Le Palais Gallien à Bordeaux, dans son état des années 1860-1864, un exemple de témoignage du patrimoine ancien dans son état du XIXe siècle. Collection Vergnieux, RVX183

Septembre est le mois des Journées européennes du patrimoine. Une nouvelle fois, la Stéréothèque, avec ses très nombreuses photos de la seconde moitié du XIXe siècle, peut apporter des éléments de référence aux amateurs de l’histoire du patrimoine, en particulier dans les collections Calvelo, Dupin, Magendie ou de la Société archéologique de Bordeaux (SAB).

Cette période fut en effet, nous le savons, celle de la réappropriation du patrimoine par les Français, notamment sous l’influence de Prosper Mérimée ou de Victor Hugo.

Il convient de ne pas oublier que cela donna lieu à deux « écoles » :

  • celle de la Société française d’Archéologie, dont le (girondin) Léo Drouyn fut un des éminents membres girondins, qui considérait que « le droit de vivre existe pour les monuments comme pour les hommes… », mais qui rencontra beaucoup de difficultés pour obtenir une restauration « respectueuse du passé » pour les monuments,
  • et la tendance « restauratrice », dont les architectes Viollet-le-Duc ou Abadie furent les plus représentatifs, et qui, souvent, parvinrent à concrétiser leurs projets consistant à transposer un Moyen Âge architectural rêvé sur leurs restaurations.

C’est surtout des témoignages de cette seconde tendance que nous retrouvons dans nos collections. Nous en retiendrons quelques exemples, par ordre alphabétique, parmi les sites les plus emblématiques.

Le château d’Amboise entre 1875 et 1900. Collection SAB, SAB 496

Classé à l’inventaire des monuments historiques en 1840, le château d’Amboise est restitué à la famille d’Orléans en 1873, mais n’est restauré qu’au début du XXe siècle. À ce moment, le toit du logis principal ne comportait que quatre chiens-assis à meneaux Renaissance, et, sur la droite du toit, une surélévation dénotait. Lors de sa restauration, cette « verrue » a été rasée et deux nouvelles fenêtres à meneaux ont été créées pour assurer une uniformisation parfaite de la façade (voir photo ci-dessous).

Le château d’Amboise aujourd’hui (Source Google)

Bordeaux :

Dans cet élan de restauration du patrimoine ancien, l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux fit l’objet d’une « restauration-recréation » bien dans l’esprit des architectes phares de ce mouvement.

L’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux avant sa restauration, entre 1852 et 1860. Collection Magendie, MAG0686

L’église est classée en 1840. Elle est restaurée vers 1860 par les architectes Gabriel-Joseph Durand, Charles Burguet et le controversé Paul Abadie (l’architecte du Sacré-Cœur de Paris). Ces transformations radicales permirent d’unifier la façade en privilégiant un style roman saintongeais.

L’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux entre 1880 et 1920. Collection Gaye, CG014

Abadie a cherché à instaurer une certaine symétrie en élevant en partie gauche de la façade une tour-clocher du même style qu’à droite, bien que plus étroite ; il a aussi fortement modifié le pignon au-dessus du portail principal en rajoutant un petit clocheton, en systématisant des niches à petites arcades, en déplaçant la grande arcade vers la gauche au-dessus de la porte secondaire et en y incluant une statue équestre de Saint-Georges terrassant le dragon en armure médiévale. Malgré les controverses, reconnaissons que le résultat d’ensemble est plutôt réussi.

En 1860, on entreprend aussi de reconstruire le clocher (une tour-campanile séparée de l’édifice) de la basilique Saint-Michel de Bordeaux, classée monument historique depuis 1846. Cette flèche, déstabilisée par un tremblement de terre en août 1759, s’était effondrée en 1768 à la suite d’un ouragan. Le sommet de la flèche, tronqué, offrait alors une plateforme sur laquelle on érigea, après la Révolution, un télégraphe de Chappe.

Flèche de la basilique Saint-Michel en 1830, portant un télégraphe de Chappe. (Source Wikipedia)

La reconstruction de la flèche sur les plans d’Abadie fut entreprise vers 1860, cette fois  en respectant le style gothique d’origine, et s’acheva en 1869. Avec ses 114 mètres, il en fit la flèche la plus haute du sud de la France, et la seconde de tout le pays.

Reconstruction de la flèche de la basilique Saint-Michel de Bordeaux sur la période 1860-1869. Collection Calvelo, CAL0180

À partir de 1863, on entreprend aussi de dégager la cathédrale Saint-André des maisons qui l’enserrent, mais on abat pour cela le cloître qui y était accolé.

Le chevet de la cathédrale Saint-André de Bordeaux en 1863, avant les grands travaux de dégagement permettant l’extension de la place Pey-Berland. Collection Magendie, MAG6173

Cette vue, datée de 1863, nous présente les abords de la cathédrale Saint-André avant les grands travaux de transformation du quartier à la fin de Second Empire. Le percement de l’actuel cours Alsace-Lorraine, au sud de l’édifice, entraîne en 1864 la démolition de l’archevêché, puis en 1865 celle du cloître et des bâtiments situés à gauche sur la vue ci-dessus. Léo Drouyn, le spécialiste de l’archéologie girondine, membre de la Société française d’Archéologie, qualifia cette destruction de « crime archéologique » ; il immortalisa ce moment dans ce tableau peint à l’huile :

Travaux de dégagement en 1865 (démolition du cloître et des dépendances) de la Cathédrale Saint-André, vue à l’opposé du chevet, par Léo Drouyn, huile sur toile de 1872 (Musée d’Aquitaine)

Le dégagement de la cathédrale s’achève en 1868 avec la destruction des rues Victor, Sainte-Hélène, Saint-André (bâtiments situés à droite sur la vue ci-dessus). La place Pey-Berland revêt désormais son aspect actuel.

Chevet de la Cathédrale aujourd’hui (photo Kathedralen.net)

 

Étretat :

Quittons le port de la Lune pour la Normandie. En 1864, les barques de pêche traditionnelles de la côte normande, de leur véritable nom, « caïques d’Étretat », sont encore bien présentes sur la plage. Ces coques, robustes et hautes, montées à clins, étaient conçues pour affronter les temps changeants de la Manche et être remontées tous les soirs à même la plage au moyen de treuils puissants ou d’attelages de chevaux. Au même titre que les bâtiments anciens, les barques et voiliers traditionnels font partie de notre patrimoine historique.

Voiliers de pêche traditionnels sur la plage d’Etretat en 1864. Collection Calvelo, CAL0233

Aujourd’hui, la plage est livrée aux touristes et à la navigation de plaisance (photo ci-dessous).

Vue d’Étretat aujourd’hui (Photo Christian Bernadat)

Il ne reste que deux caïques, en retrait de la plage, sous forme de coques renversées, qui servaient dans le temps d’abri à matériel ; les Étretatais les dénommaient alors « caloges ».

Une des deux dernières caloges d’Étretat, transformée aujourd’hui en bar de plage (Photo Christian Bernadat)

Libourne :

Retour en Gironde avec cette vue de l’hôtel de ville de Libourne entre 1874 et 1895, avant les transformations qui ici encore ont accompagné sa restauration.

L’hôtel de ville de Libourne, sur la « place de la mairie » entre 1874 et 1895. Collection SAB, SAB415

La restauration de cette façade s’est accompagnée de nombreuses modifications de 1911 à 1914 (photo ci-dessous) : création d’une seconde fenêtre à meneaux sur le pignon à gauche, rétablissement d’une fenêtre à arcade sur le beffroi, recomposition complète de la façade de droite par deux séries de trois fenêtres à meneaux (au lieu de quatre) réunissant les ouvertures des premier et second étages en trois grandes baies, ainsi qu’unification de la taille des arcades du passage couvert au rez-de-chaussée. Le second étage de ce bâtiment abrite aujourd’hui le Musée des Beaux-arts de la ville. Dans son nouvel état, cette façade a été classée monument historique.

L’hôtel de ville de Libourne, état actuel (photo Mireille Grumberg)

 

Paris :

Les travaux d’aménagement du baron Haussmann, commencés vers 1844, n’ont pas permis de conserver de nombreux témoignages des états antérieurs dans nos collections. En revanche, quelques rares photos prises pendant le déroulement des travaux y figurent.

C’est le cas de cette vue (droite et gauche inversées), prise entre 1853 et 1855, pendant le dégagement de l’avenue Victoria, en face de l’Hôtel de ville, après démolition des rues de la Vannerie et de la Tannerie. En outre, nous avons ici l’Hôtel de Ville ancien, d’avant sa destruction par le feu au cours de la semaine de la Commune de Paris en mai 1871 et sa reconstruction, quasiment à l’identique pour la façade.

Les rues en face de l’Hôtel de ville en cours de percement, 1853-1855. Collection Dupin, DUP0257
L’Hôtel de ville de Paris vue depuis l’avenue Victoria aujourd’hui (Source Google Earth)

L’aménagement de la Seine et de ses abords, plus tardif que les travaux de percement d’Haussmann, a en revanche permis de fixer sur les plaques quelques sites emblématiques antérieurs à leur aménagement : vus avec le regard d’aujourd’hui, ils nous donnent l’impression d’un passé « pittoresque » et très lointain !

C’est le cas des deux pompes Notre-Dame, imposantes constructions adossées au pont Notre-Dame en rive droite (à l’opposé de l’île de la Cité) qui, à leur apogée, alimentaient 11 fontaines dans la ville, dont celle de la place Saint-Michel et celle de la place du Palais Royal. Mais le réseau montrait de fortes déperditions et les machines demandaient des travaux d’entretien lourds et réguliers. La première pompe cessa de fonctionner dès 1786. Quant à la seconde, elle fut utilisée jusqu’en 1858 et détruite en 1861.

Les pompes Notre-Dame, adossées au pont Notre-Dame, vues vers 1853-1858. Collection Dupin, DUP0108

Le pont lui-même, reconstruit par Haussmann, a été modifié une nouvelle fois en 1912, avec une arche métallique centrale.

Le pont Notre-Dame de Paris en rive droite, aujourd’hui (Source Histoire-de-Paris.fr)

À peine plus loin vers l’aval, mais toujours sur le petit bras de la Seine, ré-ouvert à la navigation seulement au milieu du XIXe siècle, voici ce qui était le quai des Ormes. En arrière-plan, on aperçoit le Pont Marie (le cliché ne montre ni l’île de la Cité, à droite, ni le quai haut, bâti, sur la gauche). Ce quai a fait l’objet de travaux importants de 1838 à 1842, consistant à édifier un « quai haut » bâti raccordant le quai des Ormes au quai de Grève.

Entre 1847 et 1867, ces travaux ont établi un « bas-port », qui doit correspondre à ce que montre cette vue. Sur ce port s’était installé un marché aux fruits, mais il servait certainement aussi à décharger les fruits et légumes à destination des halles pas très éloignées.

L’arrivage des fruits et légumes sur la grève du « quai des Ormes » entre 1854 et 1867. Collection Magendie, MAG2465

À partir de 1867 ou 1868, la municipalité crée ici le quai de l’Hôtel de Ville qui devient complètement bâti. La photo ci-dessus est donc un document intéressant puisque la configuration qu’elle présente n’a vraisemblablement existée qu’entre 1842 et 1867.

Le pont Marie vu vers l’aval aujourd’hui (Source Wikipedia)

À Paris, encore un peu plus vers l’aval, nous voici au port de Solférino, à deux pas du pont Royal, en face du pavillon de Flore (à l’extrémité du palais des Tuileries). Sur la période couverte par la photo (1851-1855), une péniche est en cours de déchargement de blocs de pierre déjà taillés, sur la berge en pente (encore non recouverte de quais verticaux). Cette opération est réalisée par deux grues de carriers, vraisemblablement implantées ici pour alimenter le gigantesque chantier de construction lancé par le Baron Haussmann à compter de juin 1853, à la demande de Napoléon III.

Le port de Solférino, en face du Louvre entre 1851 et 1855., Collection Dupin, DUP0295

Aujourd’hui, les quais ont été bâtis tout le long de la Seine ; la voie rapide construite sur une partie du quai a actuellement été rendue aux piétons ; un escalier descend depuis le quai Anatole France vers la Seine, reliant directement, pour les piétons, les berges aux voies qui le surplombent (ci-dessous).

Vue du pavillon de Flore et du pont Royal depuis le quai d’en face, au pied du Musée d’Orsay (Source Google Earth)

Sceaux :

Terminons cette évocation du passé patrimonial par cette vue de la gare de Sceaux antérieure à 1860. Cette fois, c’est le patrimoine ferroviaire qui attirera notre attention.

La Compagnie du Chemin de Fer de Paris à Sceaux a été fondée en 1845 par le polytechnicien Jean-Claude-Républicain Arnoux sur une concession qui lui avait été octroyée en 1844. Arnoux y teste une solution technique spécifique permettant d’améliorer la vitesse des trains en courbe et de limiter l’usure des rails et des roues, en désolidarisant les roues d’un même essieu et en articulant les essieux sur un pivot central. Il utilise une voie large (1,75 m). Cet ensemble est appelé « système Arnoux ». Le premier tronçon relie « l’embarcadère d’Enfer » (devenu Denfert-Rochereau) à Sceaux, rue de Fontenay, à proximité du parc de Sceaux. Il est ouvert au public à compter du 23 juin 1846. Dans cette première étape (jusqu’en 1863), la ligne est ouverte en voie unique, comme on peut le voir sur cette photo.

L’ancienne gare de Sceaux (située à proximité du parc de Sceaux) avec un train à vapeur à quai, 1852-1860. Collection Dupin, DUP0217

Nous avons ici l’intéressant témoignage d’une des locomotives Anjubault « Orge », construites spécifiquement pour la ligne. Ces machines sont fabriquées dans l’usine de la rue Keller à Paris (11e arrondissement). Elles ont été présentées à l’Exposition universelle de 1855. Attelé derrière la machine, on aperçoit un tender, wagonnet servant à transporter le charbon pour la chaudière, puis, le premier wagon de voyageur, équipé d’une cabine surélevée et vitrée dans laquelle s’installait le serre-frein, employé capital sur ces convois.

A la suite de la crise de 1847, la société Arnoux est rachetée par la Compagnie du Paris-Orléans en 1857.

 

La ligne est passée à deux voies en 1863. Mais, en 1893, la ligne adopte un nouveau tracé entre Bourg-la-Reine et Sceaux, imposant de construire une nouvelle gare à quelques centaines de mètres de la première (photo ci-dessous). Aujourd’hui, comme le savent tous les Franciliens, cette ligne fait partie de la ligne B du RER, exploitée par la RATP.

Photo 12 : L’actuelle gare de Sceaux (Source Wikipedia)

Elle sera profondément modernisée lors de la transformation de la ligne en RER en décembre 1977. Les rames, elles aussi, ont subi plusieurs modernisations (photo ci-dessous) : que d’évolutions ferroviaires parcourues en à peine plus d’un siècle !

Rame MI79 du RER B (en livrée STIF) entrant en gare (Source Wikipedia)

Christian Bernadat

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