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The picture of the month #39 | May

The cafés on the terrace

It's imminent, the café terraces will finally be able to open! To mark this long-awaited moment, here is a colorful view of the café of the train station that connected Paris and Le Havre. These convoys were then called "pleasure trains" to reduced-cost seaside resorts. In France, these trains ran from 1847 (Paris-Le Havre in 6 hours) to the 1930s.

Very popular, these trains have inspired many stories, plays, illustrations and songs.

This view could be taken between 1855 and 1864 by Pierre Henri Lefort. It is possible that this transparent view on paper corresponds to an edition of Charles Gaudin since the latter bought the lefort collection in 1864. Gaudin also re-deposited the same series and this same photograph in 1868.

Café de la station, voyageurs attablés, between 1855 and 1864, Collection Dupin
This is what is usually called an illuminated view. In this very particular type of production, a photograph is printed on a very thin paper at the back of which a thin sheet of colored paper has been placed by hand. When the image is placed in the light it then appears in color.

Bibliography:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Train_de_plaisir_(service_ferroviaire)

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Le Voyage aux Pyrénées selon Hippolyte Taine en 1855/1860

Troisième épisode : de Saint-Jean-de-Luz à Pau

Pau, vue sur le gave depuis la place Royale (1856-1868), Collection Magendie, MAG6319

Rappel des deux premiers épisodes :

Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser son Voyage aux Pyrénées, en 1855, dans le but de suivre une cure médicale, soin alors très prisé dans la bonne société parisienne. Pour cela, à seulement 27 ans, il prend une sorte de « congé sabbatique ». Après Bordeaux et Royan, notre écrivain voyageur a fait étape à Bayonne, Biarritz et Saint-Jean-de Luz. Il se met maintenant en route vers les Pyrénées, à destination des Eaux-Bonnes dans la vallée d’Ossau, objectif de son voyage thermal. Sur sa route, il traverse Orthez et fait étape à Pau.

Orthez

Notre auteur ne nous donne pas de précisions sur son trajet. Nécessairement, il emprunte la route qui longe le piémont des Pyrénées jusqu’à Pau. Cet itinéraire le fait passer par Orthez. La route suit la rive gauche du gave de Pau. Pour s’arrêter dans la ville, il faut franchir le vieux pont fortifié qui enjambe le gave. Doté d’une tour-porte, il aurait été construit au XIIIe siècle à la demande de Gaston VII de Béarn.

Le vieux pont d’Orthez (1862-1865), Collection Magendie, MAG6376

Taine évoque succinctement son passage, sa pensée l’entraînant aussitôt vers les siècles anciens :

« Orthez, au XIVe siècle, était une capitale : de cette grandeur, il reste quelques débris, des murs ruinés et la haute tour d’un château où pendent des lierres. »

Cette tour est le donjon de l’ancienne forteresse du comte Gaston VII de Moncade, vicomte de Béarn, qui avait fait d’Orthez sa capitale ; elle avait été bâtie vers 1242 sur le modèle de son château de Moncade en Catalogne. La seule vue de cette ruine présente sur la Stéréothèque date de 1939, à l’occasion d’un congrès d’archéologie : elle était alors dégagée de la végétation qui l’envahissait quatre-vingts ans plus tôt.

La tour Moncade (1939), Collection Vergnieux, RVX636

Gustave Doré nous en donne dans l’ouvrage une vision romantique reconstituée, bien dans l’esprit de l’auteur :

Vue 01 - Le château des comtes de Foix, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 66

« Les comtes de Foix y avaient là un petit État presque indépendant, fièrement planté entre les royaumes de France, d’Angleterre et d’Espagne. »

Nous connaissons bien, désormais, notre narrateur : la nostalgie du passé et la critique des temps présents prennent très vite le dessus :

« Les gens y ont gagné, je le sais ; ils ne haïssent plus leurs voisins et vivent tranquilles ; ils reçoivent de Paris les inventions et les nouvelles ; la paix, l’échange et le bien-être sont plus grands. On y a perdu pourtant. […] Les femmes souhaitent un chapeau, les hommes vont fumer au café ; voilà leur vie ; ils ramassent de vieilles idées creuses dans des journaux imbéciles. Autrefois, ils avaient des pensées politiques et des cours d’amour… »

Froissart vint ici en 1388 et fut reçu par Gaston Phœbus, qui lui fit assister à une fête somptueuse dont il était coutumier. Du coup, notre auteur s’abandonne à une des digressions qu’il affectionne tant, imaginant les fastes de la réception et les rêveries que cela déclenche chez le chroniqueur médiéval.

Vue 02 – Froissart par Gustave Doré, illustration, 3e édition, page 67

En route vers Pau

 

Taine reprend la route ; l’allure de la malle-poste lui laisse le loisir d’observer, malgré la poussière que lève son passage, le paysage vallonné du piémont, tantôt sauvage, tantôt mis en valeur par l’homme.

Vue 03 – Le relais de Poste, L’Excursion dans les Pyrénées par F. Dandiran et F. Mialhe, 1837.

« Rien de plus doux que de voyager seul, en pays inconnu, sans but précis, sans soucis récents ; toutes les pensées petites s’effacent. […] Je suis heureux de passer ici pour la première fois, de trouver des sensations fraîches, de ne point être troublé par des comparaisons et des souvenirs. […] Ce chemin même me semble beau. Quel air résigné dans ces vieux ormes ! Ils bourgeonnent et s’éparpillent en branches, depuis le pied jusqu’à la tête, tant ils ont envie de vivre, même sous cette poussière. Puis viennent des platanes lustrés, agitant leurs belles feuilles régulières. Des liserons blancs, des campanules bleues, pendent au rebord des fossés. »

Vue 04 – La route vers Pau, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 86

« La route courbe et relève à perte de vue sa ceinture blanche autour des collines ; ce mouvement sinueux est d’une douceur infinie ; le long ruban serre sur leur taille leur voile de moissons blondes ou leur robe de prairies vertes. Ces pentes et ces rondeurs sont aussi expressives que les formes humaines. »

« Des landes fauves pleines de troupeaux montent sur [le] flanc [des collines] jusqu’à leurs têtes ; des prairies splendides étincellent sur leur dos. Plusieurs plongent violemment jusqu’en des profondeurs où elles dégorgent les ruisseaux qu’elles accumulent, et où s’amasse toute la chaleur de la voûte ardente qui reluit là-haut sous le plus généreux soleil… »

Pau

« Pau est une jolie ville, propre, d’apparence gaie ; la chaussée est pavée en petits galets roulés, les trottoirs en petits cailloux aigus : ainsi les chevaux marchent sur des têtes de clous et les piétons sur des pointes de clous… »

L’arrivée de Taine à Pau commence par une vision inattendue qui lui paraît d’un autre âge :

Vue 05 –La charrette béarnaise décrite par Taine

« On rencontre des chariots chargés de bois, d’une simplicité rustique, dont l’invention remonte certainement au temps de Vercingétorix, mais seuls capables de gravir et de descendre les escarpements pierreux des montagnes. Ils sont composés d’un tronc d’arbre posé en travers sur des essieux et soutenant deux claies obliques ; »

« …ils sont traînés par deux grands bœufs blanchâtres, habillés d’une pièce de toile pendante, coiffés d’un réseau de fil et couronnés de fougère, le tout pour les garantir des mouches grises. Devant les bœufs marche ordinairement un paysan armé d’une gaule, l’air défiant et rusé, en veste de laine blanche et en culotte brune ; derrière la voiture vient un petit garçon, pieds nus, très éveillé et très déguenillé, dont le vieux béret de velours retombe comme une calotte de champignon plissé… »

Signalons que l’on pouvait encore rencontrer de tels attelages dans les vallées pyrénéennes durant les années 1960.

Vue 06 – L’attelage béarnais, avec voilette sur les yeux des bœufs et drap sur leur corps – Carte postale, extrait
Vue 07 – Un attelage béarnais traverse le champ de foire de Pau, estampe naïve du XIXe siècle (Les Pyrénées de Pierre Minvielle)

Sans doute après une nuit d’hôtel, notre auteur se précipite au château de la ville :

« Il était huit heures du matin ; point de visiteur au château, personne dans les cours ni sur la terrasse ; je n’aurais pas été trop étonné de rencontrer le Béarnais, « ce vert galant, ce diable à quatre », si malin qu’il se fit appeler « le bon roi ».

Taine se montre toujours exigeant et très critique : il paraît sensible au courant de pensée qui rêve de témoins du passé idéalisés, à l’architecture parfaitement ordonnancée, comme à l’époque classique !

« Son château est fort irrégulier ; il faut descendre dans la vallée pour lui trouver un peu d’agrément et d’harmonie. Au-dessus de deux étages de toits pointus et de vieilles maisons, il se détache seul dans le ciel et regarde loin la vallée ; deux tourelles à clochetons s’avancent de front vers l’ouest ; le corps oblong suit, et deux grosses tours en briques ferment la marche avec leurs esplanades et leurs créneaux. »

Le château de Pau vu du gave (1858), Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0347 (Photo issue de la série « Voyages dans les Pyrénées » de Furne et Tournier)

L’hétérogénéité que déplore Taine tient naturellement à l’histoire du bâtiment : le château a été édifié au XIIe siècle pour ses parties les plus anciennes. Puis, le donjon de brique qu’il nous décrit (ici à droite du bâtiment) a été élevé par Gaston Phœbus au XIVe siècle.

Vue 08 -Le château de Pau vu du Gave, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 93

Enfin, il a été transformé successivement par Gaston IV de Béarn, puis par Henri d’Albret (le grand-père du futur Henri IV) et Marguerite d’Angoulême qui modifièrent la décoration des façades et y adjoignirent l’aile ouest avec un grand escalier et deux tours qui constituent aujourd’hui sa façade occidentale (que l’on voit ici à gauche de l’édifice).

Le château « touche à la ville par un vieux pont étroit, au parc par un large pont moderne, et les pieds de sa terrasse sont mouillés par un joli ruisseau sombre. » C’est par cet accès ouest, au bout d’une longue allée arborée, que Taine semble pénétrer sur l’esplanade entourant l’édifice.

Avenue du Château de Pau, façade occidentale (1868), Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0561
Vue 09 – L’avenue du château de Pau, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 90

Pour entrer dans la cour intérieure du château, notre auteur doit ensuite contourner le château pour emprunter l’entrée principale, à l’est, sous le portique bâti à droite de la tour-donjon en briques. Taine passe ici avant la restauration de cette entrée, intervenue entre 1862 et 1863.

Entré principale du Château de Pau, façade orientale (entre 1860 et 1880), Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0557

« La grande cour, en forme d’œuf, est une mosaïque de maçonneries disparates : au-dessus du porche, un mur en galets du gave et en briques rouges croisées comme les dessins d’une tapisserie ; en face, collés au mur, une rangée de médaillons en pierre ; sur les côtés, des portes de toute forme et de tout âge ; des fenêtres en mansarde, carrées, pointues, crénelées, dont les châssis de pierre sont festonnés de bosselures ouvragées. Cette mascarade d’architectures trouble l’esprit sans lui déplaire ; elle est sans prétention et naïve ; chaque siècle a bâti à sa guise, sans s’occuper de son voisin. »

Vue 10 – La cour intérieure du château de Pau, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 96

« Au premier étage, on montre une grande écaille de tortue qui fut le berceau d’Henri IV. Des bahuts sculptés, des dressoirs, des tapisseries, des horloges du temps, le lit et le fauteuil de Jeanne d’Albret, tout un ameublement dans le goût de la Renaissance, éclatant et sombre, d’un style tourmenté et magnifique… »

La chambre d’Henri IV (entre 1900 et 1925), Collection Paladini, MP1027

« Jeanne d’Albret, mère d’Henri IV, traversa la France pour venir, selon sa promesse, accoucher dans ce château… »

Vue 11 – La chambre d’Henri IV : le berceau fait d’une carapace de tortue (Carte postale, Coll. Ch. B)

L’ambiance de cet appartement joue alors immédiatement sur notre auteur l’effet d’une machine à remonter le temps : c‘était inévitable. Nous ne sommes d’ailleurs pas surpris ; non seulement, nous connaissons notre homme, mais, dès son arrivée dans la ville, il nous a « annoncé la couleur » : « Je ne suis ici que pour faire visite au XVIe siècle ; on voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées… ».

Vue 12 – Jeanne d’Albret, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 97

Taine est dans son rêve : il assiste à l’accouchement. Il vit les premières années du petit Henri… Puis il nous entraîne dans une de ses digressions favorites. Il vit les actions et les coups de main du jeune Henri de Navarre. Non qu’il approuve les guerres de religion, mais la vie aventureuse qu’elles impliquent le fascine…

« Ces vieilles guerres sont les plus poétiques de France ; on les faisait par plaisir plus que par intérêt : c’était une chasse où l’on trouvait des aventures, des dangers, des émotions, où l’on vivait au soleil, à cheval, parmi les coups de feu, où le corps, aussi bien que l’âme, avait sa jouissance et son exercice. Henri la mène aussi vivement qu’une danse, avec un entrain de Gascon et une verve de soldat, par brusques saillies, et poussant sa pointe contre les ennemis comme auprès des dames… »

Nous laisserons là notre poète à ses illuminations enflammées… et à ses opinions sur les guerres de Religion…

À quelques enjambées du château se trouve la place Royale. Taine l’a très certainement traversée en allant au château ou en en revenant, ne serait-ce que pour admirer le panorama sur les Pyrénées, dégagé depuis 1808 sur ordre de Napoléon 1er, qu’on y découvre à son extrémité. C’est certainement la vue ci-dessous en pente douce, plantée de prairies et d’arbres divers, que notre voyageur a pu apercevoir ; l’endroit sera ensuite rapidement loti et construit dans les années 1860 à 1880.

Pau, vue sur le gave depuis la place Royale (1856-1868), Collection Magendie, MAG6319

À l’extrémité de la place, on trouvait déjà la statue en pied d’Henri IV, érigée à la demande de Louis-Philippe et inaugurée en août 1843, soit avant le passage de Taine.

La statue d’Henri IV à Pau (1856-1868), Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0049

      Prochain épisode : les Eaux-Bonnes, objectif du curiste (ou prétexte ?)…

Christian Bernadat

Bibliographie :

Hippolyte Taine, Le Voyage aux Pyrénées (Gallica)

Hippolyte Taine sur Wikipédia

Voyage aux Pyrénées : récits de voyages d’écrivains au XIXe siècle, Pimientos, 2006

Pierre Minvielle, Les Pyrénées, Nathan, 1986

Jean-François Ratonnat, La vie d’autrefois en Béarn, Editions Sud-Ouest, 1996

Pau, Place Royale sur Wikipédia

L'image du mois

L’image du mois #38 | Avril

En avril, ne te découvre pas d’un fil !

Ce dicton rappelle combien l’écart thermique peut être surprenant au début du mois d’avril, pouvant même voir la neige tomber après quelques jours de chaleur.

Aussi, nous ne pouvons que vous conseiller d’enfiler votre crinoline, garante d’un abri à toutes épreuves face aux écarts de température !

Crinoline : enfilage de la robe, vers 1858, collection Calvelo, CAL293

Cette vue issue de la collection de José Calvelo doit être mise en parallèle avec la CAL291 :

En crinoline, parée pour la sortie ! Vers 1858, collection Calvelo, CAL 291

Pas seulement à cause du décor presque identique, mais aussi en raison de la continuité narrative entre les deux stéréogrammes. Ils appartiennent, croyons-nous, à une série un peu plus large qui met en scène les étapes de l’habillage d’une dame se préparant, avec l’aide d’une servante, pour une sortie.

Brian May et Denis Pellerin présentent ces scènes de genre dans l’ouvrage  Crinoline, Fashion’s Most Magnificent Disaster publié par la London Stereoscopic Company en 2016. Ils attribuent cette vue au studio londonien des frères Gaudin.

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The picture of the month #38 | April

In April, don't discover yourself with a thread!

This saying is a reminder of how surprising the thermal gap can be at the beginning of April, which can even see snow fall after a few days of heat.

Also, we can only advise you to put on your crinoline, guaranteeing a shelter to all tests in the face of temperature differences!

Crinoline: donning the dress, circa 1858, Calvelo collection, CAL293

This view from José Calvelo's collection must be compared with the CAL291:

In crinoline, adorned for the exit! Around 1858, Calvelo collection, CAL 291

Not only because of the almost identical décor, but also because of the narrative continuity between the two stereograms. They belong, we believe, to a somewhat larger series that stages the stages of dressing a lady preparing, with the help of a maid, for an outing.

Brian May and Denis Pellerin present these genre scenes in the book Crinoline, Fashion's Most Magnificent Disaster published by the London Stereoscopic Company in 2016. They attribute this view to the London studio of the Gaudin brothers.

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L’Arsenal de Venise : vues du XIXe siècle, témoignage d’une histoire multiséculaire

Venise : Trois-mâts à quai devant l’entrée de l’arsenal vers 1858, Collection Calvelo, CAL0078

Nos « Unes » sont en général l’occasion d’analyser les évolutions intervenues entre les vues anciennes de la Stéréothèque et le monde contemporain. Pourtant, la série de photographies sur l’arsenal de Venise (Collection Calvelo) va d’abord nous permettre un retour sur une dizaine de siècles. En effet, ce site militaire, presque inchangé depuis le XIXe siècle, témoigne d’une splendeur passée bien plus ancienne. Cela ne nous dispensera naturellement pas d’une confrontation avec le présent.

En raison de la manière dont certains tirages d’Antonio Perini sont légendés, José Calvelo pense pouvoir attribuer cette série au photographe vénitien. Chacune d’entre elles comporte au verso une légende détaillée imprimée et collée. Ces textes facilitent la localisation au sein de l’arsenal et fournissent des indices précieux sur les navires et les ateliers concernés. Curieusement, ces textes sont rédigés dans un français très maladroit, empreint d’italianismes.

L’interprétation de cet ensemble va nécessiter une évocation plus détaillée qu’à l’accoutumée de l’histoire dans laquelle ces photos s’inscrivent, nous conduisant à nous imprégner de l’extraordinaire complexité de la géographie politique dans laquelle la Vénétie a été plongée durant tout le XIXe siècle.

Genèse de l’Arsenal de Venise 

Remontons donc l’histoire de la cité ! Pour Venise, l’arsenal ne fut pas seulement un chantier naval : pendant une dizaine de siècles, il fut, pour la Sérénissime, l’outil principal lui ayant permis sa domination sur l’Adriatique et la Méditerranée orientale, moyen sans lequel elle n’aurait pas pu bâtir son incroyable expansion commerciale.

En ce lieu, la Venise primitive avait établi un premier chantier naval dès le VIIIe siècle. Là, par exemple, elle construisit pour l’Empire byzantin les ancêtres des caraques, galères et galéasses qui y furent ensuite produites pendant plusieurs siècles.

Vues 01 et 02 – Galères et caraques vénitiennes dans un combat naval, bas-reliefs sur la façade de l’église Santa-Maria del Giglio de Venise – Photos Ch B

A sa création, le Grand Conseil de la Cité fit creuser, entre 1143 et 1169, la darse vieille (Darsena vecchia) et édifier le premier véritable arsenal (Arsenale vecchio). Ainsi, en 1204, on fabriqua ici les navires qui transporteront les chevaliers de la quatrième croisade.

Entre 1304 et 1325, les premières darses sont agrandies de la darse neuve (Darsena nuova). Une zone de 25 hectares est ainsi créée, entourée de murailles qu’une porte monumentale protège de toute intrusion : les secrets de construction y sont bien gardés, comme plus tard ceux des verriers de Murano…

Aux XIVe et XVe siècles, l’arsenal devient le plus grand chantier naval du monde occidental, en s’appuyant sur un système original et innovant : l’état vénitien met aux enchères auprès de ses marchands l’usage commercial des galères militaires, ainsi rentabilisées en temps de paix, mais mobilisables à tout moment en cas de conflit. En même temps, on conserve sur pied de guerre une réserve de 100 galères en état de fonctionnement immédiat.

Vue 03 - L’arsenal de Venise en 1500 par Jacopo de Barbari (Fondation Querini Stampalia)

De cette période (1460) date la porte monumentale, dite Porte de terre, un des premiers exemples du style de la Renaissance vénitienne, porte embellie au fil des siècles et restée presque intacte jusqu’à nous.

La porte de l’Arsenal de Venise (Photo 1855-1865), collection Calvelo, CAL0451
Vue 04 - L’entrée de l’arsenal de Venise en 1732 par Canaletto (Wobum Abbey)

Les deux lions qui encadrent la porte sont des sculptures grecques, ramenées comme butin du Pirée par l’Amiral Francesco Morosini en 1687. Le lion de droite (celui de la photo ci-dessous) se trouvait à l’origine sur la voie Lepsina, la voie sacrée, qui reliait Athènes à Eleusis.

Un des lions de l’arsenal (photo entre 1855 et 1870), collection Wiedemann, WIE338

L’arsenal, au fondement de la puissance vénitienne 

Au XIVe siècle, pour défendre sa colonie de Chypre menacée par les Turcs, l’arsenal arme 150 navires de guerre en deux mois.

Plus tard, en 1571, la victoire navale de Lépante porte un coup d’arrêt à l’expansionnisme ottoman en Méditerranée occidentale : elle doit beaucoup aux capacités techniques et tactiques de la flotte vénitienne, mais aussi à l’aptitude des charpentiers de marine vénitiens à produire une impressionnante armada de galères.

Au XVIIe siècle, les Vénitiens construisent les galères en série, selon une organisation préfigurant le travail à la chaîne moderne : une fois la coque assemblée, on déplace le navire d’une cale à l’autre pour accomplir des tâches normalisées d’équipement et de finition. On sort de l’arsenal une galère par jour !

Vue 5 - Plan de l’arsenal au XVIIe siècle (Aquarelle d’Antonio di Natale, Musée Correr de Venise)

Au plus fort de son activité, l’arsenal emploie 16 000 ouvriers, répartis sur les chantiers et les bassins, assurant l’activité des fonderies, des fabriques (fusils, canons, cordages, rames et mâts), des entrepôts de bois, de charbon, de poudre, des ateliers d’artillerie.

Vue 6 - L’arsenal en 1797 par l’architecte naval Gian Maria Maffioletti (Getty Images)

Retour à la Stéréothèque 

Venise : Trois-mâts à quai devant l’entrée de l’arsenal vers 1858, Collection Calvelo, CAL0078

Un trois-mâts de ligne, à un seul pont, est amarré sur le rio dell’Arsenale, devant la Porte de Terre. Étonnant pour qui connaît Venise aujourd’hui. Le tirant d’eau est donc ici assez important en ce XIXe siècle, même si le navire est manifestement « lège », délesté de tout ce qui est possible (des canons en particulier) pour de pas « crocher » le fond.

Les tauds (ou toiles) qui recouvrent son pont permettent de supposer qu’il est ici désarmé pour servir de navire d’instruction de la marine. Seules quelques voiles demeurent d’ailleurs, ferlées, sur ses mâts.

Vues 07 & 08 – Clin d’œil au passé : en septembre 2019, les gondoles historiques, qui viennent de participer à la Regata Storica, quelques jours plus tôt, attendent pour être remisées dans l’arsenal, amarrées au même quai que le navire ci-dessus (Photos Ch B)

Mais à quelle marine le vaisseau de la CAL0078 appartient-il ? La photo date des environs de 1858. Pour quiconque n’est pas familier de l’Histoire italienne, un petit rappel s’impose.

À la fin du XVIIIe siècle, la république de Venise a perdu une grande partie de sa puissance. Le Directoire français entreprend la conquête de l’Italie du Nord ; le 16 novembre 1796, le général Bonaparte entre dans Venise et pénètre dans l’arsenal.

 

Mais, alors que le Directoire avait envisagé une sorte d’alliance avec la cité, Bonaparte provoque un incident qui lui permet, le 1er mai 1797, de déclarer la guerre à la République et d’obtenir sa capitulation le 12 mai.

 

Vue 09 - Prise de Venise par le général Bonaparte en mai 1797 (Musée de la Révolution française, Domaine de Vizille)

Il s’approprie alors sa marine et ses canons pour compléter avantageusement l’équipement de l’armée française d’Italie.

Les Français se comportent à cette occasion d’une manière tout à fait déshonorante, indigne d’une nation qui se voulait un exemple pour l’Europe entière : vol des Noces de Cana de Véronèse (toujours au Louvre), enlèvement du quadrige des chevaux de bronze de la Basilique Saint-Marc (restitué depuis), et destruction du magnifique Bucentaure (voir plus bas) !

Toutefois cette occupation ne dure guère : le 17 novembre 1797, le traité de Campo Formio impose à la France de céder la Vénétie à l’Autriche. À ce moment, l’Empire austro-hongrois, qui n’avait jusque-là qu’une marine de second rang, va s’appuyer sur l’arsenal de Venise pour bâtir une véritable marine de guerre. Ainsi, jusqu’en 1806, Venise fournira l’essentiel des forces navales autrichiennes, si bien que l’on parle alors de marine austro-vénitienne.

Après un « intermède » de nouvelle occupation française par Napoléon, de 1806 à 1814, le congrès de Vienne rend la Vénétie à l’Autriche en 1815. Cette occupation prendra fin en 1866 à l’issue de la bataille de Sadowa : l’Autriche doit s’y incliner devant la Prusse, tandis que les Italiens harcèlent les troupes autrichiennes.

Acculé, l’Empire austro-hongrois restitue la Vénétie à son dernier « possesseur » : la France. Par référendum, les Vénitiens se prononcent alors pour un rattachement à l’Italie. Napoléon III, sensible aux mouvements de l’indépendance italienne, accepte ce verdict et consent au rattachement de la Vénétie au royaume d’Italie le 22 septembre 1866. Jusqu’à cette date, Venise est donc encore une province (une « vice-royauté ») de l’Empire austro-hongrois.

Dans les jours qui suivirent cette restitution, Victor-Emmanuel II, le roi d’Italie, est reçu dans la cité : une galère d’apparat a spécialement été construite pour sa visite officielle ; elle est toujours conservée dans le pavillon des navires du musée de l’histoire navale.

Vues 10 & 11 – La galère royale construite pour la visite officielle de Victor-Emmanuel II à l’occasion du rattachement de Venise à l’Italie. (Museo Storico Navale – Photos L B)

Outre les vues CAL0078 et CAL451 présentées plus haut, la collection Calvelo comporte 20 photos stéréoscopiques de l’arsenal (CAL376 à CAL395), toutes prises au même moment : un intéressant reportage sur l’ensemble de cette institution militaire pluriséculaire, qui nous permet de pénétrer dans ce lieu.

L’arsenal est entouré d’une haute enceinte qui sied bien au secret d’un site militaire, elle-même entourée d’eau sur près des 2/3 de sa longueur, soit par la lagune au nord, soit par un petit canal qui fait office de douve et qui serpente dans le sestiere du Castello.

Vue-12 – Le Riu San Daniele, un des canaux-douves qui serpentent le long de l’enceinte de l’arsenal à l’est du Castello (Photo L B)

Après franchissement de la porte 

Pendant longtemps, la porte monumentale était la seule vue que pouvaient connaître la plupart des vénitiens et l’ensemble des touristes. Au XIXe siècle en particulier, franchir la porte était donc pénétrer dans un monde inconnu…

À peine la porte franchie, dont l’arrière est presque identique à la façade extérieure, nous voici dans ce lieu plein de mystère. Observons le bâtiment en face de nous à gauche. On y devine l’inscription « (Ars)enals Verwaltung » : Administration de l’arsenal en allemand : pas d’hésitation, nous sommes bien sous occupation autrichienne !

Sur sa droite, au fond, on aperçoit la voie de circulation interne autour de laquelle sont répartis les ateliers et magasins de la marine, qui font l’objet des vues CAL389, CAL392 et CAL394 commentées plus bas. Une passerelle de bois mobile permet de franchir à pied le chenal d’entrée

Vue de l’intérieur de l’arsenal : arrière de la porte monumentale, collection Calvelo, CAL378

Avec cette série de vues, nous allons pouvoir faire le tour des différentes darses, qui composent l’arsenal, presque à l’identique depuis plusieurs siècles. Un repérage chronologique s’impose :

Vue 13 - Plan de l’arsenal de Venise, avec les différentes phases de son agrandissement (Wikipedia / mons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16233264)

Date de construction :

Porta nova : 1810

Canale delle galeazza : 1564

Darsena novissima : 1473

Darsena nova : 1305

Darsena de l’Arsenale Vecchio : 1169

La darse vieille (Darsena vecchia)

La darse vieille nous donne les dimensions de l’arsenal primitif. Par contre, les bâtiments qui la bordent ont été remaniés de nombreuses fois ; les cales permettant de construire ou de remiser les navires du temps de la République vénitienne étaient, pour la plupart d’entre elles, ouvertes en pleine eau sur le bassin ; elles ont été depuis, pour partie, fermées.

À l’intérieur de la darse vieille, vue en direction de la « Porte de Terre ». CAL380

Au centre de la vue, deux cheminées et deux capots de roues trahissent un vapeur à aubes. Il s’agit de Fantaisie, le yacht à vapeur et à aubes de l’archiduc Ferdinand-Maximilien, nommé depuis 1854 Oberkommandant der Marine (commandant en chef). Ce navire aurait été construit en Angleterre en 1838 et doté de qualités de vitesse remarquables.

Ferdinand-Maximilien était le frère de l’empereur d’Autriche François-Joseph 1er. En 1857, il est nommé vice-roi de Lombardie-Vénétie (annexée par l’Autriche depuis le congrès de Vienne). Mais, jugé par son frère trop libéral et rebelle à son pouvoir (notamment du fait de son indulgence envers les rebelles italiens), il doit démissionner en avril 1859. Il parvient ensuite à se faire désigner empereur du Mexique par les députés mexicains en 1864 (avant d’être finalement fusillé en juin 1867).

On comprend donc que ce navire, dont Venise était peut-être le port d’attache, est remisé ici, en quelque sorte en garde, depuis que Ferdinand-Maximilien a été contraint de quitter son vice-royaume. Les quatre ouvriers installés sur le flanc du bateau ne procèdent sans doute qu’à des travaux d’entretien de routine.

Sur la vue suivante, nous sommes plus en arrière dans le bassin, devant la canonnière (à vapeur et à roues) Gorzkowski, désarmée depuis 1854.

La canonnière Gorzkowski désarmée à l’intérieur de la Darse vieille. CAL384

La photo ci-dessous est aussi prise dans la darse vieille : on y aperçoit tout au fond la porte d’entrée et la canonnière précédente. Le premier plan fait la part belle aux ateliers et cales couvertes qui bordent le bassin sur sa limite ouest. Il s’agirait des ateliers de tourneurs et de graveurs.

À l’intérieur de la darse vieille, vue vers le Sud, le long des cales et hangars ouest. CAL382

La vue suivante nous montre le même quai, les mêmes hangars et mêmes cales couvertes que ci-dessus, mais en direction inverse, celle du mur nord (à peine visible tout au fond) qui barre le bassin des Galéasses, le long de la lagune. Ces cales et ateliers étaient, nous dit la légende, affectés au carénage. Le photographe est ici adossé à l’enceinte sud, la Porte de Terre se trouvant à sa droite. À quai, nous trouvons trois vapeurs à roues, et une grue à mâter. Si le photographe a opéré durant la même journée, il est vraisemblable que le vapeur à roues amarré au niveau de la grue à mâter soit la Fantaisie commentée sur la vue CAL380 et le vapeur le plus lointain la canonnière Gorzkowski de la CAL384.

Dans la darse vieille, le long des cales et ateliers ouest, vue vers le nord. CAL395

Les ouvriers posent : la vue ne nous donne pas l’impression d’une activité débordante, impression qui sera confirmée par les autres vues de la série !

On peut aisément imaginer la raison de ce calme : nous sommes en 1865 ; l’Autriche-Hongrie est engagée dans plusieurs conflits terrestres au sein de toute l’Europe. Sa grande base navale est à ce moment Trieste. La présence de deux vapeurs désarmés, le yacht de l’ex vice-roi et la canonnière Gorzkowski, est une preuve supplémentaire d’un site désormais dépourvu de véritable fonction stratégique.

Ainsi, alors que l’arsenal de Venise joua, comme nous l’avons dit plus haut, un rôle central pour la marine autrichienne entre 1797 et 1806, ce n’est désormais plus le cas en cette année 1865 : Venise n’est plus qu’une base militaire très secondaire, même si l’on continue à y exercer des travaux d’entretien, situation qui a peut-être facilité l’accès du photographe dans le lieu !

L’endroit reste tout de même plus actif qu’aujourd’hui où les cales encore ouvertes n’hébergent plus que les gondoles et les galères historiques : celles qui défilent deux fois par an, à l’occasion de la Sensa (pour le renouvellement des noces de la cité avec la mer le jour de l’Ascension) et de la Regata Storica (le premier dimanche de septembre).

Vue 14 – Vue contemporaine de l’alignement constitué par la Porte de Terre, la darse vieille et le bassin des Galéasses : un lieu vide de toute activité apparente ! (Pixabay)

La grande darse (Darsena Nova et Darsena Novissima)

Comme il apparaît sur la Vue 13 plus haut, au XVe siècle, la darse neuve a été doublée par ce que les Vénitiens nommaient la Darsena Novissima (que l’on peut traduire par la darse toute nouvelle). Cet ensemble est aujourd’hui plus souvent désigné comme grande darse (Darsena grande).

Vue 15 – Vue de l’ensemble des bassins de l’arsenal : à gauche, darse vieille et bassin des Galéasses ; à droite, grande darse (réunion des Darses neuve et « toute nouvelle ») (Google Earth)

Tout à côté du petit chenal qui relie les parties neuves et vieilles des bassins, il existe un bâtiment d’architecture classique, toujours existant, qui a retenu l’intérêt du photographe. La légende de cette photo précise que cette façade est due à l’architecte Michele Sanmicheli, édifiée en 1545.

Ce serait ici que les Autrichiens auraient établi le premier musée d’histoire navale, où ils avaient notamment installé la maquette du fameux Bucentaure dont il est question plus bas. Selon la légende de la vue, il servait aussi à accueillir les membres de la Cour autrichienne lorsqu’elle faisait escale à Venise.

Bâtiment à façade classique sur la darse neuve, CAL385
Vue 16 - (Photo Google Earth)

Sur la vue ci-dessous, nous sommes dans la darse neuve, prise depuis son quai sud. Le bâtiment le plus lointain à gauche, devant lequel est amarré un voilier, est le bâtiment classique de la CAL385 ci-dessus. En revenant du fond à droite vers le premier plan à gauche, en se rapprochant du photographe, nous avons ensuite l’atelier de voilerie qui lui est mitoyen, puis une première passerelle qui enjambe le chenal reliant la darse vieille et la darse neuve, une façade, et enfin une cale couverte plus haute que les autres bâtiments. Elle est en eau et, selon la légende, ce serait l’ancienne cale qui abrita le fameux Bucentaure (voir plus bas), ce qui paraît tout à fait plausible compte tenu de ses dimensions.

La darse neuve, vue depuis son quai sud : au centre, la haute cale couverte qui servit sans doute à abriter le Bucentaure, CAL393

Aujourd’hui, l’ex-cale du Bucentaure a complètement changé d’aspect : elle a été comblée et une façade de bureaux lui a été rajoutée. C’est le bâtiment (signalé par la flèche verte), que nous voyons sur la vue contemporaine ci-contre de même que sur la vue ci-dessous (juste à droite de la grue bleue)

Elle héberge peut-être la caserne des carabiniers car, au pied de ce bâtiment, sont amarrées les vedettes de ce corps (l’équivalent de nos gendarmes).

Vue 17 – Ancienne cale couverte du Bucentaure (Vue Google Earth)
Vue 18 - Sur la grande darse, au dos de la darse vieille, le quai des vedettes des Carabiniers

La photo suivante permet encore d’apercevoir, en fond d‘images à droite, le bâtiment classique de Sanmicheli de la photo CAL385. Le photographe est ici adossé au quai est du bassin. Au premier plan est amarré un petit navire, le Pandora. Il s’agirait d’une canonnière fluviale, certainement équipée de voiles et d’une machine à vapeur. En l’absence de capots de roues à aube, on peut affirmer qu’elle est pourvue d’une hélice. En 1865, elle est donc peut-être toujours en service, pouvant être utilisée pour la police de la lagune.

La canonnière Pandora dans la darse neuve, CAL386

La photo contemporaine ci-dessous nous montre le même endroit, pris depuis le point de vue exactement opposé. Signe d’une certaine continuité dans les missions régaliennes, c’est à ce même endroit que sont amarrées aujourd’hui les vedettes des garde-côtes italiens, qui remplissent la même fonction (mais qui peuvent sortir en Adriatique.)

Vue 19 - Dans la darse neuve, le long du quai Est du bassin (Photo L B)

Malheureusement, aucune photo en plan large montrant le grand bassin de la darse neuve ne nous est parvenue, pas plus que de la Porte Neuve, à l’est de l’arsenal. Nous complèterons donc notre parcours avec la photo contemporaine ci-dessous, prise en face du quai des garde-côtes.

Elle permet d’embrasser l’essentiel de la grande darse. Au dernier plan, à gauche, nous apercevons la grande tour qui servait à mâter les navires, et une des deux tours qui délimite la Porta Nova, issue toujours empruntée pour l’entrée et la sortie des vedettes au gabarit trop important pour franchir la Porte de Terre.

Vue 20 -Vue actuelle de la grande darse (Photo Ch B)

En quittant l’arsenal par cette porte, on trouve aujourd’hui, à l’extérieur, à main gauche, un chantier naval moderne, comme nous le voyons ci-après.

La barge verte à quai devant ce chantier en septembre 2019 est un des modules du fameux barrage mobile Moïse destiné à fermer la lagune lors des grandes marées, construit ici, et désormais entièrement assemblé et fonctionnel depuis le milieu de l’année 2020.

Vue 21 - La Porte Neuve de l’arsenal, avec une de ses tours, et le chantier naval en train d’achever un des modules du barrage mobile Moïse (en vert clair), depuis les quais de l’Île San Pietro (Ph Ch B)

Les grands hangars de l’arsenal

La série du XIXe ne comporte pas non plus de photos des grands hangars implantés tout au fond de la grande darse sur son côté nord, le long de la lagune. Il est intéressant de s’y attarder quelques instants.

Au fond de ce bassin, le long de l’enceinte adossée à la lagune, les hangars les plus éloignés de la Porte Neuve, sont héritiers de la période historique où l’on fabriquait des pièces de navire à grande échelle. Ce sont les bâtiments les plus hauts, ci-dessous au premier plan à gauche.

Vue 22 - Au fond de la grande Darse, à gauche, les grands hangars de l’arsenal (Photo L B)
Vue 23 -Intérieur vide d’un des hangars aujourd’hui (Unblog.fr)

Ces lieux abritent désormais une partie des expositions de la Biennale d’Art de Venise, évènement qui permet aux visiteurs, à ces dates privilégiées, de pénétrer sur les quais bordant le grand bassin de l’arsenal.

Vues 24 & 25 – Exemples de compositions et d’installations dans les hangars de l’arsenal lors de la Biennale d’Art de septembre 2017 (Photos L B)

Les ateliers et magasins de la Marine

À la diagonale des hangars ci-dessus, la zone est de la grande darse est bordée de deux rangs d’ateliers traversés par une voie de circulation ; notre photographe s’y est attardé longuement. En voici trois vues : on y voit quelques groupes d’ouvriers qui confirment l’impression de faible activité des lieux. Sur la première ci-dessous, nous sommes semble-t-il tout au fond de la voie de circulation principale entre les ateliers. La porte à droite serait l’entrée de l’atelier de fonderie.

Ouvriers et marins posant devant l’atelier de fonderie de l’arsenal, CAL394

Nous voici ensuite devant l’atelier d’artillerie. Selon la légende portée au verso, l’immense série de pièces soigneusement alignées (le long de plusieurs voies) serait, non pas un stock de pièces récentes, mais une collection de plus de 10 000 pièces, « la plus grande collection du monde », des modèles de canons utilisés par la république de Venise depuis 1349 (en cuir) jusqu’à sa chute en 1797.

Devant les ateliers d’artillerie, la collection des différentes pièces utilisées par la république de Venise de 1349 jusqu’à 1797, CAL389

Ci-dessous, outre un forgeron, nous aurions… des sapeurs-pompiers de l’arsenal prêts à intervenir… avec un simple baquet d’eau !

Entre les ateliers, un forgeron et des pompiers de l’arsenal ! CAL392

Ces ateliers, désaffectés, sont aujourd’hui en partie mis à disposition d’évènements (expositions, conférences, etc…) dans le cadre de la Biennale d’art contemporain.

La corderie

En observant une vue aérienne de l’arsenal, on aperçoit tout au sud de la zone des ateliers, le long de l’enceinte de l’arsenal, un bâtiment recouvert d’une suite de toitures en alignement sur toute la longueur de l’enceinte, le long du Rio della Tana.

Vue 26 - Situation de la corderie (flèche verte) sur une vue aérienne (Vue Google Earth)

Ce bâtiment que le photographe nous présente par les deux vues suivantes est la corderie. Elle mesurait 315 mètres d’un seul tenant (elle est aujourd’hui morcelée). La cité des doges y tressait, à partir de 1579, les cordages pour les navires construits au sein de l’arsenal.

Elle comportait trois nefs délimitées par ces rangs de colonnes toscanes : nous sommes ici dans la nef centrale. Lors du tressage des cordages, pour passer d’une nef à l’autre, il fallait monter dans les coursives placées au-dessus des chapiteaux et emprunter les passerelles, comme celle que l’on aperçoit au fond de la photo. On pouvait tresser ici des aussières comportant jusqu’à 1 908 brins.

Au sein de la corderie de l’arsenal, édifiée en 1579, CAL390

Dans le même immense bâtiment, la vue suivante est prise depuis la tribune qui servait à tester les cordages en provocant des torsions et des tensions extrêmes.

Au sein de la corderie de l’arsenal, vue depuis la tribune permettant de tester les cordages, CAL391

On constate que ce bâtiment est, en cette deuxième moitié du XIXe siècle, quasiment vide : on distingue encore quelques tréteaux entre les piliers, mais le lieu ressemble davantage à des ateliers abandonnés. Évidemment, puisque l’on ne construit plus ici de navires, au moins depuis 1850, voire même plus tôt. Ceci confirme le caractère secondaire de cet arsenal en cette fin de règne de l’Empire austro-hongrois. Ces lieux sont aussi, aujourd’hui, mis à disposition de la Biennale d’Art pour des manifestations.

Le Bucentaure et sa maquette

Le Bucentaure (Bucintoro) était une grande galère de parade utilisée chaque année par le doge pour renouveler les Noces de Venise avec la mer le jour de l’Ascension (Sensa en Vénitien). Cette cérémonie, inaugurée en 998, ne prit fin qu’avec la chute de la République en 1797. Il exista successivement quatre modèles de ce navire de parade ; le dernier, présent dans toutes les mémoires des amoureux de Venise, avait été mis en service en 1728. Son seul moyen de propulsion était constitué de 168 rames manœuvrées par autant d’arsenaloti (les charpentiers et ouvriers de l’arsenal).

Ce navire a été immortalisé par Francesco Guardi, illustrant le départ du doge pour San Nicole del Lido, d’où il jetait dans l’eau un anneau béni par l’archevêque de Venise.

Vue 27 - Départ du doge pour le Lido à bord du Bucentaure, Francesco Guardi (Musée du Louvre, INV20009)

Ce vaisseau extraordinaire a été détruit en 1797 par les troupes de Bonaparte : les décors et les incroyables sculptures dorées ont été brûlés par les français pour en récupérer l’or, tandis que la coque elle-même fut transformée en « ponton » pour la mise aux fers des récalcitrants !

Vue 28 – La destruction du Bucentaure par le feu par G. Rava. (les-apn-belgique.webnode.fr)

Seuls ont été conservés son mât de parade (au musée d’histoire navale) et quelques éléments décoratifs (au Musée Correr).

Ce véritable acte de vandalisme fut une blessure profonde pour les Vénitiens. Heureusement, dès 1825, les Autrichiens ont rassemblé les collections d’armes, mises à l’abri avant le passage des français au Palais des doges, ainsi que les objets de marine anciens rescapés de ces tristes évènements. Ils en font la base d’un premier musée naval dans un pavillon de l’arsenal (voir ci-dessus la vue CAL385), cherchant certainement par là à flatter l’amour propre des Vénitiens et à se démarquer de l’occupation française.

Une des pièces majeures ainsi mises à l’abri fut la splendide maquette du dernier Bucentaure que notre photographe a tenu à immortaliser dans une des salles de ce premier musée : à cette occasion, un éclairage puissant a été utilisé qui provoque un halo au centre de la photo. Cette vue est prise depuis la proue, dont la figure monumentale, chargée d’une profusion de sculptures dorées, était dominée par le lion de Saint-Marc et une allégorie de la justice, reposant sur une sorte de centaure à corps de bœuf qui aurait donné son nom au navire.

Maquette du Bucentaure, conservée par les Autrichiens dans le premier musée vénitien d’histoire navale au sein de l’arsenal, CAL376

Cette maquette reste aujourd’hui une des pièces emblématiques de l’actuel Museo Storico Navale, installé dans un bâtiment plus vaste depuis 1964. Ce Bucentaure, si cher aux Vénitiens, donna même lieu à son exécution en objet d’orfèvrerie.

Vue 29 - Maquette du Bucentaure (Museo storico navale venezia)
Vue 30 - Le Bucentaure, chef-d’œuvre d’orfèvrerie présenté en 2004 dans la vitrine d’un bijoutier (Photo Ch B)

Depuis 1965, la ville de Venise a renoué avec la cérémonie des Noces avec la Mer. En l’absence du Bucentaure, une galère d’apparat plus modeste a été construite : la Serenissima. Elle est aussi utilisée chaque année en septembre pour la Regata Storica, défilé nautique le long du Grand Canal.

Vue-31 – La Serenissima, actuelle galère d’apparat en remplacement du Bucentaure (Photo Ch B)

En 2008, une association, la Fondazione Bucintoro, est créée avec pour objectif de reconstruire le navire mythique.

Durant le mandat du président Nicolas Sarkozy, celui-ci, lors d’une visite officielle, a promis, en réparation des destructions commises par les troupes françaises, que la France offrirait le bois pour la reconstruction du navire. En 2014, les premiers chênes propres à la construction navale furent choisis et abattus dans des forêts périgourdines.

Les premiers couples du navire commencèrent ainsi à être assemblés dans une des cales couvertes du bassin des galéasses, au fond de la darse vieille.

Vue 32 - Mise en place des premiers couples de la coque du nouveau Bucentaure (Photo Fondazione Bucintoro)

Malheureusement, depuis 2016, les travaux sont fortement ralentis par manque de fonds. Mais ce chantier, au sein même de l’arsenal de Venise, redonne au lieu un peu de sa raison d’être historique, en renouant avec les traditions navales de la sérénissime République.

Christian Bernadat

Photographies de Venise :

Ch B : Christian Bernadat – L B : Line Bernadat

Bibliographie :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Venise

https://fr.wikipedia.org/wiki/Province_vénitienne

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_de_l’unification_de_l’Italie#1866

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Prise_de_Venise_par_Napoléon_en_mai_1797,_Musée_de_la_Révolution_française_-_Vizille.jpg

https://fr.wikipedia.org/wiki/Arsenal_de_Venise

https://it.wikipedia.org/wiki/Festa_della_Sensa

https://events.veneziaunica.it/it/content/festa-della-sensa

Navi e squeri veneziani alla Querini Stampalia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Rio_della_Tana

https://www.gettyimages.fr/photos/gian-maria-maffioletti?phrase=gian%20maria%20maffioletti&sort=mostpopular

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bucentaure_(bateau_vénitien)

https://fondazionebucintoro.wordpress.com/

https://www.veneziatoday.it/cronaca/ricostruzione-bucintoro-venezia-sarkozy.html

https://les-apn-belgique.webnode.fr/news/le-bucentaure/

https://www.alamyimages.fr/photo-image-le-yacht-a-vapeur-autrichien-fantaisie-1858-l-illustrated-london-news-165306085.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_austro-hongroise

https://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_Ier_(empereur_du_Mexique)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_navires_de_la_marine_austro-hongroise

L'image du mois

L’image du mois #37 | Mars

Elles sont actrices, modèles, commerçantes, nageuses professionnelles, employées, grand-mères, mères, filles, cousines, tantes, laborantines, coiffeuses, fileuses, musiciennes, voyageuses, endimanchées, en train de s’amuser, en famille, en costume traditionnel,… elles sont les femmes de nos collections stéréoscopiques et cela a été difficile de choisir tant elles rendent la mémoire vivante.

Ce mois-ci, nous mettons en valeur les femmes d’hier, les femmes de l’histoire.

Collections Calvelo, Chalons, Denant, Magendie, Wiedemann
Non classé

The picture of the month #37 | March

They are actresses, models, traders, professional swimmers, employees, grandmothers, mothers, daughters, cousins, aunts, laboratory technicians, hairdressers, spinners, musicians, travelers, endimanchées, having fun, with family, in traditional costume,… they are the women of our stereoscopic collections and it was difficult to choose as they make memory alive.

This month, we are highlighting the women of yesterday, the women of history.

Collections Calvelo, Chalons, Denant, Magendie, Wiedemann
Non classé

Le voyage aux Pyrénées selon Hippolyte Taine – Épisode 2

Deuxième épisode : de Bordeaux à Saint-Jean-de-Luz

Route à travers les Landes (1900-1925). Collection Paladini, MP1016

Rappel du premier épisode :

Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser son Voyage aux Pyrénées, en 1855, dans le but de suivre une cure médicale, soins alors très à la mode dans la bonne société parisienne. Pour ce voyage, à seulement 27 ans, il a pris une sorte de « congé sabbatique ». Il commence sa narration à Bordeaux, après un crochet par Royan.

La traversée des Landes

Pour la suite de son périple, Taine va traverser les Landes, cette fois en malle-poste, et faire étape à Bayonne, Biarritz et Saint-Jean-de-Luz. Il nous fait partager un regard souvent inattendu sur les sites et les villes qu’il traverse, toujours à la recherche du pittoresque, selon une vision très « parisienne » : les Landais, les Pyrénéens qu’il rencontre sont décrits comme des personnages assez « exotiques » ; visiter ce sud-ouest, c’est explorer un monde lointain d’autochtones aux attitudes pour le moins pittoresques… !

Il est temps de nous embarquer pour cette seconde étape, que nous tenterons d’illustrer de vues prises au plus proche de l’époque de son voyage, en fonction des ressources de la Stéréothèque.

« Autour de Bordeaux, des collines riantes, des horizons variés, de fraîches vallées, une rivière peuplée par la navigation incessante, une suite de villes et de villages harmonieusement posés sur les coteaux ou dans les plaines…

Au-dessous de Bordeaux, un sol plat, des marécages, des sables, une terre qui va s’appauvrissant, des villages de plus en plus rares, bientôt le désert… »

Le désert landais (1900-1912), Collection SAB, SAB212

« Des bois de pins passent à droite et à gauche, silencieux et ternes. Chaque arbre porte au flanc la cicatrice des blessures par où les bûcherons ont fait couler le sang résineux qui le gorge ; la puissante liqueur monte encore dans ses membres avec la sève, transpire par ses flèches visqueuses et par sa peau fendue ; une âpre odeur aromatique emplit l’air. »

La forêt des Landes, exploitation résinière (1915-1940), Collection Vergnieux, RVX751
Vue 1. Les Landes, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 14

Dax

La malle-poste traverse Dax. Taine y porte un regard bref et surprenant : « J’ai vu Dax en passant, et je ne me rappelle que deux files de murs blancs, d’un éclat cru, où ça et là des portes basses enfonçaient leur cintre avec un relief étrange. Une vieille cathédrale, toute sauvage, hérissait ses clochetons et ses dentelures au milieu du luxe de la nature et de la joie de la lumière, comme si le sol crevé eût jadis poussé hors de sa lave un amas de souffre cristallisé. »

La cathédrale de Dax (1891-1915), Collection Magendie, MAG3194
Vue 2. La Cathédrale Notre-Dame de Dax (1890), (Dossiers-inventaire-aquitaine.fr)

La photo ci-dessus nous permet de comprendre le jugement abrupt de Taine de « vieille cathédrale sauvage… » : quelque peu massive à l’époque, en effet !

A l’occasion d’une halte, l’auteur assiste à une scène dont il savoure l’exotisme méridional : « Le postillon, bon homme, prend une pauvresse en route, et la met à côté de lui sur son siège. Quels gens gais ! Elle chante en patois, le voilà qui chante, le conducteur s’en mêle, puis un des gens de l’impériale. Ils rient de tout cœur ; leurs yeux brillent. Que nous sommes loin du Nord ! Dans tous ces méridionaux il y a de la verve… ; à la moindre ouverture, elle jaillit comme une eau vive en plein soleil… Cette pauvresse m’amuse. Elle a cinquante ans, point de souliers, des vêtements en lambeaux, pas un sou dans sa poche… »

Bayonne

« Bayonne est une ville gaie, originale, demi-espagnole. Partout gens en veste de velours et en culotte courte ; on entend la musique âpre et sonore de la langue qu’on parle au-delà des monts… » Mais, « un joli palais épiscopal, élégant et moderne, enlaidit encore la cathédrale. Le pauvre monument avorté lève piteusement, comme un moignon, son clocher arrêté depuis trois siècles… »

La cathédrale de Bayonne (1851-1870), Collection Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0032

Voici encore un étrange jugement. Mais celui-ci s’explique : la construction du clocher a été interrompue au XVe siècle. Ce n’est qu’en 1884, à l’occasion de sa restauration entreprise dès 1877, qu’on lui adjoint ses deux clochers que l’on voit aujourd’hui. Lors du passage de Taine, l’édifice, d’un style gothique champenois, privé de flèches, a en effet une allure assez massive.

Vue 3. La Cathédrale Ste-Marie de Bayonne, telle que Taine l’a vue, (gravure de 1812). Collection Sœurs Feuillet
Vue 4. La Cathédrale Ste-Marie de Bayonne telle que Taine a pu la voir. Photo d’avant 1883, avant la construction des flèches, par Médéric Mieusement (MH 0000275)
Vue 5. Le vieux Bayonne aux environs de la cathérale, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 17

Taine entre dans l’édifice ; il porte à son sujet un jugement triste et sévère qui nous fait penser à celui qu’il a formulé en visitant le cloître de la cathédrale Saint-André de Bordeaux :

« J’étais tout chagrin de cette décrépitude, et une fois entré, je me suis trouvé plus triste encore. L’obscurité tombait de la voûte comme un suaire ; je ne distinguais rien que des piliers vermoulus, des tableaux enfumés, des pans de murs verdâtres… Je voyais le spectre du Moyen Âge… Ces sombres voûtes, ces colonnettes, ces rosaces sanglantes, appelaient des rêves et des émotions que nous ne pouvons plus avoir… »

Notons que lors de sa visite du même site quelques années plus tôt, Victor Hugo, au contraire, se montra enthousiaste : l’a priori du visiteur est donc prépondérant, ce qui n’est pas pour nous surprendre !

Vue 6. La Porte de la sacristie avant 1883 par Médéric Mieusement (MH 00013534)

En fait, notre auteur est totalement imprégné de la vision médiévale, « troubadouresque », en vogue au XIXe siècle : dans son fantasme, le Bayonne médiéval était une sorte de cour des miracles !

« Il faudrait sentir ici ce que sentaient les hommes, il y a six cents ans, quand ils sortaient en fourmilières de leurs taudis, de leurs rues sans pavés, larges de six pieds, cloaques d’immondices, qui exhalaient la lèpre et la fièvre ; quand leur corps sans linge, miné par les famines, envoyait un sang pauvre à leur cerveau brut ; quand les guerres, les lois atroces et les légendes de sorcellerie emplissaient leurs rêveries d’images éclatantes et lugubres… »

[Pour me délivrer de ces visions] «… je suis allé sur le port ; c’est une longue allée de vieux arbres au bord de l’Adour…»

Les Allées marines à Bayonne (1862), Collection Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0458

« Il est tout gai et pittoresque. Des bœufs graves, le front baissé, tirent les poutres qu’on décharge… Les navires en file s’amarrent au quai ; les cordages grêles dessinent leur labyrinthe sur le ciel, et les matelots y pendent accrochés comme des araignées dans leur toile… »

Bayonne, le quai de Lesseps (1856-1858), Collection Magendie, MAG6332

« … Les tonneaux, les ballots, les pièces de bois, sont pêle-mêle sur les dalles. On sent avec plaisir que l’homme travaille et prospère. »

Vue 7. Le Port de Bayonne par Gustave Doré, 3e édition, page 19

Digression sur Pé de Puyane

Vue 8. Pé de Puyane par Gustave Doré, 3e édition, page 22

Taine séjourne quelques jours à Bayonne. « Il pleut ; l’auberge est insupportable ; on s’étouffe sous les arcades ; je m’ennuie au café, et je ne connais personne. La seule ressource est d’aller à la bibliothèque… »

Il est reçu par le conservateur et se fait proposer toutes sortes de vieux livres : le voici plongé dans une histoire médiévale pleine de rebondissements comme il les aime sur un personnage haut en couleur : une digression de 17 pages, tout de même…, que nous nous épargnerons !

Biarritz

Notre auteur-voyageur reprend son périple jusqu’à Biarritz. « A une demie-lieue, au tournant d’un chemin, on aperçoit un coteau d’un bleu singulier : c’est la mer. Puis, on descend, par une route qui serpente, jusqu’au village »

La côte des Basques à Biarritz (1855-1899), Collection SAB, SAB234

Mais, Taine nous sert toujours des jugements inattendus : « Triste village, sali d’hôtels blancs réguliers, de cafés et d’enseignes, échelonnés par étage sur la côte aride… ». Nous sommes déjà à l’ère de la villégiature mondaine. Décidément, Taine n’apprécie pas la modernité de son époque !

Biarritz (1856-1858), Collection Magendie, MAG6326

« … pour port, une plage et deux criques vides. La plus petite cache dans son recoin de sable deux barques sans mâts ni voiles, qu’on dirait abandonnées. »

Biarritz, le port des pêcheurs (1856-1858), Collection Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0004

« L’eau ronge la côte ; de grands morceaux de terre et de pierre, durcis par son choc, lèvent à cinquante pieds du rivage leur échine brune et jaune, usés, fouillés, mordus, déchiquetés, creusés par la vague, semblables à un troupeau de cachalots échoués… »

Biarritz, le port de l’Impératrice (1856-1858), Collection Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0010

« …si loin que le regard porte, c’est une agitation maladive de vagues ternes, entrecroisées et disloquées, sorte de peau mouvante qui tressaille, et se tord sous une fièvre intérieure ; de temps en temps, une raie d’écume qui les traverse marque un soubresaut plus violent. »

Vue 9. Le ressac sur le rocher par Gustave Doré, 3e édition, page 41

« … Vers le soir l’air s’éclaircit et le vent tombe. On aperçoit la côte d’Espagne et sa traînée de montagnes adoucie par la distance. »

Vue 10. Vue de la côte vers l’Espagne par Gustave Doré, 3e édition, page 40

« Il y a un phare au nord du village, sur une esplanade de grève et d’herbes piquantes. Les plantes sont ici aussi âpres que l’Océan. »

Le phare de Biarritz (1903-1905), Collection Lasserre, JPL160

Nous l’avons compris, Taine n’apprécie pas le monde de la villégiature et des bains de mer ! « Ne regardez pas la plage à gauche ; les piquets de soldats, les baraques de baigneurs, les ennuyés, les enfants, les malades, le linge qui sèche, tout cela est triste comme une caserne et un hôpital. »

La plage à Biarritz (1855-1899), Collection SAB, SAB232

Saint-Jean-de-Luz

« Il a plu toute la nuit ; mais, le matin, un vent sec à séché la terre, et je suis allé à Saint-Jean-de-Luz en longeant la côte. Partout, des falaises rongées plongeant à pic ; des tertres mornes, des sables qui s’écroulent… L’Océan déchire et dépeuple sa plage. Tout souffre par le voisinage du vieux tyran. En contemplant ici son aspect et son œuvre, on trouve vraies les superstitions antiques. C’est un dieu lugubre et hostile, toujours grondant, sinistre, aux caprices subits, que rien n’apaise, que nul ne dompte… »

Saint-Jean-de-Luz, vue générale (1862-1868), Collection Magendie, MAG6388

Nouveau jugement inattendu de notre auteur : « Saint-Jean-de-Luz est une vieille petite ville aux rues étroites, aujourd’hui silencieuse et déchue… »

Vue 11 - Place Louis XIV aux alentours de 1882 (à gauche de l'image la maison où demeura Louis XIV en 1660) (Wikipedia)

Cette vision est étonnante pour une petite ville chargée d’histoire et normalement animée comme toujours en Pays Basque.

Taine nous met sur la voie : « A présent le port est vide ; cette terrible mer de Biscaye a trois fois brisé sa digue. Contre la houle grondante amoncelée depuis l’Amérique, nul ouvrage d’homme ne tient. L’eau s’engouffrait dans le chemin et arrivait comme un chenal de course aussi haut que les quais, fouettant les ponts, secouant ses crêtes, creusant sa vague… »

La rade de Sainte-Barbe à Saint-Jean-de-Luz (1856-1858), Collection Médiathèque de Pau, MIDR_PHA_152_0575

Une ville sans activité et un port silencieux : il y a une explication à ce constat. Depuis la fin du XVIIe siècle, Saint-Jean-de-Luz a connu des années noires : les tempêtes de plus en plus violentes, effritant peu à peu ses protections, sapent la dune, et inondant régulièrement la ville tout entière. Malgré l’édification d’un perré à la fin du règne de Louis XVI, celui-ci fut à nouveau emporté plusieurs fois entre 1782 et 1823 ; le quartier de la Barre, notamment, subit régulièrement les assauts de la mer, emportant petit à petit une partie des édifices et détruisant à chaque fois les embarcations de pêche.

Il faut attendre l’arrivée de Napoléon III sur la côte basque, au milieu du XIXe siècle, pour que ce dernier, sensible au désarroi des habitants, fasse entreprendre de grands travaux : la construction des digues de Socoa, de Sainte-Barbe et de l’Artha qui, depuis le début du XXe siècle, ferment la rade et façonnent désormais le paysage luzien.

En route vers les Pyrénées

« La route monte et descend en tournoyant sur de hautes collines qui marquent le voisinage des Pyrénées. A chaque tournant la mer reparaît, et c’est un spectacle singulier que cet horizon subitement abaissé, et ce triangle verdâtre qui va s’élargissant du côté du ciel. Deux ou trois villages s’allongent échelonnés de haut en bas sur la route. Les femmes sortent de leurs maisons blanches, en robe noire, avec un voile noir pour aller à la messe. Cette sombre couleur annonce l’Espagne. »

Vue 12. En route pour les Pyrénées, Gustave Doré, 3ème édition, page 47

Prochain épisode : on aborde les Pyrénées, enfin…

Christian Bernadat

Bibliographie

L'image du mois

L’image du mois #36 | Février

Les vacances scolaires approchent, nous pouvons nous promener en journée… et si on partait en randonnée ?

Le verbe « randonner » trouve ses racines au 13e siècle où randoner ou randonner signifiait « courir rapidement ». Il garde cette acception et glisse vers la vénerie du 16e au 18e siècle, ayant alors le sens de la course des chasseurs après une bête puis la course que fait cette bête chassée. Il faut attendre la fin 18e siècle pour que, par extension, le Dictionnaire de l’Académie française indique que « faire une longue randonnée » signifie « marcher longtemps ».

Cette activité prend un essor certain avec celui du voyage, comme le Grand Tour. Au 19e siècle, cette marche récréative gagne un intérêt croissant avec le développement du tourisme et en particulier de l’alpinisme comme sur cette vue.

Ici, nous sommes à Davos en Suisse en 1896 et bien loin de l’équipement pratique utilisé aujourd’hui ! Au-dessus d’un torrent, la traversée semble plutôt acrobatique !

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Collection Magendie, Mag1554

Davos, groupe de jeunes femmes enjambant un torrent

https://www.stereotheque.fr/result,4180-0

Non classé

The picture of the month #36 | February

The school holidays are approaching, we can walk during the day… what if we went hiking?

The verb "hike" has its roots in the 13th century when hiking or hiking meant "running fast". He keeps this meaning and slides towards the venerie from the 16th to the 18th century, having then the sense of the hunters' race after a beast and then the race that this hunted beast makes. It was not until the late 18th century that, by extension, the Dictionary of the Académie française stated that "to make a long hike" meant "to walk for a long time".

This activity takes off with that of travel, such as the Grand Tour. In the 19th century, this recreational walk gained increasing interest with the development of tourism and in particular mountaineering as on this view.

Here we are in Davos, Switzerland in 1896 and far from the practical equipment used today! Above a torrent, the crossing seems rather acrobatic!

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Magendie Collection, Mag1554

Davos, a group of young women spanning a torrent

https://www.stereotheque.fr/result,4180-0