Les collections de la Stéréothèque permettent de nombreux coups de projecteur. En cet été, occasion pour beaucoup d’entre nous d’aller apprécier le soleil des bords de Méditerranée, intéressons-nous à l’un des lieux les plus emblématiques des rives de la « Grande Bleue », héritier, qui plus est, de plus de 2 000 ans d’histoire : le port de Marseille.
Le « Port-Vieux » de la cité phocéenne est en effet le centre historique de la cité depuis sa fondation au cours de l’Antiquité : les Phocéens débarquèrent ici aux environs de 600 avant J. C. dans une calanque dont ils firent leur havre protecteur, en lui donnant d’emblée un rôle de plaque tournante pour le commerce. Cela permet à Marseille de revendiquer le titre de « plus ancien port de France ». L’occupation romaine lui léga le nom de Massilia. La cité va ainsi prospérer grâce à ses relations privilégiées avec l’Asie mineure, le Grèce et Rome.
Le lieu conserve quelques édifices que les souverains de France ont fait édifier, témoignant de l’importance qu’ils accordaient au lieu : la tour Saint-Jean, voulue par François 1er, ou le fort Saint-Nicolas par Louis XIV, qui développa ici une imposante flotte de galères.
Cette vocation ne s’est jamais démentie ; jusqu’au milieu du XIXe siècle (date à laquelle on creuse et aménage le Bassin de la Joliette – entre 1847 et 1853), le Vieux-Port est le centre économique de la cité, qui rayonne, grâce à lui, sur toute la Méditerranée, profitant à plein des courants commerciaux que permet l’empire colonial français, alors à son apogée.
Les collections de la Stéréothèque sont une fois de plus l’occasion d’évoquer cette période-charnière de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, où se concentre l’essentiel du trafic maritime, mêlant la pêche traditionnelle, le transport à voile, le début du yachting de plaisance, et la modernité du transport à vapeur. Quelques photos de cette période, en particulier, sont dignes d’un grand intérêt, car particulièrement rares, les plus anciennes témoignant de vues désormais révolues.
C’est le cas de la vue stéréoscopique ci-dessous. Lorsque l’on vient en approche du Vieux-Port de Marseille, en venant de l’est (Italie ou Moyen-Orient), on longe le quartier du Pharo, avec une anse qui abrite encore un petit chantier de réparation navale, dominé sur la falaise par le palais du même nom. Alors qu’un arsenal fabricant des galères en série existait à Marseille jusqu’en 1784, à partir de 1790, un chantier naval s’installe ici, s’étendant jusqu’à la passe d’entrée du port.
Ici seront construits pendant près d’un siècle surtout des navires de petit tonnage, bricks, corvettes, frégates, très rapides, bien adaptés à la navigation en Méditerranée. Ainsi, dans les années 1820-1830, on y fabrique plusieurs unités pour le vice-roi d’Egypte, le sultan Méhémet Ali. La vue ci-dessus nous montre cependant en chantier un navire d’un tonnage relativement important, à coque entièrement en bois, certainement un trois-mâts de charge destiné au transport de marchandises à travers toute la Méditerranée. Dans les années 1920, une centaine d’ouvriers travaillaient encore ici au sein de plusieurs entreprises. Aujourd’hui, un chantier de plus modeste dimension exerce dans la réparation de marine traditionnelle.
Contournons maintenant la falaise du Pharo : nous entrons dans le chenal qui conduit au Vieux-Port, au pied du fort Saint-Jean, construit sous Louis XIV, l’entrée du port elle-même étant dominée par la tour ronde du Fanal qui date de 1664. Sur la vue ci-dessous, en arrière-plan à gauche, dominant le nouveau bassin de la Joliette construit à partir de 1847, on aperçoit la cathédrale Sainte-Marie-Majeure, dont l’édification s’est prolongée sur quarante ans (1852 à 1893). Sur cette photo, d’immenses échafaudages de ce chantier sont visibles, l’édification n’étant pas très avancée.
Revenons au niveau des flots. Une tartane est engagée dans le chenal du Vieux-Port.
Les tartanes comme celle-ci étaient utilisées pour le commerce de cabotage alors caractéristique des côtes françaises et italiennes de la Méditerranée. Leur grande voile latine triangulaire était portée par une traverse rigide à 45° appelée « corne » ou « antenne ». Ces bateaux et leur usage disparaissent progressivement après la guerre de 1914-1918. Il ne subsiste aujourd’hui que quelques exemplaires à titre de conservation patrimoniale.
Pour avoir une vue complète du fort Saint-Jean, il faut l’observer depuis le fort Saint-Nicolas, sur l’autre rive du goulet d’entrée. C’est le cas des illustrations ci-après, qui nous montrent, sur le côté droit du fort, la grosse tour carrée, la tour Saint-Jean, bâtie par le roi René (sous le règne de François 1er) pour garder l’entrée du port et porter un fanal.
Nous pénétrons maintenant dans le Vieux-Port (que les anciens marseillais appelaient le Port-Vieux). Ci-dessous, la plus ancienne des photos stéréoscopiques de nos collections relative à cet endroit nous montre ici le fond de ce bassin (aujourd’hui quai des Berges) à une date vraisemblablement plus proche de 1850 que de la fin de ce siècle.
On y trouve la flotte encore caractéristique de ce milieu du XIXe siècle : au premier plan, un chaland de transport fluvial, ponté et équipé d’un mât, certainement utilisé pour effectuer la liaison entre le Grand-Rhône et Marseille, via le canal du Rhône. En haut à gauche, l’enchevêtrement de mâts correspond majoritairement à des tartanes méditerranéennes comme celle de la vue MAG1245. Outre la grande voile latine triangulaire, le gréement complet de ces embarcations comportait aussi un petit foc et une petite voile arrière dite « tape-cul ». Enfin, en partie gauche, une allège servant à apporter au plus près les marchandises (ici des tonneaux) est amarrée à couple d’un deux-mâts dont le pont est abrité de bâches (des « tauds »).
La vue suivante montre le même endroit, avec davantage de recul, prise 10 ou 15 années plus tard. Le gros chaland à voile du premier plan de la vue précédente est remplacé par un petit vapeur. Sur la gauche, au centre du bassin, une grosse drague à vapeur est amarrée en pleine eau, peut-être en train de draguer le fond du bassin. En arrière, les tartanes ont, pour la plupart, cédé leur place aux navires de charge à deux ou trois-mâts, preuve d’un glissement du trafic vers le commerce intra-méditerranéen à plus long cours.
Sur la vue ci-après, nous avons, au premier plan, un remorqueur à vapeur, équipé de roues à aubes : en effet, dès le début de la vapeur, on a pris conscience de l’intérêt de la motorisation à vapeur pour remorquer les navires à voile, en leur évitant la difficulté d’une entrée à la voile dans les passes et les entrées de port.
Mais, dès la fin du XIXe siècle, avec le développement de la marine de plaisance pour une frange de privilégiés, le Vieux-Port commence à abriter aussi quelques yachts de plaisance, comme ce petit yacht à vapeur ; ici, les passagers sont en tenue de ville, ce qui était alors inhabituel, les propriétaires plaisanciers mettant en général un point d’honneur à revêtir plutôt une tenue de « sport » entièrement blanche avec une caquette pour « faire marin ».
Aujourd’hui, le Vieux-Port sert essentiellement de port de plaisance, mais abrite aussi les petits chalutiers de pêche côtière du port (en bas sur l’image).
Pendant une quarantaine d’années, l’entrée du Vieux-Port fut aussi marquée par la présence d’un pont transbordeur. Inauguré le 15 décembre 1905, il avait pour but de permettre la traversée du chenal d’entrée du port sans avoir à en faire le tour, essentiellement pour les piétons. Cette réalisation, une des deux seules en France avec Rochefort, a été construite par Ferdinand Arnaudin, l’inventeur du procédé. Sa nacelle de 120 m² et de 20 tonnes effectuait la navette entre les deux rives en 1 minute 30, une performance assez remarquable. Sur le côté nord du tablier se trouvait un buffet-restaurant de poissons où bouillabaisse et langoustes étaient au menu. Mais, dans les années 1930, il ne servait plus que de décor, faute de moyens pour assurer son entretien qui aurait nécessité de grosses dépenses. Le 22 août 1944, l’armée allemande le fait sauter pour obstruer le port lors de la bataille de Marseille, mais seul le pylône nord s’abat dans les eaux. Le reste fut démoli le 1er septembre 1945 à l’explosif.
Même si cela constitua certainement un énorme gâchis financier (puisqu’il suffit d’une ligne de « ferry-boats » pour effectuer la traversée à bien moindre coût), cet ouvrage marqua la mémoire collective des marseillais qui le considéraient un peu comme la « Tour Effel » de Marseille.
Devant l’essor du commerce maritime, entre 1847 et 1853, on creuse et aménage le Bassin de la Joliette, juste à l’ouest du Vieux-Port, pour faire face à l’incroyable expansion du transport maritime desservant les colonies françaises d’Afrique du Nord, mais aussi du commerce avec tout le bassin méditerranéen, amplifié par le développement du transit maritime via le canal de Suez inauguré en août 1869.
Sur la photo ci-dessus, le bassin est encombré de gros trois-mâts de commerce et de quelques vapeurs à roues : nous sommes bien dans le troisième quart du XIXe siècle.
Sur la photo suivante, les navires sont majoritairement à vapeur, sans roues à aubes. Le quai au premier plan, encombré de marchandises, est équipé d’une grue à vapeur ou électrique ; l’évolution des navires est incontestable : nous sommes dans le premier quart du XXe siècle.
Le détail ci-dessous illustre l’activité du port : au premier plan, une barque fait traverser des passagers d’un côté à l’autre du port. En arrière-plan, les deux navires visibles illustrent bien la période d’avant la Première Guerre mondiale : on y voit côte à côte un trois-mâts et un gros cargo à vapeur, navire qui va progressivement évincer les cargos de charge à voile.
Aujourd’hui, le Grand port maritime de Marseille s’étend, au-delà du bassin de la Joliette, jusqu’au golfe de Fos. Le bassin de la Joliette accueille une partie des cargos de marchandises, ainsi que les ferries pour l’Afrique du Nord et les nombreux navires de croisière qui sillonnent la Méditerranée, conférant à Marseille le premier rang comme port de croisière en France.
Christian Bernadat
Bibliographie :
Vieux Port de Marseille sur Wikipédia
Jean Bellis, Ports de France, 1860-1920, Marines Editions, 2010
Dominique Buisson, Encyclopédie des Voiliers, Edita 1995
Le Pont transbordeur de Marseille sur Wikipédia