Picture of the month #45 | November

At the Oceanographic Museum of Monaco, the animals all woke up at the time of Halloween and the Feast of the Dead, when the veil between the two worlds was at its thinnest… Sperm whale, bear, walrus, seal and sea lion were at the appointment!

We are between 1930 and 1950, this is a view edited by Bruguière.

This stereoscopic view is fully visible by clicking on the image:

Monaco, Oceanographic Museum, between 1930 and 1950, Bruguière editions, Hernandez collection

Le Voyage aux Pyrénées selon Hippolyte Taine en 1855/1860

Cinquième épisode : excursions aux alentours des Eaux-Bonnes

Panorama sur la vallée d’Ossau (1858), Collection Magendie, MAG2291

Rappel des quatre premiers épisodes :

Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser son Voyage aux Pyrénées, en 1855, dans le but de suivre une cure médicale, soin alors très prisé dans la bonne société parisienne. Pour cela, à seulement 27 ans, il prend une sorte de « congé sabbatique ». Après Bordeaux et Royan, Bayonne, Biarritz et Saint-Jean-de Luz, Orthez et Pau, notre écrivain voyageur arrive enfin aux Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, objectif de son voyage thermal : il nous fait alors une description minutieuse de la vie de curiste. Pour ce nouvel épisode, nous allons le suivre dans ses excursions aux alentours de la ville de cure, comme le ferait aujourd’hui tout curiste.

Comme précédemment, on s’appuiera pour illustrer cet épisode sur les nombreuses vues disponibles dans la Stéréothèque au sein des collections Magendie et de la Médiathèque de Pau, la plupart du temps issues des séries des vues sur le thème du Voyage aux Pyrénées.

En partant au hasard le long du Valentin…

« J’ai voulu trouver du plaisir à mes promenades, et je suis parti seul, par le premier sentier venu, allant devant moi au hasard. Pourvu qu’on ait remarqué deux ou trois points saillants, on est sûr de retrouver sa route… On a les jouissances de l’imprévu, et l’on fait la découverte du pays… »

« Le cours du Valentin n’est qu’une longue chute à travers des rochers roulés. Le long de la promenade Eynard, pendant une demi-lieue, on l’entend gronder sous ses pieds. »

Le Valentin au Gros Hêtre (1868), Collection Magendie, MAG6490

« Au pont du Discoo, le sol lui manque : il tombe dans un demi-cirque, de gradins en gradins, en jets qui se croisent et qui heurtent leurs bouillons d’écume ; puis, sous une arcade de roches et de pierres, il tournoie dans de profonds bassins dont il a poli les contours, et où l’émeraude grisâtre de ses eaux jette un doux reflet tranquille. Tout à coup, il saute de trente pieds, en trois masses sombres, et roule en poussière d’argent dans un entonnoir de verdure. Une fine rosée rejaillit sur le gazon qu’elle vivifie, et ses perles roulantes étincellent en glissant le long des feuilles. »

Vue 1 – La cascade du Discoo (sur le Valentin) – Lithographie par Victor Petit, (Souvenirs des Eaux-Bonnes) / Le voyage aux Pyrénées

La gorge et la cascade du Serpent

« De là, un sentier dans une prairie conduit à la gorge du Serpent : c’est une entaille gigantesque dans la montagne perpendiculaire. Le ruisseau qui s’y jette rampe écrasé sous des blocs entassés ; son lit n’est qu’une ruine. On monte le long d’un sentier croulant, en s’accrochant aux tiges de buis et aux pointes de rochers ; les lézards effarouchés partent comme une flèche, et se blottissent dans les fentes des plaques ardoisées. Un soleil de plomb embrase les rocs bleuâtres ; les rayons réfléchis font de l’air une fournaise. Dans ce chaos desséché, la seule vie est celle de l’eau qui glisse et [bruisse] sous les pierres. Au fond du ravin, la montagne relève brusquement à deux cents pieds de haut sa paroi verticale ; l’eau descend en longs filets blancs sur ce mur poli dont elle brunit la teinte rougeâtre ; elle ne le quitte pas de toute sa chute : elle se colle à lui comme une chevelure d’argent ou comme une traînée de lianes pendantes. Un beau bassin évasé la retient un instant au pied du mont, puis la dégorge en ruisseau dans la fondrière. »

La cascade du Serpent (1868), Collection Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0144

La gorge et la cascade du Larresecq

« Au fond d’une gorge glaciale roule la cascade de Larresecq. Celle-là ne vaut pas sa renommée : c’est une sorte d’escalier écroulé sur lequel dégringole gauchement un ruisseau Sali, perdu dans les pierres et la terre mouvante ; mais, pour y arriver, on passe une profonde rainure escarpée, où le torrent roule engouffré dans les cavernes qu’il a creusées, obstrué de troncs d’arbres qu’il déchire. Au-dessus de lui, des chênes magnifiques se rejoignent en arcade ; les arbrisseaux vont tremper leurs racines jusque dans l’eau bouillonnante. Le soleil ne pénètre pas dans cette noire ravine ; le Gave y perce sa route, invisible et glacé. À l’issue par laquelle il débouche, vous entendez sa clameur rauque ; il se débat étranglé entre les roches : vous diriez l’agonie d’un taureau. »

Vue 2 - La cascade du Larresecq, Gustave Doré, 3e éd. p 161

Panorama sur le « mont » Gourzy

Le signal ou pic du Gourzy, situé en aval des Eaux-Bonnes (vers le sud-ouest) culmine à 1 917 m. C’est sur son flanc que Taine est parti en randonnée et nous narre ses impressions. Jusqu’ici, notre auteur a soigneusement entretenu le flou sur sa documentation touristique, nous laissant souvent supposer qu’il découvrait les lieux au hasard de ses circuits. Le voici qui tombe enfin le masque : il utilise bien, comme tout bon voyageur dès cette époque, un guide de tourisme !

« On vante la vue qu’on a sur le mont Gourzy ; le voyageur est averti qu’il apercevra toute la plaine du Béarn jusqu’à Pau. Je suis forcé d’en croire le guide-manuel sur parole ; j’ai trouvé les nuages, et n’ai rien vu que le brouillard. »

Vue 3 - Le panorama dans les environs du mont Gourzy par temps dégagé aujourd’hui (www.jpdugene.com)

« Cette vallée est très retirée et très solitaire ; elle n’a point de culture ; on n’y rencontre ni voyageurs ni pâtres ; on ne voit que trois ou quatre vaches occupées dans un coin à brouter l’herbe. D’autres gorges, sur les flancs de la route et dans la montagne de Gourzy, sont encore plus sauvages : on y distingue à peine la trace effacée d’un ancien sentier. Y a-t-il quelque chose de plus doux que la certitude d’être seul ? »

«  Au bout de la forêt qui couvre la première pente, gisaient des arbres énormes, demi-pourris, déjà blanchis de mousse. Des cadavres de pins desséchés restaient debout ; mais leur pyramide de branches mortes montrait un pan fracassé. De vieux chênes brisés à hauteur d’homme couronnaient leur blessure de champignons moites et de fraises rouges. À voir le sol jonché, on eût dit un champ de bataille ravagé par les boulets : ce sont les pâtres qui, pour s’amuser, mettent le feu aux arbres [ !]. »

Vue 4 - Le paysage de désolation rencontré par Taine au pied du mont Gourzy. Gustave Doré, 3e éd. p 167

Depuis le début de ce parcours, nous ne cessons de souligner la « modernité » de cette seconde moitié du XIXe siècle. C’est encore le cas dans cette réflexion, que l’on n’aura aucun mal à transposer à notre époque de tourisme envahissant :

« Si vous êtes dans un site célèbre, vous craignez toujours de voir arriver une cavalcade, les cris des guides, l’admiration à haute voix, le tracas des chevaux qu’on attache, des provisions qu’on déballe, des réflexions qu’on étale dérangent votre sensation naissante ; la civilisation vous ressaisit.

Mais, ici, quelle sécurité et quel silence ! Aucun objet ne rappelle l’homme ; le paysage est le même qu’il y a six mille ans ; l’herbe y pousse inutile et libre comme aux premiers jours ; point d’oiseaux sur les branches ; parfois seulement on entend le cri lointain d’un épervier qui plane. Çà et là le pan d’un grand roc saillant découpe une ombre noire sur la plaine unie des arbres : c’est le désert vierge dans sa beauté sévère… »

En suivant le cours du Valentin au pied de la montagne Verte

La montagne Verte s’élève au sud des Eaux-Bonnes, en surplomb de la commune ; elle porte sur ses flancs le hameau d’Aas.

« En descendant le Valentin, sur le versant de la montagne Verte, j’ai trouvé des paysages moins austères. On arrive sur la rive droite du Gave d’Ossau. Un joli ruisseau descend de la montagne, encaissé entre deux murs de pierres roulées qui s’empourprent de pavots et de mauves sauvages. »

Au XIXe siècle, en vallée d’Ossau, on exploitait plusieurs carrières de marbre. Pour le débiter, on utilisait des moulins à eau situés évidemment le long des cours d’eau. C’est un tel moulin que Taine rencontre, difficile à situer aujourd’hui avec le peu d’indications qu’il nous donne.

«  On gouverne sa chute pour mettre en mouvement des rangées de scies qui vont et viennent incessamment sur les blocs de marbre. Une grande fille en haillons, pieds nus, puise avec une cuiller du sable délayé dans l’eau, pour arroser la machine ; avec ce sable, la lame de fer use le bloc. »

Vue 5 - Moulin près de Laruns, Carte postale (Ossau 1900)

« Un sentier sur la rive, bordé de maisons, de champs de maïs et de gros chênes ; de l’autre côté s’étend une grève desséchée, où les enfants barbotent auprès des porcs qui dorment dans le sable ; des flottes de canards se balancent sur les eaux claires aux ondulations du courant : c’est la campagne et la culture après la solitude et le désert. Le sentier tournoie dans un plant d’oseraies et de saules ; ces longues tiges ondoyantes amies des fleuves, ces feuillages pâles qui pendent, ont une grâce infinie pour des yeux accoutumés au vert vigoureux des montagnes. »

Un hameau, sans doute Aas

Ici encore, Taine ne nomme pas les lieux. Compte tenu de la direction de sa randonnée, nous sommes certainement au « village » d’Aas. Ce village, rattaché aux Eaux-Bonnes une dizaine d’années après son passage est surtout connu pour ses bergers qui s’expriment avec une langue sifflée qui porte dans toute la vallée, particularité qui n’a pas été révélée à notre auteur.

« On rencontre sur la droite de petites routes pierreuses qui mènent aux hameaux épars sur les pentes. Là, les maisons s’adossent au mont, les unes au-dessus des autres, assises par gradins comme pour regarder dans la vallée. À midi, les gens sont dehors ; chaque porte est fermée ; seules dans le village, trois ou quatre vieilles femmes étendent du grain sur la roche unie qui fait l’esplanade ou la rue. Rien de plus singulier que cette longue dalle naturelle sous un tapis de grains dorés. »

Le pont à l’entrée du village d’Aas (1862-63). Collection Magendie – MAG6333

« L’église, étroite et sombre, s’élève ordinairement sur un préau en terrasse qu’entoure un petit mur ; le clocher est une tour blanche carrée, avec un clocheton en ardoises. On lit sous le porche des épitaphes sculptées dans la pierre : ce sont pour la plupart des noms de malades morts aux Eaux-Bonnes ; j’y ai vu ceux de deux frères. Mourir si loin et si seuls ! Ces paroles de tendresse sur une tombe font peine à voir : ce soleil est si doux ! Cette vallée si belle ! Il semble qu’on y respire la santé dans l’aire ; on souhaite de vivre ; on veut, comme dit le vieux poète, « se réjouir longtemps de sa force et de sa jeunesse ». On a pris l’amour de la vie avec l’amour de la lumière. 

Vue 6 - Arrivée au village d’Aas. Carte postale (CPArama)

Les débats « philosophiques » du voyageur

Le curiste ne se contente pas d’admirer passivement les paysages : il s’interroge aussi sur le sens profond de sa démarche ! Ainsi, de retour à l’hôtel, notre auteur bavarde avec son voisin (de chambre ou de table) dont il nous a déjà parlé. Celui-ci a sa philosophie personnelle sur la manière dont les touristes « consomment » les paysages, ce qui, là aussi, nous renvoie au tourisme contemporain.

Il ne peut souffrir, nous dit Taine « qu’on allât sur une montagne pour regarder la plaine » : « On ne sait pas ce qu’on fait […]. C’est un contresens de perspective. C’est détruire le paysage pour mieux en jouir. À cette distance il n’y a ni couleurs ni formes. Les hauteurs sont des taupinées, les villages des taches, les rivières des lignes tracées à la plume. Les objets sont noyés dans une teinte grisâtre ; l’opposition des lumières et des ombres s’efface ; tout se rapetisse ; vous démêlez une multitude d’objets imperceptibles : c’est le monde de Lilliput. Et là-dessus vous criez au grandiose ! »

Et l’homme de poursuivre : « Par poltronnerie, de peur d’être accusés de sécheresse et de passer pour prosaïques, tout le monde aujourd’hui a l’âme sublime, et une âme sublime est condamnée aux cris d’admiration. Il y a encore les esprits moutons qui admirent sur parole et s’échauffent par intimidation. « Mon voisin dit que cela est beau, le livre est du même avis ; j’ai payé pour monter, je dois être ravi : donc, je le suis ».

Vue 7 – Les « excès » du tourisme selon Gustave Doré, 3e éd. p 171

Et notre auteur de conclure son chapitre : « Vous jetez la pierre aux touristes ; demain, dans la gorge des Eaux-Chaudes, j’éprouverai si votre raisonnement a raison. »

Ce sera notre prochain épisode…

Christian Bernadat

Bibliographie

L’image du mois #44 | Octobre

Ce mois-ci, l’image du mois est un peu particulière. C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Jacques Magendie la semaine passée.

Présent depuis 7 ans au sein de notre projet stéréoscopique, sa collection est la plus importante de nos fonds avec plus de 9000 photographies inventoriées chez lui, à Lescar.

Sans lui, le Stéréopôle, la Stéréothèque et tout le travail mené autour de ces vues si particulières ne serait pas le même. Nous garderons le souvenir ému d’un passionné au grand cœur, d’un puits de science, acheteur compulsif de livres et de photographies.

« Hors les remparts, dans une rue en pente qui fredonne parmi les maisons de la ville basse, vit un homme affable, cheveux en désordre et regard aux aguets, un personnage vif-argent tel que Lewis Carroll en sortait de son chapeau »  écrivait Xavier Rosan dans Le Festin en 2003.

Jacques Magendie en 2018

Vidéo réalisée par le groupe Emmaüs de Lescar :

The picture of the month #44 | October

This month, the picture of the month is a bit special. It is with deep sadness that we learned of the passing of Jacques Magendie last week.

Present for 7 years within our stereoscopic project, his collection is the largest of our collections with more than 9000 photographs inventoried at his home, in Lescar.

Without it, the Stereopole, the Stereo Library and all the work carried out around these particular views would not be the same. We will keep the emotional memory of a passionate with a big heart, a well of science, compulsive buyer of books and photographs.

"Outside the ramparts, in a sloping street that hums among the houses of the lower town, saw an affable man, messy hair and watchful eye, a quick-silver character such as Lewis Carroll came out of his hat," wrote Xavier Rosan in Le Festin in 2003.

Jacques Magendie in 2018

Video made by the Emmaus group of Lescar:

Les monuments de l’Égypte antique, passion de plus de deux siècles et vitrine en matière de conservation du patrimoine.

Touristes accompagnés de leurs guides bédouins sur le plateau de Gizeh devant le sphinx et la pyramide de Khéops, 1900-1925, Collection Vicente, GV030

En ce mois de septembre, au cours duquel nous célébrons la conservation du patrimoine, éloignons-nous un peu de l’hexagone pour nous transporter au Moyen-Orient, et plongeons-nous dans la contemplation des monuments de l’Égypte antique : les collections de la Stéréothèque conservent en effet – comme nous l’avons déjà observé à plusieurs reprises – des témoignages photographiques parmi les plus précoces sur ces monuments qui passionnaient déjà les Européens du XIXe siècle, au premier rang desquels les Français, égyptologues comme touristes. L’intérêt pour les monuments de l’Égypte antique, on le sait bien, ne se dément pas depuis plus de deux siècles !

Cette passion de tout un continent va se révéler être un puissant moteur pour la sauvegarde de ce patrimoine, actions qui culminèrent, en quelque sorte, avec la campagne menée par l’UNESCO pour sauver des eaux les sites de Haute-Égypte et de Nubie, campagne initiée en 1960, et totalement achevée en 1980.

En France, dès la toute fin du XVIIIe siècle, deux ouvrages marquent l’opinion et les hommes politiques : le Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et Des Ruines ou Méditations sur les Révolutions des Empires (1791) du comte de la Giraudais, dit Volnay ; ils vont inciter fortement Talleyrand et Bonaparte à lancer la campagne d’Égypte.

01-Le général Bonaparte devant le Sphinx, par Jean-Léon Gérôme (Wikipedia / San Simeon, California, USA)

Au retour de cette expédition (qui fut par ailleurs un échec militaire), l’écrivain et diplomate Vivant Denon (connu pour s’être vu confier la première organisation des musées français) passionna la France entière avec son récit Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte publié en 1802 et réédité durant tout le XIXe siècle. Ensuite, le style Empire, conçu par les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine sur demande de Napoléon lui-même, prolongea cet effet et contribua à diffuser cet intérêt dans toute l’Europe.

Enfin, le voyagiste britannique Thomas Cook (encore lui !) lança ses premières croisières sur le Nil, à bord de bateaux à vapeur, à partir de 1869 : la bourgeoisie européenne eut ainsi très tôt l’opportunité d’aller voir sur place les sites qui, à l’époque, étaient déjà accessibles depuis le Nil.

En outre, durant tout le XIXe siècle, de grands archéologues de toute l’Europe allèrent fouiller et expertiser ce patrimoine antique, donc en initier la conservation, en parallèle avec le mouvement de classement des monuments que connut autant la France que le reste de l’Europe.

Mettons-nous donc dans la peau de voyageurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe et laissons-nous guider dans un circuit qui, partant du Caire et de la Basse-Égypte, nous fera remonter jusqu’en Haute-Égypte, puis en Nubie, sur la base d’une sélection de clichés conservés dans la Stéréothèque, dont certains témoignent d’un état définitivement révolu du site. Ces photos nous montrent que tous ces sites étaient déjà offerts à la curiosité des voyageurs privilégiés du XIXe siècle. Pendant longtemps, le seul moyen d’y accéder est le bateau à vapeur qui remonte le Nil. Mais, le chemin de fer arrive à Louxor et à Assouan en 1898, permettant dès lors aux voyageurs une alternative en trains confortables.

N’imaginons pourtant pas ces voyages comme de tout repos : il fallait déjà plusieurs jours pour traverser la Méditerranée en bateau à vapeur au départ de Marseille ou de Gênes, après éventuellement plusieurs jours de chemin de fer pour les européens du nord de l’Europe – dont les Britanniques après la traversée de la Manche. Ensuite, la remontée du Nil prenait elle-même plusieurs jours ; à chaque étape, il fallait un transfert, parfois de plusieurs heures à dos de chameau, par des températures avoisinant ou dépassant les 40° C, la plupart des Européens conservant pour ces trajets leurs tenues de ville sombres, totalement inadaptées à ce climat ! La contrainte était évidemment la même au départ des gares d’Assouan ou de Louxor lorsqu’elles furent ouvertes. Bref, de tels voyages prenaient souvent un bon mois et nécessitaient une part d’intrépidité qu’on a du mal à imaginer de la part de voyageurs plus habitués au confort des beaux quartiers des grandes villes européennes !

Touristes descendant d’une pyramide, 1905-1907, Collection Vergnieux, RVX428

Pour les photographes, aux contraintes générales du voyage s’ajoutaient celles, spécifiques, liées à leur technique : matériel lourd et encombrant, traitements chimiques des plaques et produits révélateurs extrêmement sensibles à la chaleur – et, naturellement aussi, au vent de sable. Enfin, à partir des années 1860, avec la diffusion de techniques plus commodes, le photographe développe de préférence sur place, ce qui nécessite un surcroît de bagages pour transporter son laboratoire itinérant : bref, il faut alors à un photographe plusieurs chameaux pour transporter tout son « barda » (et le personnel pour les conduire), ainsi que, sur le Nil, une embarcation spécialement affrétée… Parvenir à rapporter en Europe des photos correctement exposées est donc à chaque fois un exploit dont on ne mesure peut-être pas l’ampleur ! Ces documents doivent donc être regardés avec d’autant plus d’admiration !

Ainsi, c’est avec le bateau atelier que l’on voit ci-dessous que le photographe Francis Frith opéra lors de plusieurs expéditions successives de 1856 à 1859 ; on lui doit notamment les vues MAG3886 (Denderah), GV026 (Karnak) et WIE918 (Louxor) qui sont présentées dans cette chronique. Sur cette période, la desserte du Nil en bateau à vapeur n’est pas encore mise en place : c’est donc entièrement au moyen de felouques, ces voiliers traditionnels, qu’il remonta le Nil à la force du vent.

02 – A gauche, le bateau atelier du photographe Francis Frith à Philae en 1857
03 – A droite, transport de l’atelier photographique des frères Zangaki à Gizeh (1870-1875) (Collection G. Fournier / Musée Champollion, Figeac)

Cette immersion sur les sites antiques est en outre l’occasion de constater que les menaces sur la conservation du patrimoine, sous prétexte de développement économique, ne datent pas d’aujourd’hui…

Mais ce circuit sera aussi l’occasion « d’allers-retours » avec les périodes plus récentes, qui mettront en évidence les actions particulièrement spectaculaires de sauvegarde de ce même patrimoine qui furent entreprises et menées à bien dans la seconde moitié du XXe siècle : les sites de l’Égypte antique concentrent ainsi, poussés à leur paroxysme, ces deux aspects antagoniques !

Embarquons donc pour dix étapes photographiques. Par soucis de clarté, elles ont été reportées sur la carte ci-contre, celle de l’expédition à laquelle participa Jean-François Champollion avec l’Université du Grand-Duché de Toscane à partir de 1828.

Hormis Philae, qui n’était pas encore inondée en 1828, toutes les autres photos nous montrent les sites tels que Champollion a pu les admirer une cinquantaine d’années plus tôt.

04 - Ci-dessus, carte de l’expédition franco-toscane en Egypte à laquelle participa Champollion en août 1828, sur laquelle ont été reportées (encadrées en rose) les dix étapes de notre parcours ci-après (Photo Ch. Bernadat / Carte du Musée Champollion à Figeac).

Basse Égypte : Gizeh dans les environs du Caire :

Situé dans les environs du Caire, le plateau de Gizeh et ses nombreux monuments sera évidemment notre première étape.

Vue d’ensemble des pyramides du plateau de Gizeh, 1863-1915, Collection Magendie, MAG3064

En arrivant du Caire, à plusieurs kilomètres, la vue groupée des pyramides du plateau de Gizeh (ci-dessus) s’impose au visiteur. Ce complexe pyramidal égyptien est classé au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1979.

Les ruines du temple, le sphinx et la grande pyramide de Khéops, plateau de Gizeh, 1896, Collection Magendie, MAG3038

Sur la vue ci-dessus, au premier plan, les ruines sont celles du petit temple qui était consacré au dieu Rê, le Dieu Soleil des Égyptiens. Immédiatement en arrière, voici le sphinx, puis à l’arrière-plan, la grande pyramide de Khéops. Cette dernière est la plus grande et la plus volumineuse de toutes les pyramides d’Égypte. Elle caractérise l’apogée de l’architecture monumentale égyptienne. En fait, le mausolée de Khéops n’est pas une simple pyramide : c’est un grand complexe funéraire, comprenant plusieurs éléments, dont la pyramide est le plus impressionnant. Elle fut construite approximativement entre 2589 et 2566 avant J.-C. Khéops est le nom du deuxième pharaon de la IVe dynastie de l’Égypte antique qui marqua son règne par un développement des mines de cuivre et de turquoise (Sinaï, Nubie). L’horizontalité de l’édifice est proche de la perfection. De 146,60 m de haut à sa construction, cet édifice ne mesure plus que 138 m. Ses quatre faces sont orientées sur les points cardinaux.

Le sphinx et la pyramide de Khéops, 1900-1915, Collection Wiedemann, WIE063

Le sphinx (« statue vivante » en égyptien) regarde le soleil levant ; sa partie inférieure est ensablée. Il mesure 73,50 m de longueur et sa tête 5,20 m de haut ; la hauteur totale originelle du monument était de 20,22 m. Il représente un lion à tête d’homme ; taillé directement dans la roche d’un promontoire calcaire, ses pattes avant sont en maçonnerie ; le tout était autrefois recouvert d’une sorte de plâtre peint. La tête est taillée dans un bloc rocheux qui dépassait du promontoire. Quant au corps, il fut sculpté progressivement, au fil du creusement de la roche. En descendant en profondeur, les ouvriers découvrirent que le sol comportait différentes strates de calcaire, de différentes couleurs et d’une dureté différente de la roche. Ceci explique pourquoi le corps du sphinx est strié horizontalement, les différentes couches calcaires s’étant érodées à des vitesses différentes. Le sphinx de Gizeh est l’un des plus vieux et le plus grand des sphinx du monde. Il pourrait être le portrait géant du pharaon Khéphren qui l’a fait sculpter durant son règne (2558-2532 av. J.-C.).

Bédouins devant la pyramide de Khéphren, 1898, Collection Magendie, MAG0437

La pyramide de Khéphren est la deuxième pyramide d’Égypte par sa taille. Elle est à faces lisses et fut élevée sous la IVe dynastie de l’Ancien Empire pour le pharaon Khéphren, fils de Khéops. Elle se dresse au sud-ouest de celle de son père, bien identifiable avec son sommet encore couvert de calcaire. Légèrement plus petite que celle de Khéops, elle paraît pourtant plus haute car elle est érigée sur une proéminence rocheuse avec un angle d’inclinaison supérieur à celui de la grande pyramide.

Basse Égypte : le site de Memphis :

Statue colossale de Ramses II, à l’époque sur le site de Memphis, 1915-1925, Collection Vergnieux, RVX271

La photo de cette statue est un document, trace d’une période révolue : elle a en effet été prise sur le site de Memphis, ancienne capitale du pays, et non au Caire. Pour les égyptologues Sydney Aufrère et Jean-Claude Goyon, elle se trouvait, comme sa jumelle, à l’entrée du temple de Ptah : « Dans l’axe de la ville, approximativement là où devait se trouver l’entrée, s’élevaient deux colosses de Ramsès II. » D’autres sources annoncent même le chiffre de quatre…

Le premier colosse, sculpté dans du calcaire, a été découvert en 1820 par Giovanni Battista Caviglia et Charles Sloane, couché face contre terre. Le bas des jambes brisé, il n’a jamais été relevé, mais a été déplacé en 1958 afin d’être exposé dans un bâtiment construit sur le site.

Le second colosse, celui de notre photo, fut découvert pendant l’hiver 1853-1854, par Leonard Horner, un géologue britannique, venu pour analyser la profondeur et l’accroissement des alluvions du Nil. Il profita de cette mission pour entreprendre l’étude archéologique du site, sous la supervision de Joseph Hekekyan, un ingénieur arménien de Constantinople. 

Légèrement plus petit que le premier colosse, il gisait à 200 m au nord-ouest, brisé en six morceaux. La statue demeurera sur place jusqu’en 1887… Cette année-là, le major Arthur Bagnold voulut la soustraire à l’effet des eaux du Nil qui le recouvraient pendant une longue période de l’année et voulut la mettre à l’abri. Il en informa les autorités et une maigre somme de 20 livres lui fut allouée. C’est ainsi que ce colosse fut dégagé, puis traîné sur une butte voisine et surélevé afin qu’il fût visible en totalité.

Il y resta jusqu’en février 1955… date à laquelle le président Nasser, récemment installé à la tête du pays, la fit transporter (et relever) sur une place en plein centre du Caire, en face de la gare, au bout de la grande voie rebaptisée avenue Ramsès. La couronne, qui gisait à côté de la statue, fut également réinstallée sur la tête du souverain. Mais la statue était devenue invisible au milieu d’une circulation débridée, et son calcaire était fortement attaqué par le gaz carbonique des pots d’échappement.

05 –La statue colossale de Ramsès II, en face de la gare du Caire de 1955 à 2006 – (L’égyptophile.blogspot.com)

Elle a à nouveau été transportée en grandes pompes en 2006 dans l’enceinte du Grand Musée Egyptien, bâti à la périphérie du Caire, pour la mettre en valeur et la soustraire à la pollution automobile galopante. Les travaux ayant traîné en longueur, il faudra attendre janvier 2018 pour qu’elle s’offre enfin à l’admiration des visiteurs, bien en vue à l’entrée du Musée.

06 - Statue colossale de Ramses II, désormais à l’abri à l’entrée du Grand Musée Egyptien du Caire (Image virtuelle Egytian Grand Museum / L’égyptophile.blogspot.com)

Par deux fois donc, le déplacement et la mise en sécurité du colosse ont été utilisés par le gouvernement en place comme un symbole de puissance politique. Mais, ce motif servit aussi effectivement à la sauvegarde de cette pièce tout à fait exceptionnelle héritée de l’Égypte antique.

Basse Égypte : Saqqarah, la pyramide de Djéser :

La pyramide à degrés de Djéser, 1867-1876, Collection Magendie, MAG3065

Saqqarah est le nom de l’ancienne nécropole de la cité de Memphis, une des capitales de l’Égypte antique. Située à moins de 30 kilomètres du Caire, sur la rive gauche du Nil, presque en face de Memphis elle-même, elle contient les sépultures de nombreux pharaons et hauts fonctionnaires égyptiens. La nécropole est impressionnante : elle mesure 6 km de long sur 1,5 km de large, soit la plus grande superficie d’une nécropole égyptienne, sur un vaste plateau qui domine la vallée du Nil. Le complexe funéraire compte une quinzaine de monuments de différentes époques. Lorsque la Haute et la Basse Égypte furent réunies en un seul royaume, les premières tombes firent leur apparition sur le site (principalement celles des grands notables). Au début, les tombeaux n’étaient pas encore des pyramides, mais des mastabas, grandes constructions rectangulaires d’abord en briques puis en pierres.

Le monument le plus intéressant de Saqqarah est cette pyramide à degrés, tombeau du pharaon Djéser ou Djoser (IIIe dynastie). Il s’agit de la première pyramide égyptienne et du premier tombeau construit intégralement en pierres, dans le but de résister aux épreuves du temps. Son architecte fut le célèbre Imhotep (« celui qui vient en paix » en égyptien). En construisant un mastaba d’environ 121 m de long sur 109 m de large, puis en en superposant d’autres de tailles décroissantes jusqu’au sommet, son idée était de rapprocher le plus possible le souverain du ciel et donc des dieux. Cette structure en degrés peut donc être vue comme une sorte « d’escalier divin » pour faciliter l’ascension du pharaon défunt.

Haute-Égypte : Denderah, le temple d’Hathor :

La façade du temple d’Hathor à Denderah, 1856-1859, Collection Magendie, MAG3886

Denderah est à 460 km au sud du Caire. Le temple d’origine, dédié à la déesse Hathor, fut construit par Pépi 1er sous la VIe dynastie. Le temple actuel fut fondé le 16 juillet 54 avant notre ère, jour du lever héliaque annuel de Sirius. Les travaux commencèrent sous le règne de Ptolémée XII Aulète, père de Cléopâtre. Cette dernière lui succède en 51 avant notre ère. Cette nouvelle construction fut achevée trente-quatre ans plus tard, sous le règne d’Auguste. La décoration des parois se poursuivit jusqu’à la fin de la période romaine. C’est la raison pour laquelle, à l’intérieur du temple, on peut trouver les cartouches d’Auguste, de Tibère, de Caligula, de Claude et de Néron.

Haute-Égypte : Karnak et Louxor (site de l’ancienne Thèbes) :

A environ 500 km au sud du Caire, faisons halte à Louxor, l’ancienne Thèbes, sur la rive est du Nil. La Stéréothèque conserve les vues de deux monuments distincts qu’il convient de ne pas confondre : le grand temple d’Amon au sein du complexe religieux de Karnak, et un second temple d’Amon, à la périphérie immédiate de Louxor.

La salle hypostyle du grand temple d’Amon de Karnak, 1856-1859, Collection Vicente, GV026

Nous avons ici une des vues les plus anciennes de nos collections. Le complexe religieux de Karnak comprend un vaste ensemble de ruines de temples, chapelles, pylônes, et d’autres bâtiments situés au nord de Thèbes, aujourd’hui ville de Louxor. Ce complexe religieux, a été construit et développé pendant plus de 2 000 ans par les pharaons successifs, de Sésostris Ier, au Moyen Empire, jusqu’à l’époque ptolémaïque ; il s’étend sur plus de 2 km2, morcelé en trois « domaines », chacun entouré de sa propre enceinte. C’est le plus grand complexe religieux de toute l’Antiquité. Le temple le plus important, le Grand Temple d’Amon, date de la XVIIIe dynastie. Il était consacré à la triade thébaine, avec à sa tête le dieu Amon-Rê. Il était relié au temple de Louxor (voir ci-après) par une allée de sphinx de près de trois kilomètres de long.

Le site a fait l’objet de fouilles conduites dès le XIXe siècle par des archéologues français, désormais organisés depuis 1967 au sein du Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak. Bien que toujours en ruine, le site a néanmoins fait l’objet d’un redressement des colonnes comme on peut en juger sur la photo d’ensemble ci-contre (la salle hypostyle étant au centre du second plan), bel exemple de conservation respectueuse de l’édifice.

07 – Vue d’ensemble du complexe religieux de Karnak avec, au centre, la salle hypostyle du Grand Temple d’Amon (Jerzy Strzelecki / Wikipedia)

Trois kilomètres plus loin, voici le temple d’Amon de Louxor.

Vue du temple de Louxor, 1857, Collection Wiedemann, WIE918

Situé au cœur de l’ancienne Thèbes, il fut construit pour l’essentiel sous les XVIIIe et XIXe dynasties. Il était consacré au dieu dynastique Amon sous ses deux aspects d’Amon-Rê céleste et d’Amon-Min. Les parties les plus anciennes actuellement visibles remontent à Amenhotep III et à Ramsès II. Par la suite, de nouveaux éléments furent ajoutés par Chabaka, Nectanébo Ier et les Lagides. L’édifice, l’un des mieux préservés du Nouvel Empire, a gardé de nombreuses structures en élévation.

La vue WIE918 qui nous est présentée ci-dessus – également une des plus anciennes concernant l’Égypte au sein de la Stéréothèque – est malheureusement peu explicite ; c’est une vue latérale du temple depuis le nord-ouest qui laisse voir en arrière-plan le minaret de la mosquée de Louxor toujours présente aujourd’hui.

08-Le temple d’Amon à Louxor vu du nord-ouest avec, en arrière-plan, le même minaret que sur la WIE918 (Marc Ryckaert / Wikipedia)

Une fois franchis les pylônes du temple qui marquaient son entrée, on peut admirer ce qui reste de la grande colonnade qui formait l’intérieur de l’ancien temple. Les murs tout autour portent la représentation des différentes phases de la fête de l’Opet ; à l’entrée de la colonnade, se trouvent deux groupes de statues.

La grande colonnade du temple de LouxorI, 1898, Collection Magendie, MAG0515

Haute-Égypte : Louxor (ancienne Thèbes), Les colosses de Memnon :

Les colosses de Memnon à Thèbes, 1863-1915, Collection Magendie, MAG3036

Les colosses de Memnon sont deux statues de pierre monumentales situées sur la rive occidentale de Thèbes, sur la route qui mène à la nécropole thébaine. Elles sont les derniers vestiges du gigantesque temple d’Amenhotep III, construit durant la XVIIIe dynastie, qui n’existe plus de nos jours. Depuis 1998, le site du temple est fouillé par la Mission des colosses de Memnon et du temple d’Aménophis III, dirigée par l’égyptologue Arménien Hourig Sourouzian.

Haute-Égypte : Edfou :

Edfou (Behdet, Apollinopolis) est situé sur la rive gauche du Nil entre Louxor et Assouan, à 105 km au sud de cette dernière. Toutefois, la vue que nous montrons ci-après n’est pas prise sur ce site mais au sein du Parc Egyptien de l’Exposition Universelle de Paris en 1867.

Nous avons déjà souligné à l’occasion de plusieurs de nos « Unes » le climat de modernité qui a marqué la France du Second Empire (dans le même élan que dans toute l’Europe). Nous en avons ici un nouvel exemple : à l’occasion de cette Exposition Universelle, l’Égypte (qui est en 1867 un pays indépendant qui se veut moderne) expose, entre autres, une reconstitution réduite du temple d’Edfou. Il s’agit non seulement d’offrir aux visiteurs une vision caractéristique du pays, mais d’attirer aussi les premiers touristes (évidement au sein de la bourgeoisie favorisée) pour un circuit de tourisme culturel au sein du pays : de la publicité touristique avant l’heure, il y a plus de 150 ans !

Reconstitution à échelle réduite du temple d’Edfou au sein du Parc Egyptien, Exposition Universelle de Paris, 1867, Collection Archives Nationales, AN287-1

Le temple réel, dédié au culte d’Horus, est le plus grand temple de la dynastie lagide et le deuxième sanctuaire le plus important d’Égypte après Karnak : 137 m de long, 79 m de large, 36 m de haut pour les pylônes. Construit entre 237 et 57 av. J.-C., il est l’un des mieux préservés d’Égypte.

Haute Égypte : l’île de Philae :

Vue d’ensemble de l’île de Philae, avec sur la gauche son temple et à droite le kiosque de Trajan, 2de moitié du XIXe siècle, Collection SAB, SAB033

Philae se situe sur la 1ère cataracte du Nil, au sud d’Assouan, à presque 700 km au sud du Caire. Cette île comprenait les ruines d’une ville de l’Égypte ancienne, avec, notamment, le magnifique petit temple d’Isis. Jusqu’en 1902, les ruines de l’ensemble antique de Philae sont au sec sur une île.

09- Le site de Philae tel qu’il se présentait jusqu’en 1902 (Wikimedia / David Roberts)

Le rapprochement entre la vue SAB033 ci-dessus et RVX436 plus bas est particulièrement intéressant : depuis l’inauguration du grand barrage d’Assouan en 1970, qui noya définitivement le site, notre mémoire collective avait peut-être un peu oublié que, déjà en 1894 les Britanniques avaient entrepris la construction d’un premier barrage juste en aval, à Assouan, pour développer l’irrigation et, en particulier, pour promouvoir sur de vastes surfaces une culture pratiquement industrielle du coton !

10 – Le site de Philae après la construction du 1er barrage d’Assouan (Photo Luigi Fiorillo / TIMEA / Wikimedia)

Ce barrage, mis en eau en 1902, a eu immédiatement pour effet d’inonder le site de Philae 10 mois sur 12, en dehors de la saison sèche. Ainsi, à partir de cette date, les touristes devaient venir sur le site en barque, ce que Pierre Loti déplora profondément dans un texte « La mort de Philae ». C’est donc de cet état que la photo ci-dessous témoigne. En outre, le premier barrage fut surélevé par deux fois (entre 1907 & 1912, puis entre 1929 & 1934) aggravant à chaque fois les dommages causés aux édifices.

Le temple de Philae inondé, 1905-1907, Collection Vergnieux, RVX436

Le temple d’Isis, situé dans le quart sud-ouest de l’île, est la principale construction de Philae. L’esplanade située devant le premier pylône est fermée par un portique aux chapiteaux variés. Le mur occidental est percé de fenêtres donnant sur l’île de Biggeh, désormais un petit îlot depuis le déplacement du temple, et d’un escalier entre la douzième et la treizième colonne menant à un « nilomètre ». La corniche du portique est décorée de disques solaires situés précisément face aux temples d’Arensnouphis, de Biggeh et d’Imhotep ; le plafond est orné de vautours aux ailes déployées regardant vers l’ouest.

Le kiosque de Trajan, 1905-1907, Collection Vergnieux, RVX431

Sur un côté de l’île, le kiosque de Trajan est bien une construction réalisée sous le règne de l’empereur romain Trajan. Inachevé, ce pavillon très élégant était le seul visible lorsque l’île était submergée. C’est une petite construction en forme de portique rectangulaire, mise en chantier vers l’an 100. Elle comporte quatorze colonnes avec de beaux chapiteaux campaniformes. A l’intérieur, sur deux de ses murs, on voit l’empereur célébrer les rites d’offrandes à Isis et Horus, puis à Isis et Osiris. Les processions qui se rendaient sur l’Ile accostaient ici et passaient vraisemblablement sous ce kiosque. Les chapiteaux des quatorze colonnes du kiosque s’étagent en ombrelles de papyrus de taille croissante entre lesquelles s’intercalent des boutons floraux. Le kiosque devait servir de reposoir à la barque sacrée de la déesse Isis lorsque celle-ci quittait l’île ou la rejoignait, à l’occasion de cérémonies religieuses.

À partir de 1960, après plusieurs années de tractations politiques et d’arrangements financiers, le président Nasser prit la décision définitive de la construction du haut barrage d’Assouan. Ce projet constituait une nouvelle menace pour Philae, car l’île se trouvait entre les deux barrages. Le lac de retenue de l’ancien barrage d’Assouan fut en partie transformé mais maintenu. Il était prévu d’abaisser le niveau moyen de ce lac qui atteindrait alors le premier pylône du temple d’Isis à la moitié de sa hauteur, permettant aux ruines d’être en plus grande partie à l’air libre. Mais cette transformation induisait une hausse du niveau de la nappe phréatique ; l’île ne pouvait donc plus être totalement à sec pendant une partie de l’année. En outre, les fluctuations quotidiennes du niveau du lac devaient atteindre six mètres d’amplitude, risquant de provoquer une érosion accrue des pierres et une accélération de la disparition des ruines.

Le sauvetage de Philae fut alors décidé par l’UNESCO qui lança à cette occasion des travaux d’une ampleur inédite, la solution retenue étant la même que pour les temples d’Abou Simbel quelques années plus tôt (voir plus bas) : le démontage des ruines et leur reconstruction sur un nouveau site à l’abri des eaux du lac. Ce déplacement fut orchestré par le ministère de la Culture égyptien et les services d’archéologie du Caire sous l’égide de l’UNESCO, la responsabilité du projet étant confiée à Christiane Desroches Noblecourt, célèbre égyptologue française, déjà à l’origine du sauvetage des temples d’Abou Simbel. L’Égypte prit à son compte la moitié du coût de ce transfert.

Le déplacement des temples à proprement parler commença avec le découpage des ruines et leur transport en barges vers un site de stockage provisoire. Entretemps, l’île d’Aguilkia située à environ trois cents mètres au nord-ouest de Philae fut préparée pour accueillir les ruines. Le sauvetage fut achevé en 1976. Malheureusement, des dizaines d’autres sites archéologiques d’Égypte, jugés de moindre importance, mais qui faisaient encore l’objet de recherches, ont été définitivement engloutis par la montée des eaux.

11 – Le temple de Philae tel qu’il apparaît désormais sur l’île d’Agilika, à quelques centaines de mètres de l’ancien site de Philae (Wikimedia)

Basse Nubie : Le temple de Maharraqa :

Le temple de Maharraqa en Basse-Nubie, situé à environ 1 010 km du Caire, est le site le moins connu de tout notre parcours, souvent ignoré des guides francophones.

Le temple d’Al-Maharraqa en Basse-Nubie, 2ème moitié du XIXe siècle, Collection SAB, SAB032

Il s’agit d’un ancien temple égyptien dédié à Isis et Sérapis. Maharraqa, en Basse Nubie, se situe à environ 140 km au sud d’Assouan. Quelques années après la conquête romaine de l’Égypte en 30 avant JC, les Koushites du royaume de Méroé ont lancé un raid sur la première cataracte. Le préfet romain d’Égypte, Pétrone, a riposté et vaincu l’armée d’invasion méroïtique. Il a ensuite placé une garnison romaine de 400 hommes à l’avant-poste sud du territoire : une frontière entre le royaume de Méroé et l’Égypte romaine a ainsi été établie à Maharraqa ; c’était alors la frontière sud de l’Égypte romaine. Aujourd’hui, la frontière entre l’Égypte moderne et le Soudan se trouve à plusieurs centaines de kilomètres plus au sud, au-delà d’Abou Simbel.

Ce temple était dédié aux anciens dieux égyptiens Isis et Sérapis. Construit par les Romains, il ne peut être attribué avec certitude au règne d’un empereur romain en particulier puisqu’il n’a jamais été entièrement achevé ni inscrit. Cependant, dans la mesure où la construction de temples a décliné en Nubie après le règne d’Auguste, le temple de Maharraqa pourrait être attribué à son règne. La seule partie de la structure achevée était une cour de 13,5 m sur 15,7 m, entourée sur trois côtés par des colonnes : c’est exactement ce que nous montre notre photo ci-dessus.

Le temple de Maharraqa a lui aussi dû être déplacé en 1966 à cause de la construction du barrage d’Assouan sur le site dit du « nouveau Wadi es-Sebua », à 4 km à l’ouest de l’emplacement d’origine. Pour ce cas précis, l’Égypte finança la totalité du déplacement.

Nubie : Les temples d’Abou Simbel :

Le « petit temple » d’Abou Simbel, 1863-1915, Collection Magendie, MAG3054

Ainsi se termine notre circuit égyptien : une véritable vitrine en matière de sauvetage du patrimoine monumental antique !

12- Les deux temples d’Abou Simbel tels qu’ils apparaissent désormais sur leur nouveau site (à gauche, celui de Ramsès II et à droite celui de Néfertari) ; le lit du Nil se trouve juste en arrière du photographe. – (Holger Weinandt / Wikipedia)

Ainsi se termine notre circuit égyptien : une véritable vitrine en matière de sauvetage du patrimoine monumental antique !

 

Christian Bernadat

Bibliographie :

https://fr.wikipedia.org/wikiÉgyptomanie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Style_Empire

https://fr.wikipedia.org/wiki/Monuments_de_l’Égypte_antique

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_de_Gizeh

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_de_Khéops

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_de_Khéphren

https://egyptophile.blogspot.com/2018/01/lun-des-colosses-de-ramses-ii-en-route.html

Le site de Saqqarah (egyptos.net)

La pyramide de Djéser (merveilles-du-monde.com)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Karnak

https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Amon_(Louxor)

http://www.temples-egypte.net/louxor/templeLouxor/colonnade.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Colosses_de_Memnon

https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Horus (Edfou)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_d’Hathor_(Denderah)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Philae

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ancien_barrage_d’Assouan

https://www.baudelet.net/voyage/Égypte/philae-kiosque-trajan.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Temples_d’Abou_Simbel

https://en.m.wikipedia.org/wiki/Temple_of_Maharraqa

https://egyptophile.blogspot.com/2016/05/le-train-de-la-modernite-les-debuts-du.html

Victoire en Nubie, 4000 ans d’Histoire sauvés des eaux, Le Courrier de l’UNESCO, Février/Mars 1980.

Égypte, premières impressions, Conservation des Musées de Figeac, Musée Champollion, 2019.

Statue colossale de Ramses II, à l’époque sur le site de Memphis, 1915-1925, Collection Vergnieux, RVX271
Vue générale sur le Vieux-Port en direction de Notre-Dame de la Garde, 1870-1890, Collection Magendie, MAG4759

L’image du mois #43 | Septembre

Pour la rentrée 2021, nous avons fait appel à une cartomancienne qui nous a confirmé que cette nouvelle année scolaire sera riche en projets, rencontres et en valorisation de nos fonds !

Pour commencer, nous serons présents à Blanquefort auprès du Stéréo Club français le 26 septembre puis à Angoulême mi-octobre pour le festival Courant 3D. Pour être au courant de nos événements, les infos sont dans les newsletters ou sur nos réseaux !

Cette vue a sans doute été éditée par Alexis ou Charles Gaudin.
Ce tirage est très proche des vues n°307 et variantes déposées par Alexis Gaudin en 1858 (Sujets de fantaisie et enregistrées sous le numéro 8053 au dépôt légal du département de la Seine). Il s’agit du même modèle féminin prenant une pose très proche, du même thème et du même mobilier. Cependant la robe n’est pas identique.

Bibliographie :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55012956v/f510.item
https://photostereo.org/recherche.php?chaine=carte&libre=OK&chlibre=%C2%A7coll_2_71&index=0

 

 

 

L’image du mois #42 | Août

L’événement patrimonial du mois de juillet a sans doute été l’inscription du phare du Cordouan sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco !

La décision a été annoncée fin juillet après plusieurs années d’une candidature ayant réuni l’Etat, le Syndicat Mixte pour le Développement Durable de l’Estuaire de la Gironde (Smiddest), les collectivités territoriales et surtout plusieurs milliers de particuliers désireux de soutenir le projet.

Pour saluer cette très bonne nouvelle, voici une vue prise au début du XXe siècle montrant des visiteurs au sommet du phare, qui n’est pas encore électrifié :

Alexis Croly-Labourdette, Cordouan, portrait de famille pris depuis le sommet du Phare, entre 1911 et 1928, Collection Besson, BL146

La vue provient du fonds Besson, dont les images ont été prises par son grand-père Alexis Croly-Labourdette, ancien notaire et photographe amateur né en 1879 à Bourg-sur-Gironde.

 

The picture of the month #42 | August

The heritage event in July was undoubtedly the inscription of the Cordouan lighthouse on unesco's List of world heritage!

The decision was announced at the end of July after several years of an application that brought together the State, the Mixed Union for the Sustainable Development of the Gironde Estuary (Smiddest), local authorities and especially several thousand individuals wishing to support the project.

To welcome this very good news, here is a view taken at the beginning of the twentieth century showing visitors at the top of the lighthouse, which is not yet electrified:

Alexis Croly-Labourdette, Cordouan, family portrait taken from the top of the Lighthouse, between 1911 and 1928, Besson Collection, BL146

The view comes from the Besson fonds,whose images were taken by his grandfather Alexis Croly-Labourdette, former notary and amateur photographer born in 1879 in Bourg-sur-Gironde.

 

The picture of the month #42 | August

The heritage event in July was undoubtedly the inscription of the Cordouan lighthouse on the Unesco World Heritage List!

The decision was announced at the end of July after several years of an application that brought together the State, the Mixed Union for the Sustainable Development of the Gironde Estuary (Smiddest), local authorities and especially several thousand individuals wishing to support the project.

To welcome this very good news, here is a view taken at the beginning of the twentieth century showing visitors at the top of the lighthouse, which is not yet electrified:

Alexis Croly-Labourdette, Cordouan, family portrait taken from the top of the Lighthouse, between 1911 and 1928, Besson Collection, BL146

The view comes from the Besson fonds,whose images were taken by his grandfather Alexis Croly-Labourdette, former notary and amateur photographer born in 1879 in Bourg-sur-Gironde.