La Normandie artistique
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En avril 1859, dans le numéro 7 de leur journal, « La Photographie », Furne et Tournier annoncent leur intention de parcourir la Normandie pour en ramener une iconographie (ou une collection, comme ils préfèrent la nommer) sur le modèle de celles qu’ils avaient réalisées en Bretagne et en Provence les deux années antérieures.
Dans le climat océanique des deux provinces maritimes, la belle saison est bien évidemment la seule période favorable aux opérations de la chambre noire. En Normandie comme en Bretagne, le ciel est nuageux une bonne partie de l’année – parfois même en été. Or, si ce régime humide est idéal pour les effets atmosphériques d’un Boudin ou d’un Monet, les ciels chargés nuisent en revanche à la bonne marche des opérations photographiques. Les deux cousins seraient donc mal avisés d’organiser leurs excursions d’octobre à mars : les photographes de ce temps-là n’ont pas tout à fait les mêmes soucis que les futurs impressionnistes et – contraints qu’ils sont par l’optique et la chimie de leur temps – ne s’intéressent guère aux variations chromatiques de l’atmosphère : une bonne lumière franche est celle qui leur convient le mieux.
Or si Furne et Tournier ont besoin, sans doute, d’un éclairage légèrement plus vif que la plupart de leurs confrères, c’est qu’ils affectionnent particulièrement les prises de vues animées, même lorsque le centre d’intérêt d’un cliché est un « spot » touristique. Notre duo a donc besoin d’opérer assez vite s’il veut éviter les « bougés » outranciers des gens du cru. Or les deux cousins semblent pouvoir compter sur la complicité de la population locale, paysans bretons, normands ou béarnais qui se prêtent souvent aux petites poses nécessaires à la prise de vue, mais oublient parfois les limitations techniques de la photographie : les flous cinétiques ne sont rares. Au demeurant, Furne et Tournier, surestimant la rapidité de leurs prises de vue, se glorifient de la présence de cette population autochtone.
A la fin des années 1850, la sensibilité des plaques au collodion est toute relative. L’instantanéité – celle qui se mesure en fractions de seconde – reste un tour de force dont peu de photographes, à l’exception des Le Gray ou des Bertsch peuvent se vanter. Les scènes de genre, soigneusement mises en scène dans des ateliers aux verrières lumineuses, sont déjà abondantes, mais l’humanité reste fugace dans l’immense majorité des prises de vue topographiques de la période : ce n’est pas la population souvent fantôme, étant donné la lenteur des négatifs, mais les sites et les monuments qui sont le foyer de la plupart des vues saisies en extérieur. Lorsqu’ils annoncent leur voyage prochain en Normandie, Furne et Tournier ont une définition plutôt élastique de la rapidité des prises de vues. Une instantanéité digne de ce nom n’apparaîtra réellement dans la pratique stéréoscopique qu’avec Wilson, England ou Ferrier, peu de temps après.
Quelques passages du journal « La Photographie » fournissent incidemment des détails intéressants sur les conditions techniques de ces expéditions régionales : une réclame d’un certain W. Wild (qui n’est peut-être qu’un pseudonyme) vantant les mérites de son « collodion instantané extra-rapide » paraît le 5 février 1859. Ces quelques lignes nous apprennent par exemple que, depuis le fameux Voyage en Bretagne de 1857, Furne et Tournier utilisent – luxe suprême – une voiture aménagée en laboratoire de campagne :
De ces « reportages » coûteux dans les provinces – Bretagne, Pyrénées, Provence – Furne et Tournier ramènent généralement plusieurs centaines de vues. Ainsi ont-ils collecté au cours de leur périple normand du printemps ou de l’été 1859 pas moins de « 211 sujets au stéréoscope » dont la liste est connue – sans compter les négatifs qui n’ont sans doute pas été exploités, soit qu’ils fussent de mauvaise qualité technique, soit qu’ils se soient révélés décevants à d’autres points de vue. Signalons, pour compliquer un peu les choses, l’existence dans la production de Furne et Tournier d’une autre série, intitulée « Voyage en Normandie », dont ni la numérotation ni les sujets ne semblent correspondre à cette collection de « La Normandie artistique ».
Comme souvent chez Furne et Tournier, des personnages indiquent très opportunément l’échelle exacte du site photographié. Il s’agit généralement d’une population locale, dont la présence sur les lieux est, en quelque sorte, toute « naturelle » et que le photographe saisit (par un « hasard » en vérité très concerté) dans ses activités quotidiennes. Mais il peut également s’agir, de visiteurs, seuls ou en couple, livrés à une admiration toute touristique face à un paysage ou un monument : une quasi-mise en abyme de notre propre contemplation du stéréogramme.
Le procédé est, à l’ère du collodion, utilisé par toutes sortes de photographes, de manière apparemment aléatoire. Il est, toutefois, particulièrement fréquent (et prémédité) dans la production de Furne et Tournier et encore davantage dans celle de William England. Chez le photographe anglais, par exemple, la quasi-totalité des paysages suisses qu’il a choisi de reproduire ont leur témoin oculaire, présent sur l’image, qui admire la vue en même temps que nous. Or les indices fournis dans cette sorte d’images ne sont pas seulement dimensionnels. L’échelle chronologique est, elle aussi, exposée : ces vues sont clairement datées. La régularité de cette petite recette chez quelques photographes explique, partiellement sans doute, le charme très singulier (et exponentiel au fil du temps) de leurs images : elles ont, paradoxalement, d’autant mieux vieilli qu’elles sont millésimées.
José Calvélo, indexation collaborative
La série d’images stéréoscopiques consacrée à La Normandie artistique n’a pas fait l’objet d’un enregistrement au dépôt légal. Les vues tirées sur papier albuminé sont éditées sur plusieurs types de cartons :
Carton beige rosé : les photographies sont découpées de manière arrondie dans leur partie supérieure, une étiquette bleue portant la légende est collée sur le recto.
Carton jaune et orangé : les photographies sont découpées de manière arrondie dans leur partie supérieure, l’étiquette bleue qui porte la légende est invariablement collée au dos.
Carton blanc : il s’agit ici d’une série très particulière avec un montage des épreuves tout à fait inhabituel. Les épreuves de cette série sont montées recto-verso. Quant aux légendes, elles sont ici manuscrites, comme elles le sont dans la majorité de la production stéréoscopique su Second Empire. Cette particularité est néanmoins exceptionnelle dans la production de la maison Furne et Tournier, qui prend toujours soin d’accompagner les épreuves d’une étiquette imprimée portant le nom de la collection et la légende de la vue.
Sous-série | N° image | Légende | Image |
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SEINE-INFERIEURE | |||
2 | Elbeuf – Sur le quai | Voir l’image | |
3 | Elbeuf – Lavoir de laine | Voir l’image | |
4 | Elbeuf – Le canal | Voir l’image | |
5 | Duclair – Vue prise des bords de la Seine | Voir l’image | |
20 | Arques – 1ère cour du château | Voir l’image | |
21 | Arques – Bas-relief de Gayrard dans le château | Voir l’image | |
22 | Arques – L’église vue du village | Voir l’image | |
26 | Saint-Martin-l’Eglise près Dieppe – La rivière d’Arques dans le village | Voir l’image | |
29 | Dieppe – Entrée par la route de Paris | Voir l’image |
bibliographie :
FURNE, Charles Paul et TOURNIER Henri. La Photographie : journal des publications légalement autorisées : faits intéressants la photographie, annonces, 1859, 3 et 13.
PELLERIN, Denis. La photographie stéréoscopique sous le Second Empire. Paris : Bibliothèque nationale de France, 1995, 106.