Martigues, la « Venise provençale », un sujet de prédilection pour les peintres

Tous nos remerciements à Emmanuelle Achilli (Chargée des publics au service ville d’art et d’histoire de Martigues), à Maud Blasco (Responsable des Archives communales de Martigues), dont les précisions ont largement contribué à la localisation des vues stéréoscopiques et à l’identification des bâtiments, à Magali Gouiran, Conservatrice en chef du patrimoine, Responsable du Service Ville d’art & d’histoire à la Direction culturelle de Martigues, ainsi qu’à Lucienne Del’Furia, Conservateur en chef, Directrice du Musée Ziem.

Cliquez sur chaque vue stéréoscopique : vous aboutissez sur la Stéréothèque. Là, en cliquant sur l’icône violette en bas à droite de la vue, vous aurez un montage anaglyphe (qui permet de voir le relief) ; et c’est encore mieux si l’on dispose de lunettes bicolores !

 

Le canal Saint-Sébastien et le quai Brescon, à l’intérieur de l’Île, site dit le « miroir aux oiseaux », Collection Gaye CG088 (1890-1914)

En ce mois de janvier, traditionnel mois de frimas, rêvons un peu de soleil avec un petit détour du côté d’un site magique de la Provence côtière : le vieux Martigues.

L’Île et le "miroir aux oiseaux", cœur du vieux Martigues 

Martigues, dans les Bouches du Rhône, est établie en bordure de l’étang de Berre, sur la voie d’eau canalisée que l’on désigne comme canal de Marseille au Rhône, ou canal de Caronte. Au débouché de l’étang de Berre, en direction de Port-de-Bouc et du golfe de Fos, ce canal se dédouble, enserrant l’Île qui forme la vieille ville de Martigues : la branche nord prend le nom de canal de Baussengue et la branche sud, celui de canal Galiffet. Au centre de l’Île, un canal secondaire, le canal Saint-Sébastien, traverse le centre historique en formant un coude. Cette courbe liquide, bordée de maisons colorées qui abrita pendant longtemps des barques de pêche le long des quais (concurrencées aujourd’hui par les bateaux de plaisance), a reçu le joli surnom de « miroir aux oiseaux ».

Sans conteste, cet environnement et ces trois canaux font penser à Venise (et même encore davantage à Burano). C’est donc légitimement que la petite cité provençale a souvent été baptisée la « Venise provençale ». C’est sous cette appellation qu’elle fut célébrée avec emphase en 1934 par Henri Allibert et René Sarvil dans une chanson de l’opérette Arènes joyeuses, sur une musique de Vincent Scotto.

Avec le soleil, les reflets dans l’eau, les barques, les façades colorées, cet endroit magique alliait aussi tous les ingrédients pour fasciner de nombreux peintres depuis plus d’un siècle.

Ainsi, notamment Raoul Dufy (1877-1953), découvre Martigues en 1903. Après avoir participé au Salon des Indépendants à Paris, pour son premier séjour méridional, il vient à Martigues (1903-1904) où il peint un grand nombre de toiles, probablement encouragé par Francis Picabia, grand admirateur de Félix Ziem (1821-1911), la notoriété de ce dernier ayant attiré en ce lieu de nombreux peintres dès les années 1880.

Cependant l’aspect contemporain de ce site est en fait le résultat de grands travaux de réaménagement qui ont commencé sous le Second Empire pour se terminer en 1929. En particulier, à partir de 1922, une grande partie de l’Île, autour du canal Saint-Sébastien, a été profondément remaniée, tandis qu’une île qui encombrait le centre du canal Galiffet, le « Plan Meyran », a été supprimée. L’extrait du cadastre napoléonien présenté plus bas permet de se rendre compte de l’état du site avant ces réaménagements.

Les 16 vues de Martigues conservées dans la collection Gaye de la Stéréothèque (dont au moins une douzaine sur le centre historique lui-même), constituent donc un remarquable reportage, réalisé au cours de la période 1880-1920, de l’état de ce cœur historique avant ces grands travaux : ces vues stéréoscopiques sont, pour un certain nombre d’entre elles, le témoin d’un passé révolu.

Laissons-nous guider par une sélection de ces photographies, avec, en regard, une correspondance avec un tableau d’artiste, de préférence contemporain des sites fixés par les vues stéréoscopiques.

La vue en Une qui ouvre cette rubrique présente le cœur emblématique de Martigues, poétiquement baptisé le « miroir aux oiseaux ». Elle est vraisemblablement prise depuis l’ancien plan Meyran, aujourd’hui détruit (voir plus loin vues CG094 et CG105), en direction du quai d’en face, au débouché du canal Saint-Sébastien. On y voit l’angle formé par ce canal et le quai Brescon amorçant un coude vers la gauche. C’est à cet endroit que l’on a donné le nom de « miroir aux oiseaux ». Avec l’alignement des maisons de pêcheurs colorées de dimensions irrégulières et les barques qui se reflètent dans l’eau, ce site est classé depuis 1942 : il a fasciné de nombreux peintres de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe et fut un de leurs sujets de prédilection.

Ci-dessous, deux huiles sur toile illustrent ce lieu si prisé des peintres. L’une de 1907, l’autre bien plus récente (1997).

Vue 1 – Henri Léopold Gaulet, Le Miroir aux Oiseaux, huile sur toile, 1913, 72,5 x 90 cm, n° Inv. MZP 2017.3.1, Musée Ziem, Martigues
Vue 2 – Jean-Noël Le Junter, Le Miroir aux oiseaux, 1997. (Œuvre présentée à la Biennale de Fos-sur-Mer, Collection particulière)

Avec leurs barques et leurs maisons colorées, ces tableaux témoignent du caractère intemporel du canal Saint-Sébastien, sur un angle de vue à peine plus rapproché que notre photo.

Le quai Brescon

Le canal Saint-Sébastien et le quai Brescon, en direction du canal Galiffet, lieu dit le « miroir aux oiseaux », Collection Gaye, CG093 (1890-1914)

Le quai Brescon a la particularité de suivre le canal Saint-Sébastien à l’intérieur de l’île, avant de longer le bord de l’île le long du canal Galiffet. Nous avons ici la même rive que sur la photo précédente, mais vue du point de vue opposé, le photographe tournant le dos à l’angle intérieur du canal. Le canal Saint-Sébastien s’ouvre sur le canal Galiffet que l’on n’aperçoit pas ici, compte tenu de l’angle de vue retenu par le photographe. Au premier plan, nous avons certainement une barque de pêcheur, tandis que, sur la gauche, le long du quai Brescon, sont amarrées de nombreuses tartanes, avec leur mât caractéristique en diagonale, dit « à corne ».

Vue 3 – Anonyme, Martigues, le Brescon, huile sur toile, XIXe siècle, 25 x 35 cm, n° Inv. ZP 13, Musée Ziem, Martigues, Cliché Gérard Dufrêne

Le Miroir aux Oiseaux et l'église Sainte-Marie-Madeleine de l'Île

Vue sur l’hôtel Colla de Pradine et l’église Sainte-Marie-Madeleine de l’Île, Collection Gaye, CG112 (1890-1914)

Restons au centre de l’Île : en nous retournant quasiment de 180 degrés, surplombant le «miroir aux oiseaux», nous apercevons Sainte-Marie-Madeleine, l’église paroissiale de l’Île, dont le clocher est surmonté d’un campanile en fer forgé, à la mode provençale.

Sur la vue ci-dessus, le bâtiment de gauche est, au moment de la prise de vue, la mairie de la commune : c’est l’ancien hôtel particulier Colla de Pradine, achevé en 1678  ; il hébergea aussi le premier musée Ziem de 1910 à 1939.

Le tableau ci-dessous, une huile du peintre A.G. Levert, certainement de la première moitié du XXe siècle, s’inspire d’un tableau de Charles Henri Verbrugghes (1877-1974), peintre belge post-impressionniste, qui appréciait les séjours en Provence et sur la Côte d’Azur. Il a choisi ici le célèbre « miroir aux oiseaux », selon un angle de vue qui englobe l’église Sainte-Marie-Madeleine.

Vue 4 – A. G. Levert, le quai Brescon, « le miroir aux oiseaux », XXe siècle (Collection particulière)

Rapprochons-nous de la façade de l’église. De style baroque, elle fut construite entre 1681 et 1688. Elle abrite des peintures murales, des tableaux à l’huile sur toile, des peintures sur boiseries au plafond, ainsi qu’un bel orgue du XIXe siècle. Sa façade est richement sculptée (chapiteaux et colonnes de style corinthien, fronton brisé baroque).

Portail de l’église Sainte-Marie-Madeleine de l’Île, Collection Gaye CG113 (1890-1914)

 

 

Vue 5 – Mario Ameglio, Portail de l’église de la Madeleine, XXe siècle, huile sur toile, 73 x 54 cm, n° Inv. MZP 2020.6.1, Musée Ziem, Martigues

L'église Saint-Genes de Jonquières

L’église Saint-Genest de Jonquières et le pont du Roi, Collection Gaye, CG091 (1890-1914)

Traversons maintenant le canal Galiffet par le pont du Roi. Nous parvenons sur l’île de Jonquières devant Saint-Genest, une église de style classique assez sobre, comportant quelques éléments baroques en façade, construite en 1625.

La vue est sans doute prise du quai Brescon. Le pont du Roi, qui reliait le quartier de Jonquières à l’Île, est démoli en 1924, laissant la place à un autre pont mobile qui sera inauguré en 1929, enjambant le nouveau canal de navigation de Fos à l’étang de Berre, plus loin sur le chenal de Caronte.

Le peintre du tableau ci-dessous a choisi le même angle de vue que la photo stéréoscopique, mais en prenant davantage de recul.

Vue 6 – Anonyme, Martigues, vue de l’église de Jonquières au crépuscule, XXe siècle, huile sur papier, 20 x 24 cm, n° Inv. AR 896, Musée Ziem, Martigues

Le " Plan Meyran " et l'ancienne prud'homie de pêche

Martigues, vue sur le canal Galiffet et l’ancienne prud’homie de pêche, Collection Gaye, CG094 (1890-1914)

Pour prendre cette vue, le photographe a cheminé un peu vers l’ouest le long du quai de Jonquières (alors appelé quai Sainte-Catherine), sur le canal Galiffet. En orientant son objectif vers l’Île de Martigues, le photographe a ici la vue barrée par la petite île qui a disparu lors des travaux de 1922-1929.

Jusqu’en 1922 en effet, le centre du canal Galiffet était occupé par le « Plan Meyran », un îlot, entre le quartier de Jonquières et la partie sud de l’Île de Martigues. Il portait le bâtiment de la prud’homie de pêche, institution destinée à statuer spécifiquement sur les conflits relatifs à la pêche sur les plans d’eau environnants par des représentants de la corporation des pêcheurs eux-mêmes. Cet îlot et le bâtiment qu’il portait ont été démolis entre 1922 et 1929, au cours de grands travaux qui ont permis d’élargir le canal Galiffet et d’améliorer sa navigabilité.

Le long de la rive qui borde le Plan Meyran sont amarrées de nombreuses tartanes, embarcations que les Martégaux utilisaient pour transporter les produits locaux et toutes sortes d’approvisionnements, en pratiquant le cabotage sur ce réseau canalisé qui permettait à l’époque de relier le Rhône à Marseille.

Le bâtiment tout à gauche sur la photo est l’hôtel Colla de Pradines, successivement mairie de la commune de 1808 à 1983, puis tribunal d’instance jusqu’en 2018.

Vue 7 - Martigues, extrait du cadastre napoléonien (la flèche repère le plan Meyran et la prud’homie de pêche)

Un extrait du cadastre napoléonien permet de localiser le Plan Meyran et le bâtiment de la prud’homie (repérés par une flèche).

La vue ci-dessous nous montre le même site, mais sur la rive opposée du Plan Meyran, celle qui donnait vers l’Île centrale de Martigues, depuis sa pointe ouest : nous y voyons le bâtiment de la prud’homie et, en arrière-plan, le quai Brescon le long du canal Galiffet. On y aperçoit même, sur la droite, le pont du Roi.

Nous avons donc là, avec ces deux photos, d’intéressants témoignages d’un « moment historique » entièrement disparu aujourd’hui.

Le Plan Meyran et l’ancienne prud’homie de pêche, Collection Gaye CG105 (1890-1914)

Le peintre de la toile ci-dessous a retenu la même localisation, le canal situé entre l’Île et le Plan Meyran, qui s’appelait le Canal du Roy, son chevalet étant posé plus en arrière, et selon un angle davantage tourné vers le quartier de Jonquières, de sorte que l’on aperçoit clairement son église juste en arrière du bâtiment de la Prud’homie de pêche.

Vue 8 – Paul Aubin, Canal du Roy, 1904, huile sur toile, 110 x 170 cm, n° Inv. ZP 210, Musée ZIEM, Martigues, Cliché Gérard Dufrêne

Les Bourdigues

Vue sur les bourdigues depuis le quai de Jonquières, Collection Gaye CG106 (1890-1914)

Au premier plan, à gauche, le pied du photographe est posé sur le quai de Jonquières, au bord du quartier du même nom, au-delà du canal Galiffet, le long du chenal de Caronte, en direction de Port-de-Bouc. Quelques barques de pêche y sont amarrées, tandis que, sur la droite, en arrière-plan, se profile l’autre rive du chenal avec, sans doute, les collines de Ferrières.

Le long de cette autre rive, on aperçoit un alignement de piquets qui délimite certainement la partie navigable pour les bateaux à fort tirant d’eau, sur laquelle une tartane vient sous sa grande voile à corne vers le photographe. Mais, cet alignement de piquets délimite peut-être aussi, sur sa partie arrière, des enclos utilisés pour la pêche, appelés « bourdigues » : il s’agissait de pièges à poissons construits entre deux rangs de piquets ou de claies de roseaux, retenant un filet en forme d’entonnoir. Les pêcheurs qui pratiquaient cette pêche étaient appelés des bourdigaliers. Cette pratique, qui remontait au XIVe siècle, était en voie d’abandon total en ce début du XXe siècle.

Vue 9 – Anonyme, Le port de Martigues (détail), 1790, gouache sur papier, 37,5 x 62,8 cm, n° Inv. MZD 2008.1.1., Musée Ziem, Martigues, Cliché Gérard Dufrêne. (La flèche bleue montre une « bourdigue »)
Vue 9 bis - Schéma d’une bourdigue (ici installée entre deux levées de terre, les sèdes), par Francis Maunier (« Les Bourdigues de Martigues à la fin du XVIIIe siècle »)

Au-delà de la sélection ci-dessus, la Collection Gaye comprend encore 8 autres vues stéréoscopiques (CG089, CG090, CG092, CG095, CG110, CG111, CG114, CG187), pour l’essentiel des vues extérieures au cœur de Martigues : socle du pont de Ferrières au nord de l’Île, pont tournant sur le canal en allant vers Fos, quartier du Poteau, ou plus au nord, quartier de St-Pierre-des-Martigues. Mais ces lieux, beaucoup moins pittoresques, n’ont pas attiré les peintres…

Christian Bernadat

Bibliographie (cliquer sur les liens pour ouvrir les pages)

Vidéo Provence Azur : « Découvertes : Martigues »

Jean Bellis, Ports de France, 1860-1920, Marines Editions

Canal de Marseille au Rhône, Wikipédia

Martigues, Wikipédia

« Miroir aux oiseaux et canal St Sébastien », Martigues Tourisme

Hôtel Colla de Pradines, Martigues Tourisme

« L’île perdue : Le Plan de Meyran », Ville de Martigues

« Martigues acquiert une nouvelle toile de Raoul Dufy », Maritima

« Dufy : de Martigues à Lestaques au musée Ziem à Martigues »,Et revenant de l’expo

Port de Martigues par Levert, Antiquités en France

Martigues, le quai Ste Catherine, Collection JFM

« Jean Noël Junter : Martigues, le miroir aux oiseaux », Singulart

Les bourdigues de Martigues à la fin du XVIIIe siècle par Francis Maunier

Le Voyage aux Pyrénées selon Hippolyte Taine en 1855-1860

Premier épisode : de Royan à Bordeaux

Les Voyageurs, vers 1855-1864, Collection Dupin, DUP0319

Autour de 1830, une frénésie de voyage s’empare des européens. Il s’agit de découvrir le vaste monde, mais aussi de rentrer au contact de la nature dans ce qu’elle a de plus singulier. Les Pyrénées, avec leurs sommets, leurs ours et leurs mystères, s’inscrivent parfaitement dans cette singularité romantique. C’est aussi au dix-neuvième siècle que l’époque «des eaux» bat son plein. Les médecins vous y envoient avec régularité et persévérance. Les vieux aristocrates surannés y côtoient les bourgeois fatigués. Sous l’œil acerbe de l’écrivain, un berger passe dans des ruissellements de laine et de lumière. Que fait un écrivain en voyage ? Il écrit. Il écrit des textes sur cette nature qui le fascine, sur cette société qui l’ennuie, sur ces bergers qu’il admire ou qu’il méprise…

C’est ainsi que, parmi les plus connus de nos auteurs français, Georges Sand (dès 1825), Eugène Viollet-le-Duc (en 1833), Prosper Mérimée (en 1835), Stendhal (en 1838), Gustave Flaubert (en 1840), Victor Hugo (en été 1843), s’y succèdent.

Hippolyte Taine est un des plus tardifs à réaliser ce voyage, en 1855, justement pour suivre une cure médicale. Il n’a que 27 ans et prend à cette occasion une sorte de « congé sabbatique » après un parcours personnel assez chaotique (échec à l’agrégation de philosophie en 1851, enseignant dans plusieurs collèges de Province, refus d’une mutation à Besançon et retour à Paris où il s’inscrit à l’École de médecine).

Hippolyte Taine (Wikipedia)
Voyage aux Pyrénées de Taine, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 3

Le récit de son Voyage aux Pyrénées est publié en 1858. C’est un des plus tardifs mais aussi un de ceux qui eurent, à son époque, le plus de retentissement.

Sur ce thème, nous vous proposons de publier à intervalle régulier une illustration de son récit au moyen de vues sélectionnées au sein des collections de la Stéréothèque, par épisodes successifs, en suivant les étapes de son voyage, à la manière d’un feuilleton.

Comme beaucoup de ses prédécesseurs, Taine commence son récit de voyage sur la Gironde et à Bordeaux : surprenant effet d’un prisme déformant de « parisien », qui voit le « pittoresque », « l’exotisme » ou le parfum de l’aventure dès le franchissement de la Gironde. ! Nous allons suivre, en tout cas, le parcours de notre voyageur pas à pas.

Le récit de Taine commence, curieusement, par une « descente » de la Gironde, vraisemblablement sur un navire à voiles : « Le fleuve est si beau, écrit-il, qu’avant d’aller à Bayonne, je suis descendu jusqu’à Royan. ». On comprend en fin de chapitre que son voyage a commencé à Bordeaux où il est parvenu certainement depuis Paris : c’est possible en chemin de fer à partir de 1852. Là, il a pris le parti de remonter l’embouchure jusqu’à Royan, avant de reprendre le cours de son voyage vers les Pyrénées.

Détendu et empli de curiosité, il se lance dans des évocations romantiques, sur un ton presque Balzacien ou Stendhalien, bien dans l’époque.

Voiliers sur la Gironde, carte postale

« Des navires chargés de voiles blanches remontent lentement des deux côtés du bateau. À chaque coup de la brise, ils se penchent, comme des oiseaux paresseux, levant leur longue aile, et montrant leur ventre noir… »

Sur la Gironde, collection SAB, SAB211

« Les rives, bordées de verdure pâle, glissent à droite et à gauche, bien loin, au bord du ciel : le fleuve est large comme une mer ; à cette distance, on croirait voir deux haies ; les arbres indistincts, dressent leur taille fine dans une robe de gaze bleuâtre… »

Pins en lisières de dune, Collection SAB, SAB212

« Çà et là de grands pins lèvent leurs parasols sur l’horizon vaporeux, où tout se confond et s’efface… »

Sur la Gironde, Collection SAB, SAB261

« Tout à l’heure un nuage a couvert le ciel, et le vent s’est levé. Le fleuve a pris à l’instant l’aspect d’un animal sournois et sauvage. Il se creusait, et l’on voyait son ventre livide ; il arrivait contre la carène avec des soubresauts convulsifs… »

Après le coucher du soleil sur la Gironde, illustration de Gustave Doré, 3e édition, page 8

« Puis tout s’est apaisé ; le soleil s’est dégagé ; les flots se sont aplanis, on n’a plus vu qu’une nappe riante ; sur ce dos poli trainaient et jouaient follement mille tresses verdâtres ; la lumière s’y posait, comme un manteau diaphane ; elle suivait les mouvements souples et les enroulements de ces bas liquides ; elle ployait autour d’eux, derrière eux, sa robe azurée, rayonnante ; elle prenait leurs caprices et leurs couleurs mobiles… ».

Le port de pêche de Royan (1855-1899), Collection Magendie, MAG1149

Enfin, «  Le bateau s’amarre à une estacade, sous un amas de maisons blanches : c’est Royan…. »

Dans les pins autour de Royan (1855-1899), Collection SAB, SAB291

« La droite du village est noyée sous un amas de sable ; là sont des collines croulantes, de petites vallées mornes, où l’on est perdu comme dans un désert ; nul bruit, nul mouvement, nulle vie ; de pauvres herbes sans feuilles parsèment le sol mouvant, et leurs filaments tombent comme des cheveux malades ; de petits coquillages blancs et vides s’y collent en chapelets, et craquent avec un grésillement, partout où le pied se pose ; ce lieu est l’ossuaire de quelque misérable tribu maritime. Un seul arbre peut y vivre, le pin, être sauvage, habitant des rochers et des côtes infécondes ; ils se serrent fraternellement, et couvrent le sable de leurs lamelles brunes ; la brise monotone qui les traverse, éveille éternellement leur murmure… »

Le phare de Cordouan (1855-1899), Collection Wiedemann, WIE139

« Le soir est tombé ; les teintes de pourpre brunissent et s’effacent. Le fleuve se couche dans l’ombre molle et vague ; à peine si de loin en loin un reste de lueur part d’un flot oblique ; l’obscurité noie tout de sa poussière vaporeuse ; l’œil assoupi cherche en vain dans ce brouillard quelque point visible, et distingue enfin comme une faible étoile le phare de Cordouan. »

La rade de Bordeaux vue depuis la tour Saint-Michel, telle que Taine l’a vue (1855-1860), Collection Calvelo, CAL0176

« Le lendemain soir, une fraîche brise maritime nous a ramenés à Bordeaux. L’énorme ville entasse le long du fleuve ainsi que des bastions ses maisons monumentales ; le ciel rouge est crénelé par leur bordure. Elles d’un côté, le pont de l’autre, protègent d’une double ligne le port où s’entassent les vaisseaux comme une couvée de mouettes ; ces gracieuses carènes, ces mâts effilés, ces voiles gonflées ou flottantes, entrelacent le labyrinthe de leurs mouvements et de leurs formes sur la magnifique pourpre du couchant. Le soleil s’enfonce au milieu du fleuve qu’il embrasse ; les agrès noirs, les coques rondes, font saillie dans un incendie, et ressemblent à des bijoux de jais montés en or. »

À suivre…

Christian Bernadat

Bibliographie :

Voyage aux Pyrénées

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippolyte_Taine

Voyage_aux_Pyrénées_(3e_édition)_[…]Taine_Hippolyte-Adolphe_bpt6k103134v.pdf (Gallica)

 

L’image du mois #34 | Décembre

Ce mois-ci, l’image du mois fait partie du calendrier de l’Avent que nous avons mis en place !

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Série Photographie et recherches stéréoscopiques et série Voyages

Venise, vue sur le canal, 1901, collection Duclot, white_1775

 

Aujourd’hui, nous vous faisons voyager à Venise en 1901, mais pas seulement pour la beauté du lieu.

Le 8 décembre est également la journée mondiale du climat. Aussi, afin d’évoquer l’impact du réchauffement climatique sur les espaces naturels et les sites, Venise est un très bon exemple.

La Cité des Doges se trouve être gravement menacée par l’impact de l’activité humaine. La montée des eaux, due à la fonte des banquises, amplifie un problème d’inondation déjà existant mais de plus en plus fréquent (les acque alte, marées hautes).

En outre, le tourisme de masse a entrainé de nombreuses conséquences néfastes qui amplifie ces phénomènes, en commençant par la pollution (des sols, de l’eau, de l’air, sonore, lumineuse, due aux hydrocarbures, etc.). Nous l’avons tous vu lors du confinement italien du printemps, une fois la ville vidée de l’activité humaine, la nature reprend ses droits.

La cité a toujours été un haut lieu culturel et touristique. Le développement d’un tourisme plus important s’est joué à partir du 19e siècle, comme nous l’a montré Christian Bernadat dans son article sur Venise à la Une du mois de mars, réalisé à partir de nos fonds : https://imagestereoscopiques.com/a-venise-au-cours-de-la-seconde-moitie-du-xixe-siecle/

Collection Duclot

 

Bibliographie :

https://www.geo.fr/voyage/ces-sites-que-nous-ne-pourrons-surement-plus-visiter-en-2100-198718

The picture of the month #34 | December

This month, the image of the month is part of the Advent calendar that we have set up!

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Photography and Stereoscopic Research Series and Travel Series

Venice, canal view, 1901, Duclot collection, white_1775

Today we make you travel to Venice in 1901, but not only for the beauty of the place.

December 8 is also World Climate Day. Also, in order to evoke the impact of global warming on natural spaces and sites, Venice is a very good example.

The City of the Doges happens to be seriously threatened by the impact of human activity. The rise of the waters, due to the melting of the pack ice, amplifies a flood problem already existing but more and more frequent (the acque alte,high tides).

In addition, mass tourism has led to many harmful consequences that amplify these phenomena, starting with pollution (soil, water, air, sound, light, due to hydrocarbons, etc.). We all saw it during the Italian lockdown of spring, once the city was emptied of human activity, nature regains its rights.

The city has always been a cultural and tourist mecca. The development of a more important tourism was played out from the 19th century, as Christian Bernadat showed us in his article on Venice on the front page of March, made from our funds: https://imagestereoscopiques.com/a-venise-au-cours-de-la-seconde-moitie-du-xixe-siecle/

Collection Duclot

Bibliography:

https://www.geo.fr/voyage/ces-sites-que-nous-ne-pourrons-surement-plus-visiter-en-2100-198718

Etretat en 1860

Vue sur la plage et les falaises d’amont, Collection Calvelo, CAL327

La Stéréothèque a intégré récemment, au sein de la collection Calvelo, une remarquable série de vues intitulée « La Normandie artistique ». Cette série a été réalisée par deux cousins, Charles-Paul Furne (1824 – 1875) et Henri-Alexis-Omer Tournier (1835 – 1885), l’un photographe et l’autre éditeur. Entre 1857 et 1864, ils produisent près de 40 séries de vues stéréoscopiques. Considérés aujourd’hui comme deux des principaux producteurs et éditeurs français de cartes stéréoscopiques pendant l’âge d’or de la technique, ils ont produit et édité près de 7 000 photographies. Pour accomplir cette œuvre, les deux associés procèdent par grands voyages stéréoscopiques : celui qu’ils réalisent en Normandie se déroule d’avril à septembre 1859.

Au sein de cet ensemble, nous avons la chance de disposer d’une série complète de 11 vues concernant Étretat.

Au XIXe siècle, et encore en 1859, Étretat est un village de pêcheur toujours très actif. Il y compte entre vingt-cinq et trente bateaux de pêche, et donc autant de patrons pêcheurs. C’est d’abord cette vie traditionnelle que la série touristique nous donne à voir.

Pêcheurs et leurs femmes préparant leurs filets sur la plage et barques de pêche, Collection Calvelo, CAL324

Mais, en cette seconde moitié du XIXe siècle, la pêche évolue : de la haute mer, les pêcheurs se tournent vers la pêche côtière, au hareng à la fin de l’automne et au maquereau durant les trois mois d’été, remontant, pour cela jusqu’au large de Dieppe. Le village abrite 250 à 300 marins, car les embarcations nécessitent un équipage. Les familles ont au moins trois enfants, souvent davantage. Pour une population d’alors de 1 600 habitants, on comprend que la commune vit essentiellement de la pêche.

Sur la plage, un pêcheur montre à un visiteur (l’éditeur, M. Tournier ?) son filet devant des barques tirées sur la plage, Collection Calvelo, CAL325

Pour cette activité, les pêcheurs utilisent alors des « caïques » (localement aussi appelées « clinques »), construites à clins en coques robustes et hautes, conçues pour affronter les temps changeants de la Manche, souvent gréées en voiles trapézoïdales dites « au tiers » ou à « houari », tendues entre deux vergues horizontales comme ci-dessous.

Caïque ou clinque de pêche d’Étretat, Collection Calvelo, CAL0233. (Cette photo ne fait pas partie de la série « La Normandie touristique »)

Mais, ne disposant pas de port de pleine eau, les pêcheurs d’Étretat devaient remonter leurs barques sur la plage tous les soirs. Ils le faisaient au moyen de gros cabestans, des treuils horizontaux, manœuvrés en fin de journée à la force des bras, par plusieurs personnes, parfois par des femmes.

Cabestant pour remonter les embarcations, Collection Calvelo, CAL321

Sur la vue ci-dessus, au second plan, on aperçoit sur la gauche plusieurs barques démâtées hissées sur la plage, tandis que, au milieu de de l’image, une caïque sous voile rentre se mettre à l’abri. Et, en arrière-plan, on reconnaît l’emblématique falaise d’aval, avec, tout à droite, l’Aiguille creuse, qui sera rendue célèbre une cinquantaine d’années plus tard par Maurice Leblanc et son fameux Arsène Lupin.

Les pêcheurs ont aussi besoin d’abris pour leur matériel. Pour cela, ils transforment d’anciennes barques désarmées en les couvrant d’un toit de chaume et en ouvrant une porte au centre de la coque : ils les nomment alors « caloges ».

Vue prise entre deux caloges (à gauche et à droite), Collection Calvelo, CAL322
Photo 1 : Caloge sur la plage d’Etretat vers 1900. Les pêcheurs sont en train de ravauder leurs filets. (Carte postale)

Deux « caloges », restaurées ou reconstruites, demeurent aujourd’hui les seuls témoignages de ce que fut la pêche traditionnelle à cette époque : elles sont reconverties en buvettes ou restaurant de plage.

Photo 2 : Les caloges d’Etretat, aujourd’hui transformées en restaurants de plage (Photo Le Courrier Cauchois)

Mais, en 1859, si nos éditeurs photographiques s’intéressent à Étretat, c’est que la commune est en train de devenir une destination à la mode.

À vrai dire, l’intérêt de la bonne société, essentiellement parisienne, est plus ancien que la mode des bains de mer qui se généralise sous le Second Empire. C’est sous Louis-Philippe, alors même que le chemin de fer n’y conduit pas encore, que se manifeste le premier engouement pour ce port de pêcheur de la côte d’Albâtre, dont les falaises constituent évidemment un écrin particulièrement « pittoresque », comme l’on dit alors.

Vue 3 : La plage avec ses nombreuses caïques et la falaise d’amont vers 1865. (Lithographie de Léon-Auguste Asselineau – Musée Canel, Pont-Audemer)

Les parisiens aisés commencent à s’intéresser à Étretat en 1836, après qu’un auteur, Alphonse Karr, eut publié un roman qui va rendre la ville célèbre, Histoire de Romain d’Etretat. Dans les années 1840, on construit ensuite une route du Havre à Fécamp. On établit alors des liaisons régulières en omnibus à chevaux depuis la gare du Havre, ouverte en 1847 et celle de Fécamp ouverte en 1856, les voyageurs ayant pris le train à la gare Saint-Lazare à Paris. Aussitôt, la ville devient une destination à la mode.

Sous Napoléon III, l’intérêt pour cet endroit s’intensifie. Le Duc de Morny, le Comte d’Escherny et Lecomte de Nouÿ lancent un projet de station balnéaire dont les premiers investisseurs sont des musiciens de l’Opéra de Paris. On commence alors à bâtir des villas de style balnéaire, à un rythme de plus en plus soutenu.

On reconstruit également le village, qui avait été fortement éprouvé par cinq fois au début du siècle par suite d’orages diluviens et de fortes marées ayant provoqué des submersions : les maisons sont progressivement reconstruites, comme les villas, en silex taillés et briques.

Panorama en direction de la mer depuis la ville, déjà bien transformée en cette année 1859, Collection Calvelo, CAL331

M. Nanteuil est, semble-t-il, un des premiers à se faire construire un chalet sur le haut de la ville du côté de la falaise d’aval. Cette villa existe toujours, sous le même nom, « Chalet Nanteuil » ! On la trouve sur certains annuaires, rue du Docteur Miramont, une rue qui monte sur le haut de la falaise, juste en surplomb de la ville.

La plage d’Etretat, dominée par le chalet de M. Nanteuil, Collection Calvelo, CAL326

Dès 1852, une Société des Bains de mer d’Étretat y ouvre un casino de planches et d’ardoises. Hyppolite de Villemessant, le directeur du Figaro, attire sur le site balnéaire Jacques Offenbach, son ami. On joue donc l’Orphée aux Enfers du compositeur dans ce premier casino.

Vue 4 : La plage et la falaise d’aval. Sur la gauche, le premier casino, l’Etablissement des Bains, en bois. On y voit aussi la villa de M. Nanteuil sur la falaise. (Lithographie de Léon-Auguste Asselineau – Musée Canel, Pont-Audemer)

Sur la vue ci-dessus, les caloges sont toujours là, mais également les premières tentes de plage. Notons (comme on le voit aussi sur la vue 3 précédemment) que la plage a désormais été divisée en deux parties : les tentes de bain devant le casino et les barques de pêche au plus près de la falaise.

Offenbach fait de cet endroit son lieu de villégiature. Il y fait construire sa villa dans un premier style balnéaire, comme un grand nombre de chanteurs, de compositeurs, de danseurs et de librettistes parisiens.

Panorama sur la ville et la falaise depuis la villa de M. Offenbach au premier plan, Collection Calvelo, CAL330

Offenbach baptise sa villa Orphée, pour célébrer son opéra à succès. Mais, cette maison ne dure pas longtemps : le 3 août 1861, alors qu’il y séjourne avec des amis, un incendie se déclare et la villa brûle entièrement. Le compositeur fera aussitôt reconstruire une maison beaucoup plus vaste, celle que l’on peut voir aujourd’hui et qui participe au festival Offenbach que la commune donne tous les ans.

Photo 5 : La seconde villa d’Offenbach à Étretat (Photo : Festival Offenbach d’Étretat).

Enfin, en 1861, un Manuel de voyage Murray décrit pour les touristes anglais la villégiature dans la nouvelle cité balnéaire, des fiacres permettant de rejoindre la ville balnéaire et ses premiers hôtels depuis Fécamp, où l’on arrive par le train.

Pendant cette période, la population de pêcheurs coexiste avec la bourgeoisie fortunée de Paris (ou quelques britanniques). Cette cohabitation se passe plutôt bien, car les fils des pêcheurs louent leurs services comme domestiques, jardiniers ou cochers, tandis que les épouses offrent aux nouveaux résidents leurs services comme cuisinières, femmes de chambre ou lavandières.

Lavandières d’Étretat utilisant des « lavoirs d’eau douce » sur la plage à mer basse. Collection Calvelo, CAL323

C’est l’explication de la vue ci-dessus : on dirait que toute la gent féminine d’Étretat lave le linge ! Scène étonnante sur la plage de galets : « Lavoir d’eau douce à mer basse » dit la légende. Comment est-ce possible ? L’explication est inattendue : une rivière souterraine traverse le sol d’Étretat et réapparaît en surface sous les galets à basse mer ! Ces flaques d’eau douce qui affleurent sur la plage forment des lavoirs naturels dans lesquelles on vient laver le linge (ou au moins le rincer ?) à marée basse.

Au Moyen Âge, cette rivière traversait le village en surface, descendant de la vallée dite du Grand Val qui débouche sur le site d’Étretat. Mais, au fil des années, la nappe phréatique s’est abaissée, rendant le cours d’eau souterrain. Au XVIIIe siècle, le cours d’eau, déjà souterrain, donnait des résurgences plus abondantes qu’elles ne le deviendront au XIXe : sous le règne de Louis XVI, on affinait ici des huîtres qui rejoignaient toutes les nuits Versailles, notamment à la demande de Marie-Antoinette qui en était friande à son petit déjeuner !

Christian Bernadat

L’image du mois #33 | Novembre

Ce mois-ci, nous vous amenons en voyage dans les Pyrénées, à travers la série éditée en 1858 par Furne & Tournier, considérés aujourd’hui comme faisant partie des principaux producteurs et éditeurs français de cartes stéréoscopiques pendant l’âge d’or de la technique.  Ces deux cousins ont réalisé, en effet, près de 40 séries de vues stéréoscopiques entre 1857 et 1864 (soit environ 7000 photographies !).

Bagnères-de-Luchon, vue sur le lac d’Oô, 1858, collection Médiathèque intercommunale Pau-Pyrénées

72 photographies composent la série Voyage dans les Pyrénées déposée en novembre 1858 auprès du ministère de l’Intérieur pour autorisation (voir notre page Dépôt légal). C’est pourquoi, nous vous la présentons ce mois-ci !

Pendant leur périple, Charles-Paul Furne et Henri Tournier réalisent  26 photographies de Luchon et ses environs,  3 clichés du petit village de Cierp, une vue générale de Saint-Bertrand-de-Comminges, 18 vues de Bagnères-de-Bigorre, une photographie de l’église de Pierrefitte, deux vues de Barèges, dix clichés de Luz-Saint-Sauveur, deux vues d’Argelès et ses environs, deux photographies de Lourdes, trois de Bétharam, un cliché du vieux pont d’Orthez et enfin deux photographies du château de Pau.

Les vues de paysage ont en commun une mise en scène confrontant l’homme à l’immensité des paysages et à la nature encore sauvage, ainsi que de donner une idée de l’échelle. C’est le cas pour cette vue.

Chaussez vite vos lunettes bicolores pour profiter de la vue en relief !

 » Le Voyage dans les Pyrénées s’adresse à l’artiste et à l’homme du monde qui pour charmer ses ennuis autant que se guérir, a passé la saison d’été aux sources bienfaisantes de la montagne. Voici le lac Bleu, la cascade d’enfer, le pic du Midi, le cirque de Gavarni, mondains pèlerinages où l’on se rendait en joyeuse partie de plaisir ; et, pour rendre l’illusion complète, les guides eux-mêmes et les muletiers espagnols rencontrés au faîte de l’ascension. « 

H. de Nielles, Journal La photographie 30 novembre 1858.

En outre, cette vue stéréoscopique provient du fonds de la médiathèque de Pau-Pyrénées avec qui nous avions collaboré il y a quelques années pour créer une exposition virtuelle sur les Pyrénées en 3D, à retrouver ici en cliquant sur l’image suivante :

Quand Victor Hugo fait étape à Bordeaux : impressions contrastées sur son séjour

Victor Hugo et sa famile, collection Calvelo, CAL0066

La Stéréothèque ne comporte pas, bien sûr, de photo du grand auteur lors de son passage à Bordeaux ! Mais elle détient celle-ci, de Victor Hugo en famille à Jersey vers 1853-1855 : évidemment, on n’y voit pas Juliette Drouet !

En 1843, Victor Hugo entreprend un « Voyage aux Pyrénées », comme on disait alors, en compagnie de Juliette Drouet. En juillet, il fait étape à Bordeaux et couche dans ses notes (publiées après son décès) ses impressions, fortement marquées de sa sensibilité historique.

Victor Hugo et Juliette Drouet. Montage.

Enfant, il traversa déjà la ville en 1811 à l’âge de neuf ans pour aller rejoindre son père en Espagne. Plus tard, en 1871, il s’y installa avec le gouvernement en exil. En son honneur, la ville rebaptisa le Cours des Fossés, Cours Victor Hugo, à la toute fin du XIXe siècle.

Notre auteur, qui s’illustra notamment en attirant merveilleusement l’attention sur le délabrement de Notre-Dame de Paris, est un vif partisan de la remise en état des bâtiments anciens dans le respect de leur histoire et de celle de leur architecture. Il s’oppose donc à ceux qui veulent faire table rase du passé en ne conservant que certains bâtiments emblématiques.

C’est exactement ce qui transparaît de ses notes prises sur le vif lors de ces quelques journées de passage : alors même que la ville laisse encore entrevoir les témoins d’un passé très ancien, il s’insurge contre les projets de démolition des vieux quartiers auxquels on commence déjà à songer : vingt ans avant les grands travaux de type haussmannien que connaîtra la ville, ses écrits sont à ce propos prémonitoires !  

La maison du chaudronnier Chauliac, un exemple de ce qu’Hugo peut encore voir en 1843. Gouache de Pierre-Emile Bernède (Archives de Bordeaux Métropole)

Ces notes de voyage font ainsi un écho instructif à la commémoration de la sauvegarde du patrimoine du mois de septembre. Le grand homme y compare Bordeaux à Versailles et Anvers, mais peut-être pas dans le sens que l’on pourrait lui prêter au premier abord : il oppose la rectitude certes élégante de Versailles aux vieilles rues d’Anvers pleines du souvenir de leur passé populaire, exprimant, sur la ville girondine, un jugement très nuancé :

« On loue Bordeaux comme on loue la rue de Rivoli : régularité, symétrie, grandes façades blanches et toutes pareilles les unes aux autres, etc. ; ce qui pour l’homme de sens veut dire architecture insipide, ville ennuyeuse à voir. Or, pour Bordeaux, rien n’est moins exact. Bordeaux est une ville curieuse, originale, peut-être unique. »

C’est dans ce contexte qu’Hugo exprime cette formule devenue célèbre : « Prenez Versailles et mêlez-y Anvers, vous avez Bordeaux. »

« Il y a deux Bordeaux, le nouveau et l’ancien. Tout dans le Bordeaux moderne respire la grandeur comme à Versailles ; tout dans le vieux Bordeaux raconte l’histoire, comme à Anvers ».

De ce fait, il interpelle ainsi les Bordelais : « Que les Bordelais y prennent garde ! Versailles ne représente qu’un homme et un règne ; Anvers représente tout un peuple et plusieurs siècles. Maintenez donc l’équilibre entre les deux cités ; mettez le holà entre Anvers et Versailles ; embellissez la ville nouvelle ; conservez la ville ancienne. Vous avez eu une histoire, vous avez été une nation, souvenez-vous en, soyez en fiers ! »

Bordeaux, vue générale prise depuis la tour Saint-Michel (1860-1880), collection Magendie, MAG0687 – Cette vue est encore très peu différente de la ville qu’a traversé Hugo

« La double physionomie de Bordeaux est curieuse ; c’est le temps et le hasard qui l’ont faite ; ils ne faut point que les hommes la gâtent. On ne peut se dissimuler que la manie des rues « bien percées », comme on dit, et des constructions de « bon goût » gagne chaque jour du terrain et va effaçant du sol la vieille cité historique… Rien de plus funeste et de plus amoindrissant que les grandes démolitions. Qui démolit sa maison, démolit sa famille ; qui démolit sa ville, démolit sa patrie… C’est le vieil honneur qui est dans ces vieilles pierres… Toutes ces masures dédaignées sont des masures illustres ; elles parlent, elles ont une voix ; elles attestent ce que vos pères ont fait. »

Les photos de Bordeaux les plus anciennes conservées dans la Stéréothèque (collections Calvelo, Magendie, Vergnieux, SAB, Wiedemann) sont toutes plus récentes que le passage de Victor Hugo dans la cité girondine, mais certaines montrent encore les sites dans un état très proche de celui dans lequel notre écrivain national les a vus.

Leur confrontation avec ses notes sur les monuments qu’il a eu le temps d’entrevoir n’est pas sans intérêt et révèle aussi la grande culture historique de l’homme que l’on a honoré en donnant ici son nom à un cours de la ville.

Il dépeint d’abord Bordeaux à grands traits :

La porte Cailhau en 1862-1863, collection Vergnieux, RVX203

«  Cette charmante et délicate porte Caillau bâtie en mémoire de la bataille de Fornoue, cette autre belle porte de l’hôtel de ville qui laisse voir son beffroi si fièrement suspendu sous une arcade à jour, ces tronçons informes du lugubre fort du Hâ, ces vielles églises, Saint-André avec ses deux flèches,… »

L’église Saint-Seurin vers 1868-1903, collection Société Archéologique de Bordeaux, SAB477

« … Saint-Seurin dont les chanoines gourmands vendirent la ville de Langon pour douze lamproies par an, Sainte-Croix qui a été brûlée par les normands, Saint-Michel qui a été brûlée par le tonnerre, tout cet amas de vieux porches , de vieux pignons et de vieux toits, ces souvenirs qui sont des monuments, ces édifices qui sont des dates, seraient dignes, certes, de se mirer dans l’Escaut, comme ils se mirent dans la Gironde… »

Panorama de la rade vers 1855, collection Calvelo, CAL0176

« … Ajoutez à cela, mon ami, la magnifique Gironde encombrée de navires, un doux horizon des collines vertes, un beau ciel, un chaud soleil, et vous aimerez Bordeaux… »

Il fait ensuite « parler les pierres ».

Les ruines du Palais Gallien (classé en 1840) vers 1875, encore dans l’état où Victor Hugo l’a vu, collection Calvelo, CAL0178

« L’amphithéâtre Gallien dit : j’ai vu proclamer empereur Tetricus, gouverneur des Gaules ; j’ai vu naître Ausone, qui a été poète et consul romain ; j’ai vu saint Martin présider le premier concile, j’ai vu passer Abdérame, j’ai vu passer le Prince Noir. »

Le nom de Gallien s’explique par des monnaies à l’effigie de cet empereur, trouvées ici. C’est également le cas de Tetricus, pratiquement ignoré de l’Histoire de France, qui, après avoir été sénateur et gouverneur d’Aquitaine, se serait imposé comme Empereur des Gaules de 271 à 274.

Une statue érigée dans les rues de Béziers, localement dite « de Pépézuc », en serait l’unique représentation.

« Pépézuc » / Tétricus, sculpture installée dans le vieux Béziers (Photo Christian Bernadat)
L’abbatiale Sainte-Croix, vers 1862-1859, telle qu’Hugo a pu la voir, avant sa « restauration-reconstruction » par Abadie en 1860, collection Magendie, MAG0686

« Sainte-Croix dit : j’ai vu Louis le Jeune épouser Eléonore de Guyenne, Gaston de Foix épouser Madeleine de France, Louis XIII épouser Anne d’Autriche. »

Collection Wiedemann, WIE143

Ce que les Bordelais dénomment aujourd’hui la « Grosse Cloche » fut, comme l’indique Hugo, le beffroi de la mairie médiévale, ici prise entre 1865 et 1899, telle que notre écrivain a pu la voir.

« Le beffroi dit : c’est sous ma voûte qu’ont siégé Michel Montaigne qui fut maire, et Montesquieu qui fut président. »

Photo 3 – La porte Toscanan était, jusqu’en 1866, un des pans de l’ancienne enceinte que notre écrivain a pu apercevoir, ici aux environs de la cathédrale Saint-André. Gravure de Léo Drouyn – Coll. Bertreau.

« La vieille muraille dit : c’est par ma brèche qu’est entré le connétable de Montmorency »

« Est-ce que tout cela ne vaut pas une rue tirée au cordeau ? Tout cela, c’est le passé ; le passé, chose grande et féconde… »

Pont de pierre et vue sur la rade autour de 1860-1863, vue encore très proche de ce qu’elle devait être vingt années plus tôt, collection Magendie, MAG6477

« Le pont de Bordeaux est la coquetterie de la ville. Il y a toujours sur le pont quatre hommes occupés à rejointoyer le pavé et à fourbir le trottoir. »

La tour Pey Berland, « campanile » de la cathédrale Saint-André, vers 1863-1890, telle qu’Hugo a pu la voir, collection Magendie, MAG1154

« Les deux principales églises de bordeaux, Saint-André et Saint-Michel, ont au lieu de clochers, des campaniles isolés de l’édifice principal comme à Venise et à Pise….

Le campanile de Saint-André… est une assez belle tour dont la forme rappelle la tour du Beurre de Rouen et qu’on nomme le Peyberland, du nom de l’archevêque Pierre Berland, lequel vivait en 1480. » Il nous dit : « J’ai vu Charles VII et Catherine de Médicis. »

Et il poursuit ensuite sa visite davantage comme s’il rédigeait un guide de tourisme.

La cathédrale Saint-André en 1863 vue de son chevet, avant les grands travaux de dégagement de la place, donc telle qu’Hugo l’a vue, collection Magendie, MAG6173

« L’église, commencée au onzième siècle, comme l’attestent les piliers romans de la nef, a été laissée là pendant trois siècles, pour être reprise sous Charles VIII. La ravissante époque de Louis XII y a mis la dernière main et a construit, à l’extrémité opposée à l’abside, un porche exquis qui supporte les orgues… Le portail, quoique simplement latéral, est d’une grande beauté. »

Le portail latéral de Saint-André entre 1865 et 1886, collection Magendie, MAG0685

Victor Hugo s’attarde sur ce qui reste encore du cloître de Saint-André. Il s’érige en défenseur d’une remise en état des lieux, alors même que la description qu’il en fait peut contribuer à excuser le travail de place nette qu’en feront les démolisseurs vingt années plus tard !

« J’ai hâte de vous parler d’un vieux cloître en ruine qui accoste la cathédrale au midi et où je suis entré par hasard… De sombres galeries percées d’ogives à fenestrage flamboyant ; un treillis de bois sur ces ogives ; le cloître transformé en hangar, toutes les dalles dépavées, la poussière et les toiles d’araignées partout… et, sous [de] faux cénotaphes de bois et de toile peinte, de vrais tombeaux qu’on entrevoit avec leurs sévères statues trop bien couchées pour qu’elles puissent se relever et trop bien endormies pour qu’elles puissent se réveiller. N’est-ce pas scandaleux ?  Pitié pour les vivants, pitié pour les morts ! »

Peine perdue. La place Pey Berland sera entièrement dégagée et les ruines du cloître démolies en 1865, évènement immortalisé par Léo Drouyn. (Huile sur toile de 1872, Musée d’Aquitaine).

En conclusion, on reprendra un paragraphe de notre grand auteur, inséré plus haut dans son texte, déplorant le peu de cas que les Bordelais font, selon l’auteur, de leur patrimoine historique depuis plusieurs siècles, propos qui nuancent fortement l’enthousiasme que l’on prête volontiers à sa formule : « Prenez Versailles et mêlez-y Anvers, vous avez Bordeaux. »

« Quoi ! Auguste vous avait érigé le temple de Tutelle ; vous l’avez jeté bas. Gallien vous avait édifié l’amphithéâtre ; vous l’avez démantelé. Clovis vous avait donné le palais de l’Ombrière ; vous l’avez ruiné. Les rois d’Angleterre vous avaient construit une grande muraille du fossé des Tanneurs au fossé des Salinières ; vous l’avez arrachée de terre. Charles VII vous avait bâti le Château-Trompette, vous l’avez démoli. Vous déchirez l’une après l’autre toutes les pages de votre vieux livre, pour ne garder que la dernière ; vous chassez de votre ville et vous effacez de votre histoire Charles VII, les rois d’Angleterre, les ducs de Guienne, Clovis, Gallien et Auguste, et vous dressez une statue à M. Tourny ? C’est renverser quelque chose de bien grand pour élever quelque chose de bien petit. »

La première statue de Tourny, élevée en 1825, ici photographiée en 1862, telle qu’Hugo put voir. Il fait de notre intendant, premier grand urbaniste de la ville, le symbole de la destruction du patrimoine historique, collection Calvelo, CAL0137

Christian Bernadat

Sources :

Voyage aux Pyrénées de Victor Hugo sur Gallica

Tétricus Ier sur Wikipédia

Le Cours Victor Hugo sur Wikipédia

Portes et Tours de Bordeaux, Les Dossiers d’Aquitaine, Bordeaux, janvier 2014

L’image du mois #32 | Octobre

L’image du mois d’octobre est destinée à vous parler des recherches pour identifier nos fonds.

Une fois que les vues stéréoscopiques sont numérisées et intégrées à la Stéréothèque, nous les indexons : localisation, description du contenu, identification des éditeurs, etc.

Certains lots sont directement publiés pour l’indexation collaborative, où nous faisons appel à vous.

Parfois, des vues sont plus obscures que d’autres et nous ne parvenons pas à identifier le lieu, le monument, l’événement ou la date. Ce sont les « indéterminées » et nous en publions désormais une grande partie dans la rubrique À vous de jouer !

Liverpool, William Brown Library and Museum, entre 1860 et 1880, Collection Magendie, MAG1466

C’est le cas de celle-ci. Pour l’anecdote, cela fait deux ans que nous ne parvenions pas à identifier le monument, somme toute assez classique dans son architecture, sans autres éléments déterminants. Devenue une plaisanterie récurrente entre nous, même nos indexeurs experts (oui, il y a de Superindexeurs, qui se reconnaîtront !) y avaient renoncé.

Quand c’est le cas, nous gardons le document en tête jusqu’à ce que la recherche avance, que de nouveaux fonds soient numérisés ou… que le hasard fasse bien les choses. Ce mois-ci, nous avons reçu de nouveaux documents de la part de notre collectionneur le plus important, Jacques Magendie (plus de 9000 stéréophotographies dont la moitié en ligne !). Parmi les couples stéréoscopiques se trouvait… le même bâtiment, par un autre éditeur, avec une légende ! Enfin !

Il s’agit de la bibliothèque et du musée William Brown de Liverpool. Le bâtiment est inauguré en 1860, ce qui nous permet de réduire l’échelle chronologique. La photographie étant ancienne, nous pouvons la dater de la fin du XIXe siècle.

Et voilà ! Pour nous, c’est comme une enquête  qui se résout enfin ! Affaire classée !

Nous avons d’autres exemples d’enquêtes de ce type, que nous vous présenterons bientôt !

Septembre, mois des Journées du patrimoine

Le Palais Gallien à Bordeaux, dans son état des années 1860-1864, un exemple de témoignage du patrimoine ancien dans son état du XIXe siècle. Collection Vergnieux, RVX183

Septembre est le mois des Journées européennes du patrimoine. Une nouvelle fois, la Stéréothèque, avec ses très nombreuses photos de la seconde moitié du XIXe siècle, peut apporter des éléments de référence aux amateurs de l’histoire du patrimoine, en particulier dans les collections Calvelo, Dupin, Magendie ou de la Société archéologique de Bordeaux (SAB).

Cette période fut en effet, nous le savons, celle de la réappropriation du patrimoine par les Français, notamment sous l’influence de Prosper Mérimée ou de Victor Hugo.

Il convient de ne pas oublier que cela donna lieu à deux « écoles » :

  • celle de la Société française d’Archéologie, dont le (girondin) Léo Drouyn fut un des éminents membres girondins, qui considérait que « le droit de vivre existe pour les monuments comme pour les hommes… », mais qui rencontra beaucoup de difficultés pour obtenir une restauration « respectueuse du passé » pour les monuments,
  • et la tendance « restauratrice », dont les architectes Viollet-le-Duc ou Abadie furent les plus représentatifs, et qui, souvent, parvinrent à concrétiser leurs projets consistant à transposer un Moyen Âge architectural rêvé sur leurs restaurations.

C’est surtout des témoignages de cette seconde tendance que nous retrouvons dans nos collections. Nous en retiendrons quelques exemples, par ordre alphabétique, parmi les sites les plus emblématiques.

Le château d’Amboise entre 1875 et 1900. Collection SAB, SAB 496

Classé à l’inventaire des monuments historiques en 1840, le château d’Amboise est restitué à la famille d’Orléans en 1873, mais n’est restauré qu’au début du XXe siècle. À ce moment, le toit du logis principal ne comportait que quatre chiens-assis à meneaux Renaissance, et, sur la droite du toit, une surélévation dénotait. Lors de sa restauration, cette « verrue » a été rasée et deux nouvelles fenêtres à meneaux ont été créées pour assurer une uniformisation parfaite de la façade (voir photo ci-dessous).

Le château d’Amboise aujourd’hui (Source Google)

Bordeaux :

Dans cet élan de restauration du patrimoine ancien, l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux fit l’objet d’une « restauration-recréation » bien dans l’esprit des architectes phares de ce mouvement.

L’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux avant sa restauration, entre 1852 et 1860. Collection Magendie, MAG0686

L’église est classée en 1840. Elle est restaurée vers 1860 par les architectes Gabriel-Joseph Durand, Charles Burguet et le controversé Paul Abadie (l’architecte du Sacré-Cœur de Paris). Ces transformations radicales permirent d’unifier la façade en privilégiant un style roman saintongeais.

L’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux entre 1880 et 1920. Collection Gaye, CG014

Abadie a cherché à instaurer une certaine symétrie en élevant en partie gauche de la façade une tour-clocher du même style qu’à droite, bien que plus étroite ; il a aussi fortement modifié le pignon au-dessus du portail principal en rajoutant un petit clocheton, en systématisant des niches à petites arcades, en déplaçant la grande arcade vers la gauche au-dessus de la porte secondaire et en y incluant une statue équestre de Saint-Georges terrassant le dragon en armure médiévale. Malgré les controverses, reconnaissons que le résultat d’ensemble est plutôt réussi.

En 1860, on entreprend aussi de reconstruire le clocher (une tour-campanile séparée de l’édifice) de la basilique Saint-Michel de Bordeaux, classée monument historique depuis 1846. Cette flèche, déstabilisée par un tremblement de terre en août 1759, s’était effondrée en 1768 à la suite d’un ouragan. Le sommet de la flèche, tronqué, offrait alors une plateforme sur laquelle on érigea, après la Révolution, un télégraphe de Chappe.

Flèche de la basilique Saint-Michel en 1830, portant un télégraphe de Chappe. (Source Wikipedia)

La reconstruction de la flèche sur les plans d’Abadie fut entreprise vers 1860, cette fois  en respectant le style gothique d’origine, et s’acheva en 1869. Avec ses 114 mètres, il en fit la flèche la plus haute du sud de la France, et la seconde de tout le pays.

Reconstruction de la flèche de la basilique Saint-Michel de Bordeaux sur la période 1860-1869. Collection Calvelo, CAL0180

À partir de 1863, on entreprend aussi de dégager la cathédrale Saint-André des maisons qui l’enserrent, mais on abat pour cela le cloître qui y était accolé.

Le chevet de la cathédrale Saint-André de Bordeaux en 1863, avant les grands travaux de dégagement permettant l’extension de la place Pey-Berland. Collection Magendie, MAG6173

Cette vue, datée de 1863, nous présente les abords de la cathédrale Saint-André avant les grands travaux de transformation du quartier à la fin de Second Empire. Le percement de l’actuel cours Alsace-Lorraine, au sud de l’édifice, entraîne en 1864 la démolition de l’archevêché, puis en 1865 celle du cloître et des bâtiments situés à gauche sur la vue ci-dessus. Léo Drouyn, le spécialiste de l’archéologie girondine, membre de la Société française d’Archéologie, qualifia cette destruction de « crime archéologique » ; il immortalisa ce moment dans ce tableau peint à l’huile :

Travaux de dégagement en 1865 (démolition du cloître et des dépendances) de la Cathédrale Saint-André, vue à l’opposé du chevet, par Léo Drouyn, huile sur toile de 1872 (Musée d’Aquitaine)

Le dégagement de la cathédrale s’achève en 1868 avec la destruction des rues Victor, Sainte-Hélène, Saint-André (bâtiments situés à droite sur la vue ci-dessus). La place Pey-Berland revêt désormais son aspect actuel.

Chevet de la Cathédrale aujourd’hui (photo Kathedralen.net)

 

Étretat :

Quittons le port de la Lune pour la Normandie. En 1864, les barques de pêche traditionnelles de la côte normande, de leur véritable nom, « caïques d’Étretat », sont encore bien présentes sur la plage. Ces coques, robustes et hautes, montées à clins, étaient conçues pour affronter les temps changeants de la Manche et être remontées tous les soirs à même la plage au moyen de treuils puissants ou d’attelages de chevaux. Au même titre que les bâtiments anciens, les barques et voiliers traditionnels font partie de notre patrimoine historique.

Voiliers de pêche traditionnels sur la plage d’Etretat en 1864. Collection Calvelo, CAL0233

Aujourd’hui, la plage est livrée aux touristes et à la navigation de plaisance (photo ci-dessous).

Vue d’Étretat aujourd’hui (Photo Christian Bernadat)

Il ne reste que deux caïques, en retrait de la plage, sous forme de coques renversées, qui servaient dans le temps d’abri à matériel ; les Étretatais les dénommaient alors « caloges ».

Une des deux dernières caloges d’Étretat, transformée aujourd’hui en bar de plage (Photo Christian Bernadat)

Libourne :

Retour en Gironde avec cette vue de l’hôtel de ville de Libourne entre 1874 et 1895, avant les transformations qui ici encore ont accompagné sa restauration.

L’hôtel de ville de Libourne, sur la « place de la mairie » entre 1874 et 1895. Collection SAB, SAB415

La restauration de cette façade s’est accompagnée de nombreuses modifications de 1911 à 1914 (photo ci-dessous) : création d’une seconde fenêtre à meneaux sur le pignon à gauche, rétablissement d’une fenêtre à arcade sur le beffroi, recomposition complète de la façade de droite par deux séries de trois fenêtres à meneaux (au lieu de quatre) réunissant les ouvertures des premier et second étages en trois grandes baies, ainsi qu’unification de la taille des arcades du passage couvert au rez-de-chaussée. Le second étage de ce bâtiment abrite aujourd’hui le Musée des Beaux-arts de la ville. Dans son nouvel état, cette façade a été classée monument historique.

L’hôtel de ville de Libourne, état actuel (photo Mireille Grumberg)

 

Paris :

Les travaux d’aménagement du baron Haussmann, commencés vers 1844, n’ont pas permis de conserver de nombreux témoignages des états antérieurs dans nos collections. En revanche, quelques rares photos prises pendant le déroulement des travaux y figurent.

C’est le cas de cette vue (droite et gauche inversées), prise entre 1853 et 1855, pendant le dégagement de l’avenue Victoria, en face de l’Hôtel de ville, après démolition des rues de la Vannerie et de la Tannerie. En outre, nous avons ici l’Hôtel de Ville ancien, d’avant sa destruction par le feu au cours de la semaine de la Commune de Paris en mai 1871 et sa reconstruction, quasiment à l’identique pour la façade.

Les rues en face de l’Hôtel de ville en cours de percement, 1853-1855. Collection Dupin, DUP0257
L’Hôtel de ville de Paris vue depuis l’avenue Victoria aujourd’hui (Source Google Earth)

L’aménagement de la Seine et de ses abords, plus tardif que les travaux de percement d’Haussmann, a en revanche permis de fixer sur les plaques quelques sites emblématiques antérieurs à leur aménagement : vus avec le regard d’aujourd’hui, ils nous donnent l’impression d’un passé « pittoresque » et très lointain !

C’est le cas des deux pompes Notre-Dame, imposantes constructions adossées au pont Notre-Dame en rive droite (à l’opposé de l’île de la Cité) qui, à leur apogée, alimentaient 11 fontaines dans la ville, dont celle de la place Saint-Michel et celle de la place du Palais Royal. Mais le réseau montrait de fortes déperditions et les machines demandaient des travaux d’entretien lourds et réguliers. La première pompe cessa de fonctionner dès 1786. Quant à la seconde, elle fut utilisée jusqu’en 1858 et détruite en 1861.

Les pompes Notre-Dame, adossées au pont Notre-Dame, vues vers 1853-1858. Collection Dupin, DUP0108

Le pont lui-même, reconstruit par Haussmann, a été modifié une nouvelle fois en 1912, avec une arche métallique centrale.

Le pont Notre-Dame de Paris en rive droite, aujourd’hui (Source Histoire-de-Paris.fr)

À peine plus loin vers l’aval, mais toujours sur le petit bras de la Seine, ré-ouvert à la navigation seulement au milieu du XIXe siècle, voici ce qui était le quai des Ormes. En arrière-plan, on aperçoit le Pont Marie (le cliché ne montre ni l’île de la Cité, à droite, ni le quai haut, bâti, sur la gauche). Ce quai a fait l’objet de travaux importants de 1838 à 1842, consistant à édifier un « quai haut » bâti raccordant le quai des Ormes au quai de Grève.

Entre 1847 et 1867, ces travaux ont établi un « bas-port », qui doit correspondre à ce que montre cette vue. Sur ce port s’était installé un marché aux fruits, mais il servait certainement aussi à décharger les fruits et légumes à destination des halles pas très éloignées.

L’arrivage des fruits et légumes sur la grève du « quai des Ormes » entre 1854 et 1867. Collection Magendie, MAG2465

À partir de 1867 ou 1868, la municipalité crée ici le quai de l’Hôtel de Ville qui devient complètement bâti. La photo ci-dessus est donc un document intéressant puisque la configuration qu’elle présente n’a vraisemblablement existée qu’entre 1842 et 1867.

Le pont Marie vu vers l’aval aujourd’hui (Source Wikipedia)

À Paris, encore un peu plus vers l’aval, nous voici au port de Solférino, à deux pas du pont Royal, en face du pavillon de Flore (à l’extrémité du palais des Tuileries). Sur la période couverte par la photo (1851-1855), une péniche est en cours de déchargement de blocs de pierre déjà taillés, sur la berge en pente (encore non recouverte de quais verticaux). Cette opération est réalisée par deux grues de carriers, vraisemblablement implantées ici pour alimenter le gigantesque chantier de construction lancé par le Baron Haussmann à compter de juin 1853, à la demande de Napoléon III.

Le port de Solférino, en face du Louvre entre 1851 et 1855., Collection Dupin, DUP0295

Aujourd’hui, les quais ont été bâtis tout le long de la Seine ; la voie rapide construite sur une partie du quai a actuellement été rendue aux piétons ; un escalier descend depuis le quai Anatole France vers la Seine, reliant directement, pour les piétons, les berges aux voies qui le surplombent (ci-dessous).

Vue du pavillon de Flore et du pont Royal depuis le quai d’en face, au pied du Musée d’Orsay (Source Google Earth)

Sceaux :

Terminons cette évocation du passé patrimonial par cette vue de la gare de Sceaux antérieure à 1860. Cette fois, c’est le patrimoine ferroviaire qui attirera notre attention.

La Compagnie du Chemin de Fer de Paris à Sceaux a été fondée en 1845 par le polytechnicien Jean-Claude-Républicain Arnoux sur une concession qui lui avait été octroyée en 1844. Arnoux y teste une solution technique spécifique permettant d’améliorer la vitesse des trains en courbe et de limiter l’usure des rails et des roues, en désolidarisant les roues d’un même essieu et en articulant les essieux sur un pivot central. Il utilise une voie large (1,75 m). Cet ensemble est appelé « système Arnoux ». Le premier tronçon relie « l’embarcadère d’Enfer » (devenu Denfert-Rochereau) à Sceaux, rue de Fontenay, à proximité du parc de Sceaux. Il est ouvert au public à compter du 23 juin 1846. Dans cette première étape (jusqu’en 1863), la ligne est ouverte en voie unique, comme on peut le voir sur cette photo.

L’ancienne gare de Sceaux (située à proximité du parc de Sceaux) avec un train à vapeur à quai, 1852-1860. Collection Dupin, DUP0217

Nous avons ici l’intéressant témoignage d’une des locomotives Anjubault « Orge », construites spécifiquement pour la ligne. Ces machines sont fabriquées dans l’usine de la rue Keller à Paris (11e arrondissement). Elles ont été présentées à l’Exposition universelle de 1855. Attelé derrière la machine, on aperçoit un tender, wagonnet servant à transporter le charbon pour la chaudière, puis, le premier wagon de voyageur, équipé d’une cabine surélevée et vitrée dans laquelle s’installait le serre-frein, employé capital sur ces convois.

A la suite de la crise de 1847, la société Arnoux est rachetée par la Compagnie du Paris-Orléans en 1857.

 

La ligne est passée à deux voies en 1863. Mais, en 1893, la ligne adopte un nouveau tracé entre Bourg-la-Reine et Sceaux, imposant de construire une nouvelle gare à quelques centaines de mètres de la première (photo ci-dessous). Aujourd’hui, comme le savent tous les Franciliens, cette ligne fait partie de la ligne B du RER, exploitée par la RATP.

Photo 12 : L’actuelle gare de Sceaux (Source Wikipedia)

Elle sera profondément modernisée lors de la transformation de la ligne en RER en décembre 1977. Les rames, elles aussi, ont subi plusieurs modernisations (photo ci-dessous) : que d’évolutions ferroviaires parcourues en à peine plus d’un siècle !

Rame MI79 du RER B (en livrée STIF) entrant en gare (Source Wikipedia)

Christian Bernadat

L’image du mois #31 | Septembre

Les Journées européennes du patrimoine approchent ! Cette année, le thème « Patrimoine et éducation » vise à sensibiliser les jeunes générations.

La Une du mois de septembre portera sur ce sujet et en particulier sur les modifications, disparitions et restaurations autour des monuments historiques. Vous pourrez la retrouver dès le 15 septembre sur le Stéréopôle.

En attendant, voici une vue stéréoscopique présentant les travaux de la tour Saint-Jacques à Paris, vers 1853-1854.

Cette tour est en fait un clocher, seul vestige encore debout de l’ancienne église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, édifiée au XVIe siècle. Point de départ de la via Turonensis, elle fut détruite en 1797.

Paris, travaux de restauration de la tour Saint-Jacques, vers 1853-1854, collection Calvelo, CAL0163

La tour fut rachetée en 1836 par la ville de Paris à un entrepreneur qui y avait installé une fabrique de plombs de chasse. L’architecte Théodore Ballu la restaura complètement ; en 1858 les travaux sont achevés.

De nos jours, la tour peut être visitée de juin à novembre.

Collection Calvelo