Le Voyage aux Pyrénées selon Hippolyte Taine en 1855-1860

Premier épisode : de Royan à Bordeaux

Les Voyageurs, vers 1855-1864, Collection Dupin, DUP0319

Autour de 1830, une frénésie de voyage s’empare des européens. Il s’agit de découvrir le vaste monde, mais aussi de rentrer au contact de la nature dans ce qu’elle a de plus singulier. Les Pyrénées, avec leurs sommets, leurs ours et leurs mystères, s’inscrivent parfaitement dans cette singularité romantique. C’est aussi au dix-neuvième siècle que l’époque «des eaux» bat son plein. Les médecins vous y envoient avec régularité et persévérance. Les vieux aristocrates surannés y côtoient les bourgeois fatigués. Sous l’œil acerbe de l’écrivain, un berger passe dans des ruissellements de laine et de lumière. Que fait un écrivain en voyage ? Il écrit. Il écrit des textes sur cette nature qui le fascine, sur cette société qui l’ennuie, sur ces bergers qu’il admire ou qu’il méprise…

C’est ainsi que, parmi les plus connus de nos auteurs français, Georges Sand (dès 1825), Eugène Viollet-le-Duc (en 1833), Prosper Mérimée (en 1835), Stendhal (en 1838), Gustave Flaubert (en 1840), Victor Hugo (en été 1843), s’y succèdent.

Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser ce voyage, en 1855, justement pour suivre une cure médicale. Il n’a que 27 ans et prend à cette occasion une sorte de « congé sabbatique » après un parcours personnel assez chaotique (échec à l’agrégation de philosophie en 1851, enseignant dans plusieurs collèges de Province, refus d’une mutation à Besançon et retour à Paris où il s’inscrit à l’École de médecine).

Hippolyte Taine (Wikipedia)
Voyage aux Pyrénées de Taine, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 3

Le récit de son Voyage aux Pyrénées est publié en 1858. C’est un des plus tardifs mais aussi un de ceux qui eurent, à son époque, le plus de retentissement.

Sur ce thème, nous vous proposons de publier à intervalle régulier une illustration de son récit au moyen de vues sélectionnées au sein des collections de la Stéréothèque, par épisodes successifs, en suivant les étapes de son voyage, à la manière d’un feuilleton.

Comme beaucoup de ses prédécesseurs, Taine commence son récit de voyage sur la Gironde et à Bordeaux : surprenant effet d’un prisme déformant de « parisien », qui voit le « pittoresque », « l’exotisme » ou le parfum de l’aventure dès le franchissement de la Gironde. ! Nous allons suivre, en tout cas, le parcours de notre voyageur pas à pas.

Le récit de Taine commence, curieusement, par une « descente » de la Gironde, vraisemblablement sur un navire à voiles : « Le fleuve est si beau, écrit-il, qu’avant d’aller à Bayonne, je suis descendu jusqu’à Royan. ». On comprend en fin de chapitre que son voyage a commencé à Bordeaux où il est parvenu certainement depuis Paris : c’est possible en chemin de fer à partir de 1852. Là, il a pris le parti de remonter l’embouchure jusqu’à Royan, avant de reprendre le cours de son voyage vers les Pyrénées.

Détendu et empli de curiosité, il se lance dans des évocations romantiques, sur un ton presque Balzacien ou Stendhalien, bien dans l’époque.

Voiliers sur la Gironde, carte postale

« Des navires chargés de voiles blanches remontent lentement des deux côtés du bateau. À chaque coup de la brise, ils se penchent, comme des oiseaux paresseux, levant leur longue aile, et montrant leur ventre noir… »

Sur la Gironde, collection SAB, SAB211

« Les rives, bordées de verdure pâle, glissent à droite et à gauche, bien loin, au bord du ciel : le fleuve est large comme une mer ; à cette distance, on croirait voir deux haies ; les arbres indistincts, dressent leur taille fine dans une robe de gaze bleuâtre… »

Pins en lisières de dune, Collection SAB, SAB212

« Çà et là de grands pins lèvent leurs parasols sur l’horizon vaporeux, où tout se confond et s’efface… »

Sur la Gironde, Collection SAB, SAB261

« Tout à l’heure un nuage a couvert le ciel, et le vent s’est levé. Le fleuve a pris à l’instant l’aspect d’un animal sournois et sauvage. Il se creusait, et l’on voyait son ventre livide ; il arrivait contre la carène avec des soubresauts convulsifs… »

Après le coucher du soleil sur la Gironde, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 8

« Puis tout s’est apaisé ; le soleil s’est dégagé ; les flots se sont aplanis, on n’a plus vu qu’une nappe riante ; sur ce dos poli trainaient et jouaient follement mille tresses verdâtres ; la lumière s’y posait, comme un manteau diaphane ; elle suivait les mouvements souples et les enroulements de ces bas liquides ; elle ployait autour d’eux, derrière eux, sa robe azurée, rayonnante ; elle prenait leurs caprices et leurs couleurs mobiles… ».

Le port de pêche de Royan (1855-1899), Collection Magendie, MAG1149

Enfin, «  Le bateau s’amarre à une estacade, sous un amas de maisons blanches : c’est Royan…. »

Dans les pins autour de Royan (1855-1899), Collection SAB, SAB291

« La droite du village est noyée sous un amas de sable ; là sont des collines croulantes, de petites vallées mornes, où l’on est perdu comme dans un désert ; nul bruit, nul mouvement, nulle vie ; de pauvres herbes sans feuilles parsèment le sol mouvant, et leurs filaments tombent comme des cheveux malades ; de petits coquillages blancs et vides s’y collent en chapelets, et craquent avec un grésillement, partout où le pied se pose ; ce lieu est l’ossuaire de quelque misérable tribu maritime. Un seul arbre peut y vivre, le pin, être sauvage, habitant des rochers et des côtes infécondes ; ils se serrent fraternellement, et couvrent le sable de leurs lamelles brunes ; la brise monotone qui les traverse, éveille éternellement leur murmure… »

Le phare de Cordouan (1855-1899), Collection Wiedemann, WIE139

« Le soir est tombé ; les teintes de pourpre brunissent et s’effacent. Le fleuve se couche dans l’ombre molle et vague ; à peine si de loin en loin un reste de lueur part d’un flot oblique ; l’obscurité noie tout de sa poussière vaporeuse ; l’œil assoupi cherche en vain dans ce brouillard quelque point visible, et distingue enfin comme une faible étoile le phare de Cordouan. »

La rade de Bordeaux vue depuis la tour Saint-Michel, telle que Taine l’a vue (1855-1860), Collection Calvelo, CAL0176

« Le lendemain soir, une fraîche brise maritime nous a ramenés à Bordeaux. L’énorme ville entasse le long du fleuve ainsi que des bastions ses maisons monumentales ; le ciel rouge est crénelé par leur bordure. Elles d’un côté, le pont de l’autre, protègent d’une double ligne le port où s’entassent les vaisseaux comme une couvée de mouettes ; ces gracieuses carènes, ces mâts effilés, ces voiles gonflées ou flottantes, entrelacent le labyrinthe de leurs mouvements et de leurs formes sur la magnifique pourpre du couchant. Le soleil s’enfonce au milieu du fleuve qu’il embrasse ; les agrès noirs, les coques rondes, font saillie dans un incendie, et ressemblent à des bijoux de jais montés en or. »

À suivre…

Christian Bernadat

Bibliographie :

Voyage aux Pyrénées

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippolyte_Taine

Voyage_aux_Pyrénées_(3e_édition)_[…]Taine_Hippolyte-Adolphe_bpt6k103134v.pdf (Gallica)

 

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