Nos « Unes » sont en général l’occasion d’analyser les évolutions intervenues entre les vues anciennes de la Stéréothèque et le monde contemporain. Pourtant, la série de photographies sur l’arsenal de Venise (Collection Calvelo) va d’abord nous permettre un retour sur une dizaine de siècles. En effet, ce site militaire, presque inchangé depuis le XIXe siècle, témoigne d’une splendeur passée bien plus ancienne. Cela ne nous dispensera naturellement pas d’une confrontation avec le présent.
En raison de la manière dont certains tirages d’Antonio Perini sont légendés, José Calvelo pense pouvoir attribuer cette série au photographe vénitien. Chacune d’entre elles comporte au verso une légende détaillée imprimée et collée. Ces textes facilitent la localisation au sein de l’arsenal et fournissent des indices précieux sur les navires et les ateliers concernés. Curieusement, ces textes sont rédigés dans un français très maladroit, empreint d’italianismes.
L’interprétation de cet ensemble va nécessiter une évocation plus détaillée qu’à l’accoutumée de l’histoire dans laquelle ces photos s’inscrivent, nous conduisant à nous imprégner de l’extraordinaire complexité de la géographie politique dans laquelle la Vénétie a été plongée durant tout le XIXe siècle.
Genèse de l’Arsenal de Venise
Remontons donc l’histoire de la cité ! Pour Venise, l’arsenal ne fut pas seulement un chantier naval : pendant une dizaine de siècles, il fut, pour la Sérénissime, l’outil principal lui ayant permis sa domination sur l’Adriatique et la Méditerranée orientale, moyen sans lequel elle n’aurait pas pu bâtir son incroyable expansion commerciale.
En ce lieu, la Venise primitive avait établi un premier chantier naval dès le VIIIe siècle. Là, par exemple, elle construisit pour l’Empire byzantin les ancêtres des caraques, galères et galéasses qui y furent ensuite produites pendant plusieurs siècles.
Vues 01 et 02 – Galères et caraques vénitiennes dans un combat naval, bas-reliefs sur la façade de l’église Santa-Maria del Giglio de Venise – Photos Ch B
A sa création, le Grand Conseil de la Cité fit creuser, entre 1143 et 1169, la darse vieille (Darsena vecchia) et édifier le premier véritable arsenal (Arsenale vecchio). Ainsi, en 1204, on fabriqua ici les navires qui transporteront les chevaliers de la quatrième croisade.
Entre 1304 et 1325, les premières darses sont agrandies de la darse neuve (Darsena nuova). Une zone de 25 hectares est ainsi créée, entourée de murailles qu’une porte monumentale protège de toute intrusion : les secrets de construction y sont bien gardés, comme plus tard ceux des verriers de Murano…
Aux XIVe et XVe siècles, l’arsenal devient le plus grand chantier naval du monde occidental, en s’appuyant sur un système original et innovant : l’état vénitien met aux enchères auprès de ses marchands l’usage commercial des galères militaires, ainsi rentabilisées en temps de paix, mais mobilisables à tout moment en cas de conflit. En même temps, on conserve sur pied de guerre une réserve de 100 galères en état de fonctionnement immédiat.
De cette période (1460) date la porte monumentale, dite Porte de terre, un des premiers exemples du style de la Renaissance vénitienne, porte embellie au fil des siècles et restée presque intacte jusqu’à nous.
Les deux lions qui encadrent la porte sont des sculptures grecques, ramenées comme butin du Pirée par l’Amiral Francesco Morosini en 1687. Le lion de droite (celui de la photo ci-dessous) se trouvait à l’origine sur la voie Lepsina, la voie sacrée, qui reliait Athènes à Eleusis.
L’arsenal, au fondement de la puissance vénitienne
Au XIVe siècle, pour défendre sa colonie de Chypre menacée par les Turcs, l’arsenal arme 150 navires de guerre en deux mois.
Plus tard, en 1571, la victoire navale de Lépante porte un coup d’arrêt à l’expansionnisme ottoman en Méditerranée occidentale : elle doit beaucoup aux capacités techniques et tactiques de la flotte vénitienne, mais aussi à l’aptitude des charpentiers de marine vénitiens à produire une impressionnante armada de galères.
Au XVIIe siècle, les Vénitiens construisent les galères en série, selon une organisation préfigurant le travail à la chaîne moderne : une fois la coque assemblée, on déplace le navire d’une cale à l’autre pour accomplir des tâches normalisées d’équipement et de finition. On sort de l’arsenal une galère par jour !
Au plus fort de son activité, l’arsenal emploie 16 000 ouvriers, répartis sur les chantiers et les bassins, assurant l’activité des fonderies, des fabriques (fusils, canons, cordages, rames et mâts), des entrepôts de bois, de charbon, de poudre, des ateliers d’artillerie.
Retour à la Stéréothèque
Un trois-mâts de ligne, à un seul pont, est amarré sur le rio dell’Arsenale, devant la Porte de Terre. Étonnant pour qui connaît Venise aujourd’hui. Le tirant d’eau est donc ici assez important en ce XIXe siècle, même si le navire est manifestement « lège », délesté de tout ce qui est possible (des canons en particulier) pour de pas « crocher » le fond.
Les tauds (ou toiles) qui recouvrent son pont permettent de supposer qu’il est ici désarmé pour servir de navire d’instruction de la marine. Seules quelques voiles demeurent d’ailleurs, ferlées, sur ses mâts.
Vues 07 & 08 – Clin d’œil au passé : en septembre 2019, les gondoles historiques, qui viennent de participer à la Regata Storica, quelques jours plus tôt, attendent pour être remisées dans l’arsenal, amarrées au même quai que le navire ci-dessus (Photos Ch B)
Mais à quelle marine le vaisseau de la CAL0078 appartient-il ? La photo date des environs de 1858. Pour quiconque n’est pas familier de l’Histoire italienne, un petit rappel s’impose.
À la fin du XVIIIe siècle, la république de Venise a perdu une grande partie de sa puissance. Le Directoire français entreprend la conquête de l’Italie du Nord ; le 16 novembre 1796, le général Bonaparte entre dans Venise et pénètre dans l’arsenal.
Mais, alors que le Directoire avait envisagé une sorte d’alliance avec la cité, Bonaparte provoque un incident qui lui permet, le 1er mai 1797, de déclarer la guerre à la République et d’obtenir sa capitulation le 12 mai.
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Il s’approprie alors sa marine et ses canons pour compléter avantageusement l’équipement de l’armée française d’Italie.
Les Français se comportent à cette occasion d’une manière tout à fait déshonorante, indigne d’une nation qui se voulait un exemple pour l’Europe entière : vol des Noces de Cana de Véronèse (toujours au Louvre), enlèvement du quadrige des chevaux de bronze de la Basilique Saint-Marc (restitué depuis), et destruction du magnifique Bucentaure (voir plus bas) !
Toutefois cette occupation ne dure guère : le 17 novembre 1797, le traité de Campo Formio impose à la France de céder la Vénétie à l’Autriche. À ce moment, l’Empire austro-hongrois, qui n’avait jusque-là qu’une marine de second rang, va s’appuyer sur l’arsenal de Venise pour bâtir une véritable marine de guerre. Ainsi, jusqu’en 1806, Venise fournira l’essentiel des forces navales autrichiennes, si bien que l’on parle alors de marine austro-vénitienne.
Après un « intermède » de nouvelle occupation française par Napoléon, de 1806 à 1814, le congrès de Vienne rend la Vénétie à l’Autriche en 1815. Cette occupation prendra fin en 1866 à l’issue de la bataille de Sadowa : l’Autriche doit s’y incliner devant la Prusse, tandis que les Italiens harcèlent les troupes autrichiennes.
Acculé, l’Empire austro-hongrois restitue la Vénétie à son dernier « possesseur » : la France. Par référendum, les Vénitiens se prononcent alors pour un rattachement à l’Italie. Napoléon III, sensible aux mouvements de l’indépendance italienne, accepte ce verdict et consent au rattachement de la Vénétie au royaume d’Italie le 22 septembre 1866. Jusqu’à cette date, Venise est donc encore une province (une « vice-royauté ») de l’Empire austro-hongrois.
Dans les jours qui suivirent cette restitution, Victor-Emmanuel II, le roi d’Italie, est reçu dans la cité : une galère d’apparat a spécialement été construite pour sa visite officielle ; elle est toujours conservée dans le pavillon des navires du musée de l’histoire navale.
Vues 10 & 11 – La galère royale construite pour la visite officielle de Victor-Emmanuel II à l’occasion du rattachement de Venise à l’Italie. (Museo Storico Navale – Photos L B)
Outre les vues CAL0078 et CAL451 présentées plus haut, la collection Calvelo comporte 20 photos stéréoscopiques de l’arsenal (CAL376 à CAL395), toutes prises au même moment : un intéressant reportage sur l’ensemble de cette institution militaire pluriséculaire, qui nous permet de pénétrer dans ce lieu.
L’arsenal est entouré d’une haute enceinte qui sied bien au secret d’un site militaire, elle-même entourée d’eau sur près des 2/3 de sa longueur, soit par la lagune au nord, soit par un petit canal qui fait office de douve et qui serpente dans le sestiere du Castello. |
Après franchissement de la porte
Pendant longtemps, la porte monumentale était la seule vue que pouvaient connaître la plupart des vénitiens et l’ensemble des touristes. Au XIXe siècle en particulier, franchir la porte était donc pénétrer dans un monde inconnu…
À peine la porte franchie, dont l’arrière est presque identique à la façade extérieure, nous voici dans ce lieu plein de mystère. Observons le bâtiment en face de nous à gauche. On y devine l’inscription « (Ars)enals Verwaltung » : Administration de l’arsenal en allemand : pas d’hésitation, nous sommes bien sous occupation autrichienne !
Sur sa droite, au fond, on aperçoit la voie de circulation interne autour de laquelle sont répartis les ateliers et magasins de la marine, qui font l’objet des vues CAL389, CAL392 et CAL394 commentées plus bas. Une passerelle de bois mobile permet de franchir à pied le chenal d’entrée
Avec cette série de vues, nous allons pouvoir faire le tour des différentes darses, qui composent l’arsenal, presque à l’identique depuis plusieurs siècles. Un repérage chronologique s’impose :
Date de construction :
Porta nova : 1810
Canale delle galeazza : 1564
Darsena novissima : 1473
Darsena nova : 1305
Darsena de l’Arsenale Vecchio : 1169
La darse vieille (Darsena vecchia)
La darse vieille nous donne les dimensions de l’arsenal primitif. Par contre, les bâtiments qui la bordent ont été remaniés de nombreuses fois ; les cales permettant de construire ou de remiser les navires du temps de la République vénitienne étaient, pour la plupart d’entre elles, ouvertes en pleine eau sur le bassin ; elles ont été depuis, pour partie, fermées.
Au centre de la vue, deux cheminées et deux capots de roues trahissent un vapeur à aubes. Il s’agit de Fantaisie, le yacht à vapeur et à aubes de l’archiduc Ferdinand-Maximilien, nommé depuis 1854 Oberkommandant der Marine (commandant en chef). Ce navire aurait été construit en Angleterre en 1838 et doté de qualités de vitesse remarquables.
Ferdinand-Maximilien était le frère de l’empereur d’Autriche François-Joseph 1er. En 1857, il est nommé vice-roi de Lombardie-Vénétie (annexée par l’Autriche depuis le congrès de Vienne). Mais, jugé par son frère trop libéral et rebelle à son pouvoir (notamment du fait de son indulgence envers les rebelles italiens), il doit démissionner en avril 1859. Il parvient ensuite à se faire désigner empereur du Mexique par les députés mexicains en 1864 (avant d’être finalement fusillé en juin 1867).
On comprend donc que ce navire, dont Venise était peut-être le port d’attache, est remisé ici, en quelque sorte en garde, depuis que Ferdinand-Maximilien a été contraint de quitter son vice-royaume. Les quatre ouvriers installés sur le flanc du bateau ne procèdent sans doute qu’à des travaux d’entretien de routine.
Sur la vue suivante, nous sommes plus en arrière dans le bassin, devant la canonnière (à vapeur et à roues) Gorzkowski, désarmée depuis 1854.
La photo ci-dessous est aussi prise dans la darse vieille : on y aperçoit tout au fond la porte d’entrée et la canonnière précédente. Le premier plan fait la part belle aux ateliers et cales couvertes qui bordent le bassin sur sa limite ouest. Il s’agirait des ateliers de tourneurs et de graveurs.
La vue suivante nous montre le même quai, les mêmes hangars et mêmes cales couvertes que ci-dessus, mais en direction inverse, celle du mur nord (à peine visible tout au fond) qui barre le bassin des Galéasses, le long de la lagune. Ces cales et ateliers étaient, nous dit la légende, affectés au carénage. Le photographe est ici adossé à l’enceinte sud, la Porte de Terre se trouvant à sa droite. À quai, nous trouvons trois vapeurs à roues, et une grue à mâter. Si le photographe a opéré durant la même journée, il est vraisemblable que le vapeur à roues amarré au niveau de la grue à mâter soit la Fantaisie commentée sur la vue CAL380 et le vapeur le plus lointain la canonnière Gorzkowski de la CAL384.
Les ouvriers posent : la vue ne nous donne pas l’impression d’une activité débordante, impression qui sera confirmée par les autres vues de la série !
On peut aisément imaginer la raison de ce calme : nous sommes en 1865 ; l’Autriche-Hongrie est engagée dans plusieurs conflits terrestres au sein de toute l’Europe. Sa grande base navale est à ce moment Trieste. La présence de deux vapeurs désarmés, le yacht de l’ex vice-roi et la canonnière Gorzkowski, est une preuve supplémentaire d’un site désormais dépourvu de véritable fonction stratégique.
Ainsi, alors que l’arsenal de Venise joua, comme nous l’avons dit plus haut, un rôle central pour la marine autrichienne entre 1797 et 1806, ce n’est désormais plus le cas en cette année 1865 : Venise n’est plus qu’une base militaire très secondaire, même si l’on continue à y exercer des travaux d’entretien, situation qui a peut-être facilité l’accès du photographe dans le lieu !
L’endroit reste tout de même plus actif qu’aujourd’hui où les cales encore ouvertes n’hébergent plus que les gondoles et les galères historiques : celles qui défilent deux fois par an, à l’occasion de la Sensa (pour le renouvellement des noces de la cité avec la mer le jour de l’Ascension) et de la Regata Storica (le premier dimanche de septembre).
La grande darse (Darsena Nova et Darsena Novissima)
Comme il apparaît sur la Vue 13 plus haut, au XVe siècle, la darse neuve a été doublée par ce que les Vénitiens nommaient la Darsena Novissima (que l’on peut traduire par la darse toute nouvelle). Cet ensemble est aujourd’hui plus souvent désigné comme grande darse (Darsena grande).
Tout à côté du petit chenal qui relie les parties neuves et vieilles des bassins, il existe un bâtiment d’architecture classique, toujours existant, qui a retenu l’intérêt du photographe. La légende de cette photo précise que cette façade est due à l’architecte Michele Sanmicheli, édifiée en 1545.
Ce serait ici que les Autrichiens auraient établi le premier musée d’histoire navale, où ils avaient notamment installé la maquette du fameux Bucentaure dont il est question plus bas. Selon la légende de la vue, il servait aussi à accueillir les membres de la Cour autrichienne lorsqu’elle faisait escale à Venise.
Sur la vue ci-dessous, nous sommes dans la darse neuve, prise depuis son quai sud. Le bâtiment le plus lointain à gauche, devant lequel est amarré un voilier, est le bâtiment classique de la CAL385 ci-dessus. En revenant du fond à droite vers le premier plan à gauche, en se rapprochant du photographe, nous avons ensuite l’atelier de voilerie qui lui est mitoyen, puis une première passerelle qui enjambe le chenal reliant la darse vieille et la darse neuve, une façade, et enfin une cale couverte plus haute que les autres bâtiments. Elle est en eau et, selon la légende, ce serait l’ancienne cale qui abrita le fameux Bucentaure (voir plus bas), ce qui paraît tout à fait plausible compte tenu de ses dimensions.
Aujourd’hui, l’ex-cale du Bucentaure a complètement changé d’aspect : elle a été comblée et une façade de bureaux lui a été rajoutée. C’est le bâtiment (signalé par la flèche verte), que nous voyons sur la vue contemporaine ci-contre de même que sur la vue ci-dessous (juste à droite de la grue bleue)
Elle héberge peut-être la caserne des carabiniers car, au pied de ce bâtiment, sont amarrées les vedettes de ce corps (l’équivalent de nos gendarmes).
La photo suivante permet encore d’apercevoir, en fond d‘images à droite, le bâtiment classique de Sanmicheli de la photo CAL385. Le photographe est ici adossé au quai est du bassin. Au premier plan est amarré un petit navire, le Pandora. Il s’agirait d’une canonnière fluviale, certainement équipée de voiles et d’une machine à vapeur. En l’absence de capots de roues à aube, on peut affirmer qu’elle est pourvue d’une hélice. En 1865, elle est donc peut-être toujours en service, pouvant être utilisée pour la police de la lagune.
La photo contemporaine ci-dessous nous montre le même endroit, pris depuis le point de vue exactement opposé. Signe d’une certaine continuité dans les missions régaliennes, c’est à ce même endroit que sont amarrées aujourd’hui les vedettes des garde-côtes italiens, qui remplissent la même fonction (mais qui peuvent sortir en Adriatique.)
Malheureusement, aucune photo en plan large montrant le grand bassin de la darse neuve ne nous est parvenue, pas plus que de la Porte Neuve, à l’est de l’arsenal. Nous complèterons donc notre parcours avec la photo contemporaine ci-dessous, prise en face du quai des garde-côtes.
Elle permet d’embrasser l’essentiel de la grande darse. Au dernier plan, à gauche, nous apercevons la grande tour qui servait à mâter les navires, et une des deux tours qui délimite la Porta Nova, issue toujours empruntée pour l’entrée et la sortie des vedettes au gabarit trop important pour franchir la Porte de Terre.
En quittant l’arsenal par cette porte, on trouve aujourd’hui, à l’extérieur, à main gauche, un chantier naval moderne, comme nous le voyons ci-après.
La barge verte à quai devant ce chantier en septembre 2019 est un des modules du fameux barrage mobile Moïse destiné à fermer la lagune lors des grandes marées, construit ici, et désormais entièrement assemblé et fonctionnel depuis le milieu de l’année 2020.
Les grands hangars de l’arsenal
La série du XIXe ne comporte pas non plus de photos des grands hangars implantés tout au fond de la grande darse sur son côté nord, le long de la lagune. Il est intéressant de s’y attarder quelques instants.
Au fond de ce bassin, le long de l’enceinte adossée à la lagune, les hangars les plus éloignés de la Porte Neuve, sont héritiers de la période historique où l’on fabriquait des pièces de navire à grande échelle. Ce sont les bâtiments les plus hauts, ci-dessous au premier plan à gauche.
Ces lieux abritent désormais une partie des expositions de la Biennale d’Art de Venise, évènement qui permet aux visiteurs, à ces dates privilégiées, de pénétrer sur les quais bordant le grand bassin de l’arsenal.
Vues 24 & 25 – Exemples de compositions et d’installations dans les hangars de l’arsenal lors de la Biennale d’Art de septembre 2017 (Photos L B)
Les ateliers et magasins de la Marine
À la diagonale des hangars ci-dessus, la zone est de la grande darse est bordée de deux rangs d’ateliers traversés par une voie de circulation ; notre photographe s’y est attardé longuement. En voici trois vues : on y voit quelques groupes d’ouvriers qui confirment l’impression de faible activité des lieux. Sur la première ci-dessous, nous sommes semble-t-il tout au fond de la voie de circulation principale entre les ateliers. La porte à droite serait l’entrée de l’atelier de fonderie.
Nous voici ensuite devant l’atelier d’artillerie. Selon la légende portée au verso, l’immense série de pièces soigneusement alignées (le long de plusieurs voies) serait, non pas un stock de pièces récentes, mais une collection de plus de 10 000 pièces, « la plus grande collection du monde », des modèles de canons utilisés par la république de Venise depuis 1349 (en cuir) jusqu’à sa chute en 1797.
Ci-dessous, outre un forgeron, nous aurions… des sapeurs-pompiers de l’arsenal prêts à intervenir… avec un simple baquet d’eau !
Ces ateliers, désaffectés, sont aujourd’hui en partie mis à disposition d’évènements (expositions, conférences, etc…) dans le cadre de la Biennale d’art contemporain.
La corderie
En observant une vue aérienne de l’arsenal, on aperçoit tout au sud de la zone des ateliers, le long de l’enceinte de l’arsenal, un bâtiment recouvert d’une suite de toitures en alignement sur toute la longueur de l’enceinte, le long du Rio della Tana.
Ce bâtiment que le photographe nous présente par les deux vues suivantes est la corderie. Elle mesurait 315 mètres d’un seul tenant (elle est aujourd’hui morcelée). La cité des doges y tressait, à partir de 1579, les cordages pour les navires construits au sein de l’arsenal.
Elle comportait trois nefs délimitées par ces rangs de colonnes toscanes : nous sommes ici dans la nef centrale. Lors du tressage des cordages, pour passer d’une nef à l’autre, il fallait monter dans les coursives placées au-dessus des chapiteaux et emprunter les passerelles, comme celle que l’on aperçoit au fond de la photo. On pouvait tresser ici des aussières comportant jusqu’à 1 908 brins.
Dans le même immense bâtiment, la vue suivante est prise depuis la tribune qui servait à tester les cordages en provocant des torsions et des tensions extrêmes.
On constate que ce bâtiment est, en cette deuxième moitié du XIXe siècle, quasiment vide : on distingue encore quelques tréteaux entre les piliers, mais le lieu ressemble davantage à des ateliers abandonnés. Évidemment, puisque l’on ne construit plus ici de navires, au moins depuis 1850, voire même plus tôt. Ceci confirme le caractère secondaire de cet arsenal en cette fin de règne de l’Empire austro-hongrois. Ces lieux sont aussi, aujourd’hui, mis à disposition de la Biennale d’Art pour des manifestations.
Le Bucentaure et sa maquette
Le Bucentaure (Bucintoro) était une grande galère de parade utilisée chaque année par le doge pour renouveler les Noces de Venise avec la mer le jour de l’Ascension (Sensa en Vénitien). Cette cérémonie, inaugurée en 998, ne prit fin qu’avec la chute de la République en 1797. Il exista successivement quatre modèles de ce navire de parade ; le dernier, présent dans toutes les mémoires des amoureux de Venise, avait été mis en service en 1728. Son seul moyen de propulsion était constitué de 168 rames manœuvrées par autant d’arsenaloti (les charpentiers et ouvriers de l’arsenal).
Ce navire a été immortalisé par Francesco Guardi, illustrant le départ du doge pour San Nicole del Lido, d’où il jetait dans l’eau un anneau béni par l’archevêque de Venise.
Ce vaisseau extraordinaire a été détruit en 1797 par les troupes de Bonaparte : les décors et les incroyables sculptures dorées ont été brûlés par les français pour en récupérer l’or, tandis que la coque elle-même fut transformée en « ponton » pour la mise aux fers des récalcitrants ! |
Seuls ont été conservés son mât de parade (au musée d’histoire navale) et quelques éléments décoratifs (au Musée Correr).
Ce véritable acte de vandalisme fut une blessure profonde pour les Vénitiens. Heureusement, dès 1825, les Autrichiens ont rassemblé les collections d’armes, mises à l’abri avant le passage des français au Palais des doges, ainsi que les objets de marine anciens rescapés de ces tristes évènements. Ils en font la base d’un premier musée naval dans un pavillon de l’arsenal (voir ci-dessus la vue CAL385), cherchant certainement par là à flatter l’amour propre des Vénitiens et à se démarquer de l’occupation française.
Une des pièces majeures ainsi mises à l’abri fut la splendide maquette du dernier Bucentaure que notre photographe a tenu à immortaliser dans une des salles de ce premier musée : à cette occasion, un éclairage puissant a été utilisé qui provoque un halo au centre de la photo. Cette vue est prise depuis la proue, dont la figure monumentale, chargée d’une profusion de sculptures dorées, était dominée par le lion de Saint-Marc et une allégorie de la justice, reposant sur une sorte de centaure à corps de bœuf qui aurait donné son nom au navire.
Cette maquette reste aujourd’hui une des pièces emblématiques de l’actuel Museo Storico Navale, installé dans un bâtiment plus vaste depuis 1964. Ce Bucentaure, si cher aux Vénitiens, donna même lieu à son exécution en objet d’orfèvrerie.
Depuis 1965, la ville de Venise a renoué avec la cérémonie des Noces avec la Mer. En l’absence du Bucentaure, une galère d’apparat plus modeste a été construite : la Serenissima. Elle est aussi utilisée chaque année en septembre pour la Regata Storica, défilé nautique le long du Grand Canal. |
En 2008, une association, la Fondazione Bucintoro, est créée avec pour objectif de reconstruire le navire mythique.
Durant le mandat du président Nicolas Sarkozy, celui-ci, lors d’une visite officielle, a promis, en réparation des destructions commises par les troupes françaises, que la France offrirait le bois pour la reconstruction du navire. En 2014, les premiers chênes propres à la construction navale furent choisis et abattus dans des forêts périgourdines.
Les premiers couples du navire commencèrent ainsi à être assemblés dans une des cales couvertes du bassin des galéasses, au fond de la darse vieille.
Malheureusement, depuis 2016, les travaux sont fortement ralentis par manque de fonds. Mais ce chantier, au sein même de l’arsenal de Venise, redonne au lieu un peu de sa raison d’être historique, en renouant avec les traditions navales de la sérénissime République.
Christian Bernadat
Photographies de Venise :
Ch B : Christian Bernadat – L B : Line Bernadat
Bibliographie :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Venise
https://fr.wikipedia.org/wiki/Province_vénitienne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_de_l’unification_de_l’Italie#1866
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Prise_de_Venise_par_Napoléon_en_mai_1797,_Musée_de_la_Révolution_française_-_Vizille.jpg
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arsenal_de_Venise
https://it.wikipedia.org/wiki/Festa_della_Sensa
https://events.veneziaunica.it/it/content/festa-della-sensa
Navi e squeri veneziani alla Querini Stampalia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rio_della_Tana
https://www.gettyimages.fr/photos/gian-maria-maffioletti?phrase=gian%20maria%20maffioletti&sort=mostpopular
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bucentaure_(bateau_vénitien)
https://fondazionebucintoro.wordpress.com/
https://www.veneziatoday.it/cronaca/ricostruzione-bucintoro-venezia-sarkozy.html
https://les-apn-belgique.webnode.fr/news/le-bucentaure/
https://www.alamyimages.fr/photo-image-le-yacht-a-vapeur-autrichien-fantaisie-1858-l-illustrated-london-news-165306085.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_austro-hongroise
https://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_Ier_(empereur_du_Mexique)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_navires_de_la_marine_austro-hongroise
Articolo molto interessante ed è ammirevole come anche gli stranieri amino cosi’ tanto Venezia- Mi auguro che le Autorità cittadine non abbandonino il progetto di ricostruzione del mitico Bucintoro, un simbolo di Venezia. Grazie ancora agli Autori dell’articolo. Francesco Renon