La représentation des fables de La Fontaine par Furne et Tournier

Entre 1857 et 1864, Charles-Paul Furne et Henri-Alexis-Omer Tournier ont collaboré pour produire près de 40 séries de vues stéréoscopiques, établissant ainsi leur réputation en tant que figures majeures de la production et de l’édition de cartes stéréoscopiques en France pendant l’apogée de cette technique. Leur partenariat a donné naissance à environ 7000 photographies, témoignant de leur dévouement à capturer et à partager des moments de la vie quotidienne ainsi que des scènes remarquables de leur époque.

Parmi ces réalisations remarquables figure une série dédiée à l’illustration des fables de La Fontaine. Ces vues, imprégnées de l’esprit de leur temps, offrent une plongée fascinante dans la société et les valeurs de l’époque. En effet, elles regorgent d’informations précieuses, nous permettant de découvrir non seulement les récits intemporels de La Fontaine, mais aussi les coutumes, les attitudes et les préoccupations de la société du XIXe siècle.

Les voleurs et l'âne

Illustrateur Jean-Baptiste Oudry (Gravure de Pierre François Tardieu) 1755

Nous commençons avec Les Voleurs et l’Âne qui est la treizième fable du livre I de Jean de La Fontaine situé dans le premier recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1668.

Pour un Âne enlevé deux Voleurs se battaient :
L’un voulait le garder ; l’autre voulait le vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième Larron
Qui saisit Maître Aliboron.
L’Âne, c’est quelquefois une pauvre Province.
Les Voleurs sont tel ou tel Prince,
Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux j’en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.
De nul d’eux n’est souvent la Province conquise :
Un quart Voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du Baudet.

Cette fable est à mettre en relation avec la complexité de la situation politique internationale dans les Balkans à cette époque

Il était question en 1661 que la Turquie déclare la guerre à l’Empire qui avait des prétentions sur la Hongrie et la Transylvanie.

Fables de La Fontaine, les voleurs et l'âne, Collection Magendie. 1868. Mag 6129

La leçon de la fable est que la mésentente est toujours néfaste.

À force de rechercher la confrontation ou de vouloir s’imposer par la force, l’on peut tout perdre. Celui qui a gagné, c’est-à-dire maître Aliboron, n’est pas l’un des deux voleurs mais plutôt une personne étrangère au conflit, qui n’a fait que ramasser ce qui traînait, sans user de force.

C’est cet instant précis de la fable qui est illustré dans cette vue de Furne et Tournier  avec la légende qui l’accompagne « Arrive un troisième larron qui saisit maître Aliboron ».

Le loup et le chien

Illustration Jean-Jacques Grandville, 1668

Continuons avec Le loup et le chien, cinquième fable du premier livre édité en    1668 : 

Un Loup n’avait que les os et la peau ;
Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.

Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d’assuré, point de franche lippée.Tout à la pointe de l’épée.

Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin.

Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?

Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
……..Sans parler de mainte caresse.

Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu’est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu’importe ?

Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

Fables de La Fontaine, Le Loup et le Chien, Collection Dupin. 1868. DUP0377

Cette fable animalière oppose deux animaux à la morphologie proche mais à la vie très différente : l’un est sauvage et l’autre est domestique. Cette confrontation permet à La Fontaine de présenter deux conditions : l’insécurité liée à la liberté et le confort lié à la servitude.

Cette fable fait par ailleurs directement référence au mécénat qui a permis à Jean De La Fontaine de vivre et de créer mais qui lui a parfois imposé la censure.

La Fontaine termine sur une image forte : la fuite du loup affirme mieux l’importance de la liberté que les meilleurs discours. Et pourtant la liberté du loup semble étrangement figée, sans issue.

Pour cette vue, les photographes ont mis de côté l’idée d’animaux antropomorphes mais ont bien sûr conservé cette notion de classe différente entre le sujet représentant « le chien » bien vêtu et indiquant la maison de son maître et celui symbolisant « le loup » habillé plus simplement et voulant se diriger vers la forêt. 

Le renard et les raisins

Pour cette une du mois nous finissons avec Le renard et les raisins, onzième fable du livre III de Jean de La Fontaine. Cette fable est la plus courte écrite par le fabuliste.

Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?

Dans une perspective psychanalytique elle illustre le déni comme réaction aux frustrations douloureuses issues des conflits entre nécessité, besoin ou désir, et de l’incapacité à les satisfaire.

Le renard finit par se convaincre qu’il ne mange pas les raisins non parce qu’ils sont hors de sa portée mais parce qu’ils sont trop verts.

Dans cette vue de Furne et Tournier, le Renard est représenté par un homme ne pouvant accéder aux « fruits trop vert » qui sont ici personnifiés par des jeunes filles, trop jeune donc pour le galant mais « bons pour des goujats ».

Les représentations de fables en photographie stéréoscopique sont nombreuses, outre la série de Furne et Tournier, on trouve d’autres photographe qui ont appliqué leur style pour s’essayer à l’exercice mais nous verrons cela lors de la suite de cette une, le mois prochain !


Bibliographie

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