Depuis le 11 mai, les familles se réunissent et depuis le 2 juin, les terrasses et restaurants sont de nouveau accessibles !
Cette atmosphère de retrouvailles nous rappelle cette stéréophotographie du fonds Magendie : il y a un petit air de ressemblance avec ce restaurant alpin de Morzine, en 1947. Deux groupes sont réunis au grand air, ambiance conviviale au rendez-vous !
Cet article comprend des vues stéréoscopiques en anaglyphe. Pour en apprécier le relief, chaussez des lunettes bicolores ! Et pour voir les stéréos originales ou les autres vues en anaglyphe, cliquez sur l’image qui vous mènera à la Stéréothèque.
La Stéréothèque héberge un lot bien particulier : un reportage, directement conçu par l’entreprise De Dion-Bouton pour assurer la promotion de la marque et de ses productions : rien moins que 49 vues regroupées au sein du « Lot De Dion Bouton ». Nous ne sommes qu’en 1906 : apprécions le caractère particulièrement précurseur de cette « communication d’entreprise » voulue par ce patron industriel !
Faire parler de son entreprise par d’autres moyens que la simple « réclame » : voilà l’objet de ce reportage photographique. Il s’agit de diffuser ces vues selon toutes sortes de moyens : peut-être en organisant des séances de visionnage dans l’entreprise elle-même lors de l’accueil de personnalités, ou dans les salons et expositions, puisque la visionneuse est marquée à l’enseigne de la société ; tous les grands de ce monde, en effet, et notamment les souverains de toute l’Europe, se sont intéressés à ses productions, jusqu’à venir visiter les usines.
Le marquis Albert de Dion s’est associé dès 1883 aux mécaniciens Georges Bouton et Charles Trépardoux pour fonder une entreprise dont l’objectif est d’abord de construire une petite voiture à vapeur. Mais, Trépardoux quittera la société 11 ans plus tard.
A partir d’octobre 1884, ils s’installent dans une nouvelle usine à Puteaux. Rapidement, ils développent leurs propres moteurs à explosion et commencent par fabriquer des tricycles à moteur qui connurent tout de suite un très grand succès, appuyés par une publicité basée sur l’humour, souvent en mettant les femmes à l’honneur, au guidon ou au volant : dès le début de la motorisation, en effet, la conduite automobile fut un axe de libération de la femme… bien accepté par la bourgeoisie !
En 1895, ils deviennent les premiers constructeurs au monde de petits moteurs (1 et 2 cylindres), très utilisés, notamment, dans le monde agricole.
Albert de Dion a tout de suite l’intelligence de son époque : il lance ses véhicules dans les courses automobiles. Ainsi ces voiturettes 8 chevaux (« 8 HP ») posent en configuration « course ». En 1896, le marquis de Dion fait partie des fondateurs de l’Automobile Club de France qui encourage les compétitions automobiles.
Certaines photos de cette série sont très connues, comme celles de la sortie des ouvriers de l’usine présentée en « Une » ou la vue suivante.
Vers 1906, l’usine occupe à Puteaux 22 000 m2 et emploie autour de 1 300 personnes. En 1900, De Dion est le plus important constructeur d’automobiles et de moteurs du monde ; ses usines sont alors les plus grandes du monde. Qui s’en souvient en dehors du petit cercle des amateurs d’automobiles anciennes ?
Mais la société perdra progressivement cette prééminence dans les années précédant la Première Guerre mondiale.
Laissons-nous maintenant guider pour une visite des ateliers : en plein essor de cette « révolution industrielle », fabriquer des automobiles mobilise des centaines de salariés.
Une telle usine nécessite aussi une quantité impressionnante de pièces détachées : on est loin du travail à flux tendu contemporain !
Comme la plupart des grandes industries de l’époque, De Dion-Bouton est une « entreprise intégrée » : on y fabrique à peu près tout ce qui est nécessaire au véhicule (à part les pneumatiques) :
Mais l’on insiste aussi sur l’ensemble des laboratoires de recherches dont était dotée l’usine : le marquis de Dion en était très fier, à juste titre :
Il est temps, maintenant, de passer aux phases de fabrication proprement dite et d’assemblage des véhicules :
Nous sommes aux débuts de l’industrie automobile : il n’y a pas de chaînes de fabrication ; ce sont les ouvriers qui se déplacent autour des châssis en cours d’assemblage.
Ce reportage se termine par une mise en situation des différents modèles de la marque :
Quelques exemplaires de ce modèle équiperont la Brigade du Tigre de la Police judiciaire.
Cette entreprise si innovante est encore très productive durant la Première Guerre mondiale, participant fortement à l’effort d’équipement militaire. Mais, dans les années d’après-guerre, le marquis de Dion fait de mauvais choix, concentrant l’essentiel de sa production sur des modèles de luxe et de haut de gamme, alors que l’automobile se démocratise et que le coût de la main-d’œuvre augmente fortement. L’entreprise doit déposer son bilan en 1927.
Christian Bernadat
Bibliographie :
La Vie de l’Auto (hebdomadaire), « La fabuleuse histoire d’Albert de Dion et Georges Bouton » par Alexis, janvier à octobre 1991.
Encyclopédie de l’Automobile, Éditions Gründ, Paris 1992, article « De Dion Bouton ».
De Dion-Bouton une aventure industrielle, Musée national de la voiture et du Tourisme, Château de Compiègne, mai 1993 (source des trois vues non stéréoscopiques),
Au cœur des voitures françaises, Hachette Collections, Paris 2003, article « De Dion-Bouton ».
La grande époque des De Dion-Bouton, René Ville et l’Amicale De Dion-Bouton, septembre 2004
Victor Hugo, né en 1802 et mort en mai 1885, a beaucoup voyagé et notamment à Bordeaux en 1843.
Ce mois-ci, nous relions nos deux fonds iconographiques numérisés pour accompagner son texte sur la cathédrale Saint-André de Bordeaux.
La photographie stéréoscopique du chevet de Saint-André est la plus ancienne en notre possession. Prise par Jean Andrieu en 1863, la vue nous présente les abords de la cathédrale avant les grands travaux de transformation du quartier à la fin du Second Empire. Le percement de l’actuel cours Alsace-Lorraine, au sud de l’édifice, entraîne en 1864 la démolition de l’archevêché, puis en 1865 celle du cloître et des bâtiments situés à gauche sur cette vue.
Le dégagement de la cathédrale s’achève en 1868 avec la destruction des rues Victor, Sainte-Hélène, Saint-André (bâtiments situés à droite sur cette vue). La place Pey-Berland revêt alors son aspect actuel.
Quant aux deux œuvres de Léo Drouyn l’une est une gravure publiée dans le Magasin Pittoresque, l’autre est le tableau conservé au Musée d’Aquitaine. Connu pour son implication dans la protection des monuments historiques, Léo Drouyn s’est notamment illustré dans son combat contre la destruction du cloître de Saint-André de Bordeaux. Nous aurons l’occasion de vous en dire plus dans un prochain article.
Revenons-en à Victor Hugo ! Dans Voyage de Bordeaux à Gavarnie, il rapporte :
Bordeaux, 20 juillet.
On loue Bordeaux comme on loue la rue de Rivoli : régularité, symétrie, grandes façades blanches et toutes pareilles les unes aux autres, etc. ; ce qui pour l’homme de sens veut dire architecture insipide, ville ennuyeuse à voir. Or, pour Bordeaux, rien n’est moins exact.
Bordeaux est une ville curieuse, originale, peut-être unique. Prenez Versailles et mêlez-y Anvers, vous avez Bordeaux.
(…)
Il y a deux Bordeaux, le nouveau et l’ancien.
(…)
Ces fontaines, ces colonnes rostrales, ces vastes allées si bien plantées, cette place Royale qui est tout simplement la moitié de la place Vendôme posée au bord de l’eau, ce pont d’un demi-quart de lieue, ce quai superbe, ces larges rues, ce théâtre énorme et monumental, voilà des choses que n’efface aucune des splendeurs de Versailles, et qui dans Versailles même entoureraient dignement le grand château qui a logé le grand siècle.
Ces carrefours inextricables, ces labyrinthes de passages et de bâtisses, cette rue des Loups qui rappelle le temps où les loups venaient dévorer les enfants dans l’intérieur de la ville, ces maisons-forteresses jadis hantées par les démons d’une façon si incommode qu’un arrêt du Parlement déclara en 1596 qu’il suffisait qu’un logis fût fréquenté par le diable pour que le bail en fût résilié de plein droit, ces façades couleur amadou sculptées par le fin ciseau de la renaissance, ces portails et ces escaliers ornés de balustres et de piliers tors peints en bleu à la mode flamande, cette charmante et délicate porte de Caillau bâtie en mémoire de la bataille de Fornoue, cette autre belle porte de l’hôtel de ville qui laisse voir son beffroi si fièrement suspendu sous une arcade à jour, ces tronçons informes du lugubre fort du Hâ, ces vieilles églises, Saint-André avec ses deux flèches, Saint-Seurin dont les chanoines gourmands vendirent la ville de Langon pour douze lamproies par an, Sainte-Croix qui a été brûlée par les normands, Saint-Michel qui a été brûlé par le tonnerre, tout cet amas de vieux porches, de vieux pignons et de vieux toits, ces souvenirs qui sont des monuments, ces édifices qui sont des dates, seraient dignes, certes, de se mirer dans l’Escaut comme ils se mirent dans la Gironde, et de se grouper parmi les masures flamandes les plus fantasques autour de la cathédrale d’Anvers.
Ajoutez à cela, mon ami, la magnifique Gironde encombrée de navires. un doux horizon de collines vertes, un beau ciel, un chaud soleil, et vous aimerez Bordeaux, même vous qui ne buvez que de l’eau et qui ne regardez pas les jolies filles.
(…)
Je l’ai dit ailleurs, respectons les édifices et les livres ; là seulement le passé est vivant ; partout ailleurs il est mort. Or, le passé est une partie de nous-mêmes, la plus essentielle peut-être. Tout le flot qui nous porte, toute la sève qui nous vivifie nous vient du passé. Qu’est-ce qu’un arbre sans sa racine ? Qu’est-ce qu’un fleuve sans sa source ? Qu’est-ce qu’un peuple sans son passé ?
25 juillet.
Le pont de Bordeaux est la coquetterie de la ville. Il y a toujours sur le pont quatre hommes occupés à rejointoyer le pavé et à fourbir le trottoir. En revanche, les églises sont fort tristement délabrées.
Pourtant n’est-il pas vrai que tout dans une église mérite religion, jusqu’aux pierres ? C’est ce qu’oublient volontiers les prêtres, qui sont les premiers démolisseurs.
Les deux principales églises de Bordeaux, Saint-André et Saint-Michel, ont au lieu de clochers des campaniles isolés de l’édifice principal comme à Venise et à Pise.
Le campanile de Saint-André, qui est la cathédrale, est une assez belle tour dont la forme rappelle la tour de Beurre de Rouen et qu’on nomme le Peyberland, du nom de l’archevêque Pierre Berland, lequel vivait en 1430. La cathédrale a en outre les deux flèches hardies et percées à jour dont je vous ai déjà parlé. L’église, commencée au onzième siècle, comme l’attestent les piliers romans de la nef, a été laissée là pendant trois siècles, pour être reprise sous Charles VII et terminée sous Charles VIII. La ravissante époque de Louis XII y a mis la dernière main et a construit, à l’extrémité opposée à l’abside, un porche exquis qui supporte les orgues. Les deux grands bas-reliefs appliqués à la muraille sous ce porche sont deux tableaux de pierre du plus beau style, et on pourrait presque dire, tant le modelé en est puissant, de la plus magnifique couleur. Dans le tableau de gauche l’aigle et le lion adorent le Christ avec un regard profond et intelligent, comme il convient que les génies adorent Dieu.
Le portail, quoique simplement latéral, est d’une grande beauté ; mais j’ai hâte de vous parler d’un vieux cloître en ruine qui accoste la cathédrale au midi et où je suis entré par hasard.
Rien n’est plus triste et plus charmant, plus imposant et plus abject. Figurez-vous cela. De sombres galeries percées d’ogives à fenestrages flamboyants ; un treillis de bois sur ces ogives ; le cloître transformé en hangar, toutes les dalles dépavées, la poussière et les toiles d’araignées partout ; des latrines dans une cour voisine ; des lampadaires de cuivre rouillé, des croix noires, des sabliers d’argent, toute la défroque des corbillards et des croque-morts dans les coins obscurs ; et, sous ces faux cénotaphes de bois et de toile peinte, de vrais tombeaux qu’on entrevoit avec leurs sévères statues trop bien couchées pour qu’elles puissent se relever et trop bien endormies pour qu’elles puissent se réveiller. N’est-ce pas scandaleux ? Ne faut-il pas accuser le prêtre de la dégradation de l’église et de la profanation des tombeaux ? Quant à moi, si j’avais à tracer aux prêtres leur devoir, je le ferais en deux mots : Pitié pour les vivants, piété pour les morts.
Au milieu, entre les quatre galeries du cloître, les débris et les décombres obstruent un petit coin, jadis cimetière, où les hautes herbes, le jasmin sauvage, les ronces et les broussailles croissent, et se mêlent, on pourrait presque dire, avec une joie inexprimable. C’est la végétation qui saisit l’édifice ; c’est l’œuvre de Dieu qui l’emporte sur l’œuvre de l’homme.
(…)
D’ailleurs, c’est la destinée. Les moines s’en vont avant les prêtres, et les cloîtres s’écroulent avant les églises.
De Saint-André, je suis allé à Saint-Michel… — Mais on m’appelle, la voiture de Bayonne va partir, je vous dirai la prochaine fois ce qui m’est arrivé dans cette visite à Saint-Michel.
La Stéréothèque conserve plusieurs dizaines de vues sur Bordeaux et son port au cours de la deuxième moitié du XIXe et du premier quart du XXe siècle (en particulier dans les collections Duclot, Gaye, SAB, Magendie, Mathivet et Calvelo).
Beaucoup d’entre elles nous montrent une rade conforme aux vues les plus connues, avec des dizaines de voiliers amarrés partout sur la « rivière », comme l’on disait alors à Bordeaux. Ainsi, la vue générale présentée en « Une », prise depuis le clocher de l’église Saint-Michel, avec toutes ces goélettes de pêche ou de transport à deux ou trois mâts mouillant au-delà du Pont de Pierre, et, le long du quai, des gabarres amarrées sur la rive en pente.
La vue du quai Richelieu ci-dessous nous montre à peu près le même spectacle, mais vu de plus près.
Elle est prise en aval du Pont de Pierre. Les quais sont pavés et équipés de rails. Il y règne une intense activité portuaire. Sur la rive pavée toujours en pente, les gabarres étaient bien sûr souvent employées au transport du vin en tonneaux ; mais un grand nombre d’entre elles étaient aussi utilisées comme allèges portuaires, pour décharger à même le fleuve les plus gros navires qui ne pouvaient pas aborder la rive, en l’absence de quais verticaux, et, en retour, assurer leur approvisionnement. En haut à gauche, au milieu du fleuve, mouille une série de morutiers à voile, tandis qu’à droite de la vue, un beau trois-mâts de transport au long cours est à l’ancre, proue tournée vers l’aval, face à la marée montante.
La vue suivante montre encore une scène à peu près identique, mais observée en face depuis le quai de Queyries en rive droite :
Les gros voiliers de charge, au second plan, sont toujours amarrés proue vers l’aval, tandis qu’au premier plan, les gabares, le long de la berge en pente, ont pour la plupart simplement replié leur voile le long du mât, signe d’un nouveau départ envisagé dans la journée. Elles ont déchargé les habituels futs de vin, et, plus inattendu, des bottes d’osier (pour le « marché aux vîmes » qui se tenait une fois par semaine quai des Salinières) ou le foin pour les chevaux de trait ; quant aux charrettes, toutes attelées, elles attendent sagement leur chargement.
Intéressons-nous maintenant à l’activité des quais, en parcourant ceux-ci de l’amont vers l’aval. Au détour des collections, nous rencontrons quelques documents de tout premier plan, illustrant des scènes plus inattendues, témoignages rares ou uniques d’une période révolue. C’est le cas de l’image suivante, une des plus anciennes de la Stéréothèque (autour de 1860).
Elle semble prise du parapet qui descend du Pont de Pierre vers le quai Richelieu (d’abord appelé quai de Bourgogne). Son intérêt repose sur les embarcations du premier plan ; nous y trouvons de gauche à droite :
en premier, troisième, quatrième et sixième position, des allèges de différentes tailles, une petite, chargée de sacs ou de pierres, la troisième très imposante et vide ;
en seconde et cinquième position, de grandes sapines (de 25 m environ) dites « de type tarnais » : leur proue est fortement relevée, et leur pont recouvert d’un « pontil » qui supporte une grue en bois à double volée ; en arrière une cabine construite comme une cabane sert d’habitation pour le marin ainsi que de bureau pour qu’il enregistre les marchandises qu’il prend en charge ou qu’il décharge. Ces embarcations ne sont pas équipées de mât : il s’agit de bateaux hâlés, en général par des chevaux, mais parfois pris en remorque par des navires de charge à voile, qui sont alors manœuvrés dans les ports par de grandes perches. Leurs dimensions étaient calibrées à la taille des écluses du canal latéral à la Garonne.
Dans l’histoire de la marine fluviale, cette photo est un document rare : elle serait l’unique représentation aussi précise de ces grosses sapines tarnaises qui assuraient le transport des marchandises le long de la Garonne et de ses affluents. Elles vont être rapidement condamnées par le développement des chemins de fer qui, au cours de la décennie suivante, accapareront tout le transport des marchandises.
À peu près au même endroit, ci-dessous, amusons-nous de ce pêcheur sur sa barque qui prépare son matériel, indifférent à l’activité environnante : en arrière, des portefaix déchargent un ponton, en équilibre sur une planche servant de passerelle, le quai vertical n’ayant été érigé ici qu’en 1926.
Ci-dessous, en nous retournant vers le fleuve, un marin sur sa barque accroche à la gaffe le bordé d’un petit vapeur, peut-être un remorqueur de gabarres, tandis qu’entre les gabarres, en second plan, émerge la silhouette de deux cargos à vapeur. La vue semble prise du quai Richelieu en direction de la Bastide dont les maisons sont visibles en arrière-plan.
Avançons jusqu’au quai de la Bourse, devant la place des Quinconces. Là était le « quai d’honneur » du port, que l’on réservait plutôt aux navires à passagers, du fait de son quai vertical, le plus ancien du port, construit en 1855. Ici apparaît un témoignage caractéristique de l’époque : nous sommes aux environs de 1870, et une grue à mâter y est toujours implantée, pour permettre les interventions d’urgence que pouvaient nécessiter les très nombreux navires à voiles fréquentant encore le port. Mais sur cette vue, c’est un beau vapeur mixte qui est à quai, toujours équipé de deux gréements pour se passer des machines lorsque le vent le permettait. Disposant de peu de superstructures, on a sans doute à faire à un cargo de cabotage ou un navire-poste, qui accueillaient aussi quelques passagers.
Écartons-nous maintenant du bord : la vue suivante est prise depuis les quais de la rive gauche, peut-être en face de la place de la Bourse, en direction des usines de la Bastide et du quai de Queyries dont on aperçoit les cheminées fumantes dans le lointain. Elle nous montre un vapeur mixte de type goélette à l’ancre, sous grand pavois : il est décoré pour marquer un évènement important, fête locale, ou, pourquoi pas, la venue du président de la République Emile Loubet à Bordeaux les 25 et 26 avril 1905, à moins que ce ne soit lors de l’Exposition Maritime internationale qui se déroula ici d’avril à novembre 1907 ?
Justement, voici le président Emile Loubet qui vient à Bordeaux les 25 et 26 avril 1905 pour inaugurer le monument à Gambetta (érigé sur les allées de Tourny) : il arrive de Libourne et traverse la rade à bord de ce gros vapeur fluvial à roue, le « France », (à deux cheminées et deux chaudières) de la Compagnie Maritime Bordeaux-Océan, spécialisée dans la liaison Bordeaux-Royan.
Avançons ensuite ci-après jusqu’au quai de Bacalan, en amont des bassins à flot : sur la période la plus tardive de notre sélection, portons notre attention sur cette petite grue cylindrique, devant laquelle est amarré un joli yacht à vapeur, scène qui peut paraître anodine au premier regard : l’engin serait-il une grue à vapeur, modèle le plus courant dans les ports avant la Première Guerre mondiale ? Il n’en est rien ! Nous sommes en présence d’une grue au mécanisme original, animé par un mouvement hydraulique (au sens propre du terme) : la cabine abritait au-dessus d’elle (et peut-être aussi en-dessous pour équilibrer les masses) une citerne d’eau, d’où sa forme cylindrique. La grue les remplissait aux bouches à eau réparties régulièrement le long du quai, l’eau étant mise en pression dans ce réseau par une pompe refoulante mue à la vapeur, installée dans un bâtiment du port. La force motrice était obtenue par la pression due à la simple gravité, comme dans un château d’eau. Ce dispositif rendait ces grues beaucoup plus autonomes que celles équipées d’une machine à vapeur, qui, embarquée dans la cabine, nécessitait qu’un chauffeur alimente le foyer en charbon, et recharge régulièrement son stock au prix de nombreux arrêts. Elle fait partie des équipements installés lors de l’extension du port de 1910. Le « pontonnier » (le grutier) se tenait dans la cabine cylindrique, surveillant son travail de montée ou de descente des charges, à travers des vitres bien visibles ici. Ces machines resteront en service jusqu’à leur remplacement par des grues électriques vers 1928.
Faisons ci-après un crochet par les bassins à flot : la grande forme de radoub de 225 m vient d’y être creusée en 1910. Ce cuirassé, bien typique de la flotte du début du XXe siècle, est donc peut-être un des premiers navires à y être réparé. Les travaux d’entretien et de radoub y étaient effectués par des équipes sélectionnées par appel d’offre à chaque nouveau chantier auprès des différents chantiers navals de Bordeaux,
À peine plus loin, au-delà des écluses commandant l’entrée des bassins, un beau quatre-mâts barque est amarré devant les chantiers navals Dyle et Bacalan, certainement pour entretien ou réparation.
Quittons maintenant Bordeaux pour traverser vers Lormont sur la rive droite (ici à droite sur la photo), en compagnie de ces messieurs en tenue printanière, un jour calme, à bord de cette vedette fluviale à vapeur (sans doute de la compagnie des Hirondelles) qui faisait plusieurs fois par jour la traversée. De nombreux ouvriers des usines de Bacalan logeaient en effet sur la rive droite, d’habitat réputé « populaire », et faisaient quotidiennement la traversée, ce qui leur évitait le long détour qui aurait nécessité de prendre plusieurs tramways, s’il avait fallu traverser le fleuve par le seul pont existant, celui de Pierre, situé à plus d’un kilomètre en amont de Lormont comme de Bacalan.
Inévitablement, notre vedette passe au pied des collines de Lormont, le long desquelles est implantée cette drôle d’installation ci-dessous : la cale inclinée des chantiers Labat et Limousin qui permettait de remonter, en parallèle à la rive, des navires tout gréés d’un poids pouvant aller jusqu’à 3 000 tonnes, comme ici en 1868 le paquebot transatlantique La Navarre (un vapeur à roues) des Messageries Maritimes, de 100 mètres de long et 2 000 tonnes. Ces installations, qui avaient valu à leur inventeur une médaille d’or aux Expositions Universelles de Londres en 1862 et à Paris en 1867, équipait moins d’une dizaine de ports dans le monde, et donnait à Bordeaux un avantage de choix sur l’ensemble des ports de la façade atlantique, en matière de capacité de réparation. Elles demeureront en service jusqu’au milieu de l’entre-deux-guerres.
Christian Bernadat
Bibliographie :
Sur Bordeaux au XIXe siècle et la construction navale :
Robert Chevet, Marins de Bordeaux, Editions Confluences 2001
Hubert BONIN, Les patrons du second Empire, Bordeaux et la Gironde, Ed Picard/Cénomane, Le Mans 1999
Roger et Christian Bernadat, Quand Bordeaux construisait des navires, Ed. de l’Entre-deux-Mers, 2ème édition, Décembre 2016
Sur les embarcations fluviales anciennes :
Les bateaux garonnais (II), François Beaudouin, Les Cahiers du Musée de la Batellerie n°45, décembre 2001
Sur le vapeur fluvial « France » de la Compagnie Maritime Bordeaux Océan :
Aujourd’hui, c’est la journée mondiale des trains à vapeur !
Nous en profitons donc pour vous présenter cette vue qui… sort de l’ordinaire stéréoscopique !
Nous sommes à Montparnasse, octobre 1895. Le 22, le train Granville-Paris traverse la gare… sans s’arrêter. La locomotive ne parvient pas à freiner et défonce la façade de la gare de l’ouest, s’échouant sur la place de Rennes en détruisant la station de tramway située devant la gare ainsi que le kiosque d’une marchande de fleurs, unique victime de la catastrophe.
Le train reste en place durant 5 jours, permettant à de nombreux photographes de venir immortaliser l’accident.
Cette vue est issue du fonds Dupin, collection riche en photographies parisiennes que nous mettrons à l’honneur très bientôt !
En ces temps de confinement, naviguer dans nos collections stéréoscopiques s’avère être un beau voyage ! Et si les énigmes vous plaisent, de nombreuses images restent indéterminées par leur lieu, leur date, leur sujet,…
Pour aujourd’hui, voici une vue tirée du fonds Bidault. Nous vous demandons, grâce aux nombreux indices présents dans l’image, d’en déterminer le lieu et la date !
Aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Venise est une étape incontournable du « Grand Tour », ce voyage à but culturel et artistique qu’accomplissaient les jeunes européens des familles fortunées. Au XIXe siècle, cette tradition perdure mais s’ouvre progressivement à un public plus large, notamment grâce aux progrès du chemin de fer, qui arrive à Mestre en 1846, puis à Venise même dès l’achèvement du pont ferroviaire sur la lagune en 1858.
Avec l’apparition de la photographie, cette période devient propice aux premiers reportages. La photographie stéréoscopique n’échappe pas à cette tendance ; la Stéréothèque présente une remarquable collection de vues témoignant de la cité vénitienne de cette seconde moitié du XIXe siècle (au moins une trentaine de vues dans les collections Coulon, Calvelo, Magendie et Wiedeman, sur la période 1855-1899).
Pour ceux qui connaissent la cité des Doges, à travers ces vues, Venise a quelque chose de tout à fait particulier : au premier examen, la ville semble inchangée ; pourtant, en observant ces vues avec plus d’attention, nous avons là de nombreux témoignages d’un temps désormais révolu, alors que le décor est resté presque intangible.
Précisons que, depuis 1866, la cité fait partie intégrante du Royaume d’Italie, grâce à Napoléon III qui a détaché la Vénétie de l’Autriche à l’issue de la bataille de Sadova.
Sur la vue présentée en Une (CC019) le décor connu est parfaitement en place : depuis le sommet du Campanile, notre regard franchit les toitures de la bibliothèque Marciana, on aperçoit les jardins Reali, puis, sur l’autre rive, la pointe de la Douane, la basilique Santa Maria de la Salute et même, au loin, sur l’île de la Giudecca, l’église du Redentore. Pourtant, le Grand Canal est incroyablement vide et calme. À contrario, amarrés à couple le long de la Douane de Mer sur le canal de la Giudecca, une multitude de navires marchands relâchent, pour y accomplir leurs formalités douanières comme cela se passe ici depuis plusieurs siècles : en cette fin du XIXe siècle, le commerce maritime est encore l’activité principale de la cité des Doges, bien avant le tourisme naissant…
Le tourisme commence certes à se développer, mais nous sommes loin des foules que l’on rencontre aujourd’hui : sur le quai dit « Riva degli Schiavoni » et sur la piazzetta, un public clairsemé de vénitiens et de touristes de la bonne société déambule sagement.
Sur le Grand Canal, nous constatons le même calme et même vide qu’à la pointe de la Douane. Au pied du pont du Rialto, des gondoles et des bateaux de livraison sont à quai, en un lieu où l’on décharge toujours les marchandises. Mais, grande différence avec aujourd’hui, aucune station de vaporetto n’y est amarré, aucun vaporetto ne circule : c’est en effet seulement à partir de 1881 que le Grand Canal sera sillonné de ces vapeurs de transport public…
Plus loin, la place Saint-Marc est presque immuable : au fond d’une place au vide impressionnant, trône la Basilique Saint-Marc, tandis qu’un personnage pose ostensiblement devant l’objectif. Le campanile aussi paraît intangible dans son décor.
Pourtant, cette photo est un témoignage plus important qu’il n’y paraît : en 1902, cet édifice s’effondrera comme un château de cartes, avant d’être reconstruit en 1912, tellement à l’identique (« dove’era, com’era », là où il était, comme il était) que le touriste d’aujourd’hui peut croire qu’il a traversé les siècles sans une égratignure…
Tout au fond, à droite du Campanile, on aperçoit le palais des Doges. Sa porte principale, la porte « della Carta », fait la liaison architecturale avec la basilique. Portons notre attention sur la vue suivante : son linteau est vierge de toute sculpture. En effet, jusqu’à la prise de la cité par Napoléon en 1797, trônait ici une représentation du Doge Foscari faisant face au lion de Saint-Marc. Ce groupe sculpté a seulement été rétabli, par une copie néogothique, en 1885. À nouveau, nous avons ici l’image d’un temps révolu.
Dans la cour intérieure du palais, une Vénitienne pose sur les escaliers d’un des deux puits Renaissance en bronze de la cour, avec ses seaux : scène de vie quotidienne prise sur le vif ou habitante en habit traditionnel posant pour le photographe contre rétribution ? On ne sait. Cette vue rappelle en tout cas que la cour intérieure du palais est restée longtemps accessible librement à la population de la cité pour y puiser de l’eau, scène semble-t-il encore possible au milieu de ce XIXe siècle.
Si l’on chemine sur le quai de la « Riva degli Schiavoni », on parvient en quelques minutes devant l’Arsenal de la cité ducale. Vision incroyable pour un touriste contemporain, sur le canal d’entrée (le « rio dell’Arsenale ») mouille un gros vaisseau à trois mâts, sans doute militaire. À la date de cette photo, la Vénétie est encore rattachée à l’Empire d’Autriche. À cette époque, le pont enjambant le rio situé aujourd’hui dans le prolongement du quai était inexistant, le seul franchissement possible étant permis par la passerelle en bois amovible, toujours en place maintenant. Encore une vue impensable aujourd’hui….
Enfin, devant un des lions de l’Arsenal, pose encore un personnage. Essayez aujourd’hui de faire une telle photo sans touriste dans le champ de votre objectif !
Le mois dernier, nous avons intégré à la Stéréothèque la collection de Quentin Bidault, historien consultant, qui propose des visites stéréoscopiques de Paris.
Cette collection (ouverte à l’indexation collaborative !) est composée essentiellement de vues stéréoscopiques publiées autour de la décennie 1900. Le fonds est constitué de scènes parisiennes et contient aussi quelques scènes du monde ainsi qu’un lot de paysages d’Allemagne, Suisse et Autriche.
Au sein de ce lot, quelques images sortent de l’ordinaire, comme cette étonnante… voiture à autruche !
Exposition internationale de Bordeaux, façade sur le fleuve, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB 384
Le « concept » d’Exposition Internationale Universelle voit le jour au milieu du XIXe siècle, comme une célébration de la foi dans le progrès, en rassemblant tout ce que la science et l’industrie savait produire ou inventer de neuf. La première Exposition Internationale Universelle a lieu sous le Second Empire à Paris en 1849, vite suivie par celle de Londres en 1851. Les grandes nations y expriment leur compétition dans une succession effrénée de manifestations.
Les grandes villes européennes n’entendent pas rester à l’écart de ce mouvement. C’est ainsi qu’en France, Bordeaux se lança, comme Lyon et Rouen notamment, dans une telle aventure, conçue comme une grande campagne promotionnelle pour les activités de sa région et de son port. La capitale girondine organisa ainsi cinq grandes expositions internationales en ce XIXe siècle, succédant à 8 expositions à vocation seulement régionale ou nationale : 1850, 1855, 1859, 1865 et 1895. Il s’agissait de mettre l’accent non seulement ur «l’économie coloniale», mais aussi sur l’agriculture, la production de vins et spiritueux, les beaux-arts et l’industrie.
Organisée sur la place des Quinconces par la Société Philomathique de Bordeaux, (première association créée en 1807 en France pour promouvoir « l’éducation populaire » par la formation hors d’un parcours scolaire), l’exposition s’étend sur 10 ha et accueille 10 054 exposants.
Plaquette de la Société Philomatique, Couverture
C’est l’architecte Joseph Albert Tournaire, celui qui a conçu l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, qui est choisi pour la construction des palais et des pavillons de Bordeaux. La Stéréothèque comporte, au sein de la Collection de la Société archéologique de Bordeaux, une série remarquable de 25 vues sur cet évènement.
Plaquette de la Société Philomatique, page 43
Façade latérale côté sud (le long des Allées d’Orléans), 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SA280
Les colonnes rostrales et la vue sur la rade de Bordeaux, depuis la façade de l’Exposition sur le fleuve, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB410
Chaussez vos lunettes bicolores pour voir le relief !
L’exposition se tient du 1er mai au 1er novembre 1895. Tout au long de cette durée, selon un concept déjà très moderne, des expositions temporaires thématiques sont organisées, comme une présentation de chrysanthèmes annoncée par un panneau au-dessus de l’entrée principale sur la vue suivante. Il s’agit ici de floralies présentées dans le pavillon d’horticulture, les variétés de cette plante n’étant pas encore utilisées pour le fleurissement des tombes.
Entrée principale de l’Exposition, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB318
La colonne des Girondins, monument emblématique à l’ouest de la place des Quinconces, est incluse dans le périmètre de l’Exposition :
Vue générale du Palais de l’Électricité autour de la colonne des Girondins, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB327
La limite ouest de la place, formant un arc de cercle, est bordée de bâtiments d’exposition épousant la courbure de la place autour de la colonne des Girondins.
Sur un côté, on trouve la façade intérieure du pavillon principal. Sa porte centrale, monumentale, est surmontée d’un globe terrestre, lui-même dominé par une allégorie de la Fortune, symbole très en vogue en cette fin de XIXe siècle pour célébrer sa foi en la prospérité à travers le commerce, symbole qui n’est pas sans rappeler l’ensemble sculpté qui surmonte le bâtiment de la Douane de Mer à Venise.
Façade intérieure du palais principal, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB309
En vis-à-vis de ce dernier pavillon, donc sur un emplacement d’honneur, on trouve le « Palais de l’Electricité », grande nouveauté technologique de cette fin de siècle, en lequel on fonde de grands espoirs. A l’intérieur, on y fait notamment des démonstrations de télégraphie, rendue possible par cette nouvelle énergie. Elle est produite par une éolienne établie, non loin de là, au sommet d’une tour métallique.
Porte principale du Palais de l’Électricité, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB315
Intérieur du Palais des Vins, 1895, fonds Société archéologique de Bordeaux, SAB281
Et, déjà en cette fin de XIXe siècle, la promotion de la cité balnéaire d’Arcachon est incontournable, avec ce pavillon du Bassin d’Arcachon, agrémenté de proues de pinasse (dans l’esprit des colonnes rostrales) et de rames décorées, qui cherche à attirer un public le plus large possible de toute la France, et même de l’étranger. Dans le même esprit, on trouve un pavillon de Soulac et un pavillon de Royan.
Christian Bernadat
Sources :
Ce fabuleux XIXe siècle, Pierre Sipriot, Ed. Belfond 1990
Le 13 février, c’est la journée mondiale de la radio !
L’occasion pour nous de vous présenter ce poste de commandement dans la Somme en 1916.
La vue provient de la série Première Guerre mondiale de l’éditeur Brentano.
Le cliché montre le poste de commandement radio d’un bataillon. 4 soldats sont présents. L’un d’eux a son casque sur les oreilles et un combiné dans sa main gauche. Le militaire au premier plan porte sur le col de son uniforme le numéro 53 et semble avoir le grade de caporal chef.
Le poste est installé dans un bâtiment soutenu par des poutres en bois et la table sur laquelle est le matériel radio est faite avec les moyens du bord
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