut voir depuis la Silla del Moro continuent d’être photographiées, imitant celles prises par les premiers stéréoscopistes arrivés dans la ville il y a des centaines d’années.
Figure 14. Mikel Cervera Nagore, Ci-dessus, Vue de Grenade depuis la Silla del Moro; ci-dessous, La Silla del Moro. Granada, 2023.
Mikel Cervera Nagore
Ingénieur du bâtiment
Bibliographie :
Gámiz, Antonio. « Paisajes urbanos vistos desde globo : Dibujos de Guesdon sobre fotos de Clifford hacia 1853-55 ». EGA: Revista de Expresión Gráfica Arquitectónica, no 9, (2004): 110-117.
Piñar, Javier y Carlos Sanchez, eds. Luz sobre papel: La imagen de Granada y la Alhambra en las fotografías de J. Laurent. Granada: Patronato de la Alhambra y Generalife y Obra Social Caja Granada. 2007.
Piñar, Javier y Carlos Sanchez, coords. Una imagen de España: Fotógrafos estereoscopistas franceses (1856-1867). Madrid: Fundación MAPFRE. 2011.
Salmerón, Pedro. « La restauración de la Silla del Moro: La experiencia de intervención en un enclave del paisaje de Granada ». Cuadernos de La Alhambra, no 45, (2010): 65- 89.
Voignier, J. M. Les vues stéréoscopiques de Ferrier et Soulier : Catalogue 1851 -1870. Paris : Éditions du Palmier en zinc. 1992.