« Un soir que la lune
brillait sur les pavés, nous nous mîmes en devoir d’aller nous
promener dans les rues dites « infâmes ». Elles sont
nombreuses. La troupe de ligne, la marine, l’artillerie ont chacune
la leur, sans compter le bagne qui, à lui seul, a tout un quartier
de la ville. Sept ruelles parallèles, aboutissant derrière ses
murs, composent ce qu’on appelle Keravel qui n’est rempli que par
les maîtresses des gardes-chiourme et des forçats. Ce sont de
vieilles maisons de bois tassées l’une sur l’autre, ayant toutes
leurs portes fermées, leurs fenêtres bien closes, leurs auvents
bouchés. On n’y entend rien, on n’y voit personne ; pas une
lumière aux lucarnes ; au fond de chaque ruelle, seulement un
réverbère que le vent balance, fait osciller sur le pavé ses longs
rayons jaunes. Le reste n’en est que plus noir. Au clair de lune,
ces maisons muettes à toits inégaux projetaient des lueurs
étranges. »
« Dans le quartier
des matelots, au contraire, tout se montre, tout s’étale. Il
flamboie, il grouille. Les joyeuses maisons vous y jettent quand vous
passez, leurs bourdonnements et leurs lumières. On crie, on danse,
on se dispute. Dans de grandes salles basses, au rez-de-chaussée,
des femmes, en camisole de nuit, sont assises sur des bancs le long
de la muraille blanchie où un quinquet est accroché ;
d’autres, sur le seuil, vous appellent, et leurs têtes animées se
détachent sur le fond du bouge éclairé où retentit le choc des
verres avec les grosses caresses des hommes du peuple. Vous entendez
sonner les baisers sur les épaules charnues, et rire de plaisir, au
bras de quelque matelot bruni qui la tient sur les genoux, la bonne
fille rousse dont la gorge débraillée s’en va de sa chemise,
comme la chevelure de son bonnet. »
Nos voyageurs sautent alors le
pas et poussent une porte…
« La rue est pleine,
le bouge est plein, la porte est ouverte, on entre. Ceux qui sont
dehors viennent regarder à travers les carreaux ou causent doucement
avec quelque égrillarde à moitié nue qui se penche vers leur
visage. »
« Dans un salon tendu
de papier rouge trois ou quatre demoiselles étaient assises autour
d’une table ronde, et un amateur en casquette qui fumait sa pipe
sur le sofa, nous salua poliment quand nous entrâmes. Elles avaient
des tenues modestes et des robes parisiennes. »
Nous laisserons nos amis à
leurs émois : Flaubert esquive d’ailleurs la narration de
leur visite en nous égarant dans récit onirique au sein duquel il
nous est bien difficile de séparer le réel de la citation à des
œuvres littéraires anciennes…
Nous ne nous attarderons pas
non plus sur le récit suivant, celui du spectacle donné par un
montreur d’ours qui, pour pimenter son exhibition, enchaîne la
pauvre bête à un pieux et lâche sur lui de féroces molosses qui
ne connaissent aucune limite. Heureusement, il doit tout de même
ménager leurs attaques, car il faut bien préserver les
représentations suivantes… !
Le phare « du bout
du monde » :