Martigues, dans les Bouches du Rhône, est établie en bordure de l’étang de Berre, sur la voie d’eau canalisée que l’on désigne comme canal de Marseille au Rhône, ou canal de Caronte. Au débouché de l’étang de Berre, en direction de Port-de-Bouc et du golfe de Fos, ce canal se dédouble, enserrant l’Île qui forme la vieille ville de Martigues : la branche nord prend le nom de canal de Baussengue et la branche sud, celui de canal Galiffet. Au centre de l’Île, un canal secondaire, le canal Saint-Sébastien, traverse le centre historique en formant un coude. Cette courbe liquide, bordée de maisons colorées qui abrita pendant longtemps des barques de pêche le long des quais (concurrencées aujourd’hui par les bateaux de plaisance), a reçu le joli surnom de « miroir aux oiseaux ».
Sans conteste, cet environnement et ces trois canaux font penser à Venise (et même encore davantage à Burano). C’est donc légitimement que la petite cité provençale a souvent été baptisée la « Venise provençale ». C’est sous cette appellation qu’elle fut célébrée avec emphase en 1934 par Henri Allibert et René Sarvil dans une chanson de l’opérette Arènes joyeuses, sur une musique de Vincent Scotto.
Avec le soleil, les reflets dans l’eau, les barques, les façades colorées, cet endroit magique alliait aussi tous les ingrédients pour fasciner de nombreux peintres depuis plus d’un siècle.
Ainsi, notamment Raoul Dufy (1877-1953), découvre Martigues en 1903. Après avoir participé au Salon des Indépendants à Paris, pour son premier séjour méridional, il vient à Martigues (1903-1904) où il peint un grand nombre de toiles, probablement encouragé par Francis Picabia, grand admirateur de Félix Ziem (1821-1911), la notoriété de ce dernier ayant attiré en ce lieu de nombreux peintres dès les années 1880.
Cependant l’aspect contemporain de ce site est en fait le résultat de grands travaux de réaménagement qui ont commencé sous le Second Empire pour se terminer en 1929. En particulier, à partir de 1922, une grande partie de l’Île, autour du canal Saint-Sébastien, a été profondément remaniée, tandis qu’une île qui encombrait le centre du canal Galiffet, le « Plan Meyran », a été supprimée. L’extrait du cadastre napoléonien présenté plus bas permet de se rendre compte de l’état du site avant ces réaménagements.
Les 16 vues de Martigues conservées dans la collection Gaye de la Stéréothèque (dont au moins une douzaine sur le centre historique lui-même), constituent donc un remarquable reportage, réalisé au cours de la période 1880-1920, de l’état de ce cœur historique avant ces grands travaux : ces vues stéréoscopiques sont, pour un certain nombre d’entre elles, le témoin d’un passé révolu.
Laissons-nous guider par une sélection de ces photographies, avec, en regard, une correspondance avec un tableau d’artiste, de préférence contemporain des sites fixés par les vues stéréoscopiques.
La vue en Une qui ouvre cette rubrique présente le cœur emblématique de Martigues, poétiquement baptisé le « miroir aux oiseaux ». Elle est vraisemblablement prise depuis l’ancien plan Meyran, aujourd’hui détruit (voir plus loin vues CG094 et CG105), en direction du quai d’en face, au débouché du canal Saint-Sébastien. On y voit l’angle formé par ce canal et le quai Brescon amorçant un coude vers la gauche. C’est à cet endroit que l’on a donné le nom de « miroir aux oiseaux ». Avec l’alignement des maisons de pêcheurs colorées de dimensions irrégulières et les barques qui se reflètent dans l’eau, ce site est classé depuis 1942 : il a fasciné de nombreux peintres de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe et fut un de leurs sujets de prédilection.
Ci-dessous, deux huiles sur toile illustrent ce lieu si prisé des peintres. L’une de 1907, l’autre bien plus récente (1997).