Ce mois-ci, l’image de novembre nous est présentée par Philippe Marty, dont la collection familiale (collection Heude) est en train de rejoindre nos fonds :
Voilà une image qui fait le pont entre les premiers outils de la photo et les dernières technos digitales !
On traverse les générations avec cette prise de vue réalisée grâce à l’appareil photo de mon grand-père : un Heidoscop (voir cette page pour une présentation détaillée de l’engin) des années trente, qu’il avait acheté avec un dos à plaques de verre et fait modifier pour recevoir des rouleaux de film 120 (6×6).
Pour conserver l’esprit vintage, j’ai choisi une pellicule au look d’époque, la Fomapan 400 en édition limitée… Développement maison du négatif, à l’ancienne.
Puis, c’est là qu’on bascule dans le 21ème siècle : scan réalisé via un ordinateur connecté à un appareil photo positionné au dessus du négatif. Le négatif est maintenu par un support dont une partie a été adaptée grâce à une imprimante 3D, le tout posé sur une plaque d’éclairage LED…Vous me suivez ? Un jour, je tâcherai de faire une photo de l’installation, promis.
Bref, une fois l’image captée sur l’ordinateur, je fais un certain nombre de réglages dans Lightroom pour optimiser mes paires de vues stéréo et je les traite enfin dans StereoPhoto Maker (merci à l’équipe du CLEM pour m’avoir orienté vers ce logiciel) pour créer facilement les cartes stéréo et/ou les anaglyphes tels qu’on les voit ici.
Pour le plaisir de cette image du mois, nous avons retenu un sujet en forme de clin d’œil qui prolonge le pont entre les générations. Un appareil photo du début du 20ème siècle a réussi à prendre une image en relief d’une soucoupe volante au-dessus des bassins à flots de Bordeaux. Mon grand-père aurait eu du mal à avaler cette histoire, et pourtant !
Merci une nouvelle fois au Clem pour cette mise en lumière et pour tout leur travail autour de la stéréoscopie, quelle belle énergie !
La présentation de cette vue illuminée – un cadre blanc percé de deux fenêtres carrées aux coins arrondis bordées d’une frise de perles gaufrées – est assez inhabituel pour une photographie sur ce thème.
Le tirage sur papier salé est anonyme et une légende est manuscrite à la plume au dos : « Fête Dieu à Caen ».
Pour le bon Champenois du sud que nous sommes, cette mention fait bondir. Une cathédrale avec une tour unique ornée d’une grosse horloge et surmontée de deux clochetons : nous sommes sans conteste à Troyes. La rue de l’Hôtel-de-Ville ainsi nommée en 1851, ancien Vicus Magnus des comtes de Champagne et aujourd’hui rue Georges-Clémenceau, se déploie devant nos yeux. On aperçoit à droite les arcs-boutants de la basilique Saint-Urbain et les façades des maisons démolies entre les deux guerres pour créer la place Vernier devant l’église. Voilà pour la localisation.
La datation est aisée. Monsieur Michel-Gotorbe, sabotier, dont le nom apparaît partiellement à droite derrière l’enseigne très parlante de sa boutique, s’est installé là en 1856. Les annuaires commerciaux mentionnent sa présence dans ces locaux entre 1857 et 1860. Il avait remplacé M. Philippe, cabaretier dont le nom est encore bien lisible sous les fenêtres du second étage. C’est donc au cours de ces années-là que la prise de vue a eu lieu.
Ces précisions ne sont toutefois pas plus curieuses que celles que l’on peut trouver en examinant soigneusement des milliers de vues stéréoscopiques.
Plus remarquable est le travail réalisé au dos du papier sensible.
L’observation de cette vue à contre-jour nous place dans une ambiance nocturne. Les immeubles sont ombrés par des à-plats de gris et le ciel est coloré d’un bleu de Prusse très sombre. Les parties visibles du sol sont rehaussées de blanc.
Une scène très animée, véritable enluminure, emplit la rue d’une foule colorée. La perspective est parfaitement respectée de même que le décalage nécessaire à l’effet stéréoscopique. Les personnages du premier plan entrent partiellement dans le champ à la manière d’une prise de vue photographique.
La procession s’avance avec, en tête, la bannière rouge et or du Saint-Sacrement dont deux jeunes-filles en robe blanche et deux personnages en chasuble rouge tiennent les cordons. Plus loin, émergeant du moutonnement des têtes, un dais, rouge et or lui aussi, signale sans doute la présence des autorités ecclésiastiques. Les deux files de porteurs de cierges qui encadrent ce défilé, les lanternes de la bannière et du dais et même les cabochons ornant les vêtements sacerdotaux sont « illuminés » par des trous d’épingles dans la photographie.
En grattant légèrement la couche sensible de l’épreuve, on a fait apparaître le cadran et les aiguilles de la grosse horloge de la tour Saint-Pierre : il est 19 h. (La Fête-Dieu se déroulant au mois de juin, cet horaire est peu vraisemblable !)
Malgré l’exiguïté de l’espace qui lui est consacré, l’ensemble est une véritable miniature très soigneusement dessinée et peinte.
La dernière feuille de papier translucide destinée à protéger la feuille peinte a été arrachée, laissant de malencontreuses traces de collage. Sans doute était-elle trop opaque pour que la transparence soit satisfaisante.
Inévitables, les questions fusent : » qui l’a photographié ? Et qui l’a peint ? «
Nous proposons une hypothèse argumentée qui, comme beaucoup d’hypothèses n’attend que d’autres arguments pour être confirmée ou démentie.
La légende manuscrite » La Fête-Dieu à Caen » a sans doute été ajoutée postérieurement. Un marchand opportuniste, peut-être, où un collectionneur lointain… On ne le saura sans doute jamais, mais, Troyen ou Caennais, il suffit de lever le nez pour constater l’incongruité. Toutefois, on peut aussi imaginer qu’elle ne concerne que la scène de procession et que la photographie n’a été utilisée que comme fond passe-partout.
Depuis 1857, un dessinateur reconverti en photographe règne pratiquement sans concurrence sur le petit monde des très rares chevaliers troyens du collodion et de l’albumine. Installé au sommet d’un immeuble proche de l’Hôtel-de-Ville dans un atelier entièrement vitré, il s’est forgé très vite une réputation de qualité et de sérieux. De son nid d’aigle, il a une vue plongeante sur l’enfilade des maisons de la rue qui nous préoccupe actuellement. Le lieu de la prise de vue se trouve d’ailleurs à quelques dizaines de mètres de ses locaux, ce qui est bien pratique pour traiter, par exemple, des plaques de verre au collodion humide qui ne doivent pas sécher pendant les manipulations.
Entre 1857 et 1860, Gustave Lancelot, puisque c’est de lui dont il s’agit, complétait son activité de photographe portraitiste par la création d’une longue série de 72 vues stéréoscopiques des rues, monuments et vestiges anciens de la ville de Troyes. Il présentera ces vues à l’exposition de Troyes de 1860, qui, pionnière en la matière, acceptait les photographes dans sa section des beaux-arts. Il y remporta récompenses, notoriété et félicitations de la presse.
Comment ne pas envisager qu’il soit l’auteur de notre photographie ?
Il était dessinateur et peintre émérite qui représentait monuments et paysages avec une précision … photographique. Pourquoi ne serait-il pas l’auteur de l’animation nocturne qui enrichit notre photo ?
Son frère, Dieudonné Lancelot était un dessinateur professionnel de grand talent qui fournissait des dessins à nombre de revues illustrées telles que le Monde Illustré, le Magasin Pittoresque, ou le Tour du Monde. Lui aussi n’aurait eu aucune difficulté à créer cette miniature.
Nous serions alors en présence d’un exercice de style, d’un essai destiné à évaluer la rentabilité financière de telles créations. En existe-t-il d’autres ?
Voilà bien des questions sans réponses et des pistes qui tournent court, qui nous valent au moins d’avoir eu le plaisir d’y réfléchir.
Nous sommes en octobre et alors que tout se couvre de rose, nous nous joignons au mouvement de lutte contre le cancer du sein, Octobre rose !
Pour tout savoir sur les gestes à adopter sur le dépistage, suivre ce lien et commencer notamment par une posture similaire à notre modèle, car effectivement la palpation – recommandée une fois par an – démarre au niveau de l’aisselle !
Cette vue stéréoscopique sur carton est notamment accompagnée d’une anecdote intéressante du point de vue de l’histoire des mœurs. Elle fait partie d’une série déposée par le photographe et éditeur, Pierre Éléonore Lamy , à la BnF en 1861. La série porte le nom de « Études de femmes à demi-nues « .
Or, un an auparavant, une perquisition est conduite dans le studio de Lamy pour confisquer les négatifs de photos jugées indécentes !
Cliquer sur les vues stéréoscopiques afin de les afficher sur la Stéréothèque avec leur notice et parfois leur anaglyphe (rouge et bleu)
Comme chaque mois de septembre, occasion de mettre en lumière la conservation du patrimoine, nous faisons une pose dans nos itinérances pyrénéennes ou bretonnes.
La France fut, en Europe, un des premiers pays à se préoccuper de la conservation de son patrimoine architectural, démarche qui a abouti aux procédures d’inscription et de classement au titre des Monuments historiques, démarches dont plus personne, aujourd’hui, ne conteste le bien-fondé et l’intérêt pour assurer la meilleure protection de notre patrimoine.
La notion de Monument historique est apparue au cours de la Révolution française, dans le prolongement des idées du Romantisme. Cette émergence a débouché sur une politique de protection mise en place dès la Monarchie de Juillet, sous forme d’une reconnaissance d’intérêt public pour les immeubles (édifices, jardins et parcs, réserves archéologiques, etc.) plus particulièrement centrée sur l’art et l’histoire architecturale, en y affectant une servitude d’utilité publique.
Il existe aujourd’hui deux niveaux de protection : l’inscription au titre des monuments historiques (autrefois « inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques »), pour les meubles et immeubles présentant un intérêt à l’échelle régionale, et le classement au titre des monuments historiques, considérés comme d’intérêt national. Couramment, on dit d’un bien, dans le premier cas, qu’il est « inscrit », et dans le second qu’il est « classé ».
Le terme de « monument historique » est employé pour la première fois en 1790 à l’occasion d’un rapport d’Aubin Louis Millin auprès de l’Assemblée constituante (la saisie des biens de la Monarchie, de l’Église et des émigrés entraînant très rapidement la nécessité d’éviter le vandalisme).
Sous l’impulsion de Talleyrand, on adopte le 13 octobre 1790 un décret établissant une commission des monuments pour étudier « le sort des monuments, des arts et des sciences ».
Alors que les premières Sociétés archéologiques viennent de se constituer, en 1819, pour la première fois, le budget du ministère de l’Intérieur comporte une ligne « monuments historiques », à laquelle est allouée une somme de 80 000 francs.
Puis, sous la Monarchie de Juillet, le 21 octobre 1830, le ministre de l’Intérieur (François Guizot), dans un rapport présenté au roi Louis-Philippe, propose de créer un poste d’inspecteur des Monuments historiques, d’abord attribué à Ludovic Vitet en 1830, puis, en mai 1834 à Prosper Mérimée, le célèbre historien et écrivain. Dans la foulée est créée une Commission permanente des Monuments historiques.
La politique ainsi définie débouche, en 1840, sur la publication d’une première liste de 1 082 monuments historiques (d’ailleurs dite « liste Prosper Mérimée ») dont 934 édifices, liste composée uniquement de monuments préhistoriques, antiques ou « médiévaux » (allant alors jusqu’au XVIe siècle). La plupart sont des propriétés de l’État, du département ou de la commune, dont la conservation nécessite des travaux (et donc des crédits). Le classement est de ce fait, dès le départ, un point d’appui pour l’octroi de subventions en matière de restauration.
Ce n’est que dans les années 1920-1930 que le classement s’ouvre au patrimoine privé, car, dans un premier temps, ce classement est considéré comme une servitude et une privation de propriété ; c’est pourquoi, la démarche est compensée par un subventionnement des travaux, puis par des avantages fiscaux. À ce moment, il s’ouvre aussi à la Renaissance et à l’âge classique, du XVIe au XVIIIe siècle.
Inscription et classement : l’exemple des châteaux du Val de Loire :
Quoi de plus emblématique, en France, que les « châteaux de la Loire », lorsqu’on pense aux Monuments historiques. L’ensemble de la zone du Val de Loire est d’ailleurs classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis le 9 juillet 2017. En examinant l’historique ci-après à propos des principaux châteaux du Val de Loire, on pourra juger des nombreuses péripéties qui ont jalonné le classement de ces différents monuments. Le double critère de la propriété et des périodes de construction explique en partie ce qui peut apparaître aujourd’hui, rétrospectivement, comme une hétérogénéité dans le traitement du classement de ces monuments.
C’est ainsi que seulement cinq châteaux de la Loire bénéficient, dès 1840, de leur classement définitif au titre des monuments historiques : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau et Azay-le-Rideau.
Le château d’Amboise, classé dès 1840 :
Le château d’Amboise, dominant la Loire, a été profondément rénové et remanié à partir de 1489 par Charles VII, et c’est déjà lui qui, de retour d’Italie, avant François 1er, ramène à son service toute une équipe d’artistes. Plus tard, François 1er y reçoit Léonard de Vinci.
Après de nombreuses vicissitudes, ses murailles sont rasées. Sous Louis XIV, il sert de prison d’État et Fouquet y sera incarcéré. L’édifice est en grande partie détruit sous la Révolution. Napoléon le donne ensuite à un ancien membre du Directoire, le sénateur Roger Ducos, qui, n’ayant pas les moyens de l’entretenir, fait détruire en 1806 une partie importante des bâtiments (dont le logis des Sept-Vertus).
En 1814, à l’occasion de la Première Restauration, le château est restitué à l’héritière du duc de Penthièvre, Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon, duchesse d’Orléans, qui est revenue de son exil espagnol. Après une nouvelle confiscation temporaire durant les Cent Jours, le château est rendu définitivement à la famille d’Orléans en 1815.
À la mort de la duchesse, en 1821, le château revient à son fils, Louis-Philippe d’Orléans, qui y fait d’emblée réaliser des travaux afin de transformer le château en lieu de villégiature. Devenu roi des Français en 1830, il soutient ardemment la défense du patrimoine français. Il obtient alors le classement du château à l’inventaire des monuments historiques en 1840.
Mais, avec la révolution de 1848, le château est à nouveau mis sous séquestre. Il ne sera définitivement restitué à la famille d’Orléans qu’en 1873, après l’avènement de la IIIème République. Elle le transforme en maison de bienfaisance pour personnes âgées. Le château est restauré seulement à la toute fin du XIXe siècle. Il est actuellement toujours propriété de la Fondation Saint Louis, qui assure la conservation d’une grande partie des biens de la famille d’Orléans.
La photo ci-dessus est un témoignage particulièrement intéressant : elle montre le bâtiment dans son état postérieur à la restitution auprès de la famille d’Orléans, mais avant sa restauration : la tour des Minimes, tout à gauche, est surmontée par une verrière en rotonde (vertement critiquée par Gustave Flaubert lors de son passage avant 1847) ; et, sur le toit du logis principal, on note quatre chiens-assis portant des fenêtres à meneaux Renaissance. Sur la droite du toit, une surélévation dénote. À l’issue de sa restauration, comme on peut le voir sur la photo ci-dessous, cette « verrue » est rasée, deux nouvelles fenêtres à meneaux sont créées pour assurer une uniformité au niveau des toitures et la verrière de la tour des Minimes est supprimée.
Au moment de son classement au titre des Monuments historiques, ce château est donc une exception, puisqu’il est une propriété d’une nature un peu particulière : il appartient à la Monarchie qui soutient la démarche de classement. Cette attitude et ce statut spécifique expliquent certainement son classement dès la première année, alors qu’il ne s’agit pas d’un monument public à proprement parler.
Le château de Blois, classé dès 1840 :
Le château de Blois a une très longue histoire. Mais le bâtiment actuel, celui qui a été classé, date du début du XVIe siècle. François 1er, dès son accession au trône en 1515, et son épouse Claude de France, ayant l’intention de quitter le château d’Amboise, meublent le château de Blois pour y installer la Cour. Cette même année, François 1er lance la construction d’une nouvelle aile, de style Renaissance et y commence une des plus importantes collections de livres de l’époque. La direction des travaux est donnée à l’architecte italien Dominique de Cortene à qui l’on doit l’escalier monumental.
Mais après la mort de sa femme au château, en 1524, la construction s’arrête ; François Ier délaisse le château de Blois au profit du château de Fontainebleau où il envoie l’impressionnante bibliothèque pour fonder la Bibliothèque nationale. Blois n’est cependant pas délaissée pour autant, Blois devenant ainsi une sorte de « pouponnière » royale où sont éduqués les enfants royaux jusqu’à Catherine de Médicis (Claude de France y avait mis au monde sept enfants). Le 18 octobre 1534, le château est le théâtre de l’affaire des Placards : des tracts contre la messe sont affichés clandestinement par des partisans de l’Église réformée, jusque sur la porte de la chambre du roi. Cette affaire marque le début de la répression du protestantisme en France, après une période de relative tolérance.
Au moment de la Révolution, le château est à l’abandon depuis 130 ans et les révolutionnaires, soucieux de faire disparaître tout vestige de la royauté, le pillent et le vident de ses meubles, statues et autres objets. L’état du château est tel que sa démolition est envisagée, jusqu’à ce que Napoléon 1er décide de le céder à la ville de Blois en août 1810. Mais, par manque d’argent, le château est à nouveau affecté à l’armée comme caserne. En 1834, la moitié sud de l’aile Charles d’Orléans est détruite pour y établir des cuisines militaires. La présence militaire au château n’empêche pas l’ouverture au public de l’aile François Ier sous la Restauration. Le château est ainsi visité par Victor Hugo, Honoré de Balzac ou Alexandre Dumas.
En 1840, le château est classé monument historique grâce à l’action de Prosper Mérimée qui obtient la remise en état du bâtiment en juillet 1844. Félix Durban est chargé des premières restaurations en 1846, qui se poursuivront jusqu’à sa mort en 1871. Le château est alors transformé en musée. Entre 1870 et 1879, une nouvelle campagne de restauration est entreprise sous la direction de Jules de La Morandière. Les vues de nos collections sont donc postérieures à la première restauration, mais antérieures à celles de 1870-1879 qui, toutefois, ont essentiellement porté sur les intérieurs. Sur la photo ci-dessus, on aperçoit néanmoins un petit échafaudage témoignant de travaux sur la porte basse, à droite de la porte monumentale.
Le château de Chambord, classé dès 1840 :
Le château de Chambord, folie architecturale agrémentée d’une toiture, de tours, de clochetons et de 365 cheminées, a été voulu et conçu sous François 1er. Ses plans pourraient être l’œuvre de Léonard de Vinci. Le gros œuvre fut achevé dès 1537.
Même s’il reste de longues années à l’abandon entre la fin du règne de Louis XIV et la Révolution, le gros œuvre resta toujours en état. Dès la chute de Napoléon, en 1821, une souscription publique l’offre au duc de Bordeaux (futur Charles X), héritier de la Monarchie, ce qui n’empêchera pas son classement comme Monument historique dès 1840.
En 1871, son petit-fils, Henri, devenu comte de Chambord, ne parvient pas à maintenir une monarchie constitutionnelle. À sa mort, en 1883, le château échoit à son neveu par sa mère, le duc de Parme. L’État rachète finalement le monument à ce personnage en 1930 pour 11 millions de francs-or. Sur la photo ci-dessus, le château est donc encore propriété de la famille royale.
Le château de Chenonceau, classé dès 1840 :
En 1512, Thomas Bohier, receveur des finances, devient définitivement propriétaire du château qui appartenait à la famille de Marques. Il le fait raser et ne garde que la tour ronde du donjon (XVe siècle). Sur l’emplacement d’un moulin, il fait édifier le nouveau bâtiment, qui s’achève en 1521. En 1555, Diane de Poitiers, favorite d’Henri II, et propriétaire du domaine, confie à Philibert Delorme la construction d’un pont sur le Cher. Catherine de Médicis, qui s’empare de Chenonceau au décès du roi, termine le pont en y faisant élever une galerie. La reine lègue le château à sa belle-fille, Louise de Lorraine, qui y vécut dans le deuil. L’édifice est l’une des premières créations de la Renaissance, demeure de plaisance remplaçant le château-fort. Les éléments autrefois défensifs servent ici d’ornement. Le corps de logis forme un quadrilatère édifié sur deux piles sur le fleuve. Une tourelle en cul de lampe orne chaque angle. La façade Est comprend en saillie la chapelle rectangulaire avec abside à trois pans. La grande galerie repose sur cinq piles. À l’intérieur, l’escalier qui conduit au premier étage est l’un des premiers escaliers droits construits en France. Le domaine est agrémenté de jardins à la française et d’un parc comprenant divers bâtiments dont les dômes, l’orangerie et la cour de ferme entourée de bâtiments en pierre et pans de bois…
Malgré un avis défavorable de la commission de classement des monuments historiques, au motif que le monument était propriété privée, il a été classé dès 1840.
En 1847, Gustave Flaubert et son ami Maxime du Camp visitent Chenonceau. À ce moment, il est propriété de François Vallet de Villeneuve, aristocrate rallié à Napoléon 1er qui l’a fait comte d’Empire. Après la chute de l’Empire, l’aristocrate et son épouse s’y retirent et y mènent une vie de gentilshommes d’une grande simplicité qui séduit Flaubert, comme il séduira quelques années plus tard Georges Sand, qui écrit en décembre 1845 : « Chenonceau est une merveille. L’intérieur en est arrangé à l’antique avec beaucoup d’art et d’élégance. On y jette toujours son pot de chambre par la fenêtre, ce qui fait le bonheur de [mon fils] Maurice ! »
Le comte René de Villeneuve meurt au château en février 1863. Le domaine revient à ses deux enfants, la marquise de La Roche-Aymon et Septime de Villeneuve, qui ne conserveront pas la dispendieuse demeure, et la mettront en vente en avril 1864.
Il est acquis par Mme Pelouze, riche héritière d’un industriel écossais, Daniel Wilson. Elle entreprend alors, de 1865 à 1878, la « restauration » du château et de son domaine pour une somme estimée à plus d’un million et demi de francs-or. La nouvelle propriétaire fait appel à l’architecte Félix Roguet, disciple de Viollet-le-Duc, pour diriger le pharaonique projet. Les transformations sont difficiles à apercevoir sur les photos dont nous disposons, qui semblent toutefois postérieures à ces interventions. Les jardins, quant à eux, ont bénéficié du nouveau dispositif de classements comme « jardin remarquable » en juillet 2020.
Le château d’Azay-le-Rideau, classé en 1840, déclassé en 1888, puis reclassé en 1914 :
Le premier château médiéval d’Azay est construit aux alentours de 1119 par l’un des premiers seigneurs du lieu, Ridel (ou Rideau) d’Azay, une forteresse défensive censée protéger la route entre Tours et Chinon. Celle-ci est brûlée par les Anglais en 1355. Gilles Berthelot le fait raser pour édifier, sur cet emplacement, le bâtiment actuel, qui aurait été construit par l’architecte Etienne Rousseau, de 1518 à 1529. Le château change ensuite très fréquemment de propriétaire.
Il fait alors l’objet d’une première inscription sur la liste des monuments historiques en 1840, mais, en 1845, les derniers vestiges médiévaux ayant été démolis pour laisser place à deux nouvelles tours d’angle sur cour, l’édifice est déclassé en 1888 !
En 1871, pendant un mois, la demeure est occupée par Frédéric Charles de Prusse, neveu du roi de Prusse, et son état-major ; les propriétaires du château, les Biencourt mère et fils, doivent alors se réfugier dans les communs. Ruiné par le krach boursier de l’Union générale en 1882, le dernier des marquis de Biencourt est contraint de vendre son château à l’État, opération qui ne se concrétise qu’en août 1905. Le classement définitif intervient finalement en avril 1914.
Le château de Saumur, classé en 1862 :
L’origine du château remonte au Xe siècle. Le donjon a été érigé au début du XIIe siècle, puis entouré d’une forteresse au XIIIe siècle par Saint-Louis. Cette forteresse se composait de quatre tours rondes réunies par d’épaisses courtines.
À partir de 1368, Louis 1er d’Anjou, petit-fils de Philippe VI, fait remplacer les vieilles tours rondes par des tours octogonales, et transforme l’édifice en logis de plaisance, donnant au château l’essentiel de sa silhouette actuelle. À la fin du XVIe siècle, d’importants remparts sont érigés autour du château.
Ensuite, René d’Anjou améliore le confort de l’ensemble du château qu’il surnomme le « château d’amour » : c’est ce château qui est illustré dans les célèbres Très Riches Heures du duc de Berry (folio du mois de septembre représentant les vendanges). Il y résidera jusqu’en 1480.
Le château est ensuite transformé en prison en 1810 sur ordre de Napoléon. Les travaux prennent six ans mais les cellules ne seront utilisées que trois mois jusqu’au premier exil de Napoléon. Sous Louis XVIII, il devient en 1814, un dépôt d’armes et de munitions ; les habitants de Saumur se plaignent souvent des explosions qui ont lieu dans le château. Il est classé monument historique en 1862. La ville de Saumur rachète le château à l’État en 1906 et le rénove progressivement. Les extérieurs et les abords font ensuite l’objet d’un classement complémentaire en novembre 1964.
Le 22 avril 2001, la partie ouest du rempart nord s’effondre et endommage une partie des habitations situées en contrebas. Il s’ensuit un chantier de stabilisation du sous-sol et de reconstruction du rempart qui s’achève en 2007.
Le château de Châteaudun, classé en 1918 :
Le château initial avait été élevé par Thibaut le Tricheur, comte de Blois au Xe siècle. Charles d’Orléans ayant fait don du château à son demi-frère Jean de Dunois en 1439, dit le « bâtard d’Orléans » ou « Dunois », compagnon d’armes de Jeanne d’Arc. En 1452 ce dernier entreprend l’édification de la chapelle et du corps de logis de style gothique. Les travaux sont poursuivis, à partir de 1459 jusqu’à la mort de Dunois, par Nicole Duval, entrepreneur et maître maçon. Son œuvre est poursuivie jusqu’à 1518 par ses descendants les ducs de Longueville qui édifient l’aile nord ou aile Longueville de style Louis XII, qui fait transition entre l’art gothique flamboyant et la première Renaissance.
La famille Longueville s’éteint sans descendance en 1694. Le château revient alors aux ducs de Luynes. À moitié abandonné par ses propriétaires, il sert ensuite de refuge aux habitants de Châteaudun après l’incendie qui ravage la ville en 1723.
Ce château est néanmoins l’un des plus intéressants édifices civils de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. Il occupe l’extrémité d’un promontoire rocheux dominant l’ancien gué du Loir. Les abords n’ont pas été modifiés depuis le XVIIe siècle. Entre le château et le Loir, des jardins ont conservé leur tracé ancien, leurs gloriettes, leurs allées de vieux tilleuls et le mur de quai sur le Loir.
Les premières restaurations sont lancées par le duc Théodoric de Luynes avec l’architecte Frédéric Debacq en 1866. Mais, le château sera endommagé par les Prussiens durant la bataille de Châteaudun en 1870. Demeuré propriété privée, Châteaudun attendra juillet 1918 pour obtenir le classement du corps de bâtiment à proprement parlé, les abords et dépendances n’étant ensuite définitivement classés qu’en avril 1947. Mais, dès 1938, il est acquis par l’État qui entame sa restauration, sous la direction de J.M. Trouvelot. L’explosion du pont franchissant le Loir en 1944 déstabilisa les parties hautes du monument, qui purent néanmoins être redressées sans démontage.
Le château de Langeais, classé en 1922 :
Construit au début du règne de Louis XI, le château se compose de deux ailes, mêlant forteresse médiévale et ouverture sur la Renaissance. En 1496, y est célébré le mariage d’Anne de Bretagne avec Louis XII. En 1839, pour éviter un démantèlement par des démolisseurs, le château est acquis par M. Baron qui va s’avérer un efficace mécène pour cet édifice, le faisant soigneusement restaurer.
Son fils, ruiné, est contraint de vendre le château en juillet 1886 au banquier et homme d’affaires mulhousien Jacques Siegfried, qui, pendant 20 ans, le restaure et le remeuble avant de le donner à l’Institut de France en mars 1904, avec réserve d’usufruit pour ses héritiers. Cette donation ouvrira la porte à son classement qui intervient finalement en mars 1922.
Le château de Cheverny, seulement inscrit en 1926 et définitivement classé en 2010 :
Le château est construit sur l’emplacement d’un ancien manoir du XVIe siècle, dont il ne demeure que les communs. Édifié de 1625 à 1629 par l’architecte Boyer (également architecte du château de Blois), le château est un compromis entre le style Renaissance et le style Louis XIV. Il est formé d’un bâtiment central rectangulaire, flanqués de deux ailes à grands pavillons carrés. Sa décoration intérieure conserve des décors du peintre Jean Mosnier, des lambris peints, des plafonds à compartiments, caractéristiques du style Louis XIII.
Il est, depuis le XVIe siècle, la résidence des marquis de Vibraye ; de style trop « classique » pour les premiers classements, et propriété privée, il échappa aux premières procédures de classement, pour n’être seulement inscrit qu’en février 1926, avant son classement définitif seulement en juin 2010.
Hébergeant une meute, le marquis y organise régulièrement des chasses à courre. Le château de Cheverny a inspiré Hergé dans sa représentation du château de Moulinsart, qui en est une réplique amputée de ses deux pavillons extrêmes.
Le château de Villandry, inscrit en 1927 et classé définitivement en 1934 :
Cette demeure seigneuriale, élevée en 1532 par Jean Le Breton, secrétaire d’État de François 1er, conserve un donjon du XIVe siècle. Le château a été modernisé à partir de 1754 par son propriétaire Michel-Ange de Castellane, qui a fait construire les communs avec leurs toits à la Mansart. La demeure a été achetée en 1906 par Joachim Carvallo (1869-1936) fondateur de l’association La Demeure historique, marié à une héritière américaine, Anne Coleman.
Son propriétaire obtient l’inscription de son château en avril 1927, et son classement définitif en septembre 1934.
S’inspirant des textes anciens, Carvallo a fait restaurer les jardins du château, une restitution conjecturale d’un jardin à la française du XVIe siècle qui s’accorde avec les bâtiments. Ces jardins sont divisés en trois étages, avec un potager en bas, un jardin d’ornement constitué de broderies de buis taillés et une terrasse supérieure comportant un jardin d’eau avec cascades et charmilles. Les fontaines et tonnelles du jardin ont été restaurées à partir de 1994. Ces jardins ont été classés au titre des jardins remarquables en juillet 2020.
Pour faire un clin d’œil à tous les élèves qui ont repris le chemin de l’école, voici un montage animé tiré de la série Le Stéréoscope des Enfants, datant des années 1850, éditée par Pierre-Henri Lefort, l’un des plus gros et des plus inventifs créateurs de vues stéréoscopiques. Une série pionnière et assez énigmatique, comme la décrit José Calvelo :
Ni la série dans son ensemble ni aucune des lithographies aquarellées qui la composent ne porte de titre.
Cependant, le dé schématiquement figuré dans une des vues – et au centre duquel est enchâssé un stéréoscope – exhibe en lettres rouges la locution Stéréoscope des enfants qui paraît un intitulé adéquat pour l’ensemble de la collection. Ce dé porte également sur chacune de ses faces une mention qui semble avoir servi de réclame aux autres productions de l’opticien Lefort : polyorama panoptique, polyorama diagraphique, optique amusante (Paris), jeux pyriques, lorgnette enchantée, étrennes eïdostrope.
(…)
On trouve, dans la revue musicale Le Ménestrel, du 5 décembre 1852 : M. Lefort vient d’inventer deux nouveaux joujoux polyorama dont le besoin se faisait vivement sentir dans le domaine des étrennes artistiques. Nous engageons sérieusement toutes les mères de famille, toutes les jeunes filles et tous les petits garçons à faire connaissance avec l’Eïdostrope, joli petit instrument qui montre à l’œil surpris et charmé toutes sortes de ravissantes figures (…). C’est une des plus aimables inventions de l’optique amusante. Ajoutez à cela le Stéréoscope des enfants, recueil de jouets les plus variés, et vous aurez le plus charmant élément de plaisir à joindre aux Etrennes musicales de l’année.
L’équipe du CLEM souhaite une bonne rentrée à tout le monde !
Pour ce mois d’août, nous sommes remontés 76 ans en arrière, et plus précisément le 10 août 1946 !
Certaines de nos vues sont en effet datées au jour près ! Ici, le photographe reste cependant inconnu ainsi que l’identification de ces personnes. Nous savons toutefois que nous sommes à Arcachon, à la plage du Moulleau, grâce à la légende présente sur quelques vues de la boîte. Un indice nous le confirme : le débarcadère à l’arrière-plan.
Le mois de juillet marque le début de l’été, des vacances et surtout des retrouvailles en famille !
Et cette famille ne vous a pas attendus ! Même si nous n’avons aucune information sur ces personnes, nous voyons que nous sommes au beau milieu d’un moment entre proches. C’est, en effet, une prise de vue sur verre réalisée par un appareil de particulier et non un éditeur, datable du milieu du 20e siècle par l’analyse des vêtements.
La vue a été prise en Lozère et provient de la collection Carrier, conservée à Soulignac.
Cliquer sur les vues stéréoscopiques afin de les afficher sur la Stéréothèque avec leur notice et parfois leur anaglyphe (rouge et bleu)
Gustave Flaubert, âgé de vingt-six ans, et son ami Maxime du Camp ont entrepris en 1847 un long périple à travers la Bretagne, en passant par le Val de Loire, l’Anjou et la Touraine, soi-disant à pied, avec sacs au dos et souliers ferrés. Nous verrons dans les faits, qu’ils ne dédaignent pas, à l’occasion, le « confort » des transports publics…
Ils font d’abord halte dans les Pays de la Loire et s’y font ouvrir trois châteaux pour la visite : Chambord, Amboise et Chenonceau. Puis ils font étape à Clisson, dans les environs de Nantes, petite ville dominée par la ruine d’une forteresse médiévale, sur les terres de la Bretagne historique. Selon la convention qu’ils ont passée entre eux, Maxime du Camp se charge d’écrire les chapitres pairs, et Flaubert les chapitres impairs. Pour cette troisième étape, tirée du début de leur troisième chapitre, nos voyageurs nous emmènent à Carnac. C’est donc sur la prose de notre grand écrivain que nous nous appuyons ici.
Une nouvelle fois, les difficultés surgissent : Flaubert ne succombe véritablement ni au charme, ni au mysticisme de ces alignements. D’où une narration centrée sur l’inventaire de toutes les thèses les plus saugrenues qui ont pu être développées à propos de ce site.
Puisqu’il en est ainsi, nous ne refuserons pas ce catalogue particulièrement édifiant : il est révélateur de tout ce que l’homme peut inventer quand les explications sur l’origine de ses observations lui échappent totalement… En ce milieu du mois de juin, prenons aussi cet article pour une incitation à des vacances culturelles en Bretagne sud.
Les alignements de Carnac
L’incontournable curiosité de l’époque pour tout ce qui est ancien (ajoutée à « l’exotisme » dont était empreinte la Bretagne aux yeux des Parisiens) rendait, pour nos auteurs, la visite de ce site incontournable. Signalons qu’il ne sera classé à l’inventaire des monuments historiques qu’en 1889 à la demande de Prosper Mérimée.
« Le champ de Carnac est un large espace dans la campagne où l’on voit onze files de pierres noires, alignées à intervalles symétriques et qui vont diminuant de grandeur à mesure qu’elles s’éloignent de la mer. Cambry soutient qu’il y en avait quatre mille et Freminville en a compté douze cents. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elles sont nombreuses. »
Dans les faits, c’est ce second auteur qui est au plus proche de la réalité : on compte aujourd’hui 1 099 menhirs, mais il est possible que quelques-uns aient disparu avant le classement du site.
En tout état de cause, on venait de très loin pour admirer une telle curiosité, si mystérieuse aux yeux des visiteurs du XIXe siècle, certes curieux de tous ces témoignages du passé, mais dont les connaissances relativement assurées se limitaient aux périodes historiques, au sens culturel du terme, c’est-à-dire, celles consignées dans des récits écrits.
Notre auteur développe alors longuement les nombreuses interprétations développées au fil du temps à propos de ce site resté longtemps énigmatique. Il faut dire que son caractère tellement exceptionnel en fait certainement le mégalithe d’Europe continentale ayant suscité le plus grand nombre d’interprétations.
L’ironie de l’auteur est à peine voilée derrière l’énoncé de ces propositions… souvent particulièrement fantaisistes !
Pour l’évêque Olaüs Magnus, archevêque d’Upsal [Uppsala, en Suède] au XVIe siècle, les alignements seraient les témoignages de soldats enterrés : « Quand les pierres forment une seule et longue file droite, c’est qu’il y a dessous des guerriers morts en se combattant en duel ; que celles qui sont disposées en carré sont consacrées à des héros ayant péri dans une bataille ; que celles qui sont rangées circulairement sont des sépultures de famille, et que celles qui sont en coin ou sur un ordre angulaire sont les tombeaux de cavaliers, ou même des fantassins, ceux surtout dont le parti avait triomphé » !!!
Et le docteur Borlase, un anglais confirmait, formel : « on a enterré là des soldats, à l’endroit même où ils avaient péri… leurs tombeaux sont rangés en ligne droite, tels que le front d’une armée dans les plaines… »
Puis on alla chercher les Grecs et les Égyptiens comme l’historien Penhoët : « Il y a un Karnac en Égypte, s’est-on dit, il y en a un en Basse-Bretagne » ! « D’où, il résulte que les Égyptiens [peuple qui ne voyageait pas] sont venus sur ces côtes [dont ils ignoraient l’existence], y auront fondé une colonie [ils n’en fondaient nulle part], et qu’ils y auront laissé ces statues brutes [eux qui en faisaient de si belles], témoignage positif de leur passage [dont personne ne parle] »… !!!
« Ceux qui aiment la mythologie ont vu là des colonnes d’Hercule ; ceux qui aiment l’histoire naturelle y ont vu une représentation du serpent Python, parce que, d’après Pausanias, un amas de pierres semblables, sur la route de Thèbes à Élissonte, s’appelait la Tête du serpent… »
« Ceux qui aiment la cosmographie ont vu un zodiaque, comme M. de Cambry, qui a reconnu dans ces onze rangées de pierres les douze signes du Zodiaque, » car il faut dire, ajoute-t-il, que les anciens Gaulois n’avaient que onze signes au Zodiaque « . »
« Ensuite, un membre de l’Institut a conjecturé que ce pouvait bien être le cimetière des Vénètes, qui habitaient Vannes, à six lieues de là, … et lesquels fondèrent Venise, comme chacun sait » !
« M. Mahé […] s’est écrié […] que les druides, non seulement desservaient les sanctuaires, mais encore y faisaient leur demeure et y tenaient des collèges : » Donc, puisque le monument de Carnac est un sanctuaire comme l’étaient les forêts gauloises […], il y a lieu de croire que les intervalles vides qui coupent les lignes des pierres renfermaient des files de maisons où les druides habitaient avec leurs familles et leurs nombreux élèves « … »
« Mais un homme […] est venu, pénétré du génie des choses antiques, et dédaigneux des routes battues. Il a su reconnaître, lui, les restes d’un camp romain, précisément d’un camp de César, qui n’avait fait élever ces pierres « que pour servir d’appui aux tentes de ses soldats et les empêcher d’être emportées par le vent » Quelles bourrasques il devait y avoir autrefois sur les côtes de l’Armorique ! […] Ce littérateur honnête […] était un ancien élève de l’École polytechnique, un capitaine du génie, le sieur de la Sauvagère. »
Et notre auteur – sceptique – de conclure : « l’amas de toutes ces gentillesses constitue ce qu’on appelle l’Archéologie celtique », discipline dans laquelle on trouve pêle-mêle le dolmen, la grotte aux fées, la roche aux fées, la table du diable, le palais des géants… car, ajoute notre auteur, « semblables à ces bourgeois qui vous servent un même vin sous des étiquettes différentes, les celtomanes, qui n’avaient presque rien à vous offrir, ont décoré de noms divers des choses pareilles »….
Enfin, pour redevenir sérieux sur quelques lignes, notre auteur tente de préciser le sens des termes – sans doute alors nouveaux et peu connus de la majorité des lecteurs – qu’il convient d’employer dans une telle discipline, avec des définitions les plus factuelles possibles.
Ainsi, « une pierre posée sur d’autres se nomme un dolmen, qu’elle soit horizontale ou verticale ».
Et, « un rassemblement de pierres debout et recouvertes au sommet par des dalles consécutives, formant ainsi une série de dolmens, est une grotte aux fées, roche aux fées, table du diable ou palais des géants. » C’est ce que nous appelons aujourd’hui une allée couverte.
Enfin, « quand ces pierres sont rangées en ellipse, sans aucun chapeau sur les oreilles, il faut dire : voilà un cromlech. »
Et de conclure: « Pour en revenir aux pierres de Carnac (ou plutôt les quitter), […] si l’on me demande, après tant d’opinions, quelle est la mienne, j’en émettrai une irréfutable, irréfragable, irrésistible, une opinion qui ferait reculer les tentes de M. de la Sauvagère et pâlir l’Égyptien Penhoët, qui casserait le zodiaque de Cambry et hacherait le serpent Python en mille morceaux. Cette opinion, la voici : les pierres de Carnac sont de grosses pierres ! »
Sur ces entrefaites, Gustave Flaubert et son ami quittent le site, sans nous l’avoir fait visiter, non sans nous laisser dans un certain état de frustration…
Bref, ils n’ont rien à nous en dire. À leur décharge, reconnaissons qu’aujourd’hui encore, nous en sommes à formuler des hypothèses quant à l’interprétation de ce site mégalithique. La seule chose sur laquelle les archéologues contemporains semblent s’accorder est sa datation approximative : le néolithique moyen, aux environs de 3000 av. J.C.
Au village de Carnac
Nos deux amis retournent ensuite à leur auberge à Carnac. « Nous nous en retournâmes donc à l’auberge où, servis par notre hôtesse qui avait de grands yeux bleus, de fines mains qu’on achèterait cher et une douce figure d’une pudeur monacale, nous dinâmes d’un bel appétit qu’avait creusé nos cinq heures de marche » [pour arriver à Carnac].
« Il ne faisait pas encore nuit pour dormir, on n’y voyait plus pour rien faire ; nous allâmes à l’église. ».
Est-ce à cause du crépuscule ? Nos deux voyageurs ne nous disent rien sur ce portail, pourtant remarquable, et ne nous livrent que leurs impressions sur l’intérieur.
« Elle est petite, quoique portant nef et bas-côtés, comme une grande dame d’église de ville. De gros piliers de pierre, trapus et courts, soutiennent la voûte de bois bleu, d’où pendent de petits navires, ex-votos promis dans les tempêtes. Les araignées courent sur leurs voiles et la poussière pourrit leurs cordages. »
Ils y surprennent des obsèques curieusement célébrées à ce moment à la lueur des cierges, cérémonie que Flaubert nous décrit par le menu. Il faut dire que c’est un mari « perdu à la mer, que l’on venait de retrouver sur la grève et qu’on allait enterrer tout à l’heure. »
Notons, dans ces circonstances, le rituel inhabituel qui est suivi : le corps du défunt est conduit tel quel sous un simple linceul dans l’église. Et ce n’est qu’à l’issue de la cérémonie qu’il est mis dans un cercueil dans la sacristie.
Lors de la prochaine étape, Flaubert et Du Camp embarqueront pour Belle-Île en mer, avec l’intention d’en visiter les curiosités naturelles.
Bibliographie
Par les champs et par les grèves (voyage en Bretagne) par Gustave Flaubert [en ligne]
La Bretagne en relief, premiers voyages photographiques en Bretagne, Musée départemental Breton de Quimper, 2000
Ce mois-ci, nous nous associons aux festivités autour du bicentenaire du pont de pierre !
Ouvert au public le 1er mai 1822 suite aux directives de Napoléon Ier, le pont a contribué à une large modification du paysage urbain, à une époque de réaménagement du tracé de la ville, de profondes mutations dans les modes de vie à l’heure de la Révolution industrielle et des nouveaux modes de transport.
La stéréo que nous vous présentons est issue du fonds Duclot, et c’est aussi l’image d’accueil de la Stéréothèque. Et pour cause : cette vue est l’une des plus anciennes de nos fonds représentant Bordeaux ! Le pont a alors tout juste 40 ans ! Au premier plan, le quai pavé et remarquablement vide, et pour cause : le temps de pause des photographies peut être encore long. Les mouvements ne sont donc pas fixés.
Des étalages de marchandes des quatre saisons sont protégés par des parasols dont l’ombre portée est quasiment verticale : on peut imaginer le port plongé dans la torpeur d’une chaude journée d’été, à la coupure de mi-journée.
À quai, en contrebas du parapet qui descend du pont, des gabarres amarrées en long. À l’entrée du pont, le bâtiment de l’octroi où l’on acquittait un droit pour faire entrer les marchandises en ville jusqu’avant la Seconde Guerre mondiale. Les maisons à octroi ont été démolies peu avant 1954.
De l’autre côté du pont, on devine quelques navires à vapeur. Au fond de la photo, on distingue clairement la gare d’Orléans qui fut le terminus des trains de Paris avant la construction de la passerelle de chemin de fer.
Les Archives de Bordeaux Métropole organisent un vaste anniversaire pour ce monument emblématique de Bordeaux, avec de nombreuses festivités telles qu’expositions, conférences, visites, une collecte d’archives, etc ! Tout le programme ici
Et pour voir la stéréo en anaglyphe et en apprécier le relief, chaussez vos lunettes bicolores !
Notice de l’image écrite par Christian Bernadat et Catherine Carponsin-Martin.
Pellerin, D. (1995) : La Photographie Stéréoscopique sous le Second Empire : Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque nationale de France, Paris, 103.
Ce mois-ci, nous mettons à l’honneur un nouveau contributeur, Mikel Cervera Nagore, ingénieur du bâtiment, chercheur et collectionneur à Grenade. Ce dernier a corrigé quelques erreurs d’indexation dans la base de données sur des vues de la cité andalouse. Il nous a, en outre, proposé des montages gifs et anaglyphe de la ville, que voici !
Cette vue aurait été prise par Eugène Sevaistre et éditée par Alexis Gaudin et frères vers 1857, dans la série Vues d’Espagne. Il s’agit du Cuartel de Bibataubín, à Grenade : uneancienne caserne construite entre 1752 et 1764 sous le règne de Carlos III sur l’ancien Château de Bibataubín, construit par ordre des Rois Catholiques après la Reconquête. Son nom vient d’une ancienne porte d’origine arabe qui donnait accès à la ville de Grenade, la porte des briquetiers ou “Bab al–Tawwabin”.
Il est probable qu’il servit de caserne aux troupes françaises de Napoléon entre 1810 et 1812. Connu aujourd’hui sous le nom de Palais de Bibataubín, c’est l’un des bâtiments les plus importants et les plus remarquables de la ville, siège actuel du Conseil Consultatif d’Andalousie. Inicio – Consejo Consultivo de Andalucía (consejoconsultivodeandalucia.es).
Bibliographie :
Cervera, Mikel. « Bibataubín: El Gran Desconocido ». En Alzada 121 (Julio 2021): 34-48. https://www.coaatgr.es/wp-content/uploads/2021/07/alzada_121_05.pdf
Piñar, Javier y Carlos Sánchez, coords. Una imagen de España: Fotógrafos estereoscopistas franceses (1856-1867). Madrid: Fundación MAPFRE. 2011.
Collection Centre Canadien d’Architecture/
Canadian Centre for Architecture, Montréal: https://www.cca.qc.ca/en/search/details/collection/object/346627
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